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EFFORTS MENÉS POUR LA CONSERVATION ET L'UTILISATION DURABLE DES RESSOURCES GÉNÉTIQUES FORESTIÈRES AU PROCHE-ORIENT11

par

T.O.M. Bazuin2
Chercheur adjoint en ressources génétiques forestières
IPGRI-CWANA, Syrie


GÉNÉRALITÉS
La région du Proche-Orient se caractérise par une grande variété de milieux climatiques et géographiques avec, d'un côté, de hautes chaînes de montagne recevant plus de 1 000 mm de pluie par an et, de l'autre, des zones désertiques et semi-arides où les précipitations annuelles ne dépassent pas 200 mm. Ces caractéristiques, conjuguées à une longue série d'établissements humains, ont eu un impact profond sur la diversité biologique dans cette région. On y trouve une vaste gamme d'écosystèmes, notamment d'écosystèmes forestiers. Ces forêts et terres boisées jouent un rôle fondamental dans la conservation des sols, des eaux et de l'environnement et fournissent de nombreux produits et services essentiels. Ainsi, une grande partie des arbres fruitiers et à noix à vocation commerciale provient de cette région. On y trouve aussi bon nombre des espèces sauvages qui leur sont apparentées (par exemple poires, pistaches et olives sauvages) dans leur environnement naturel, qui constituent une base génétique précieuse. Des activités coordonnées de recherche et de protection sont déjà en cours dans certains pays d'Asie centrale à des fins de conservation de la diversité génétique des arbres forestiers et fruitiers sauvages.

Toutefois, la surexploitation, la déforestation, la fragmentation de l'habitat, le surpâturage et les feux de forêt ont fortement dégradé ces ressources dans toute la région. Bien que plusieurs pays aient déployé des efforts très importants dans des activités de conservation et que l'on ait de plus en plus conscience de la nécessité d'agir, l'accent est mis principalement sur la conservation des écosystèmes. On a guère prêté attention jusqu'ici à la question de la conservation et de l'utilisation durable des ressources génétiques forestières.

INTRODUCTION
Reconnaissant l'importance et l'état alarmant des ressources génétiques forestières au Proche-Orient, le Programme mondial des ressources génétiques forestières de l'IPGRI a étendu ses activités à cette région au début de 1998. Son programme de recherche en Asie du Centre-Ouest et en Afrique du Nord vise: 1) à renforcer les programmes nationaux en cours d'exécution ou à favoriser leur mise en place, et 2) à encourager l'élaboration de stratégies de conservation et d'utilisation durable des ressources génétiques forestières.

Les expériences en matière de conservation des ressources génétiques forestières étant encore peu développées au Proche-Orient, l'IPGRI a décidé de centrer sa collaboration sur deux pays pilotes: la Syrie, qui avait demandé une assistance technique et des informations sur ses ressources génétiques forestières afin d'améliorer ses activités de boisement et reboisement, et le Liban qui s'intéressait et participait activement à la conservation de ses ressources forestières.

Ateliers sur les ressources génétiques forestières
Pour une bonne attribution des ressources limitées en temps, fonds et personnel, il est essentiel d'établir des priorités pour la conservation et l'utilisation des ressources génétiques forestières. Il serait préférable que ces priorités soient établies par les parties prenantes afin d'assurer une aide et une coopération optimales. Ainsi, en 1998, l'IPGRI a contribué à l'organisation de deux ateliers, au Liban et en Syrie respectivement, sur l'établissement des priorités pour les activités liées aux ressources génétiques forestières. Les objectifs de ces ateliers étaient les suivants: 1) définir les priorités avec les partenaires nationaux compétents et les examiner, 2) les aider à choisir les essences prioritaires et 3) aider à élaborer un cadre de recherche pour la conservation et l'utilisation durable des ressources génétiques forestières.

Les deux ateliers ont réuni 28 participants représentant un large éventail d'organisations et d'instituts nationaux travaillant dans des domaines liés à la foresterie ou aux forêts. Durant la première session, les participants ont fait valoir la nécessité et leur intérêt de collecter et de gérer des informations sur les ressources génétiques forestières. Ce besoin de disposer de meilleures informations est lié aux efforts croissants déployés en faveur de la conservation et de la gestion durable des forêts. Bien que les activités de conservation en cours soient centrées sur les écosystèmes et non sur les espèces, on privilégie de plus en plus une approche mieux ciblée, axée sur les espèces dans l'intérêt des communautés rurales, des agriculteurs et des services forestiers nationaux.

Critères de sélection proposés durant les ateliers nationaux

Espèces associées
Ecozones dans lesquelles l'espèce est présente
Valeur socio-économique (potentielle)
Valeur écologique
Mode de répartition de l'espèce et de sa population
Mode de distribution de sa variabilité génétique
Menaces pesant sur l'espèce
Etat de conservation
Biologie de la reproduction
Présence ou absence d'informations de base

Figure 1: Série de critères de sélection proposée durant les ateliers nationaux

Sélection des espèces prioritaires
Au cours de la réunion suivante, les participants ont étudié des moyens de sélectionner des espèces prioritaires. Ils ont proposé une série de critères de sélection (voir figure 1). Dans cette série, ils ont estimé que la valeur socio-économique réelle ou potentielle, la valeur écologique et l'état de conservation étaient les critères les plus importants. Ils se sont ensuite penchés sur la manière de quantifier ces critères. Après avoir examiné plusieurs options, ils ont décidé d'attribuer à chaque critère une note correspondant à sa valeur ou à l'impact sur l'espèce. Pour les critères socio-économiques et écologiques, les notes allaient de 1 (valeur très basse) à 5 (valeur très élevée). Pour les menaces, une notation similaire a été faite allant de 1 (sans risque) à 5 (risque d'extinction). Les participants ont fourni des informations et quantifié les critères pour chaque espèce en se fondant sur l'opinion d'experts; ils ont ensuite débattu des préférences et sont parvenus à un accord final. Chaque pays a sélectionné six espèces prioritaires sur la base de la note finale obtenue (tableau 1).

Syrie

Note finale

Liban

Note finale

Ceratonia siliqua
Juniperus excelsa
Laurus nobilis
Pinus brutia
Pistacia atlantica
Quercus aegilops

15
4
12
15
17
13

Cedrus libani
Ceratonia siliqua
Juniperus excelsa
Pinus pinea
Salix alba
Quercus calliprinos

14
12
15
15
12
17

Tableau 1: Quelques espèces prioritaires

Mise en place d'un programme de recherche
Afin d'élaborer des stratégies pour la conservation et l'utilisation des ressources génétiques forestières (y compris des méthodes de conservation in situ, des techniques de conservation ex situ ou une combinaison appropriée des deux), il faut disposer d'informations spécifiques sur les espèces cibles et leur environnement. Les participants ont évalué la disponibilité d'informations utiles pour la conservation des ressources génétiques de chaque espèce prioritaire. Ils ont pu constater que pour la plupart des espèces, les informations pertinentes font totalement défaut ou sont insuffisantes, notamment 1) sur la distribution et les caractéristiques de l'espèce et de sa population, 2) sur les utilisations de l'espèce, les menaces pesant sur elle et sur sa valeur socio-économique, et 3) sur les types de diversité génétique de l'espèce et les processus influant sur ceux-ci. Cette pénurie d'informations a abouti à des propositions concernant les activités de recherche. Les participants ont reconnu à l'unanimité qu'il fallait donner la priorité aux activités qui mériteraient qu'on élabore des stratégies à l'appui de la conservation et de l'utilisation des ressources génétiques forestières. A ce stade, un programme de recherche pour des espèces prioritaires a été proposé. Il est axé sur trois différents domaines d'étude, à savoir: a) études écogéographiques, b) utilisation de l'espèce et évaluation des menaces et c) études de la diversité génétique (figure 2). Ce programme de recherche faciliterait l'établissement de liens entre les diverses activités de recherche, permettrait d'assurer un suivi permanent des activités et renforcerait le flux continu d'informations. Les participants sont convenus que pour cibler leurs efforts, les activités liées à la conservation et à l'utilisation des ressources génétiques forestières devront à l'avenir s'inscrire dans ce programme. Ils ont également reconnu que le programme faciliterait l'établissement de liens entre les différentes disciplines de recherche (écologie forestière, socio-économie et phytogénétique), renforçant ainsi une approche multidisciplinaire.

Sur la base des résultats des ateliers, des plans de travail ont été préparés pour quatre espèces prioritaires, à savoir: Pinus brutia et Pistacia atlantica en Syrie et Ceratonia siliqua et Pinus pinea au Liban.

Figure 2: Programme de recherche

ETUDES ECOGÉOGRAPHIQUES
Depuis 1999, des études écogéographiques de Pinus brutia et Pistacia atlantica ont été effectuées en Syrie, par le Département des forêts du Ministère de l'agriculture et de la réforme agraire (MAAR), le Centre arabe pour l'étude des zones arides et des terres sèches et l'Université Tishreen. Au Liban, l'Université américaine de Beyrouth (AUB), l'Université Saint Joseph, la Direction du développement rural et des ressources naturelles du Ministère de l'agriculture (MA-DRDNR) et l'IPGRI ont préparé conjointement un projet sur le caroubier (Ceratonia siliqua ) en 1999. On a également entrepris une étude écogéographique, sauf dans le sud du pays en raison de la situation militaire, qui a consisté à dresser une carte de la répartition des espèces/populations, collecter des informations sur les caractéristiques du climat, des sols et des populations et définir les écozones. Ces informations ont ensuite été utilisées pour élaborer des stratégies d'échantillonnage et recueillir des échantillons de feuilles pour des études de diversité génétique.

Pour dresser la carte de la répartition des trois espèces, on a eu recours à deux méthodes différentes. En Syrie, on a utilisé les applications SPG (Système de positionnement géographique) et SIG (Système d'information géographique) pour déterminer les limites des peuplements forestiers. Les méthodes utilisant des images satellites, des cartes topographiques ou des photographies aériennes auraient donné des résultats plus fiables et détaillés, mais ce matériel est rare en Syrie. En outre, pour la cartographie des peuplements de Pistacia atlantica , qui sont composés d'individus très éparpillés, des images encore plus détaillées auraient été nécessaires. Somme toute, on a considéré que l'utilisation du SPG était la meilleure alternative pour étudier Pistacia atlantica et Pinus brutia en Syrie.

Au Liban, une autre méthode a été utilisée. Le caroubier (Ceratonia siliqua ) est présent parmi les espèces codominantes où prédomine Quercus spp., mais on le trouve aussi dans le sous-étage des pinèdes. En général, ces populations sont constituées d'individus très éparpillés ou formant de petits îlots. Il est ainsi quasiment impossible d'utiliser des images satellite ou des photographies aériennes, alors que la présence fréquente de cette espèce dans de profonds ravins et sur des falaises rend l'utilisation du SPG pratiquement impossible. Toutefois, sur le terrain, il est facile de reconnaître de loin les caroubiers (à l'aide de jumelles), étant donné que ces arbres ont un houppier très caractéristique. De plus, l'essence croît surtout dans les régions de collines ou de montagnes au relief bien découpé. Grâce à ces caractéristiques, les limites des populations de caroubier ont pu être tracées sur des cartes topographiques détaillées (1:20000). Ces cartes ont ensuite été numérisées pour d'autres analyses à l'aide d'applications SIG. Cette méthode a fourni suffisamment de détails, et ce rapidement. On continue de traiter ces données qui seront bientôt disponibles.

Partenaires institutionnels pour la recherche au Liban et en Syrie

Département de la production et de la protection des espèces cultivées, Université américaine de Beyrouth, Beyrouth, Liban (M. Riad Baalbaki)
Faculté d'agriculture et des sciences de l'alimentation, Université américaine de Beyrouth, Liban (Mme Salma Talhouk)
Faculté de littérature et des sciences humaines, Département de géographie, Université Saint-Joseph, Beyrouth, Liban (Mme Jocelyne Adjizian Gerard)
Direction du développement rural et des ressources naturelles, Ministère de l'agriculture, Beyrouth, Liban (M. Fady Asmar)
Le Centre arabe pour les études des zones arides et des terres sèches, Damas, Syrie (M. Mohammad S. Abido)
Division de la recherche scientifique pour la foresterie appliquée, Direction des forêts, Ministère de l'agriculture et de la réforme agraire, Damas, Syrie (M. Hassan Younes)
Faculté d'agriculture, Université Tishreen, Lattaquié, Syrie (M. Mahmoud Ali et M. Wafa Choumane)

ACTIVITÉS FUTURES
Outre les études écogéographiques, les chercheurs évaluent actuellement la diversité génétique des deux essences (Pinus brutia et Ceratonia siliqua ) et entament une étude de la diversité génétique de Pistacia atlanatica. En outre, on envisage de commencer des études socio-économiques sur les trois espèces, alors qu'une évaluation de la menace d'incendie pesant sur Pinus brutia est presque achevée. Les résultats de ces études serviront à identifier les populations méritant des mesures de conservation et à mettre au point des méthodologies appropriées pour la conservation et l'utilisation de ressources génétiques forestières prioritaires.

1Reçu en mai 2000. Original: anglais
2Bureau régional de l'IPGRI pour l'Asie du Centre-Ouest et l'Afrique du Nord, c/o ICARDA, Alep, Syrie; courrier électronique: [email protected]

RÉFÉRENCES
Abido, M..S., M.S. Ali and I.H. Ibrahim (1999). A Preliminary Report on: Ecogeographical Survey of Pistacia atlantica . The Arab Center for the Studies of Arid Zones and Dry Lands (ACSAD) & The International Plant Genetic Resources Institute (IPGRI). Interim report.

Breugel, P. van and T.O.M. Bazuin (eds.). Development of Research Activities on the Conservation and use of Forest Genetic Resources in Lebanon. Workshop report, 14-15 May 1998. (in press). IPGRI, Rome, Italy

Breugel, P. van and T.O.M. Bazuin (eds.). Development of Research Activities on the Conservation and use of Forest Genetic Resources in Syria. Workshop report, 12 -13 May 1998. (in press). IPGRI, Rome, Italy

IPGRI (1999). Locating genetic diversity in forest ecosystems. Forgen News. March 1999, p. 7-8. IPGRI, Rome, Italy

IPGRI (2000). Further steps towards conservation and use strategies in CWANA region: case studies in Syria and Lebanon. FGR Research Highlights. July 2000, p. 10 -11. IPGRI, Rome, Italy

Turdieva M. and Padulosi S. (2000). First Meeting of Central Asia & Trans Caucasian Network on Plant Genetic Resources (CATCN-PGR). Regional Working Group on Fruit & Berries, Sub-Tropical Plants and Grape, 16-18 August 2000, Tashkent, Uzbekistan (in press). IPGRI, Rome, Italy

Turdieva M. and Padulosi S. (2000). Third Central Asia & Trans Caucasian Network on Plant Genetic Resources (CATCN-PGR) Forest Genetic Resources Regional Working Group Meeting. 16-18 August 2000, Tashkent, Uzbekistan (in press). IPGRI, Rome, Italy

Younes, H. (2000). Report of the Social-fconomic aspects of the villages surrounded by Pistacia atlantica populations in Jabl Balaas, Jabl Roudjmain and Jabl Al Aziz, Syria. A preliminary study. Forest Department of the Ministry of Agriculture and Agrarian Reform & The International Plant Genetic Resources Institute (IPGRI). Interim report.

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