Page précédenteTable des matièresPage suivante


Un regard sur la foresterie à l'horizon 2050

M. Morell

Merilio Morell est un fonctionnaire
de la Division des politiques et de la
planification forestières de la FAO.
Il était l'animateur de l'exercice
Delphi dont il a établi les résultats
présentés dans cet article.

Une vision collective de l'avenir tel que l'envisage un groupe de fonctionnaires de la FAO
à l'issue d'un processus de communication de groupe de type Delphi.

Cet article présente les opinions d'un groupe d'experts du Département des forêts de la FAO, concernant les forêts et la foresterie à l'horizon 2050. Appliquant la méthode Delphi (voir encadré), 12 fonctionnaires du siège de la FAO ou des bureaux décentralisés de l'Organisation dans le monde entier, ont examiné 10 aspects du développement forestier durable, parallèles à ceux traités dans les autres articles de ce numéro d'Unasylva: la couverture forestière, la conservation, les plantations forestières, le bois comme source d'énergie, l'offre et la demande, l'eau, la technologie, l'information, les organisations internationales et la gouvernance. L'article est l'expression non pas d'un consensus mais d'une vision commune de ceux qui ont collaboré, à titre volontaire, à cet effort. Il reflète le point de vue des participants et ne représente pas la position officielle de la FAO.

Afin de respecter la date de parution d'Unasylva, il n'a pas été possible d'effectuer tous les passages du processus Delphi qui auraient été nécessaires pour parvenir à un équilibre; il convient donc de noter que tous les participants ne partagent pas les points de vue énoncés ici. L'article doit être considéré comme un produit semi-fini: le processus Delphi - et le débat qu'il a suscité - est en cours.

La méthode Delphi

La méthode Delphi est un processus itératif mis au point dans les années 50 par des experts de la Rand Corporation dans le but de faire des prévisions sur l'avenir.

Un groupe d'intérêts est d'ordinaire constitué pour examiner, par correspondance ou lors d'un face-à-face, des questions d'intérêts mutuels. Si les membres du groupe partagent un intérêt commun (le sujet de l'exercice Delphi), en revanche ils ont généralement des points de vue différents.

Chaque membre du groupe est invité à exprimer son opinion sur un certain nombre de questions. Un animateur analyse les commentaires de chacun et établit un rapport documentant la réaction du groupe. Les membres confrontent alors leurs déclarations avec la réponse collective et ont la possibilité de faire de nouvelles observations anonymes sur les sujets examinés. Un nouveau rapport de groupe est ensuite élaboré et l'exercice se répète. Le processus se poursuit ainsi jusqu'à ce qu'un accord soit atteint ou que le groupe reconnaisse une divergence d'opinions.

LA COUVERTURE FORESTIÈRE

Entre 2010 et 2020, la couverture forestière se stabilisera à l'échelon mondial. Toutefois, comme d'ici là le déboisement des forêts tropicales se poursuivra (bien qu'à un rythme ralenti de 4 à 6 millions d'hectares par an), la couverture forestière ainsi stabilisée sera inférieure au niveau actuel. On observera certainement des différences entre les régions et selon le type de forêts. Le manteau des forêts boréales conservera son étendue actuelle. En Amérique du Nord et en Europe occidentale, comme dans tous les pays développés, la couverture forestière se sera considérablement élargie. En Asie et dans la région Pacifique, la superficie forestière naturelle aura diminué, avec un rétrécissement particulièrement marqué en Asie du Sud-Est; toutefois, grâce aux plantations et aux arbres hors forêt, le manteau forestier de la région pourra être resté stationnaire, ou même avoir augmenté. En Amérique centrale et du Sud, la couverture forestière sera légèrement plus vaste qu'aujourd'hui, mais avec un recul sensible de la forêt naturelle, notamment dans le bassin amazonien. En règle générale, les forêts africaines n'auront que faiblement rétréci, mais avec une forte régression de la superficie forestière en Afrique centrale.

LA CONSERVATION

La conservation des sols, des eaux et des écosystèmes dans leur intégralité revêt une importance grandissante. Elle sera un élément central du développement et constituera un sujet de négociations internationales aux vastes retombées économiques. Le concept de protection et de conservation du milieu naturel en tant que responsabilité collective de l'humanité sera largement accepté grâce à des programmes d'éducation environnementale efficaces et sous l'effet de la pression de l'activisme écologique.

Les réseaux de forêts naturelles sous régime de conservation continueront de se développer. Comme les forêts vierges et les forêts naturelles auront été exploitées dans toutes les régions, hormis les plus reculées et inaccessibles, la conservation des forêts résiduelles sera une priorité absolue dans tous les pays et dans tous les continents. L'exploitation des forêts naturelles sera interdite dans bien des pays.

La société civile, surtout dans les pays développés et par le truchement des organisations non gouvernementales (ONG), mobilisera des ressources en faveur de la conservation; les gouvernements en financeront les aspects les moins attrayants et n'exerceront que des fonctions de surveillance. Les principes et les pratiques de la conservation évolueront également; l'aspect éthique aura moins d'importance, alors que l'interaction humaine avec le milieu naturel sera mieux acceptée. Les ONG internationales seront très actives dans les pays tropicaux. Toutefois, la pression démographique, les intérêts privés dans l'exploitation des forêts naturelles, la pauvreté, la corruption et les troubles civils continueront de neutraliser les efforts déployés pour protéger les forêts et leur faune. Dans certaines zones, la protection de l'environnement sera intensive et non naturelle, tandis qu'ailleurs espèces et écosystèmes continueront de disparaître.

En 2050, certains gros animaux, comme les rhinocéros, auront disparu de la nature et ils n'existeront plus qu'en captivité, dans les zoos

- FAO/5926/M. BOULTON

Dans les pays en développement et dans ceux qui ont actuellement une économie en transition, certaines zones feront l'objet de mesures de conservation ou de sauvegarde très strictes (à l'exemple de l'Inde), mais la protection assurée ne sera pas adéquate. D'autres pays opteront le plus souvent pour un aménagement forestier polyvalent. Dans les pays qui auront mis en place et assuré des mesures de protection adéquates pour les forêts, celles-ci seront soumises à la pression croissante du tourisme.

La conservation des forêts rencontrera de grandes difficultés dans les régions tropicales où la population continue d'augmenter et où les pays cherchent à soutenir leur développement. En Afrique et dans d'autres régions en développement, le milieu naturel sera soumis à une pression croissante, tandis que le défrichage des forêts et des pâturages se poursuivra au détriment de bien des espèces. Divers grands animaux comme les tigres et les rhinocéros auront disparu à l'état sauvage et ne subsisteront plus que dans les jardins zoologiques. Les grands animaux vivant encore à l'état naturel seront bien moins nombreux qu'aujourd'hui. La région amazonienne sera la plus importante de la planète pour la conservation de la biodiversité.

Un partenariat renforcé et une collaboration plus étroite avec les populations vivant à proximité des forêts seront nécessaires pour la conservation des zones protégées et pour la protection des forêts contre le feu, et permettront également à ces communautés de tirer de réels bénéfices de la forêt. La pression la plus forte sur les forêts naturelles viendra de l'expansion agricole dans les pays en développement et du défrichage des forêts destiné à accroître l'apport d'eau des bassins versants dans le monde entier.

LES PLANTATIONS FORESTIÈRES

Les plantations demeureront à la fois une importante source de bois et le principal fournisseur de fibres pour l'industrie des produits forestiers (contribuant aux besoins du secteur pour au moins 30 pour cent, voire jusqu'à 60 pour cent). Des méthodes de culture intensive seront adoptées dans les grandes plantations, tandis que d'autres mesures de conservation pourront être prises pour les forêts naturelles. La superficie totale des plantations forestières augmentera donc considérablement, triplant ou quadruplant par rapport au niveau actuel. De nouvelles plantations seront mises en place en dehors des zones forestières traditionnelles et sur les terres agricoles marginales.

Des millions d'hectares de plantations seront constitués de cultivars clonés génétiquement modifiés. Les plantations d'Eucalyptus et de Pinus se multiplieront. Le débat actuel concernant le caractère naturel des plantations et leur acceptabilité environnementale s'éteindra peu à peu.

Les plantations prendront de plus en plus d'importance pour la fourniture de produits, surtout dans les pays stables à faible densité de population, ayant des terres adéquates à consacrer à la foresterie et bénéficiant d'un climat favorable (par exemple en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Chili, en Argentine et au Portugal, auxquels se joindront d'autres pays comme le Mozambique et l'Indonésie). C'est en Amérique latine que la superficie des plantations d'arbres à croissance rapide sera la plus vaste. Dans la plupart des pays tropicaux économiquement avancés, on encouragera les plantations à cycle court pour la production de fibres.

Les plantations joueront un rôle croissant dans l'approvisionnement en bois; il y aura par exemple de plus en plus de plantations d'Eucalyptus

- FAO/17531/R. FAIDUTTI

Toutefois, les peuplements forestiers seront aussi destinés à d'autres usages. Les plantations à rotation longue seront envisagées dans certains cas particuliers, lorsque les objectifs de conservation sont prépondérants. En Europe, l'établissement des plantations répondra à une série de motivations d'ordre écologique et esthétique, les fonctions de production revêtant moins d'importance.

La foresterie urbaine prendra de l'essor dans les pays développés et en développement, en raison notamment de son potentiel en matière de recyclage des déchets ou des eaux usées. Les plantations rurales et les arbres hors forêt joueront un plus grand rôle dans les pays où le pourcentage de population rurale demeure élevé. Les arbres seront également plantés pour assurer des services, et intégrés de plus en plus largement dans les systèmes d'utilisation des terres où ils fourniront également du bois rond industriel (par exemple dans le cadre de programmes de plantation artisanale), contribuant ainsi au maintien d'activités forestières dans les zones rurales reculées.

La réalisation de plantations à grande échelle dans le but spécifique d'atténuer les changements climatiques ne se sera pas produite, contrairement à ce que l'on prévoyait au début du siècle.

Il y aura également des risques importants; les catastrophes naturelles et les nouveaux ravageurs rendront très risqués les investissements à long terme dans les plantations industrielles. Celles-ci ne seront financées que par le secteur privé, et leur expansion, réduction ou conversion sera déterminée par les forces du marché.

Les progrès techniques contribueront à l'expansion des plantations forestières. Le génie génétique, la biotechnologie, la sélection des arbres et les pratiques culturales améliorées auront considérablement renforcé la production par unité de superficie. Des arbres plus résistants aux insectes et aux maladies seront mis au point. Les peuplements seront constitués d'essences modifiées pour la production de fibres présentant des caractéristiques correspondant aux spécificités du produit, et pour un meilleur rendement en fibres de ce type. Les déserts, devenus fertiles, seront exploités comme zones majeures de production de fibres grâce à l'eau provenant de la mer et des nappes souterraines. La gestion des plantations sera elle aussi perfectionnée, mais une situation de dualité persistera avec, d'un côté, des plantations très bien aménagées et, de l'autre, celles qui végètent du fait d'un investissement initial insuffisant et d'une gestion médiocre, voire inexistante. Dans le monde industrialisé, la gestion des plantations sera fortement mécanisée et on utilisera des techniques informatiques complexes pour optimiser la production et réduire les risques (ravageurs, feu et croissance lente). Un meilleur aménagement des plantations sera également observé dans certains pays aujourd'hui en développement, comme la Chine.

L'un des principaux enjeux sera d'amener les ONG à accepter les plantations comme source majeure de fibres et en tant qu'instrument pour limiter l'exploitation des forêts naturelles. La polémique au sujet de la nécessité de préserver le patrimoine et de conserver la diversité biologique s'accentuera.

LE BOIS COMME SOURCE D'ÉNERGIE

La consommation d'énergie provenant du bois diminuera dans bien des pays, au profit de nouvelles technologies énergétiques, et ce grâce à l'augmentation des revenus et à la baisse du prix des combustibles de substitution. Dans le monde en développement, la consommation dendroénergétique fléchira considérablement d'ici 2020, les gouvernements cherchant à satisfaire la demande intérieure d'énergie par des sources non renouvelables et encourageant les ménages, par des mesures d'incitation plus efficaces, à passer du bois au gaz, au pétrole ou à l'énergie électrique. De meilleures méthodes d'utilisation du bois comme combustible seront également mises au point pour réduire la consommation de bois de feu, et ce notamment en Chine, en Amérique du Sud et en Afrique du Sud.

Le bois restera un combustible important dans les pays les plus pauvres, dans les pays à économie de subsistance, dans certaines régions reculées et dans les sociétés riches en bois. Dans certaines zones à forte concentration démographique (agglomérations urbaines), le bois de feu disponible demeurera insuffisant et la production des plantations réduites existant en milieu rural ne permettra pas de couvrir les besoins grandissants. Dans bien des pays, le bois sera remplacé par d'autres sources d'énergie.

De nouvelles politiques et des mesures incitatives seront mises en œuvre dans les pays développés pour encourager l'utilisation du bois de feu comme contribution à l'entretien et au nettoyage des forêts. Toutefois, dans ces pays, l'exploitation énergétique du bois n'existera jamais vraiment en tant que source d'énergie renouvelable. Avec les nouvelles sources d'énergie du futur, les besoins en énergie tirée du bois tendront à diminuer. Les nouveautés technologiques comme les piles à combustion et la fusion pourraient réduire la dépendance à l'égard des combustibles fossiles et des sources d'énergie renouvelables.

L'OFFRE ET LA DEMANDE

La demande concernant la plupart des produits forestiers continuera d'augmenter, du moins pendant les 20 prochaines années, et pourrait même s'accroître beaucoup plus rapidement que les prévisions ne l'indiquent actuellement. La pénurie de sources primaires non renouvelables de matières premières (gaz, pétrole) se traduira dans le monde entier par un recours accru aux produits du bois. Les principaux produits forestiers ligneux (pâte, papier, meubles) proviendront de plus en plus souvent des plantations. L'offre sera suffisante pour tous les principaux produits du bois grâce au progrès technologique, au recyclage et au remplacement. Les prix du bois d'utilité générale et des produits commerciaux du bois seront équivalents ou inférieurs aux prix actuels en valeur réelle.

En ce qui concerne les principaux produits forestiers, l'offre et la demande demeureront concentrées pour l'essentiel dans les pays développés et dans un très petit nombre de pays en développement. Le bois - non pas massif, mais sous forme de panneaux composites et autres - sera employé de plus en plus souvent pour la construction de logements. Le bois de feu bénéficiera d'un regain d'intérêt pour le chauffage industriel. Les produits forestiers non ligneux auront moins d'importance, mais il y aura un renforcement de la demande de services forestiers, de récréation par exemple.

La demande de bois progressera, mais portera plus souvent sur les fibres de bois. On observera un accroissement de la demande de panneaux composites, avec un recul en ce qui concerne les sciages et les placages extérieurs. Le bois massif sera très prisé, en particulier le bois dur d'essences rares et de qualité supérieure provenant des forêts tropicales naturelles. Le prix de ces bois sera très élevé et les échanges internationaux seront soumis à un contrôle très rigoureux de la part de plusieurs organisations privées de surveillance.

Le prix des billes de bois à pâte déclinera à mesure de l'augmentation de la productivité des plantations au cours de la prochaine décennie. Cela devrait favoriser l'expansion des industries basées sur la fibre de bois.

Le taux de recyclage de la pâte et du papier restera stationnaire, oscillant peut-être autour de 60 à 70 pour cent des matériaux, en raison des coûts de collecte et de la disponibilité. Aucune réduction sensible de la demande ne sera enregistrée pour ce qui est des emballages, mais on assistera plutôt à une tendance inverse, due à la croissance démographique et à l'amélioration du niveau culturel des populations, notamment en ce qui concerne le renforcement des efforts d'alphabétisation; le commerce électronique se développera, mais il sera encore nécessaire d'empaqueter les produits et de les expédier. Les communications électroniques pourraient déterminer un certain fléchissement de la demande en ce qui concerne la papeterie de bureau.

La Chine, la Fédération de Russie, le Brésil et l'Australie sont parmi les pays qui joueront un rôle prépondérant dans l'offre de bois pour les marchés internationaux.

L'EAU

Du fait de son omniprésence et de sa visibilité, l'eau pourrait bien être l'enjeu majeur du siècle prochain, et prendre plus d'importance dans certains secteurs comme l'agriculture, l'urbanisme et la politique. L'eau sera la ressource non renouvelable la plus stratégique du monde. Des milliards d'individus en seront totalement tributaires pour leur subsistance. La demande d'eau augmentera de façon exponentielle. L'eau se raréfiera et sa non-gratuité deviendra acceptée. La concurrence pour l'eau s'accentuera considérablement et la rareté de cette ressource pourrait être la cause de conflits régionaux. La perception du rôle des arbres et des forêts pourrait ne pas être positive, en raison de la consommation d'eau accrue des forêts par rapport aux pâturages, par exemple. Toutefois, les forêts seront entretenues et aménagées de façon plus judicieuse afin d'offrir des bassins versants adéquats.

Un lourd tribut sera payé en l'absence d'une meilleure intégration des prévisions concernant l'offre et la demande de produits tributaires de l'eau et d'autres ressources naturelles, en particulier de ressources non renouvelables. Les pays qui auront les plus grandes réserves d'eau douce joueront un rôle important et stratégique dans les décisions, les discussions, les débats et les négociations au niveau international. L'eau sera le pétrole du futur.

Un scénario opposé a également été envisagé: la pénurie d'eau appartient désormais au passé. La possibilité de conflits pour l'approvisionnement en eau des mégalopoles disparaîtra, car de nouvelles technologies auront été récemment mises au point pour rendre l'eau de mer potable. De nouvelles sources possibles d'approvisionnement en eau ouvriront de nouveaux horizons pour la production ligneuse dans les déserts et dans les pays à faible couverture forestière.

LA TECHNOLOGIE

Grâce à une évolution technologique constante au cours des 50 prochaines années, les pratiques de gestion forestière se seront considérablement perfectionnées. Une informatique de haute technologie sera utilisée partout dans le monde pour une meilleure gestion des forêts. Les ordinateurs et la technologie informatique seront au cœur même de toutes les activités. Le développement des communications, la diffusion des ordinateurs, la puissance des logiciels et la robotique permettront de renforcer de façon remarquable la surveillance des forêts. L'identification et l'observation de tous les arbres de valeur dans les forêts naturelles seront devenues une réalité. Une puce électronique sera placée sous l'écorce de chaque arbre de valeur inventorié. La croissance et l'abattage de l'arbre seront contrôlés par satellite et par ordinateur.

Les inventaires forestiers et les travaux connexes basés principalement sur l'estimation des surfaces et des volumes utiliseront les techniques de télédétection. Les données et les informations recueillies par satellite seront essentielles pour une rentabilité maximale de ces opérations. Des systèmes s'appuyant sur la technologie micro-ondes (radar) permettront de surveiller sans difficulté les opérations de coupe sélective, même sur une superficie inférieure au mètre carré. Ils seront utilisés tout aussi aisément que l'est Internet aujourd'hui. En d'autres termes, il sera possible de contrôler le processus de déboisement ou de coupe sélective en temps réel, où que ce soit dans le monde.

Dans les pays tropicaux, les opérations d'abattage seront effectuées exclusivement par hélicoptère, dirigeable ou autre moyen de transport aérien. Aucune nouvelle route ne sera tracée dans lesdites forêts de production, et les nouveaux défrichements forestiers seront limités. La technologie solaire et éolienne sera bien maîtrisée et on l'emploiera pour dessaler l'eau de mer et rendre cultivables de vastes zones désertiques.

La biotechnologie sera elle aussi très répandue. L'amélioration génétique des arbres permettra d'accroître la production de fibres utilisables, grâce par exemple à une teneur inférieure en lignine pour le bois à pâte, à une meilleure résistance aux maladies et aux ravageurs, etc., mais les bénéfices ne seront pas aussi importants que prévus. L'utilisation des arbres génétiquement modifiés représentera un problème délicat, et les divergences d'opinions à cet égard et de politiques en ce domaine s'accentueront entre l'Europe et les États-Unis.

Dans le domaine de la transformation, la technologie améliorera l'efficacité du bois en tant que matière première, grâce à l'utilisation d'un plus grand nombre d'essences et à l'emploi de bois de petits diamètres. Des progrès continueront d'être faits dans le domaine de la conversion, tandis que les techniques efficaces actuellement utilisées dans un nombre restreint d'usines se répandront dans le monde entier. Le recyclage du papier et des fibres sera un élément central du développement technologique. Les nouvelles technologies chercheront à utiliser les résidus de bois et de fibres pour produire des produits ligneux reconstitués de qualité. Ces produits seront techniquement compétitifs par rapport au bois massif (voire même supérieurs à celui-ci) et bien moins chers, de sorte que les facteurs économiques détermineront une évolution du marché au détriment des produits en bois massif. Les progrès réalisés dans le domaine des techniques de transformation industrielle, notamment l'utilisation plus efficace des fibres, finiront par l'emporter largement sur les progrès en biotechnologie. On insistera également sur les composites et sur les substituts du bois.

Dans le secteur de la pâte et du papier, les progrès dans la réduction des atteintes de la production industrielle à l'environnement seront minimes. Il pourrait y avoir une économie d'énergie au niveau du processus de transformation de la pâte et du papier, et des circuits d'alimentation en eau fermés (qui évitent que les usines ne rejettent leurs effluents contaminés ou ne consomment de grands volumes d'eau douce) seront probablement mis au point dans les cinq ou 10 prochaines années. Les fibres de plantation et les fibres recyclées seront davantage utilisées, avec une certaine progression en termes de rendement (rapport entre l'unité produite et l'unité d'apport). L'introduction d'un procédé révolutionnaire, ou d'une variation au niveau du processus, susceptible d'avoir des répercussions notables sur l'environnement ou sur la consommation de fibres forestières, est peu probable.

L'eau sera la ressource non renouvelable la plus «stratégique» du monde et le grand problème du siècle

- FAO/12170/J. VAN ACKER

L'INFORMATION

La technologie de l'information fera des progrès considérables dans le monde entier. Des informations sur tous les sujets seront ainsi accessibles à tous à l'échelle mondiale, ce qui aura des répercussions sur les relations entre les gouvernements et les citoyens. Une masse d'informations à caractère technique, politique, environnemental et économique sera produite, mise en commun et utilisée. Des sites Web d'utilisation facile mettront cette manne à la disposition de tous les intéressés, où qu'ils se trouvent. L'information sera gratuite, et des organisations indépendantes veilleront à ce qu'elle ne soit pas manipulée. Le principal problème de l'utilisateur sera d'en déterminer la véracité et la pertinence.

L'informatique sera à la base de toutes les activités d'aménagement des forêts, avec l'accroissement de la diffusion des technologies de l'information dans des régions restées en arrière comme l'Afrique; sur la photo, des ouvriers d'une industrie forestière suivent un stage d'informatique au Centre de formation pour les pays de la Communauté du développement de l'Afrique australe (SADC), au Zimbabwe

- FAO/20300/G. DIANA

La technologie de l'information atteindra un plafond d'ici 2020, après quoi, toute avancée dans ce domaine ne sera plus ni rentable, ni compréhensible pour un individu moyen. La loi du rendement non proportionnel de l'investissement frappera.

La grande nouveauté des 25 prochaines années sera la diffusion massive de la technologie de l'information et une remise à niveau dans les régions actuellement en retard dans ce secteur, en Afrique, par exemple. Le développement des réseaux interinstitutions constituera un important progrès.

Le monde se ressentira toutefois énormément d'une augmentation des disparités entre les nantis et les démunis en information. Les pays mal équipés auront de plus en plus de difficultés à recevoir les informations.

Grâce aux progrès constants dans le domaine de la télédétection et de l'informatique, l'information jouera à l'avenir un rôle bien plus crucial pour la prise de décisions. Toutefois, cela n'aboutira pas nécessairement pour autant à des décisions plus rationnelles.

Les bureaux sans papier, ou du moins partiellement sans papier, commenceront à devenir une réalité.

LES ORGANISATIONS INTERNATIONALES

Les organisations internationales seront moins importantes à l'échelon mondial, mais seront plus fortes du point de vue régional et local. Elles feront de plus en plus fonction de centres d'information et de forums de discussion, tandis que leurs interventions directes sur le terrain se raréfieront.

Les Nations Unies devront simplifier leur structure et regrouper certaines institutions pour en alléger l'organisation bureaucratique, en renforcer les budgets et en améliorer l'efficacité dans l'exercice de leurs attributions. Des organisations spécifiques s'occuperont de l'agriculture, de l'eau, des forêts, etc. Il s'agira toutefois d'organismes aux dimensions relativement réduites, d'une centaine de personnes chacun. Pour l'exécution de leurs mandats, ces organisations s'appuieront principalement sur les compétences d'experts nationaux. Elles agiront essentiellement en qualité d'animateurs du débat international sur les grands dossiers mondiaux, comme la déforestation, la pollution atmosphérique et les bassins versants internationaux. Une pression croissante sera exercée pour un renforcement du rôle de surveillance des institutions des Nations Unies. Celles-ci pourraient également contribuer à la centralisation des services analytiques.

Une organisation mondiale des forêts sera mise en place et jouera un rôle prépondérant dans les programmes forestiers mondiaux. Elle travaillera de concert avec la Banque mondiale pour certaines questions de grande envergure (comme les incendies en Afrique, la réduction de la pauvreté, l'érosion de la biodiversité en Amazonie et en Afrique centrale). Le partenariat avec d'autres organismes jouera un grand rôle. Les ONG prendront de plus en plus d'importance et, avec le secteur privé, elles exerceront une influence considérable sur la prise de décisions concernant les forêts.

Sur le plan régional, par exemple en Europe, en Afrique et en Asie, diverses grandes organisations privées opérant à l'échelon international s'occuperont directement de la gestion et de la conservation des forêts. Le système des Nations Unies ne servira plus qu'à assurer la cohérence entre les régions et à la la résolution d'éventuels conflits touchant l'utilisation du patrimoine commun, comme l'eau et l'air.

Internet permettra la constitution de réseaux et de groupes de discussion solides. La communication internationale reposera de plus en plus largement sur la technologie de l'information, mais les réunions demeureront nécessaires. Des réunions virtuelles seront organisées sur tous les sujets touchant la foresterie et la conservation, avec une forte participation des parties prenantes; les décisions ne seront pas du ressort exclusif des délégués, mais tiendront également compte des votes des participants virtuels.

Le pouvoir de l'État, qui constitue le fondement des institutions des Nations Unies, tendra à s'affaiblir. La tendance à la délégation de pouvoir et à la régionalisation conduira à des alliances entre groupes d'intérêt à travers les nations, avec une évolution dans la composition des Nations Unies, dont les membres ne seront plus les États mais de plus vastes groupements. Des forums neutres demeureront néanmoins nécessaires pour rassembler les nouveaux membres en vue d'accords sur les grandes questions internationales.

Les ONG seront de plus en plus souvent en opposition avec les grandes entreprises, et on encouragera l'établissement d'alliances ad hoc entre ONG aux orientations très diverses (voire en contraste) pour la défense des petits producteurs, des petites entreprises et des groupements de population. Elles adopteront une tactique créative et recevront toujours plus l'agrément et le soutien du public.

Parmi les principaux enjeux, citons: le changement climatique; l'accès à l'eau douce; l'appartenance des forêts, entre exploitants forestiers, gouvernements et industrie; le conflit entre les politiques des pays du Nord et du Sud; et les conflits commerciaux et les tarifs douaniers.

LA GOUVERNANCE

À l'avenir, les organismes d'État joueront un rôle très limité dans l'exécution des programmes, avec une tendance croissante à la décentralisation et au transfert des responsabilités en matière de gestion forestière. Le pouvoir sera dévolu aux échelons inférieurs, mais également à des groupements régionaux et à des groupes d'intérêt. La gestion des ressources forestières et des activités touchant l'environnement reviendra, en grande partie, à des compagnies privées et à la société civile. Les ressources nationales seront gérées sur la base de mécanismes interinstitutionnels ou de coopération.

La répartition plus équitable des ressources et des richesses mondiales restera une priorité des gouvernements. Bien que leur rôle puisse être fortement amoindri, les considérations d'équité (ou à plus proprement parler, d'inégalité flagrante), aussi bien entre les pays qu'à l'échelon mondial, pourraient avoir bien plus de poids qu'aujourd'hui.

Grâce à une évolution inévitable dans le domaine de la communication et du transport, et à une transparence accrue, la gouvernance sera meilleure presque partout dans le monde. Toutefois, la gestion publique des forêts demeurera faible dans bien des pays, voire extrêmement faible dans la plupart des pays en développement. Dans l'ensemble, les institutions seront plus démocratiques et transparentes à l'échelon régional et local, avec un affaiblissement au niveau des institutions nationales. La transparence sera l'élément moteur.

Grâce à la facilité de communication et à un degré de connexion accru à Internet (ou autre moyen susceptible de lui succéder), les particuliers participeront activement aux discussions et aux débats touchant la conservation des forêts et leur utilisation. Des débats permanents sur les réformes politiques seront organisés par les ONG actives dans les domaines spécifiques. Les grandes ONG et autres associations exerceront une forte pression sur la gestion des ressources naturelles et seront en conflit direct avec les entreprises privées et les gouvernements, surtout dans les pays en développement.

CONCLUSIONS

La vision commune, présentée par le groupe d'experts de la FAO ayant participé à cet exercice, peut être ainsi résumée:

La valeur potentielle de cet exercice ne réside pas tant dans l'exactitude des prévisions, que dans ses aspects méthodologiques et analytiques - notamment dans la façon dont la méthode Delphi peut être utilisée pour une meilleure planification et formulation de politiques en foresterie. Ce type d'exercice permet aux organisations de compter sur les nombreux experts qui se trouvent aux quatre coins du monde et de faire ainsi une analyse pertinente permettant d'élaborer certaines politiques et de les planifier.

L'objectif de ce processus, et de cet article, n'est pas celui de formuler des recommandations en vue d'une action nationale ou internationale, mais de montrer l'importance d'une réflexion systématique sur l'avenir. Une suite ou un prolongement logique de ce processus serait toutefois d'étudier les implications de la vision commune exprimée ici. On pourrait ainsi se pencher sur les lignes de conduite raisonnables à suivre, soit pour faire en sorte que l'avenir corresponde à la vision exprimée, soit pour modifier les comportements actuels dans l'espoir de modifier l'avenir. Nous invitons les lecteurs à vérifier la précision de la vision du groupe de la FAO en la confrontant à la réalité de l'année 2050.


 1 Il faut noter qu'une opinion contraire a également été exprimée, prévoyant d'un côté une diminution de l'offre et de la demande de produits ligneux à l'échelon mondial, et de l'autre un renforcement en ce qui concerne les produits non ligneux.


Page précédenteDébut de pagePage suivante