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Stratégies de promotion et d'appui


Photo 30. Politique de promotion de haies (Calliandra calothyrsus) à la Réunion. (© Cirad)

Il est indiscutable qu'une étape importante majeure pour promouvoir les arbres hors forêt est l'obtention d'un accord assez large quant à leur définition et la reconnaissance de leur contribution sociale, économique et écologique. Une fois ce stade dépassé, il reste à encourager la formulation de politiques intégrant les objectifs internationaux en matière d'environnement, à concevoir des stratégies davantage articulées avec les processus actuels de décentralisation du pouvoir décisionnel et à élaborer des mesures en harmonie avec les intérêts des usagers et les exigences économiques.

Grandes initiatives et conventions internationales

Depuis les années 70, la communauté internationale, prenant conscience du processus de dégradation des espaces arborés dans les zones intertropicales, a cherché des solutions pour enrayer ce processus et mettre en place des instruments au service des forêts. La CNUED, en juin 1992 à Rio de Janeiro, a débattu des forêts et établi un large plan global, le chapitre 11 sur la lutte contre la déforestation, et formulé une «déclaration de principe, non juridiquement contraignante». Depuis, de nombreuses initiatives internationales ont vu le jour, comme le Groupe intergouvernemental spécial sur les forêts (GIF), le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) et de nombreux processus régulateurs de définition de critères et indicateurs pour la gestion durable des forêts. Les Conventions émanant du processus de Rio, à l'exemple de la Convention-cadre sur les changements climatiques (CCNUCC), la Convention sur la diversité biologique (CDB) et la Convention des Nations Unies contre la désertification (UNCCD) ont entraîné de larges concertations affectant aussi la gestion des forêts et l'utilisation de l'arbre.

Plusieurs mécanismes ont été mis en place afin d'aider les pays en développement, signataires de ces conventions et autres ententes, à remplir leurs engagements. Par exemple, le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques traite explicitement de la foresterie, incitant les parties prenantes à appliquer et/ou à élaborer des politiques et des mesures pour promouvoir des méthodes durables de gestion forestière, de boisement et de reboisement. Les forums et les publications relatives à l'écocertification des produits forestiers, aux critères, aux indicateurs et à bien d'autres thèmes ont fait que bon nombre de pays se sont désormais engagés dans une démarche de gestion viable des forêts et des espaces forestiers. Certains pays ont déjà opté pour la mise en réserve intégrale de très grandes superficies, comme la Chine et le Brésil: 25 millions d'hectares dans chaque pays (FAO, 1999a).

Il convient cependant de remarquer qu'il est rarement fait mention des arbres hors forêt dans toutes ces initiatives. Les organisations environnementales, les sphères dirigeantes, voire les opinions publiques, sont de plus en plus sensibilisées au rapport forêt-arbre-environnement. La démarche en faveur des forêts et des plantations, alliée à l'agroforesterie, met indirectement en évidence les arbres hors forêt. Ces derniers, depuis la réunion d'experts de juin 1996 pour l'évaluation des ressources forestières (Kotka III), sont apparus sur la scène mondiale (Nyyssönen et Ahti, 1996) et sont maintenant considérés dans l'évaluation des ressources forestières, même s'il n'est pas encore prévu de les inventorier systématiquement.

Démarches novatrices et législations révisées

Pour envisager des stratégies d'appui et de promotion des arbres hors forêt, l'articulation des logiques entre les différents partenaires doit être pensée. D'un côté, se trouvent les institutions, qui élaborent des politiques en faveur des arbres hors forêt et conçoivent des stratégies fondées sur la dévolution des compétences et le recours à des démarches participatives. De l'autre côté, se positionnent les premiers usagers et gestionnaires, qui ont leur propre rationalité technique et socio-économique visant la sécurité alimentaire, l'acquisition de revenus et la pérennité des ressources. Ces deux grands groupes d'acteurs peuvent se heurter dès l'instant où les questions d'usage et de contrôle sont au centre du débat. Les situations conflictuelles peuvent être évitées en engageant des négociations pour une gestion durable des ressources.

Décentralisation, négociation et planification

La croissance démographique et la paupérisation qui l'accompagne bien trop fréquemment se traduisent par une compétition accrue pour l'utilisation et le contrôle des ressources arborées. La mise en valeur de la terre et des arbres et les dynamiques économiques qui en résultent engendrent des phénomènes d'appropriation à l'origine de graves conflits, et ce dans un contexte où surexploitation des ressources et pauvreté sont fortement corrélées.

Le concept de développement durable, plaçant l'homme au centre de la gestion des ressources, notamment arborées et arbustives, prend alors tout son sens; il met à l'ordre du jour la décentralisation et le transfert de la gestion des ressources de l'Etat aux communautés locales, assortis d'une responsabilisation des utilisateurs. Celle-ci se fonde sur la reconnaissance de la dépendance des populations à l'égard des ressources et sur leur intérêt à les gérer au mieux de leurs priorités... La dévolution des pouvoirs induit que les usagers auront plus d'occasions de tirer profit des ressources arborées et que les autorités seront plus attentives aux besoins des collectivités à l'échelon local. Les uns et les autres viseront ainsi une perspective commune de mise en place de systèmes de gestion durable.

Les divergences d'opinions et de pratiques concernant les droits d'accès, les objectifs et les systèmes de gestion et l'accès à l'information et aux ressources sont toutes à l'origine de possibles conflits (FAO, 2000b). Par exemple, au Vanuatu, le fait de bloquer des terres pour un usage de plantation à but commercial n'existe pas dans la logique de gestion traditionnelle des terres, ce qui peut de ce fait engendrer des conflits sociaux (Walter, 1996). De même, l'accès aux ressources se heurte bien souvent aux logiques commerciales. L'exemple des rapports entre paysans, bûcherons et forestiers est parlant en ce domaine (encadré 32). Egalement, en République dominicaine, après une longue période de déboisement et de conflits, une série d'interventions, menées par des organisations non gouvernementales (ONG) pendant les années 80 et 90, a suscité un regain d'intérêt pour la culture des arbres. Un large éventail d'espèces et une gamme élargie de techniques ont été proposés aux agriculteurs et les plantations d'arbres hors forêt et de microboisements se sont alors révélées rentables.

Encadré 32.

Rapports entre paysans, bûcherons et forestiers

Les conflits d'usage et d'appropriation des ressources et leur exacerbation sont au cœur de la problématique de la gestion durable des ressources arborées. Ils sont le plus souvent conditionnés par une dynamique économique. Depuis une dizaine d'années, au Sahel, notamment au Niger, pour gérer les marchés de bois de feu, des projets ont été mis en place visant à renforcer la maîtrise des filières de production par les populations paysannes pour qu'elles puissent, par un appui institutionnel, retirer les fruits d'une exploitation raisonnée et durable du bois (Montagne, 1997). Les démarches préconisées passent par la revalorisation de l'arbre sur pied qui dépend, au-delà de la structuration du marché en combustible, du rapport de force entre les commerçants urbains (exploitation minière) et les communautés villageoises encore peu susceptibles de contrôler leurs propres ressources. Elles incitent à un assouplissement et à une réforme des législations nationales pour permettre une gestion concertée entre les divers acteurs des filières d'approvisionnement en combustible ligneux.

La résolution des conflits passe par la négociation du changement et l'obtention de consensus, où les intérêts de ceux qui subissent le plus dramatiquement les conditions de marginalisation économique, notamment les femmes, doivent être pris en considération. En effet, la promotion de moyens d'existence durables suppose que les ressources soient accessibles autant aux hommes qu'aux femmes et autres groupes marginalisés. Cela implique de comprendre la spécificité et la complémentarité des rôles des uns et des autres dans la gestion des arbres. Et cela suppose, d'autre part, de mettre en lumière leurs contraintes et leurs possibilités d'usage et de contrôle, tout en respectant les mécanismes de régulation sociale (encadré 33) et en optant pour des actions pertinentes qui favorisent l'amélioration du statut social et économique des personnes désavantagées.

Encadré 33.

Risques de conflits par méconnaissance des us et coutumes

Au nord du Cameroun, chez les populations Mafa des monts Mandara, les arbres sont rares et les femmes ont bien du mal à collecter des fruits, des feuilles et même du bois de feu pour leur ménage. Si aucun interdit ne s'oppose à ce que les femmes plantent des arbres, en revanche, des tabous peuvent apparaître a posteriori. Ce qui a été le cas, à la suite de l'intervention d'une ONG s'adressant aux femmes pour élargir leurs activités de production. Une action agroforestière a été développée; elle s'appuyait sur la mise en place de pépinières et de plantations d'arbres. Si les hommes ont laissé faire en autorisant la plantation d'arbres fruitiers au caractère éphémère (deux ou trois ans) tels les papayers, les femmes qui se sont investies dans le projet ont eu à subir nombre de tracasseries. Des accusations de sorcellerie ont semé la discorde. Le projet a révélé la gravité du fait de planter un arbre et a mis en exergue les éléments susceptibles de conférer aux femmes une certaine liberté et de générer des changements dans les relations sociales (Abega, 1997).

Les approches doivent viser un élargissement de l'accès aux ressources et de la capacité de gestion et de contrôle afin que les retombées des actions soient paritaires. On sait, par exemple, que grâce aux activités sur des champs communautaires les femmes sont susceptibles d'espérer davantage de retour sur leur investissement. Cela a été démontré au Bangladesh, entre autres, où elles sont les principales actrices de la réussite de programme de plantations villageoises (Hocking et Islam, 1996). En outre, les projets orientés vers les arbres hors forêt, que ce soit au travers de l'agroforesterie ou du boisement communautaire, connaîtront d'autant plus de réussites qu'ils accorderont plus d'intérêt aux modes de communication (informel, en langue locale, à travers des personnalités légitimes et avec des supports adaptés) et aux mécanismes existant au sein des communautés. C'est ainsi que les femmes accèdent plus aisément à la terre, aux aides techniques et au crédit par le biais des organisations collectives, reconnues socialement, tels les groupements. Ces derniers confèrent davantage de pouvoir aux femmes et ouvrent la voie à une participation négociée, tant au niveau familial qu'au niveau des instances politiques locales et nationales.

Par ailleurs, les institutions ne possèdent pas toujours les capacités nécessaires pour anticiper ou gérer les conflits ou elles ne peuvent pas parer aux difficultés financières générées par le besoin de personnel et d'équipement. En outre, la superposition des domaines de compétence et des activités des différentes institutions peut limiter leur capacité de conciliation des diverses parties prenantes. Parallèlement, il faut garder présent à l'esprit que les dégradations écologiques peuvent être directement liées à des situations politiques (crises, guerre, etc.) ou d'incertitudes gouvernementales. De nombreux observateurs en Asie s'accordent à reconnaître que les dégradations des formations forestières ne viennent pas d'un processus graduel de prélèvement des ressources, mais de perturbations momentanées des structures politiques et institutionnelles responsables de leur gestion (Dove, 1995). Des pays aux économies en transition, comme en Europe centrale et orientale, témoignent qu'une mauvaise gestion des ressources naturelles n'est pas la conséquence directe de la pauvreté, mais relève davantage d'un problème institutionnel (Mearns, 1996). En Europe, et notamment en France, ce sont également, à un degré d'entropie moindre, des situations confuses relevant de la réglementation foncière qui engendrent des conflits d'appropriation, d'accès aux ressources et de défrichements incontrôlés (Gadant, 1991).

Cohérence des législations

La plupart des pays connaissent un pluralisme juridique et des chevauchements existent entre les divers instruments législatifs, ce qui contribue à une absence de cohésion et de coordination entre les textes de lois. Il s'agit donc de produire des législations non sectorielles et non contradictoires tenant compte des droits sur la terre, sur les arbres et sur les produits.

Si l'on prend le cas de la France, on peut remarquer que le chemin à parcourir est long et semé d'embûches. La France a opté pour une loi de décentralisation en 1983, donnant aux élus la possibilité de gérer leur territoire et de susciter la mise en œuvre de nouvelles politiques. La loi sur l'eau (1992), la loi sur le paysage (1993), la loi relative à l'urbanisme (1994) et les lois de modernisation de l'agriculture et de protection de l'environnement (1995) traduisent la volonté d'intervention des pouvoirs publics pour parvenir à une meilleure prise en compte des milieux naturels et des paysages dans l'aménagement du territoire (APCA, 1996). Ces lois constituent diverses étapes de l'évolution des textes relatifs à l'aménagement foncier et permettent un glissement d'une notion d'aménagement agricole vers une notion d'aménagement du territoire rural. En France, la notion d'arbres hors forêt a été partiellement prise en compte, notamment pour leur préservation, car certains agrosystèmes (prés-vergers) font partie du patrimoine national (Bélouard et Coulon, 2000).


Photo 31. Aménagement paysager et maintien d'arbres, de haies e de microboisements en milieu rural, France. (© Bellefontaine/Cirad)

D'une manière générale, que ce soit dans les pays en développement ou non, les textes législatifs et réglementaires sont dispersés dans différents codes. La mise en cohérence des politiques et législations pour la gestion des espaces arborés et des arbres eux-mêmes à l'échelon régional, national et local est à préconiser. Ce manque de lisibilité et l'absence d'homogénéité peuvent constituer un facteur de blocage. Parfois il s'agit d'une simple adaptation de textes existants dans le respect des particularités locales. Ailleurs, il sera utile de légaliser des expériences locales de gestion. Dans tous les cas, la mise en place de groupes de réflexion, de contrats, d'objectifs pluriannuels et d'indicateurs de suivi est indispensable pour établir des législations nouvelles régulant les relations entre les propriétaires privés et les usagers publics, et ce, dans un esprit qui soit moins tourné vers le marché et plus vers le développement durable des ressources arborées.

Orientations et actions envisageables

Les perspectives offertes par les arbres hors forêt demandent encore à être explorées et surtout valorisées, ce qui suppose de développer des stratégies visant à approfondir les connaissances et à les diffuser auprès de tous les publics concernés, par des approches de vulgarisation et de formation destinées à réaliser le potentiel de cette ressource si diversifiée. Ces mesures auront d'autant plus de poids qu'elles seront accompagnées de mécanismes économiques soutenant l'introduction des produits ligneux et non ligneux sur des marchés formels leur donnant toute possibilité de prendre leur véritable ampleur.

Mesures d'accompagnement

Encore récemment, la recherche forestière se préoccupait principalement des forêts, naturelles ou plantées, et très peu des arbres hors forêt. La recherche en agroforesterie a été plus proche des centres d'intérêt des paysans qui ont à gérer un nombre parfois élevé d'arbres épars, alignés ou en bosquets. La recherche agricole quant à elle n'a que peu abordé les relations entre les cultures et les arbres hors forêt, sauf dans le domaine du pastoralisme. Le secteur agricole était beaucoup plus animé par le maître mot qu'était l'intensification et plus occupé à en gérer les effets positifs et négatifs. Tirant des leçons des réussites et des échecs de cette logique, de nouvelles approches ont été développées, notamment celle qui a été retenue pour la Révolution doublement verte et qui a été reprise dans ses orientations par de nombreuses politiques de développement rural. Sont ainsi privilégiés le maintien de la diversité biologique et de la résilience14 des écosystèmes, les rendements satisfaisants mais à moindre coût économique et écologique, les techniques à faibles intrants, la lutte contre les risques par association de plantes (Griffon et Weber, 1996), ainsi que l'amélioration des ressources génétiques, le soutien aux cultures annuelles et à leur commercialisation. Ces axes de recherche sont pour la plupart repris en agroforesterie, en particulier dans ses composantes sur l'optimisation des interactions écologiques et économiques entre arbres et cultures (Griffon et Mallet, 1999).

On entrevoit alors tout ce que les arbres hors forêt peuvent proposer comme champ d'investigation à la recherche-développement dans la perspective d'une meilleure utilisation de l'espace. De surcroît, si les populations y sont associées, l'exode rural pourrait en être ralenti et la surexploitation potentielle du milieu écartée. Les thèmes d'étude pourraient s'attacher à l'enrichissement des jachères, la double inoculation mycorhize-bactérie, la multiplication végétative naturelle, l'émondage raisonnable des arbres fourragers, l'amélioration des pratiques de taille, la sauvegarde des savoirs locaux et traditionnels, la recherche de déterminants pour renforcer la relation entre les individus et les arbres hors forêt. Des méthodes permettant d'évaluer les ressources multiples des arbres hors forêt devraient également être élaborées, en portant un accent particulier sur les indicateurs de gestion durable prenant en compte la dimension sociale. Cette dernière, difficile à saisir, demande davantage de recherches, qui se doivent d'être plus méthodiques et plus systématiques pour être en mesure d'appréhender, non seulement les usages, mais également les pratiques et les représentations que se font les hommes de leur environnement naturel.

Le rôle de la recherche est aussi d'étudier les effets positifs et négatifs de toutes les actions de promotion en les replaçant dans leur contexte. C'est ainsi que les analyses socio-économiques prenant en compte les rôles et spécificités des hommes et des femmes peuvent contribuer à éclairer les difficultés de chacun pour accéder aux produits et pour mieux les gérer. Plus important encore, elles peuvent influencer les politiques pour une meilleure répartition des richesses par le biais, entre autres, du développement des compétences et de la reconnaissance des savoirs.

Les besoins en formation et en vulgarisation sont souvent très larges, mais les connaissances et les cursus relatifs aux arbres hors forêt sont rares, sauf pour certains fruitiers, tels les oliviers et les palmiers. Les actions de vulgarisation et les programmes de formation, encore cloisonnés et sectoriels, demandent à être renforcés et élargis pour promouvoir la culture de l'arbre hors forêt, mettre à la disposition des techniques de gestion viable et des moyens de valorisation des ressources ligneuses et non ligneuses. Les approches de vulgarisation, basées sur une vision pluridisciplinaire, devraient intégrer les pratiques locales et stimuler la création de réseaux afin de mieux se prêter à la diversité des biens et services qui caractérise les multiples fonctions et usages des arbres hors forêt.

Mécanismes économiques

Le recours à des instruments économiques, intégrant les dimensions écologiques, est également à retenir pour promouvoir les arbres hors forêt. Ce peut être l'instauration de taxes ou de redevances, de quotas, de marchés, de subventions ou de primes, de labellisation ou d'écocertification. Ces mécanismes peuvent être utiles à condition que les paysans soient associés à leur mise en place et qu'ils soient régulièrement informés sur l'évolution de ces mesures. En effet, les producteurs seront incités à investir s'ils maîtrisent les bénéfices potentiels qui sont dépendants, notamment, de leur capacité à négocier les prix, à accéder à de nouveaux marchés ou à percevoir une plus-value. L'écocertification et la fiscalité décentralisée s'inscrivent dans cette optique.

Dans les pays en développement, l'espoir d'améliorer les conditions de vie est souvent réduit à néant si les produits ne peuvent être écoulés sur un marché structuré. Le cycle suivant se répète trop souvent. En réponse à des besoins financiers ordinaires ou extraordinaires, une production artisanale est développée, puis amplifiée. D'autres villageois, attirés par ces revenus, produisent à leur tour, ce qui entraîne une baisse du prix de vente, une augmentation du coût de la matière première, une surexploitation de cette dernière obérant alors sa disponibilité ou conduisant jusqu'à sa disparition. Un effondrement complet du marché peut s'ensuivre. Les conditions de vie se dégradent. Tous les acteurs économiques y perdent et les préjudices liés à la destruction de l'écosystème et à l'absence de régénération des ressources frappent encore plus directement les habitants en milieu rural.

Parallèlement, les conditions de commercialisation et d'organisation ne sont pas optimales alors qu'elles constituent des facteurs clés de la réussite. Très souvent, l'approvisionnement des marchés primaires souffre d'un manque chronique d'organisation et d'un cadre légal, juridique, financier et foncier approprié (Müller, 1997). Par exemple pour la gomme arabique, produit forestier non ligneux important, la mauvaise appréciation des circuits de collecte, de stockage et de tri de la gomme ainsi que des transactions entre opérateurs économiques véhiculent, en aval, des contraintes reconnues, alors qu'en amont les dispositions législatives réglementaires de collecte de la gomme sont quasi inexistantes ou parfois inadéquates.

Jusqu'à présent les produits des arbres hors forêt, procédant de productions artisanales rurales ou périurbaines et relevant de la production informelle, sont insuffisamment soutenus par les fonds privés et les autorités compétentes en la matière (Etat, associations, etc.), alors que manifestement ils ont, parallèlement à leur rôle économique, un rôle social prégnant. Il s'agit dès lors de mieux comprendre les liens entre les individus, les groupes sociaux et les arbres, afin de structurer les filières de production et d'aménager de façon harmonieuse l'espace urbain et le milieu rural.


Photo 32. Aménagement simplifié et cogestion des écosystèmes contractés (brousses tigrées) au Niger. (© Gschladt/Cirad)

Au Niger depuis les années 80, une gestion conjointe des marchés ruraux de bois de feu reposant sur la contractualisation et la cogestion entre l'Etat et les communautés rurales a été mise en pratique (Mahamane et al., 1995). Ces dernières sont responsabilisées et directement intéressées, tout en étant sécurisées à long terme par un contrat écrit et clair. Les coûts environnementaux sont internalisés par un jeu de taxation différentielle qui tient compte notamment de la distance séparant le lieu de production de bois de feu par rapport à la principale ville à desservir. Plus le bois provient d'un lieu éloigné, moins cette taxe est lourde. Elle vise ainsi à pénaliser les exploitants proches de l'agglomération qui surexploitent les ressources (Mahamane et Montagne, 1997). «L'instauration de taxes sur les prélèvements dans l'écosystème peut avoir l'effet requis, à condition d'une inversion du circuit classique des recettes fiscales: les communautés prélèvent la taxe, en conservent un pourcentage et transmettent le reste aux services de l'Etat» (Griffon et Weber, 1996). Les services environnementaux que procurent les arbres sont nombreux et leur valorisation économique a un effet non négligeable sur les revenus des acteurs concernés.

Sur les terres agricoles, les produits issus des arbres hors forêt peuvent bénéficier d'écolabels ou d'appellations spécifiques au titre de leur rôle de protection des sols, d'amélioration de la fertilité et de conservation de la diversité biologique. L'objectif d'une telle qualification des productions est d'accéder à des niches de marchés, par exemple celle des produits biologiques, et d'obtenir un prix de vente plus avantageux par la reconnaissance de sa qualité ou de son mode de production. La certification des productions vaut aussi bien pour le bois que pour les produits non ligneux. La certification a un coût supplémentaire, celui du contrôle et de la tenue de registres. L'écocertification ainsi que la fiscalité décentralisée restent pour certains pays une voie à explorer. Il est très vraisemblable que les plans de gestion paysagère, la traçabilité des produits et l'écocertification (encadré 34) se mettront progressivement en place. Ce type d'opération pourrait persuader les bénéficiaires d'autofinancer les dépenses de plantation et de créer ainsi un fonds de roulement, qui permettrait la plantation d'un nombre important d'arbres hors forêt.

Encadré 34.

Labels et écocertification

Le concept d'écocertification est né en novembre 1989 au Japon. Il a pour objet de garantir l'origine des produits forestiers commercialisés, à savoir celle de forêts gérées durablement. Si depuis cette date la définition des termes «forêt» et «gestion durable» s'est améliorée sur le plan mondial, il reste que ces notions varient encore considérablement entre pays. La logique d'écocertification des bois tempérés et tropicaux n'est pas admise par tous les acteurs de la filière. Certains sont encore indifférents aux questions de l'aménagement durable et viable des forêts tropicales. Les pays producteurs estiment que ces labels pourraient se transformer en normes rigides ayant un caractère discriminatoire. Les critiques sont nombreuses (tricherie, avantages pour les grands entrepreneurs, inspection payante et donc rédhibitoire pour les exploitants sans grand moyen et les associations des pays pauvres, multiplication des organismes de certification et des labels conduisant à des confusions pour le consommateur, etc.). En juillet 1998, les pays européens ont décidé de monter un nouveau système de certification forestière, le Pan European Forest Certification (PEFC) qui sépare les fonctions suivantes: i) la mise en place de normes de certification; ii) l'accréditation des sociétés de certification; iii) la vérification de la réalisation des critères de certification. Ainsi, le système peut rester entièrement transparent et objectif (Barbier, 1999). Malgré une avancée assez nette, les écueils sont encore nombreux pour les producteurs de bois.


Photo 33. La production de noix labellisées provenant de pâturage est encouragée, Belley, sud du Jura. (© Bellefontaine/Cirad)

Les produits non ligneux des arbres hors forêt sont certainement ceux pour lesquels la labellisation peut être porteuse de bénéfices. Il faut cependant mesurer ce que cela peut signifier comme contraintes liées par exemple à la traçabilité des produits. Des cahiers des charges et l'apposition d'un logo commun à une région, à un cru, à un terroir sont nécessaires pour conforter l'image du produit dans l'opinion publique et auprès des consommateurs. De nombreuses restrictions commerciales y sont souvent associées, sachant que les «labels verts constituent un instrument nécessaire, mais sans doute insuffisant à long terme» (Griffon et Weber, 1996). Entre respecter un cahier des charges précis et définir les principes et les critères d'un label, le compromis n'est pas toujours facile à obtenir entre les producteurs qui recherchent un profit et les consommateurs qui prennent des initiatives diverses. Plutôt que de risquer une démarche conflictuelle, certaines organisations préfèrent inciter les producteurs à adopter une gestion viable des produits forestiers, associant différents partenaires, dont l'Etat dans certains cas.

La cogestion et la contractualisation (Le Roy et al., 1996), encore débutantes, semblent indispensables à la promotion des forêts et vraisemblablement des arbres hors forêt; les labels et l'écocertification méritent d'être explorés. Les deux premières sont des réponses possibles aux nombreux problèmes rencontrés dans la gestion durable des projets de développement visant la conservation des écosystèmes et l'aménagement du territoire. Cependant, c'est à la motivation des acteurs économiques, agriculteurs, éleveurs, élus locaux, et autres partenaires, qu'il faut faire appel pour insuffler une réelle dynamique de gestion des arbres hors forêt débouchant sur une véritable rentabilisation de la ressource et de ses produits.


14 Résilience: capacité de retour à l'état initial après un choc externe.

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