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CHAPITRE 6 - Conclusions et interventions nécessaires


L'efficacité du ciblage et l'efficience des programmes devraient être des préoccupations majeures non seulement pour les planificateurs et les décideurs politiques mais aussi pour la société tout entière.

FAO/20636/E. Yeves

Raison d'être du ciblage

Les chapitres précédents ont tracé les principes de base du ciblage et indiqué les principales considérations techniques, sociales, économiques et politiques mises en jeu dans différents plans de ciblage, principalement les programmes ciblés d'alimentation et de nutrition. Le principal intérêt du ciblage est qu'il apporte aux programmes un degré d'efficience maximum. Une deuxième raison d'être a trait à des principes d'équité. Si le ciblage est efficace et les coûts du ciblage marginaux, l'efficience du programme s'en trouvera accrue: les prestations du programme seront concentrées sur les plus démunis, les bénéfices sociaux seront plus élevés et les coûts sociaux peut-être inférieurs à ce qui pourrait être réalisé dans un programme non ciblé. Un autre résultat possible est une plus grande équité sociale. Ciblés de manière efficace, les programmes ont un effet de redistribution: les prestations sont concentrées sur le groupe cible par le biais de programmes dont le financement et les ressources proviennent de groupes non ciblés. On peut trouver parmi eux les groupes à plus hauts revenus qui contribuent aux recettes fiscales finançant les programmes alimentaires et nutritionnels (ou les subventions alimentaires); les donateurs étrangers qui fournissent une aide alimentaire; les organisations de la société civile qui mettent en œuvre des programmes et des projets alimentaires et nutritionnels.

Pour donner au ciblage sa raison d'être, les éléments essentiels seront donc son efficacité et son coût. Un ciblage inefficace peut conduire à un programme ciblé qui ne sera pas plus efficient que ne l'aurait été un programme non ciblé. Un ciblage médiocre ou «contraire» c'est à dire un programme où les prestations sont allouées davantage à des membres de groupes non ciblés qu'à ceux de groupes cibles, pourra être plus efficient qu'un programme non ciblé, mais il perdra son effet de redistribution. Lorsque les coûts du ciblage absorbent une grande part des ressources du programme, limitant ainsi les prestations que le programme peut distribuer, le ciblage perd une grande partie de sa raison d'être. Comme l'indiquent certains des exemples en Annexe, dans un certain nombre de pays les programmes ciblés d'alimentation et de nutrition absorbent une part importante des ressources nationales. L'efficacité du ciblage et l'efficience des programmes devraient être des préoccupations majeures non seulement pour les planificateurs et les décideurs politiques mais aussi pour la société tout entière.

Efficacité du ciblage

Comme on l'a vu, les programmes alimentaires et nutritionnels sont ciblés administrativement ou auto-ciblés, ou bien possèdent des composantes des deux. Dans les programmes ciblés administrativement, le ciblage est basé soit sur des indicateurs, comme pour le ciblage géographique ou les programmes d'alimentation scolaire (voir en Annexe), soit sur un examen des ressources. Les indicateurs de ciblage devraient être liés directement aux objectifs du programme. Les critères d'éligibilité sont habituellement élaborés sur la base d'indicateurs qui définissent le groupe cible. Dans des programmes auto-ciblés, le groupe cible est normalement défini de manière plus lâche et l'efficacité du ciblage est plus difficile à évaluer.

Les erreurs d'inclusion et d'exclusion ainsi que les taux de non-participation et de perte, sont des paramètres de l'efficacité du ciblage. Lorsqu'ils sont tous les deux élevés et que le ciblage est par conséquent inefficace, les efforts pour améliorer le ciblage devraient se concentrer sur la réduction du taux de non-participation, à condition que le budget du programme ne soit pas une préoccupation majeure. Il faut également qu'il existe une volonté d'améliorer le transfert des prestations en direction des personnes les plus démunies et d'augmenter ainsi les bénéfices sociaux du programme. Un programme confronté à des réductions budgétaires se concentrera davantage sur des mesures permettant de réduire les taux de perte.

Coûts du ciblage

Les coûts de ciblage comprennent les coûts administratifs et les coûts d'information. Ces deux séries de coûts sont financées dans des proportions variées par le programme et par les participants et les non participants au programme. Les coûts de ciblage financés par le programme réduisent son efficience en ce qui concerne la fourniture des prestations du programme. Les coûts de ciblage assurés par les participants réduisent les bénéfices nets découlant de la participation, de même qu'ils augmentent les coûts de participation. Les coûts de ciblage administratif consistent en coûts associés au tri sélectif et au contrôle de l'éligibilité des participants au programme. Les coûts d'information sont les coûts engagés pour obtenir, traiter et analyser les données et les informations visant à définir et caractériser les groupes cibles, et pour évaluer et contrôler l'efficacité du ciblage. Seuls les coûts directement associés au ciblage devraient être pris en compte, c'est à dire les coûts qui ne sont pas engagés quand le ciblage n'est pas effectué. Il faut aussi tenir compte des coûts d'information liés à l'élaboration du programme, au suivi de la mise en œuvre du programme et à l'évaluation du rapport coût/efficacité du programme d'une part et de sa capacité à réaliser ses objectifs d'autre part.


Dans de nombreux pays, des programmes ciblés de subventions alimentaires ou d'enrichissement alimentaire de produits de base sont mis en œuvre pour améliorer la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

FAO/16199/J. Van Acker

Les programmes ciblés administrativement auront normalement des coûts de ciblage plus élevés que les programmes auto-ciblés. La réduction des coûts de ciblage fait partie des raisons qui président à la mise en œuvre de plans auto-ciblés. Comme le démontre le programme national d'alimentation scolaire au Chili, des programmes ciblés administrativement peuvent aussi avoir des coûts de ciblage restreints. S'il convient de réduire ou de contenir les taux de non-participation et de perte, les coûts d'un ciblage administratif seront en général plus élevés. Il faudra donc peser le pour et le contre: l'amélioration de l'allocation des prestations vaut-elle une augmentation des coûts de ciblage administratifs?

Les coûts d'information du ciblage dépendent en grande partie des éléments suivants:


Les gens bien nourris, en bonne santé, ont une meilleure qualité de vie et peuvent contribuer activement à la vie de leur famille, de leur communauté et de leur pays.

FAO/11378/J. Van Acker

On devra également peser le pour et le contre dans le domaine de la sélection des indicateurs de ciblage: les informations fournies par les indicateurs devraient être pertinentes et valides, précises et fiables, établies en temps opportun, accessibles techniquement, socialement et culturellement et peu coûteuses à recueillir. Il est pratiquement impossible pour une stratégie d'information donnée de produire des indicateurs de ciblage qui correspondent à tous ces critères.

Domaines d'action

On trouvera tout au long des chapitres qui précèdent, ainsi qu'en Annexe, des références à des expériences réelles de programmes alimentaires et nutritionnels ciblés. Ces exemples, et de nombreux autres dans différentes parties du monde, démontrent que le ciblage présente un certain nombre de difficultés opérationnelles. Il peut ne pas toujours être efficace ni contribuer à l'efficience du programme. Dans de nombreux cas, pourtant, le ciblage s'est avéré très efficace. Dans un nombre limité de cas, l'efficacité du ciblage est contrôlée et évaluée, et entraîne des changements dans les critères d'éligibilité. Toutes ces expériences accumulées de programmes alimentaires et nutritionnels indiquent quelques grands domaines d'intervention qui pourront contribuer à améliorer l'efficacité du ciblage des programmes alimentaires et nutritionnels ciblés mis en place dans les pays en développement. On pourra ainsi réduire les coûts du ciblage et améliorer l'efficience des programmes.

CONSTRUIRE LES CAPACITÉS INSTITUTIONNELLES

Au sein des institutions et des organismes qui élaborent, mettent en œuvre, administrent et contrôlent les programmes alimentaires et nutritionnels, il faut une capacité technique adéquate pour élaborer, administrer et évaluer les plans de ciblage. On trouvera sans doute parmi ces organismes plusieurs institutions gouvernementales, à la fois à un niveau national et régional, ainsi que des organisations de la société civile. La formation du personnel au niveau national et régional pourra permettre l'établissement ou le renforcement des capacités techniques dans les domaines suivants: planification des programmes, techniques d'évaluation, méthodes de collecte de données et d'informations, traitement et analyse de données et méthodologies de contrôle et d'évaluation des programmes. Les agents de supervision des centres où sont mis en œuvre les programmes ciblés doivent avoir les compétences nécessaires en matière de communication sociale et inter-personnelle: ils formeront et motiveront le personnel en ce qui concerne l'application des règles d'éligibilité et de sortie. Dans les programmes reposant sur le ciblage à base communautaire, le personnel local doit être capable de bien communiquer et faire preuve de sensibilité vis à vis des communautés où doit se dérouler le programme.

RENFORCER LES SYSTÈMES D'INFORMATION

Les données et les informations sont des éléments essentiels à l'élaboration, l'administration et l'évaluation des plans de ciblage. On en a besoin pour identifier, caractériser et contrôler les groupes cibles (sur la base d'indicateurs de ciblage et d'informations qualitatives), élaborer et administrer les critères d'éligibilité, évaluer l'efficacité du ciblage et contrôler l'efficience et l'impact du programme. Les coûts du ciblage peuvent être considérablement réduits lorsque des systèmes d'informations opérationnels sont en place au niveau national et régional, et lorsqu'il y a un réel partage de données et d'informations entre les différents organismes et institutions. Ces systèmes d'informations servent normalement à des fins multiples, et les planificateurs et décideurs peuvent exploiter les données et informations disponibles lorsqu'ils conçoivent des plans de ciblage, ainsi qu'au moment de la définition et de la description des groupes cibles.

Il n'est pas nécessaire de collecter et de traiter des données primaires chaque fois qu'un programme ciblé est élaboré et mis en œuvre. Par exemple, dans de nombreux pays en développement, des efforts sont en cours pour établir un système d'information et de cartographie sur l'insécurité alimentaire et la vulnérabilité (SICIAV), dans le cadre d'une initiative inter-institutionnelle à l'échelle mondiale. Dans d'autres pays, des systèmes d'information semblables existent, sous une autre appellation. De plus, dans un certain nombre de pays sujets à de graves famines dues à la sécheresse ou à d'autres catastrophes naturelles et qui sont très dépendants de l'aide alimentaire, le Programme alimentaire mondial a mis en place des unités d'analyse et de contrôle de la vulnérabilité (VAM, sigle en Anglais) qui surveillent les groupes de population vulnérables et victimes d'insécurité alimentaire. De même, des systèmes d'alerte rapide contre la famine (FEWS, sigle en Anglais) surveillent les conditions alimentaires pour évaluer les besoins en matière d'assistance alimentaire. Seuls quelques pays disposent de systèmes d'information bien développés. Dans d'autres, il conviendrait de soutenir les efforts entrepris pour renforcer ces systèmes: ils peuvent devenir des sources appréciables de données et d'information pour un ciblage efficace des programmes alimentaires et nutritionnels.

CRÉER DES PARTENARIATS INTER INSTITUTIONNELS

Les programmes alimentaires et nutritionnels ciblés font habituellement intervenir différents organismes et institutions. Par exemple, un programme d'alimentation scolaire peut impliquer le ministère de l'éducation, les services de santé locaux, l'organisme qui coordonne l'aide alimentaire et/ou les services locaux de vulgarisation agricole (pour les jardins scolaires). Un programme auto-ciblé de subventions alimentaires peut concerner le ministère du commerce et de l'industrie, le ministère des finances, les associations de l'industrie alimentaire et les regroupements des détaillants de l'alimentation. Un programme «alimentation contre travail» fait normalement intervenir l'organisme qui coordonne l'aide alimentaire, le ministère des travaux publics, les associations de village et les administrations au niveau de la région et du district. La participation de plusieurs organismes peut rendre difficile la mise en œuvre du programme, y compris l'élaboration d'un plan de ciblage. Ceci est dû principalement au fait que chaque organisme a ses propres priorités institutionnelles et sa propre interprétation de ce qui constitue la population cible et de la manière de l'identifier. Sans un consensus clair à ce sujet des partenaires du programme, l'efficacité du ciblage pourra être affectée négativement et les coûts du ciblage pourront augmenter. Il est donc important que l'organisme coordonnateur prenne sous sa responsabilité, dès le début, la mise en place de ce consensus ainsi que le renforcement des partenariats et des échanges entre les partenaires du programme.

FAIRE PARTICIPER LES MEMBRES DE LA COMMUNAUTÉ ET LEUR DÉLÉGUER DES POUVOIRS

Un déterminant important de l'efficacité du ciblage est la mesure dans laquelle les membres du groupe cible sont informés des possibilités de participation au programme. Il ne faut pas que les programmes ciblés administrativement au niveau communautaire nuisent à la solidarité communautaire. Il est donc important que tous les membres de la communauté soient informés de la raison d'être du ciblage et des critères d'éligibilité au programme, et qu'ils les acceptent. Dans un ciblage à base communautaire, les responsables de la communauté doivent comprendre l'intérêt du ciblage et être ouverts à la participation communautaire pour la sélection des bénéficiaires. Il a été démontré que la participation des parents dans des programmes d'alimentation scolaire est importante et qu'elle augmente l'efficacité du programme. Lorsqu'un ciblage a lieu à l'intérieur de l'école, les parents peuvent aider à l'identification des enfants les plus nécessiteux.

Les programmes auto-ciblés de subventions alimentaires ou d'enrichissement alimentaire nécessitent de hauts niveaux de sensibilisation et d'éducation du consommateur. Des efforts considérables devraient donc être engagés pour encourager la participation communautaire aux programmes alimentaires et nutritionnels ciblés, éduquer les consommateurs, leur donner la parole, et mobiliser les membres de la communauté en tant que partenaires des programmes. Les résultats de ces efforts auront non seulement une influence positive sur l'efficacité du ciblage, mais ils contribueront aussi à l'efficience du programme dans son ensemble et au développement humain durable en général.


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