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L'avenir des forêts: perspectives régionales

En quoi l'avenir des forêts sera-t-il différent selon les régions du globe? Unasylva a interrogé des experts venus de six régions pour connaître leurs prévisions.

De nombreux points communs lient les prévisions des auteurs des six régions du monde, lorsqu'ils tentent de se représenter les forêts et la foresterie en 2050. Avant tout, partout, l'aménagement des forêts naturelles sera axé de façon croissante sur la récréation, la conservation de la diversité biologique, la protection des bassins versants et la fixation du carbone. Le volume de bois récolté dans les forêts naturelles s'amenuisera et une part de plus en plus grande de la demande sera couverte par la production des plantations forestières. La production de bois et de produits dérivés sera dynamisée par des améliorations technologiques, notamment dans le domaine de la biotechnologie, et par l'optimisation des chaînes de production. Les fonds publics alloués à la foresterie se feront plus rares et l'aménagement des forêts, la propriété des plantations et l'investissement dans les industries forestières appartiendront de plus en au secteur privé. Le rôle des institutions publiques se limitera aux problèmes d'ordre politique, législatif et policier.

Au-delà de ce scénario pratiquement universel, des différences régionales apparaissent. Ainsi, les auteurs prévoient une contraction de la superficie de forêts naturelles en Afrique et en Asie, mais une expansion au Proche-Orient; un affaiblissement de la dépendance à l'égard du bois de feu en Afrique et au Proche-Orient, alors que le bois devrait être de plus en plus employé comme source d'énergie en Europe. Qui plus est, chaque auteur insiste sur des aspects différents. En Asie, par exemple, on prévoit que la prospection biologique deviendra une importante source de revenus d'origine forestière. En Asie et au Proche-Orient, la fertilisation progressive des déserts devrait représenter un grand pas en avant. En Europe, le changement climatique risque d'avoir sur les forêts une influence positive dans les pays nordiques, mais négative dans le bassin méditerranéen. Enfin et surtout, chaque auteur qui a contribué à cet article présente une vision toute personnelle de l'avenir.

Afrique




L.I. Umeh et C. Omoluabi

L.I. Umeh et Charles Omoluabi travaillent
à la Banque africaine de développement,
à Abidjan (Côte d'Ivoire); le premier est
Directeur de la Division pour l'agriculture (Est), et
le second fonctionnaire principal des forêts1.

En Afrique subsaharienne, les forêts ne doivent pas être protégées que pour les fonctions qui leur sont attribuées, à savoir l'environnement et la production de matière première bois. En Afrique, où la mécanisation agricole est encore réduite à sa plus simple expression, les forêts assurent une production agricole «économique» car elles fournissent des matériaux bon marché pour la construction des fermes, la fabrication d'emballages et d'outils manuels, et procurent du bois de feu, qui est une source d'énergie peu coûteuse. La récolte des produits forestiers non ligneux (PFNL) complète les revenus agricoles et assure la survie de nombreux ruraux, notamment les femmes. En Afrique, les forêts sont abondantes et imprègnent fortement les arts, la culture et les traditions. C'est pourquoi la protection et l'aménagement durable des forêts africaines resteront cruciaux pour le développement économique de la région.

Il est toutefois impossible de garantir qu'en 2050 les forêts continueront à procurer ces avantages, vu le rythme actuel de déboisement. Les contraintes qui entravent actuellement l'aménagement persisteront, même si l'on peut penser qu'elles tendront à s'atténuer. Il se peut qu'apparaissent de nouvelles forces, à la fois positives et négatives pour un aménagement durable; mais, dans l'ensemble, l'avenir des forêts africaines est plutôt sombre.

En Afrique subsaharienne, le couvert forestier par habitant (0,9 ha) est faible, si on le compare à la plupart des autres régions. En effet, les forêts de cette sous-région ont été en grande partie détruites ou morcelées. En Afrique de l'Ouest, près de 80 pour cent de la forêt humide luxuriante originelle a été défrichée. Les espaces de forêt restants sont fortement dégradés et ont survécu parce qu'ils ont été protégés, en tant que forêts domaniales ou parcs nationaux. Les vastes blocs de hautes futaies tropicales, que l'on trouve encore en Afrique centrale, sont menacés par les migrations massives de populations fuyant les conflits, les renversements de régimes ou les troubles sociaux. Les principales menaces pour les forêts africaines sont le défrichement des terres au profit de l'agriculture commerciale ou de subsistance, la demande de dendroénergie, l'abattage des arbres, le pâturage intensif sur les terrains boisés, les feux de forêt, les conflits et les mouvements de population qu'ils entraînent.

En Afrique, les parcs nationaux et les réserves de faune actuelles seront peut-être les seuls espaces de forêts naturelles qui existeront encore, et nous n'aurons sans doute plus que quelques films d'archives pour faire revivre les troupeaux de zèbres qui pullulaient jadis en ce lieu

- FAO/17391/K. DUNN

PRINCIPAUX FACTEURS D'INFLUENCE ET PERSPECTIVES À L'HORIZON 2050

Les perspectives des forêts et de la foresterie en Afrique saharienne jusqu'en 2050 ont été établies à l'aide d'un modèle dynamique qui repose principalement sur l'évolution de la situation dans le reste du monde. Notre première hypothèse est que l'Afrique traversera d'ici l'an 2050 trois périodes de développement politique, économique et social: stabilisation politique, puis croissance technologique et enfin priorité à l'environnement. La deuxième hypothèse est que l'influence des facteurs socioéconomiques, politiques et technologiques sera à l'avenir plus favorable à la foresterie. Nous reconnaissons également l'impact possible de forces politiques internationales sur lesquelles l'Afrique n'a aucun contrôle.

Période de stabilisation politique (2000 à 2020)

Jusqu'en 2020, les forêts africaines seront déboisées à une rythme effréné, car les résultats économiques seront mauvais et les forêts seront exploitées pour lutter contre la pauvreté. Selon les Nations Unies (ONU), le taux de croissance démographique de la région restera élevé, et sera de 2 pour cent en 2020. D'après un rapport de la FAO, 16 pays africains sont encore confrontés à des crises alimentaires sans précédent, à la suite de troubles civils, de déplacements de population et de sécheresses. Avec la crise alimentaire, les investissements de développement forestier resteront rares et de nombreux pays africains seront dans l'incapacité de mobiliser des ressources à l'intérieur de leurs frontières pour des programmes de protection de l'environnement.

Les ressources extérieures allouées à la foresterie sous forme d'aide ou de dons se feront plus rares, et seront peut-être même inexistantes en 2020. Il semblerait que la fin de la guerre froide ait aussi sonné le glas de la générosité envers l'Afrique. Les remises de dettes seront minimes et sans effets sur l'aménagement des forêts. Les prêts des banques de développement pourraient être le seul moyen d'obtenir de maigres ressources internationales pour le développement des forêts, entre l'an 2000 et l'an 2020.

À l'heure actuelle, les taux d'intérêt pratiqués par les banques de développement ne sont pas «sensibles» au secteur; les projets d'infrastructure et de conservation sont actuellement soumis aux mêmes taux d'intérêt; en effet bien qu'ils soient bénéfiques pour l'environnement, les projets de conservation sont mal placés pour obtenir des crédits. Comme beaucoup de pays africains (notamment ceux où sont en cours des troubles) ont des dettes envers les banques de développement, il y a peu de chances pour que des taux plus bas soient consentis à des secteurs moins compétitifs. Le financement de l'aménagement durable des forêts sera donc encore un gros problème en 2020.

La pénurie aiguë de fonds disponibles pour la foresterie aura un impact très négatif sur l'environnement et l'approvisionnement en bois. Le plus prononcé de ces effets sera l'incapacité de l'Afrique à satisfaire les besoins intérieurs en bois industriel. À l'avenir le secteur public recevra davantage de fonds des budgets annuels des gouvernements, mais ils resteront très insuffisants pour combler les déficits accumulés à cause du manque d'entretien prolongé des forêts. La foresterie demeurera une entreprise commerciale relativement peu intéressante pour le secteur privé dans les 20 prochaines années en raison des difficultés d'accès à la terre, de l'absence de libéralisation du commerce du bois, des bas prix du bois dus aux effets de distorsion des politiques des gouvernements, et des taux d'intérêts élevés des emprunts.

Période de développement technologique (2020 à 2040)

Il s'agira d'une période de réel développement pour l'Afrique, avec des progrès scientifiques et technologiques favorables au secteur agricole et à l'industrialisation. La plupart des régions d'Afrique commenceront à se stabiliser et à être bien gouvernées. La sécurité alimentaire sera assurée dans de nombreux pays, avec d'importantes améliorations dans les domaines des ressources humaines et du bien-être social, de la technologie et de l'industrialisation. Avec la croissance industrielle, l'emploi dépendra moins dans une certaine mesure du secteur agricole. Le rendement des cultures à l'hectare sera considérablement plus élevé, ce qui permettra au secteur agricole de libérer un peu de terres pour des utilisations urbaines et forestières. Les capitaux privés étrangers auront probablement commencé à affluer vers l'Afrique car les gouvernements auront privatisé une plus grande part de leurs secteurs de l'énergie, de l'eau, des communications et des transports. On peut compter, à partir de 2020, sur une plus grande stabilité des populations et sur une économie plus ouverte, avec une forte libéralisation du commerce et des infrastructures améliorées. L'intégration régionale sera renforcée dans toutes les sous régions de l'Afrique subsaharienne grâce à l'amélioration des échanges à l'intérieur du continent. La fiscalité devrait devenir plus efficace et des améliorations sont à prévoir dans les systèmes de recouvrement des recettes. Les intérêts sur le capital emprunté seront tombés à moins de 10 pour cent.

Toutefois, au cours de cette période, les forêts naturelles africaines seront en très mauvais état en raison des longues années de mauvais entretien et de l'exploitation des ressources aux fins de la croissance économique. D'après nos prévisions, la dégradation de l'environnement due à la disparition des forêts devrait culminer en 2040, les inondations et l'érosion étant la plus grande entrave à sa mise en valeur dans la région. Les actuels parcs nationaux et réserves de faune seront peut-être les seules forêts naturelles qui existeront encore. Des films d'archives pourraient bien être les seuls souvenirs des troupeaux de zèbres et d'antilopes qui pullulaient jadis dans les parcs du Kenya et de la Tanzanie. Une grande partie de la diversité biologique aura disparu en raison de l'aridité de nombreux écosystèmes africains.

Dans certains pays, la facture d'importation de bois sera aussi lourde que la facture d'importation de pétrole actuelle. Ainsi, les pays d'Afrique sahélienne qui n'ont pas de ressources minérales commenceront à avoir une croissance inférieure à celle des pays de l'Afrique humide, en raison du coût élevé de leurs factures de bois et d'énergie.

Avec les importantes pénuries de bois qui feront remonter les prix et la libéralisation accrue des échanges, des entreprises privées et des familles d'agriculteurs se mettront à faire pousser plus d'arbres sur des terres agricoles abandonnées, grâces aux incitations fiscales que les gouvernements introduiront, à tous les niveaux, pour stimuler la conservation et la sylviculture. La recherche forestière commencera à bénéficier d'un appui du secteur privé et d'une plus grande considération de la part des gouvernements. Les pouvoirs publics se décideront aussi à soutenir la conservation, qui deviendra un argument électoral.

D'ici 2040, les communautés seront moins importantes en tant qu'agents de protection de la forêt, car la majorité des terres seront privées. Les institutions forestières publiques auront moins de personnel et leur rôle sera recentré sur la formulation des politiques et la mise en place d'une législation environnementale. Les priorités de la formation forestière seront réorientées de la vulgarisation à l'aménagement économiquement rationnel des forêts.

Période de priorité à l'environnement (2040 à 2050).

La structure des forêts africaines ne sera plus la même en 2040, en raison de la disparition de nombreuses essences indigènes et de l'introduction d'essences exotiques, mais entre 2040 et 2050, les préoccupations pour l'environnement augmenteront rapidement. Avec l'amélioration notable des revenus, les forêts commenceront à être utilisées pour des activités récréatives ou pour la protection des bassins versants. Les Africains compteront moins sur les forêts pour satisfaire leurs besoins en énergie, car le gaz et l'électricité seront plus abondants. Ces faits nouveaux seront extrêmement positifs pour l'environnement et pour la conservation. Les grumes de petit diamètre représenteront une part plus importante des approvisionnements en bois de construction. Le problème des feux de forêts sera également maîtrisé grâce aux investissements privés dans la sylviculture. Davantage d'accords internationaux seront entrés en vigueur et, au lieu d'être un patrimoine national, les forêts deviendront une question importante d'intérêt régional.

Hélas, cela risque de se produire lorsque les ressources seront déjà épuisées. C'est pourquoi nous exhortons les gouvernements, les organisations internationales et non gouvernementales et les individus à redoubler d'efforts afin d'éviter cette éventualité.

Asie et
Pacifique




M.N. Salleh

M.N. Salleh est ancien Président de l'Union
internationale des Instituts de recherches forestières
(IUFRO) et ancien Directeur général du
Malaysian Forest Research Institute (FRIM) (Malaisie).

Un proverbe russe dit que lorsque nous prédisons l'avenir, le diable rit. Eh bien, laissons-le rire, et laissez-moi prédire l'avenir de la foresterie dans la région Asie et Pacifique, jusqu'en 2050, c'est-à-dire sur 50 ans, et nous verrons bien qui rira le dernier: le diable ou les forestiers?

En 2050, la foresterie sera victime de changements d'ordre social, économique, scientifique et politique qui se produiront dans la région et dans le monde au cours des cinq prochaines décennies. Les murs du communisme s'effondreront partout dans le monde, y compris en Chine, et le capitalisme régnera en maître sur l'activité économique. Avec la progression de la globalisation dans tous les pays, cela aura d'importantes conséquences économiques pour le secteur forestier. Avec les activités de recherche-développement, les sciences auront progressé à pas de géant et la foresterie en profitera largement, en particulier grâce à la biotechnologie.

La privatisation de la foresterie deviendra la norme dans la plupart des pays. Le secteur public, c'est-à-dire les départements des forêts, sera uniquement chargé de faire respecter la loi et de recouvrer les recettes. Toutes les autres fonctions seront dans les mains du secteur privé, y compris l'aménagement des plantations forestières, des forêts et des parcs naturels. Cela garantira une plus grande intégration des pratiques sylvicoles, car les activités d'amont, traditionnellement aux mains du secteur public, seront directement liées aux activités d'aval, qui sont depuis longtemps aux mains du secteur privé. Cette évolution aura des effets d'une portée considérable sur le développement et les pratiques sylvicoles, ainsi que sur la profession de forestier dans la région Asie et Pacifique.

Dans cette région, la superficie de forêts naturelles se contractera. Il ne restera de forêts tropicales qu'à Kalimantan et Irian Jaya en Indonésie, et de petits bouts en Malaisie et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Les Philippines et la Thaïlande n'auront pratiquement plus de forêts tropicales naturelles. Quant aux forêts subtropicales, il n'en restera que des réserves isolées en Asie du Sud-Est, en Australie et dans le sous-continent indien; en revanche, il y aura encore des forêts tempérées sous forme de petites réserves dans les régions tempérées de la Chine, du sous-continent indien, d'Australie et de Nouvelle-Zélande. Toutefois, toutes les forêts naturelles restantes seront utilisées uniquement aux fins de la conservation, pour la production d'eau et pour des activités récréatives, alors que la totalité des besoins en fibres seront couverts par les plantations. Les forestiers auront enfin compris qu'ils doivent gérer l'ensemble de l'écosystème, y compris la faune et la flore sauvages, au lieu de s'intéresser uniquement aux arbres. Ces zones seront gérées par le secteur privé, et le bien public sera parmi les produits les plus économiques.

Dans de nombreux pays d'Asie, les disponibilités d'eau douce seront un gros problème et les bassins versants boisés seront gérés pour la production d'eau qui sera vendue aux services publics de distribution; sur la photo, un réservoir dans une zone montagneuse de Chine

- FAO/20042

OBJECTIFS DE L'AMÉNAGEMENT DES FORÊTS

Les activités récréatives seront les produits des forêts les plus demandés et l'écotourisme sera devenu une véritable science. Les «écotours» seront si populaires que les forêts devront être découpées en zones réservées à différentes intensités ou types d'activités écologiques, et que des plans de gestion des loisirs spécifiques devront être élaborés pour aménager des espaces récréatifs à l'intérieur des forêts naturelles restantes.

Dans de nombreux pays, les disponibilités d'eau douce seront très limitées, et les forêts naturelles feront aussi office de bassins versants, pour capter l'eau. Ces forêts seront gérées en vue de produire de l'eau et de la vendre aux services publics de distribution.

Les permis et les accords de prospection biologique seront les principales sources de revenu liée aux forêts. Les forêts tropicales naturelles restantes d'Asie et du Pacifique seront ouvertes à la prospection biologique internationale, qui deviendra une industrie mondiale qui n'aura rien à envier à la prospection pétrolière. Ces recherches porteront sur les produits pharmaceutiques, les cosmétiques et d'autres produits naturels destinés à l'industrie alimentaire, comme les colorants naturels et de nouveaux condiments et herbes alimentaires. Ces activités de prospection biologique seront réglementées par un protocole relevant de la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique et par une législation nationale pour garantir une répartition équitable des avantages et la mise en commun des technologies. Les pays tropicaux en particulier, qui sont les plus riches en diversité biologique, seront les premiers à promouvoir ces activités. Des mesures de contrôle adéquates seront en place pour s'assurer que les propriétaires de la biodiversité tirent eux aussi des profits de ces activités. La prospection biologique rapportera tellement que les propriétaires des forêts auront plus intérêt à les entretenir dans ce but que pour la production de bois. Le SIDA et une foule d'autres maladies mortelles auront été éliminées, car des traitements auront été trouvés grâce à ces accords de prospection biologique.

Toutes les fibres ligneuses dont on aura besoin dans la région seront issues de forêts plantées, notamment d'hévéas et de palmiers à huile, qui seront reconnues dans le monde entier comme des plantations forestières. Celles-ci seront gérées sur de courtes révolutions pour la production de fibres ligneuses qui seront ensuite transformées en divers produits reconstitués à valeur ajoutée. Des systèmes de transformation ultra-modernes, utilisant comme matières premières des fibres ligneuses, fourniront des produits finis sur commande. L'ensemble du processus de production sera automatique et contrôlé électroniquement.

La fixation du carbone sera l'une des principales fonctions des forêts, car de nouveaux protocoles approuvés dans le cadre de la Convention-cadre révisée sur les changements climatiques autoriseront et encourageront les «crédits de carbone» et leur cession sur les marchés internationaux à terme. On verra aussi s'échanger sur les marchés internationaux des crédits de diversité biologique et des crédits de transpiration. La demande mondiale en eau douce sera supérieure à la demande, et le commerce des crédits d'eau se profilera à l'horizon.

La certification du bois et des forêts sera la norme; pas un morceau de fibre ligneuse ou de bois ne se vendra, au niveau local ou international, sans un certificat d'aménagement durable. Un mécanisme de gestion de la chaîne de possession sera mis en place et son usage sera généralisé. Outre le Forest Stewardship Council (FSC), d'autres organes de certification des pays du Sud seront reconnus et agréés par le marché international.

LA PROFESSION DE FORESTIER

Vu que l'aménagement des forêts relèvera du secteur privé, les sociétés conseil pousseront comme des champignons dans de nombreux pays du Sud, ce qui revitalisera le secteur et remettra à l'honneur la profession. Le métier de forestier sera à nouveau respecté, peut-être même plus que la médecine, l'informatique ou l'ingénierie, principalement en raison de la demande de métiers durables et de vie en contact avec la nature.

La profession de forestier sera régie non seulement par des règles nationales et leurs codes de conduite, mais aussi par un conseil mondial de la foresterie, placé sous les auspices des Nations Unies. Les écoles forestières proliféreront avec l'augmentation de demande de formation sylvicole. L'Association des institutions de recherche forestière pour l'Asie et le Pacifique (APAFRI), constituée en 1995, sera la première association forestière de la région et son mandat sera élargi à la pratique professionnelle de la sylviculture.

PROGRÈS SCIENTIFIQUES

Les biotechnologies forestières connaîtront une période florissante tant au niveau de la recherche en institutions que de l'application des résultats des recherches. On plantera des arbres génétiquement modifiés pour répondre à des besoins déterminés, notamment pour maximiser la fixation du carbone, pour produire des fibres ou pour conférer aux arbres l'un des nombreux autres traits qui peuvent être modifiés par des manipulations génétiques. De nombreux arbres transgéniques ayant de multiples caractères différents, comme la résistance aux maladies et une croissance très rapide, seront mis au point et cultivés dans des plantations - mais le secteur forestier sera encore bien loin de produire l'arbre «idéal». Des taux de croissance de 100 m3 par hectare et par an seront normaux pour les espèces tropicales.

En 2050, un nouvel arbre transgénique ayant une croissance rapide, une bonne capacité d'absorption du carbone et des pousses et des fruits comestibles, sera soumis à une modification génétique pour produire un type de sève pouvant être utilisé, tel quel, comme carburant pour automobiles. Les scientifiques auront pour objectif de démarrer la production commerciale de ce carburant en 2075. Comme il sera possible de produire en abondance des fibres de bois, la biomasse sera la matière première préférée pour la production d'énergie et les campagnes des régions tropicales de l'Asie et du Pacifique seront couvertes d'une multitude de petites centrales de production d'énergie «verte».

Néanmoins, grâce au développement des technologies de plantation forestière, les essences indigènes traditionnelles à bois prisé de la région seront aussi plantées dans certaines zones, soit pour enrichir des forêts dégradées, soit dans des plantations forestières. Ces essences tropicales seront cultivées sur une révolution de 20 ans, mais leur bois se vendra cher et sera destiné à alimenter un créneau spécifique sur le marché international.

Les zones arides et semi-arides de la région, comme la Chine, la Mongolie, l'Asie centrale et l'Australie bénéficieront de la mise au point de nouveaux végétaux et arbres transgéniques capables de survivre et de se développer avec peu d'eau. Les semi-déserts du passé seront reverdis avec des plantes et des arbres résistant à des conditions d'extrême sécheresse. Certains de ces arbres auront été génétiquement modifiés pour produire des racines adventices longues et robustes pouvant aller chercher l'humidité à une grande profondeur dans le sol, ainsi que des racines aériennes capables d'absorber l'humidité de l'air. Les racines aériennes, les tiges et les branches auront aussi des nodules qui absorberont l'azote atmosphérique. Une fois reverdis, ces grands espaces, qui étaient jadis le point noir de la planète, libéreront suffisamment d'humidité dans l'air, par transpiration, pour favoriser la formation de nuages, et même de pluies. La fertilisation des déserts, qui est l'une des plus vieilles ambitions de l'homme, deviendra peu à peu une réalité. Des technologies rationnellement économiques de désalinisation de l'eau de mer permettront d'irriguer les régions côtières arides et semi-arides, les rendant du même coup habitables et utilisables pour la production agricole.

Les progrès réalisés pour fertiliser les déserts aideront à vaincre le gros problème de la surpopulation en Chine et en Inde, qui seront toujours les deux pays les plus peuplés du monde. La production agricole augmentera dans des proportions suffisantes pour couvrir les besoins de ces pays en aliments de base. Avec son capital de terres et de ressources humaines et les technologies mises au point, la Région Asie et Pacifique sera la première productrice mondiale de bois et d'aliments.

Europe



C. Prins

Kit Prins est chef de la Section du bois,
Division du Commerce, Commission économique
des Nations Unies pour l'Europe, Genève (Suisse).

Dans presque toutes les régions d'Europe, une rotation forestière complète dure plus de 50 ans, de sorte qu'aujourd'hui, les administrateurs des forêts doivent se projeter mentalement 50 ou 100 ans en avant lorsqu'ils décident des mesures à prendre. Projeter les tendances présentes à un horizon lointain est aussi un excellent moyen de comprendre le présent. Les spéculations de ce type doivent cependant se concentrer davantage sur les tendances sociales et économiques que sur les questions techniques de foresterie, car les premières ont plus d'influence sur les pratiques sylvicoles.

Ces prévisions sont fondées sur l'hypothèse que l'Europe restera en paix et prospère, et pourrait même être plus florissante qu'au début du XXIe siècle. Si l'Europe devait à nouveau entrer en guerre ou être victime d'une catastrophe majeure, naturelle ou provoquée par l'homme (par exemple une explosion nucléaire), les forêts et les populations seraient dévastées et la priorité absolue des forestiers serait de protéger ce qui reste ou de reconstruire. Les événements de ce type sont imprévisibles, mais ne sauraient être complètement exclus.

Avant de regarder en avant, il est sage de jeter un regard en arrière. Quels sont les principaux changements structurels qui ont influencé la foresterie européenne depuis 50 ans?

Depuis la seconde guerre mondiale, les changements les plus marquants ont sans doute été l'augmentation sans précédent de la prospérité générale et la transition actuelle des économies centralisées vers l'économie de marché.

Dans le secteur des forêts, si l'on excepte les premières années qui ont suivi la seconde guerre mondiale, le volume de bois abattu est resté bien inférieur à la croissance et la superficie de forêt a connu une expansion régulière. Les changements importants au niveau de la théorie et de la pratique forestières ont été peu nombreux: alors que l'on privilégiait, dans les années 50 et 60, la monoculture intensive, cette tendance a été inversée, sous la pression d'un public de plus en plus informé et sensible à l'environnement. La sylviculture est revenue à ses principes d'antan: prudence d'abord, économie ensuite.

L'entretien et le travail des forestiers est devenu moins pénible et moins dangereux. Avec la mise au point de tronçonneuses plus perfectionnées et la mécanisation accrue, les conditions de travail se sont améliorées, mais dans de nombreuses régions d'Europe, l'exploitation forestière est devenue une activité à fort coefficient de capital.

L'équilibre entre les principaux assortiments de bois ronds a radicalement changé: le bois de feu est devenu pratiquement inexistant dans de nombreuses régions car les prix de l'énergie non renouvelable ont chuté et sont arrivés à leurs plus bas niveaux de tous les temps (en valeur réelle), et les grumes perdent de plus en plus de terrain par rapport au bois de trituration. Grâce à la montée des produits en bois reconstitué, presque toutes les parties de l'arbre sont aujourd'hui commercialisables et les gaspillages de matière première sont devenus infimes. Les vieux papiers sont maintenant couramment recyclés dans toute l'Europe, et l'on commence aussi à récupérer le vieux bois.

Depuis les années 70, la population européenne (notamment du nord-ouest de l'Europe) est de plus en plus consciente des problèmes écologiques et, la prospérité aidant, de moins en moins disposée à accepter que l'on justifie les dégâts provoqués à l'environnement par des arguments économiques.

CONTEXTE EXTERNE

Les prix de l'énergie seront sensiblement plus élevés en 2050, et l'on encouragera systématiquement les sources d'énergie renouvelables, notamment le bois. En 2030, le pétrole ne sera plus la source d'énergie dominante. Au lieu de le remplacer par une seule source d'énergie, on adaptera plus en plus les sources aux utilisations.

De nombreuses fonctions politiques et administratives seront décentralisées au niveau régional et local ou internationalisées. L'État Nation conservera certes son importance, mais il ne sera plus le seul centre de pouvoir politique. Dans de nombreux secteurs, les décisions de l'Union européenne (UE) seront cruciales. L'UE s'étendra jusqu'aux frontières de la Communauté des États Indépendants (CEI) et sera très influente pour tout ce qui concerne la normalisation, dans tous les domaines de la vie, et même pour la répartition des richesses entre les régions les plus pauvres et les plus riches du continent européen. Il s'agira aussi d'une organisation plus démocratique qu'aujourd'hui. Toutefois, à l'échelle mondiale, son influence et celle d'autres grandes puissances (États-Unis et Japon) seront contrebalancées par un accroissement de l'influence d'autres puissances régionales.

La Fédération de Russie traversera encore des périodes de tension extrême, voire de chaos, mais en sortira comme une puissance régionale majeure, avec une économie relativement compétitive. Le déclin de la population (de 20 à 30 pour cent) sera un gros problème et des centaines de millions d'hectares de terre seront laissés en friche (ils ne seront exploités que pour l'extraction de minéraux et la foresterie).

Des sociétés multinationales et des organisations non gouvernementales (ONG) internationales auront une grande influence du point de vue économique et sur l'opinion publique. Tout changement structurel sera impossible sans le soutien au moins tacite de ces deux groupes.

En Europe, la demande de services récréatifs dominera dans les forêts situées dans des zones touristiques comme celle-ci, près de St Moritz, en Suisse

- DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO/TH-119/T. HOFER

Compte tenu de la stabilisation ou du déclin de la population et de la prospérité économique, la main-d'œuvre européenne sera encore plus chère (en valeur relative) qu'aujourd'hui, ce qui encouragera la mécanisation et l'automation dans tous les domaines. De nouvelles technologies, notamment dans le domaine de la communication, continueront à abaisser les coûts et à accroître l'efficacité.

On assistera à un véritable boum de la construction entre 2000 et 2030 dans les pays d'Europe orientale et centrale.

DEMANDE DE BIENS ET DE SERVICES PROCURÉS PAR LES FORÊTS

Les produits dérivés du bois détiendront encore une part significative des marchés du bâtiment et du meuble, à condition que les produits soient sans cesse renouvelés, qu'ils soient commercialisés de manière offensive, que leurs prix restent compétitifs et qu'ils conservent une bonne image écologique. Les produits composites, spécifiquement adaptés à la demande, et fabriqués dans de grandes usines à forte intensité de capital, à partir de matières premières homogènes de qualité inférieure, domineront. Le bois de sciage traditionnel, qui subit une transformation minime, a des caractéristiques irrégulières et doit être fait de matière première de qualité supérieure, deviendra un produit de luxe, ou réservé à un créneau spécifique.

Seules quelques sociétés et régions de production auront une échelle d'opérations, des réserves de capitaux et des compétences suffisantes pour être des participants sérieux au niveau mondial, dans cet environnement basé sur la concurrence. En Europe, ces participants pourraient être les pays nordiques et baltes (de plus en plus considérés comme une seule et même région): le nord de l'Espagne, le Portugal, le sud-ouest de la France; l'Irlande, l'Écosse, l'Autriche, la Pologne, et le nord-ouest de la Fédération de Russie. Ces régions se démarqueront par une sylviculture très intensive et une forte concentration d'installations de transformation. Ailleurs, les marchés du bois, en tant que matière première, seront peu dynamiques et rapporteront peu ou pas du tout.

La demande de services récréatifs dominera dans toutes les forêts proches d'agglomérations et de lieux touristiques. Les conflits entre les groupes d'utilisateurs s'intensifieront et devront être arbitrés par les administrateurs et les propriétaires des forêts (publiques et privées).

Les consommateurs seront de plus en plus pointilleux et exigeants, tant en ce qui concerne la qualité des produits que les aspects écologiques. Par exemple, les consommateurs européens n'accepteront plus de bois provenant des forêts naturelles - ce qui ne changera pas grand chose étant donné que toutes les forêts naturelles seront déjà protégées en permanence ou converties en forêts semi-naturelles (c'est-à-dire soumises à un aménagement) ou en plantations forestières - et le bois issu des plantations se vendra beaucoup moins cher.

Le principal nouveau marché sera celui de l'énergie car, sous l'influence des catastrophes climatiques attribuées à l'effet de serre, les gouvernements se serviront enfin des prix comme d'une arme pour dissuader d'utiliser des sources d'énergie non renouvelables et relancer l'offre et la demande de bois par des mesures énergiques. On verra se multiplier les petites centrales alimentées au bois, qui sera pratiquement la seule source d'énergie utilisée pour se chauffer en milieu rural, et qui jouera un rôle important partout. Des combustibles dérivés du bois, comme l'éthanol ou le méthanol, seront produits à grande échelle et remplaceront le pétrole dans certaines utilisations.

POLITIQUES ET AMÉNAGEMENT FORESTIERS

Partout, sans exception, des normes rigoureuses de conservation de la diversité biologique (protection d'habitats clés, couloirs de faune, etc.) seront mises en application.

Dans les zones à production intensive de bois, qui seront aux mains des industries forestières ou de grands exploitants privés liés aux industries par contrat ou copropriété, des sociétés forestières spécialisées s'occuperont de mener à bien l'aménagement des forêts. Toute la chaîne de production, à savoir plantation, récolte, transport, transformation et commercialisation, sera optimisée, car tous les maillons de la chaîne seront en permanence en contact les uns avec les autres. Grâce à des améliorations génétiques et à des régimes de sylviculture intensive, les rendements seront beaucoup plus élevés et les rotations plus courtes. Les arbres feront l'objet d'une sélection génétique, afin qu'ils soient dotés de certains traits comme la croissance rapide, ou encore la faible teneur en lignine pour la désintégration en pâte. La plupart du temps, on connaîtra l'utilisation finale de l'arbre une fois qu'il aura été planté. Dans ces zones, il sera rentable de posséder et de gérer des forêts et le marché des terres forestières sera dynamique.

À l'extérieur des régions à production intensive de bois, l'utilité générale des forêts pour la société sera reconnue. Les revenus des propriétaires des forêts proviendront des ventes de bois, le plus souvent aux marchés locaux de bois-énergie (qui seront sévèrement réglementés comme le sont aujourd'hui les marchés de l'électricité, du gaz, ou des transports publics); ils recevront aussi des subventions de l'État pour compenser les coûts non couverts par la vente du bois, en échange d'importantes restrictions de leur liberté de choix. Les droits d'utilisation, tels que les péages routiers aujourd'hui, seront considérés comme injustes et difficiles à gérer. Un très petit nombre de forêts à valeur récréative élevée feront payer des droits d'entrée (du type de nos péages d'autoroute).

Dans les zones très fréquentées à des fins récréatives, les autorités publiques devront sans doute reprendre à leur charge la gestion quotidienne de la forêt, car les petits exploitants privés n'auront pas les qualifications voulues. Dans les zones rurales plus éloignées, situées en dehors des régions à production intensive de bois, la majorité des forêts ne seront pratiquement pas aménagées, de sorte qu'elles reviendront lentement à un état plus naturel et s'étendront spontanément sur d'anciennes terres agricoles.

Les administrateurs des forêts passeront une grande partie de leur temps à gérer des opérations de participation collective: la foresterie sera considérée comme l'affaire des populations et non comme un métier de techniciens.

Le changement climatique modifiera l'état des sites et influencera les rendements. Certaines zones deviendront plus compétitives (par exemple le sud de la Finlande et la Suède), alors que d'autres seront confrontées à des problèmes aigus (par exemple les forêts méditerranéennes menacées par le feu et la désertification), mais dans l'ensemble le secteur saura s'adapter. L'Europe aura quelques «forêts de Kyoto» (forêts établies et aménagées spécifiquement comme puits de carbone et prises en compte dans le processus de vérification des comptes de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques), généralement financées par des arrangements avec des compagnies nationales ou locales de production d'énergie, mais les activités en rapport avec les puits de carbone seront principalement concentrées dans les régions où les conditions de croissance sont plus favorables et où la terre est moins chère.

PROBLÈMES CONCERNANT LE SECTEUR FORESTIER

La certification ne sera plus un sujet épineux: de deux choses l'une, ou les produits certifiés auront un petit créneau de marché ou bien (cas plus probable) tous les produits forestiers seront certifiés automatiquement.

Au niveau local, les conflits entre les groupes d'utilisateurs représenteront la plus grande préoccupation. Au niveau des pays et de l'UE, le grand sujet de discussion sera la quantité de fonds publics pouvant être mis à disposition pour l'aménagement des forêts dans les zones à production de bois non intensive. Au niveau international, on discutera surtout des problèmes de politique commerciale ( un «terrain neutre» pour les producteurs de bois). Il sera difficile de distinguer les versements en faveur de l'aménagement des forêts gérées de manière non intensive (qui seront considérés légitimes), des subventions en faveur des zones à production intensive de bois (qui seront considérées injustifiées, au moins en théorie).

Comme aujourd'hui, le principal souci de la majorité des exploitants des forêts sera de trouver le moyen de couvrir leurs coûts ou de faire un profit tout en satisfaisant tous les besoins de la société.

Amérique latine
et Caraïbes




I. Tomaselli

Ivan Tomaselli est Directeur d'une société
brésilienne de conseils en foresterie,
STCP - Engenharia de Projetos, et Professeur à
l'Université fédérale du Paraná,
à Curitiba (Brésil).

La Région Amérique latine et Caraïbes a encore un couvert forestier étendu mais, à l'exception de quelques pays, ce potentiel n'a pas encore été pleinement reconnu et exploité. Comment se présentera le scénario en 2050? Pour répondre à cette question, il faut commencer par jeter un regard en arrière.

Comme dans la plupart des régions du monde, en Amérique latine et aux Caraïbes les forêts étaient jadis considérées comme un obstacle au développement, ayant relativement peu d'importance sur le plan économique. Pendant longtemps, la balance commerciale des produits forestiers de la région a été déficitaire.

Au début du XXe siècle, même le Brésil, qui est aujourd'hui le premier producteur et exportateur de produits forestiers de la région, importait de grosses quantités de bois. Pendant plusieurs années, les États-Unis, le Canada, la Finlande et la Suède ont exporté de gros volumes de bois de construction vers le Brésil. Certains facteurs liés à la première et à la seconde guerre mondiale ont contribué à renverser cette situation mais, au Brésil, comme dans d'autres pays de la région, la consolidation du secteur forestier n'a commencé que bien plus tard.

Les politiques foncières, agricoles et forestières élaborées par certains pays dans les années 60 sont sans doute les principaux éléments qui ont modifié les perspectives de la forêt et de la foresterie dans la région.

Les politiques forestières ont eu un impact notable, notamment au Brésil et au Chili. Dans les années 60, ces pays ont mis au point un programme d'incitations fiscales pour soutenir la création de plantations forestières. Très vite les plantations, composées principalement de pins et d'eucalyptus, procuraient des matières premières uniformes et peu coûteuses, deux éléments considérés comme cruciaux pour attirer les capitaux nécessaires au développement de l'industrie forestière.

Les politiques foncières et agricoles ont conduit à l'occupation des zones forestières tropicales, si bien que d'abondants volumes de grumes de qualité supérieure et à bas prix ont été mis à disposition. À la même période, l'industrie de transformation des bois tropicaux était florissante en Asie. Les produits fabriqués avec ces bois ont conquis de nouveaux marchés, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives d'investissement, notamment dans le bassin amazonien.

La crise économique régionale des années 80, la globalisation et les pressions environnementales ont été les principaux facteurs qui ont favorisé, dans la région, les récents changements introduits dans le secteur des forêts.

Le Chili a su se moderniser et ouvrir son économie plus rapidement que d'autres pays de la région, attirant des capitaux et développant le potentiel des plantations forestières établies. Le Brésil a connu une longue période d'inflation élevée et de stagnation économique. Comme il manquait de capitaux et attirait moins les investisseurs extérieurs, son secteur forestier s'est développé plus lentement. Dans la région, ces deux pays sont néanmoins les seuls à avoir quelque peu développé leur secteur forestier, principalement grâce aux plantations.

Le Brésil et le Chili ont servi de modèles à d'autres pays, qui se sont inspirés de leurs programmes d'incitation fiscale pour mettre au point de nouveaux mécanismes d'incitation, fiscale ou autre. Les incitations sont aujourd'hui d'importants instruments pour l'expansion des plantations forestières en Argentine, en Uruguay et au Paraguay. D'autres pays se sont déclarés disposés à adopter des modèles analogues.

Le manque de durabilité des projets agricoles en Amazonie et les pressions environnementales ont dans une large mesure encouragé l'élaboration de nouvelles politiques forestières. Ce processus a débuté au Brésil, où l'on a mis en place plusieurs instruments juridiques pour mieux réglementer les activités forestières, et il est en train de s'étendre à l'ensemble la région. Après un débat animé, la Bolivie a adopté une nouvelle loi forestière en 1996. Le Pérou a approuvé une nouvelle loi au début de l'an 2000 et d'autres mécanismes de réglementation sont en voie d'élaboration.

Le modèle adopté n'est pas toujours le même dans tous les pays. Au Brésil, par exemple, il se fonde sur des forêts privées à vocation de production, alors qu'au Pérou et en Bolivie, les forêts appartiennent à l'État et sont mises à la disposition du secteur privé, en tant que concessions. Toutefois, tous les modèles ont incorporé les principes de l'aménagement durable des forêts.

LA RÉGLEMENTATION - L'UNE DES CLÉS DU FUTUR

Quel que soit le modèle adopté ou le type de forêt, toutes les activités forestières sont sévèrement réglementées dans la plupart des pays de la région. Souvent, les décisions que prennent les gouvernements sont influencées par des pressions internationales. En règle générale, les réglementations se sont multipliées dans le secteur forestier, alors que dans d'autres secteurs, la tendance est plutôt à la déréglementation, en réaction au processus de globalisation.

Apparemment, la majorité des gouvernements de la région n'ont pas réussi à mettre en place les mécanismes voulus pour assurer la compatibilité entre les politiques de développement et les problèmes environnementaux. Les compétences de gestion insuffisantes sont le principal problème et, apparemment, il n'est pas près d'être résolu.

Malgré ses efforts, la coopération internationale n'a pas réussi à les aider à surmonter ces écueils et les autres problèmes. Rétrospectivement, il semble que la coopération internationale ait été un mécanisme coûteux et inefficace.

Les gouvernements subissent des pressions, venant de l'intérieur et de l'extérieur, pour accroître les réglementations. Cela exige de nouvelles structures pour mettre en application les instruments juridiques et l'on n'a guère accordé d'attention à l'efficacité du processus. Or ce processus alourdit, et continuera d'alourdir, les charges des gouvernements, et en conséquence transfère des dépenses au secteur privé.

Quelques pays ont encouragé la décentralisation des administrations publiques, en associant les gouvernements des États et les municipalités au suivi de la foresterie, de l'environnement et à d'autres problèmes y afférents. Ils pensaient ainsi renforcer la participation des parties prenantes, et faciliter l'ajustement des instruments de réglementation et de développement aux conditions locales spécifiques. En principe, l'idée était bonne mais, dans la plupart des cas, les résultats ont été décevants. La décentralisation a généralement conduit à de doubles réglementations, à une prolifération des organes de réglementation, à une multiplication des litiges et à des coûts supplémentaires.

Les sociétés et les pays de la région sont alors devenus moins compétitifs; or cette baisse de compétitivité compromet encore plus l'adoption de systèmes d'aménagement durable des forêts, c'est-à-dire l'objectif final. D'autres intervenants sur le marché mondial sont plus «libéraux» et ont un avantage compétitif.

UN RÔLE IMPORTANT POUR LES PLANTATIONS

La tendance à réglementer se poursuivra dans les années à venir. Dans quelques pays de la région, il faudra probablement au moins 20 ans pour l'inverser. Or, d'ici là, les produits forestiers de source locale auront probablement perdu la plus grande part de leur marché.

Travailleurs entretenant de futurs arbres dans une pépinière d'Eucalyptus au Honduras; dans la Région Amérique latine et Caraïbes, les plantations d'Eucalyptus seront parmi les principales sources de matière première ligneuse en 2050

- FAO/20720/A. PROTO

En Amérique latine et aux Caraïbes, l'expansion des superficies de plantations forestières se poursuivra. Dans presque tous les pays de la région, les plantations forestières sont aujourd'hui fortement réglementées, mais elles le seront moins à l'avenir. De plus, d'un point de vue strictement économique, elles sont plus productives que les forêts naturelles. Tout cela fait que les produits issus des plantations seront plus compétitifs. Les technologies favoriseront aussi les plantations, qui pourront produire plus rapidement du matériel de meilleure qualité et plus uniforme. À l'avenir, les produits les meilleurs et les moins chers seront fabriqués avec du bois de forêts plantées.

Les pays de la région ne tireront pas tous des avantages des plantations forestières. Les plantations sont des investissements à long terme, et tous les pays ne sont pas en mesure de garantir la stabilité légale, politique et économique que demandent les investisseurs. En outre, les pays qui ont des marchés locaux peu développés et des infrastructures médiocres n'ont pratiquement aucune chance de développer leur secteur forestier dans les années à venir.

Les faits nouveaux dans le secteur de la foresterie de plantation montrent clairement que dans un avenir proche le cône sud de l'Amérique latine sera l'une des grandes régions productrices de produits forestiers du monde. Les plantations de Pinus et d'Eucalyptus seront la principale source de matière première. Les essences d'eucalyptus conquerront le marché des bois tropicaux.

Des capitaux continueront d'affluer dans les pays du cône Sud, principalement par le canal d'investisseurs privés. De grosses sociétés remplaceront peu à peu les industries existantes. La propriété des forêts et la production industrielle seront fortement concentrées. Le marché régional se développera plus vite que le marché mondial et sera un débouché important pour les producteurs locaux, mais la région jouera aussi un rôle de premier plan sur le marché international.

À l'avenir, les forêts naturelles seront aménagées principalement à des fins environnementales. Les superficies de forêt naturelle en production seront réduites car les forêts naturelles ne sont plus exploitées pour des raisons écologiques ou parce qu'elles ne sont pas compétitives.

On investira de plus en plus d'argent provenant de la coopération internationale et d'autres mécanismes de financement (fixation du carbone, échanges de dettes, protection de la diversité biologique et autres sources) dans la protection des forêts naturelles. Plusieurs États de la région accepteront ces fonds, promulgueront et mettront en application des lois et des règlements qui réduiront sans cesse la production des forêts naturelles. Ils pourront ainsi résoudre plus rapidement et plus facilement leurs problèmes immédiats liés au manque de capitaux tout en répondant aux attentes de leurs populations. Ce faisant, ils atténueront la pression sociale et acquerront une stabilité politique. Il appartient aux générations futures de porter un jugement sur cette décision.

Proche-Orient




H.O. Abdel Nour

Hassan Osman Abdel Nour est un consultant
forestier indépendant, basé à Khartoum (Soudan).

Nous autres forestiers, ou du moins la majorité d'entre nous, avons passé le siècle qui vient de s'achever à rouspéter et à maudire notre sort. Nous protestions, principalement entre nous, contre le peu de considération dont jouissait notre profession auprès de la société, ou du moins, des responsables des décisions. La seule idée d'être encore confrontés à cette attitude pendant tout le XXIe siècle nous fait frémir. Laissez-nous aspirer à un meilleur sort, et rêver un peu.

La vision qui suit s'adresse à ceux qui deviendront des professionnels de la foresterie au Proche-Orient à la fin de la quatrième ou au début de la cinquième décennie de ce siècle. Ils aborderont l'année 2050 au début ou à la fin de la trentaine, avec plus d'une décennie d'expérience et plus de deux décennies de service actif avant d'atteindre l'âge de la retraite.

DES GOUVERNANTS PACIFIQUES ET RESPECTUEUX DE L'ENVIRONNEMENT

On espère que, bien avant 2050, les conflits régionaux, les dissensions intergouvernementales et les conflits internes auront été résolus à l'amiable. Les coups d'État céderont la place à des processus démocratiques. La seule façon de prendre le pouvoir sera d'être élu. Sur les affiches des partis politiques et dans les promesses électorales, les grandes priorités seront la protection de l'environnement et le développement durable. Les promesses seront tenues et les engagements respectés.

Avec l'amélioration des systèmes de gouvernement, l'opinion publique aura plus d'influence et les rôles de la société civile, des ONG, du secteur privé et des communautés locales seront renforcés. Tous ces acteurs devraient avoir une influence positive en orientant plus d'attention, d'efforts et de ressources vers l'environnement, et plus particulièrement, vers la plantation d'arbres. Ils devraient aussi favoriser une plus grande efficacité d'utilisation des ressources dans ce domaine.

Les crédits budgétaires en faveur de l'armement, de la guerre, de la sécurité, etc., seront réorientés vers des utilisations plus humaines et plus constructives. L'essentiel des budgets nationaux et des financements bilatéraux et multinationaux sera orienté vers la reconstruction, le développement durable, la remise en état de l'environnement et le bien-être des populations.

LE NOUVEAU FORESTIER

Avec le règlement des troubles intérieurs et l'obtention de la stabilité sociale, l'urbanisation et l'automation, il faudra trouver de nouvelles sources d'emplois. Quoi de mieux que la foresterie et la plantation d'arbres, pour en créer?

Les soldats démobilisés et les appelés du service national seront recyclés et déployés, avec leurs engins de terrassement, leurs remorques et leurs camions-citernes, etc., dans les secteurs de la reconstruction et de la remise en état de l'environnement. Avec les gardes forestiers et les autres techniciens des forêts, ils recevront une formation pour laisser derrière eux la mentalité répressive et accepter des barrières sociales à la place des barbelés.

Cette transformation s'accompagnera de changements radicaux dans les programmes d'étude des écoles forestières qui laisseront une plus grande place aux produits et aux services non traditionnels que procurent les forêts, notamment la protection des bassins versants et des voies d'eau, la lutte contre la désertification et les produits forestiers non ligneux. Il faudra aussi accorder plus d'attention à la foresterie sociale, s'efforcer d'abattre les «murs de Berlin» érigés entre la foresterie, l'agriculture et l'horticulture, et de faire avancer des concepts contemporains tels que les programmes forestiers nationaux, la biodiversité et l'aménagement durable des forêts. Le but ultime de tout ceci étant de produire le «nouveau forestier».

En plus des soldats démobilisés, d'autres groupes sociaux, qui n'interviennent pas encore dans la sylviculture et la plantation d'arbres, commenceront à y participer, notamment des femmes. On voit déjà des signes de cette évolution, dans des pays comme le Soudan, où de plus en plus de femmes s'inscrivent à l'université et dans les départements des forêts (ou embrassent d'autres disciplines d'études supérieures). Ainsi, une récente promotion de diplômés en sciences forestières était composée de 11 femmes et d'un seul homme. Individuellement ou en groupes, de nombreuses femmes exploitent déjà des forêts ou participent à la gestion de forêts privées, familiales ou communautaires. Si cette tendance se poursuit, en 2050, ce ne seront plus les femmes, mais les hommes qui revendiqueront l'égalité des chances!

À l'avenir, les dunes de sable du Proche-Orient pourraient être transformées en sanctuaires de faune et en parcs d'agrément; sur la photo, techniciens consultant une carte satellite sur l'évolution d'une réserve de faune dans l'oasis de Palmyre, en République arabe syrienne

- FAO/19060/R. FAIDUTTI

Conservation et aménagement durable des forêts

Avec le déplacement de l'attention et la sensibilisation croissante aux problèmes d'environnement, les facteurs nocifs pour le milieu naturel, les forêts et les arbres seront enrayés. Après avoir été pratiqué pendant plusieurs décennies, le concept du développement durable aura enfin atteint son but. La production agricole durable sera suffisante, ou presque, pour répondre à la demande nationale et régionale. Les villes ne s'étendront plus de façon tentaculaire sur les terres arables, mais peupleront les déserts et les versants des montagnes. Au lieu de se limiter à mettre un frein au processus de déboisement, les actions de protection de l'environnement libéreront des terres pour planter de nouvelles forêts.

Avec l'amélioration des niveaux de vie et les nouvelles sources d'énergie disponibles, notamment l'électricité, le kérosène et le gaz butane, on aura moins besoin d'utiliser du bois de feu ou d'en ramasser pour gagner de l'argent. On assistera aussi à une désaffection pour les pacages communaux et l'élevage transhumant. Au contraire, le domaine forestier et les surfaces plantées d'arbres seront en expansion.

Comme on prendra de plus en plus conscience que les forêts et les terres boisées sont un bien collectif utile à l'humanité tout entière, on pourra constater la diminution du nombre d'actes de destruction délibérée et d'incendies criminels. On ne ripostera plus aux conflits à propos de l'utilisation des sols dans les zones boisées et aux différends avec les forestiers en mettant le feu aux forêts - un véritable fléau aujourd'hui - car la nécessité de les protéger sera de plus en plus reconnue et acceptée.

Les dunes de sable continueront peut-être à empiéter sur les habitats et les propriétés des hommes, mais elles seront stabilisées et fixées. Des sanctuaires naturels, des parcs de loisirs, des espaces verts, des jardins botaniques et des arboretums seront créés un peu partout. Les fermes, les parcelles familiales, les centres municipaux, les routes, les canaux et les voies ferrées seront bordés d'arbres de toutes les couleurs et de toutes les formes, qui se couvriront de fleurs pendant la saison.

La résolution des conflits internes et transfrontaliers facilitera l'allocation des ressources et l'accès à l'aménagement durable des bassins versants communs, la plantation de brise-vent communs et la mise en place de systèmes de collecte des eaux de ruissellement après les tempêtes. L'une des principales activités, en matière d'aménagement des bassins versants, sera la plantation et la conservation des arbres. Cela permettra d'obtenir une plus grande quantité d'eau, de meilleure qualité, pour tous les usages, notamment pour irriguer les forêts, les espaces verts, les brise-vent et les arbres épars.

De même, les ressources jadis utilisées pour faire la guerre ou remédier à ses conséquences seront libérées et disponibles pour la désalinisation de l'eau de mer et le recyclage de l'excès d'eau s'écoulant des champs irrigués, des effluents d'eaux usées et des eaux résiduaires industrielles, qui seront canalisés pour irriguer les arbres. La mise au point et l'adoption de systèmes d'irrigation améliorés permettra d'exploiter au maximum ces disponibilités supplémentaires d'eau.

Il est évident que malgré l'amélioration des régimes hydriques, la prolifération des arbres et des arbustes dans le paysage et la réduction des problèmes dus au surpâturage et à la disparition de la végétation, il est impensable que l'environnement ne redevienne ce qu'il était au temps de la préhistoire. Néanmoins, il devrait être possible de ramener de nombreuses espèces de la flore et de la faune sauvages à leur niveau d'antan, en les exhumant des anciennes banques de semences ou en les réintroduisant de propos délibéré.

Amérique
du Nord




M. Dombeck et A. Moad

Michael Dombeck est Chef du Service des forêts
du Département de l'agriculture des États-Unis.

Alex Moad est Sous-Directeur de la coopération technique, Programmes internationaux, Service des forêts du Département de l'agriculture des États-Unis.

Il est aussi risqué, sinon plus, de prédire l'avenir des forêts et de leur aménagement que de prévoir celui d'autres biomes ou d'autres initiatives humaines. En effet, le sort des forêts est fortement influencé par des forces externes telles que l'évolution de la population et de la consommation, les progrès des technologies agricoles et les attitudes sociales dominantes envers la nature, les loisirs et l'esthétique du paysage. En Amérique du Nord, ces influences sont encore compliquées par l'extrême diversité des types de forêts (depuis les forêts boréales de l'Alaska et du nord du Canada jusqu'aux forêts tropicales du sud du Mexique), des systèmes de propriété (fédérale, appartenant à l'État ou aux administrations locales, industries privées et petits exploitants, et organisations communales et tribales) et des niveaux de développement économique. À partir d'une étude des tendances actuelles, il devrait toutefois être possible de faire au moins quelques prévisions générales sur l'évolution des forêts de l'Amérique du Nord et de leur aménagement pendant la première moitié du XXIe siècle.

RECONNAISSANCE ACCRUE DE LA VALEUR ENVIRONNEMENTALE DES FORÊTS

Au cours des prochaines décennies, le changement le plus spectaculaire dans l'aménagement des forêts de l'Amérique du Nord sera probablement la manière dont le public percevra la valeur et les utilisations appropriées des forêts. Les forêts naturelles publiques, notamment, seront de plus en plus appréciées pour leurs fonctions environnementales - telles que la protection des bassins versants, la conservation de la biodiversité et la fixation du carbone - alors que seuls leur bois et leurs autres produits étaient autrefois pris en considération.

Dans toute l'Amérique du Nord, l'un des plus importants produits des forêts est, et restera sûrement, la disponibilité constante en eau propre, essentielle non seulement pour l'agriculture irriguée dans l'ouest des États-Unis et le nord du Mexique, mais aussi à des fins industrielles et domestiques dans tout le continent. De fait, les Forêts nationales des États-Unis ont été créées en grande partie pour enrayer la dégradation des bassins versants du début du XIXe siècle et les remettre en état, ce qui a pris une grande partie de la première moitié du XXe siècle. Aujourd'hui, ces forêts englobent environ 3 400 bassins versants qui fournissent de l'eau potable à plus de 60 millions de personnes. Vu que l'économie mexicaine continue à se diversifier et à se développer, des milliers de municipalités en pleine croissance seront tributaires de l'eau des forêts pour leurs besoins domestiques et industriels.

Les loisirs forestiers, qui occupent déjà une place de choix dans une bonne partie de l'Amérique du Nord, devraient prendre encore plus d'importance avec l'augmentation de la productivité par habitant et du temps de loisirs dans tous les pays, et de la classe moyenne urbaine au Mexique.

Étant donné que certaines espèces continueront à disparaître dans le monde entier, les forêts seront de plus en plus appréciées en tant que réservoirs de biodiversité. En Amérique du Nord, les forêts riches en espèces du sud du Mexique et d'Amérique centrale resteront au centre de l'attention. Mais la biodiversité jouera aussi un rôle prépondérant dans l'aménagement des forêts tempérées, comme en témoignent les efforts que l'on déploie actuellement pour modifier les pratiques d'aménagement des forêts le long de la côte ouest des États-Unis et du Canada pour protéger les populations de saumons sauvages.

Enfin, au fur et à mesure que les effets du changement climatique mondial deviendront plus apparents, les forêts seront de plus en plus appréciées comme puits de carbone et modérateurs des perturbations climatiques (telles que les inondations). Cela aura plusieurs conséquences: d'une part, on ajoutera la fixation de carbone aux objectifs de l'aménagement polyvalent des forêts sur les terres domaniales, et de l'autre, on mettra en œuvre des projets spécifiques de reboisement et de protection des forêts sur des terres privées, pour répondre aux incitations fournies par les marchés du carbone.

Pour faire une plus grande place aux services environnementaux dans l'aménagement des forêts en Amérique du Nord, trois changements fondamentaux seront nécessaires. Premièrement, il faudra engager des dépenses et faire des efforts considérables pour que les forêts d'Amérique du Nord redeviennent «écologiquement saines», notamment dans l'ouest des États-Unis, où la combinaison des systèmes d'exploitation extensifs et de la prévention des incendies - bien que souhaitable en elle-même - a eu des effets indésirables. En effet, la composition des espèces, la structure des peuplements et la biomasse de combustible ont été modifiées, et de nombreuses forêts sont vulnérables à des feux anormalement intenses et à la propagation de maladies. Le Canada et le Mexique sont confrontés eux aussi à ces problèmes, même s'ils sont peut-être moins graves.

Les activités récréatives forestières, qui sont déjà au tout premier plan dans une bonne partie de l'Amérique du Nord, prendront probablement encore plus d'importance dans les 50 ans à venir - ces séquoias géants, près du Parc National de Yosemite, en Californie, valent bien un coup d'œil: ils peuvent vivre plus de 3 000 ans!

- DÉPARTEMENT DES FORÊTS DE LA FAO/PCD4512-042/T. HOFER

Deuxièmement, des mécanismes novateurs reflétant intégralement la valeur des services environnementaux devront être adoptés au niveau de l'élaboration des politiques et des structures des marchés. Par exemple, l'existence de bassins versants qui fonctionnent bien permet aux communautés locales de toute l'Amérique du Nord d'économiser des milliards de dollars sur les coûts de filtration de l'eau. Malgré cela, les services environnementaux procurés par les forêts ont toujours été considérés comme des «biens gratuits», dont la véritable valeur, ou les dépenses associées à leur entretien, n'étaient pas reconnues. Cet état de fait est en train de changer: la ville de New York vient par exemple de décider d'investir 1,5 milliard de dollars EU pour aménager des bassins versants et reboiser, plutôt que de payer jusqu'à 8 milliards de dollars EU pour installer de nouvelles usines de traitement des eaux. Pour remédier au problème de la sous-évaluation des fonctions environnementales, certaines pratiques d'inspiration commerciale, comme les servitudes de conservation, le commerce du carbone et la tarification de l'eau au «prix réel», les activités récréatives et les centrales hydroélectriques, deviendront plus courantes.

Troisièmement, une attention plus grande devra être accordée aux dimensions sociales de l'aménagement des forêts. Aux États-Unis, les Forêts nationales sont d'ores et déjà de plus en plus utilisées à des fins récréatives, puisque leur fréquentation est passée de 20 millions de jours-personne en 1950, à près de 1 milliard de jours-personne aujourd'hui; malgré cela, on ne s'est pas suffisamment préoccupé de comprendre l'origine de cette réorientation spectaculaire de l'utilisation des forêts et des conséquences qu'elle aurait sur l'aménagement. Au fur et à mesure que les administrateurs s'adapteront aux changements de l'attitude du public envers les forêts et leurs utilisations, il faudra entreprendre des recherches pour déterminer clairement les priorités sociales et mieux comprendre les interactions entre les hommes et les forêts. Comme les administrateurs des forêts seront plus conscients de l'importance des arrangements sociaux et institutionnels, il est probable que de nouvelles approches seront adoptées pour garantir la transparence des processus décisionnels et y associer les collectivités. Il existe divers moyens d'accroître la transparence et la participation du public à l'aménagement des forêts, mais nous n'en citerons que quelques-uns: critères et indicateurs de la durabilité, au niveau des pays (par exemple le Processus de Montréal) et de l'unité d'aménagement (par exemple la certification), transfert des décisions aux institutions locales, et approches novatrices des partenariats entre le secteur public et le secteur privé . Enfin, pour aménager les forêts à l'échelle d'un paysage, il est probable que l'on mettra au point de nouveaux mécanismes de coordination volontaire de l'aménagement du territoire, au-delà des limites des propriétés et même des frontières internationales. La présence de pompiers canadiens et mexicains aux États-Unis durant les terribles incendies de l'an 2000, et l'assistance similaire fournie par les États-Unis à ces deux pays au cours des dernières années, montrent bien que cette coopération est possible.

PRODUCTION DE BOIS ET DE FIBRES

Les forêts de l'Amérique du Nord ne cesseront pas pour autant d'être d'importantes sources de bois, de fibres et d'autres produits commerciaux. Au contraire, il est probable que la production de bois et de fibre de cette région augmentera au cours des prochaines décennies, en réaction à la demande intérieure et extérieure totale, qui devrait progresser malgré les produits de substitution. Cette production sera toutefois vraisemblablement de plus en plus concentrée dans des plantations forestières privées ayant pour vocation spécifique la production de fibres, plutôt que dans des forêts domaniales publiques, naturelles. Cette tendance devrait se poursuivre pour plusieurs raisons, déjà très évidentes, et notamment la réduction de l'exploitation des terres appartenant à l'État par suite de l'épuisement des stocks commercialement disponibles et des inquiétudes du public au sujet de la compatibilité de l'exploitation forestière et des services environnementaux. L'introduction de nouveaux arbres hybrides à croissance rapide, adaptés à des types d'environnement plus variés, aidera à la fois à accroître l'avantage économique comparatif du bois issu des plantations, et à étendre les zones de culture.

Tout cela ne veut pas dire que les forêts naturelles cesseront nécessairement d'être exploitées à des fins commerciales d'ici quelques décennies. Une réglementation intelligente de l'exploitation sera probablement un outil important pour tirer profit des multiples avantages des forêts (notamment pour les remettre en état) dans les décennies à venir. En effet, l'une des priorités sera de trouver de nouvelles manières d'utiliser le bois de petit diamètre, dans le cadre du processus de restauration des conditions écologiques des forêts occidentales, à forte biomasse de combustible. Et, dans toute la région, mais plus particulièrement dans le nord-est et dans les zones tropicales, l'aménagement des petites parcelles boisées de propriété familiale restera probablement axé, entre autres, sur la production de bois de haute valeur.

Tout porte à croire que les organismes génétiquement modifiés (OGM) révolutionneront la production de fibres à partir de la prochaine décennie. Compte tenu des inquiétudes légitimes que suscitent la création et la diffusion d'organismes génétiquement modifiés, notamment dans les habitats naturels, il est probable qu'ils ne seront utilisés dans le domaine de la production de fibres, que dans les plantations d'arbres et les cultures agricoles, en combinaison avec de nouvelles technologies de transformation pour des matériaux composites. C'est sans doute à travers le secteur agricole que les OGM affecteront le plus les forêts, grâce à la concentration de la production agricole qui permettra de reboiser des terres peu fertiles, ou à l'extension de cultures modifiées sur des terres auparavant impropres à l'agriculture, voire pour ces deux raisons à la fois. Enfin, il est impossible d'ignorer que les OGM peuvent être nocifs pour les forêts - en cas d'introduction de nouvelles espèces envahissantes - mais aussi bénéfiques - en cas de réintroduction d'essences comme le châtaignier d'Amérique et l'orme.

Il est certes risqué de prédire l'avenir, mais il est bien plus dangereux de ne pas tenter de le visualiser à l'avance, afin de s'y préparer, surtout dans un domaine comme l'aménagement des écosystèmes forestiers où tout doit être prévu si longtemps à l'avance.


 1Les idées exprimées ici n'engagent que les auteurs, et ne sauraient être considérées comme reflétant le point de vue de la Banque africaine de développement.

 2Pour la rédaction de cet article, Prins a été conseillé par Volker Sasse, responsable des études des perspectives du secteur forestier pour l'Europe.

 3La « grogne», suscitée par les prix du pétrole en Europe en septembre 2000, montre que ce sera très délicat, sur le plan politique!


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