Allégement de la pauvreté par la pisciculture familiale

Élevage familial de poisson-chat au Bangladesh



Felix Marttin1 and Gertjan de Graaf 2
1Inland Water Resources and
Aquaculture Service (FIRI) FAO.
[email protected]
2Nefisco foundation,
Lijnbaansgracht 14C, 1015GN Amsterdam
The Netherlands, [email protected]
http://www.nefisco.org





Une participante du projet fière de montrer ses poissons et le trou dans lequel elle les cultive INTRODUCTION

Une grande partie de la population du Bangladesh est pauvre. Les plus pauvres de ces pauvres se trouvent dans un cercle vicieux car ils ne possèdent rien qui puisse les aider à initier des activités génératrices de revenus. Il y a eu beaucoup de tentatives pour briser ce cercle. Les microprojets de crédit gérés par plusieurs organisations non gouvernementales en sont un bon exemple. L'idée maîtresse en est de donner la possibilité aux gens d'accéder à des ressources qui leur permettent de générer un revenu, ce dernier leur permettant à son tour d'acquérir d'autres ressources afin de générer des revenus additionnels. Au lieu de mettre à disposition de l'argent ou d'autres moyens pour acquérir ces ressources, une autre approche à ce problème lié à la pauvreté consiste à trouver un moyen permettant de générer un revenu en utilisant directement les ressources dont disposent les plus pauvres. Au Bangladesh, la plupart de ceux-ci sont capables de travailler. Ils ont accès à la terre sur laquelle est construit leur abri, à ce que l'espace (ou champs) environnant peut produire et à l'eau.

L'élevage familial de poisson-chat tel que pratiqué localement dans la zone d'action du Projet pilote de "compartimentalisation" (CPP), dans la région centrale du Bangladesh, est une activité génératrice de revenu, utilisant de façon optimale ces ressources. Cet élevage nécessite comme intrants de la nourriture pour les poissons, un petit trou dans la terre, de l'eau et des alevins de poisson-chat.

La nourriture des poissons peut être facilement obtenue dans les environs immédiats du lopin de terre habité (escargots, mollusques bivalves, termites, fourmis, déchets d'animaux abattus, etc.. Le trou creusé dans la terre ne doit pas être grand, un mètre carré étant suffisant pour 50 alevins, et il peut donc être creusé par les participants eux-mêmes. Des alevins de poisson-chat s'achètent facilement au Bangladesh pour un prix raisonnable (de 10 à 50 Taka pour 50 alevins. En une période d'élevage de quatre mois, l'on peut produire de cinq à six kilogrammes de poisson-chat africain dont la valeur marchande est d'environ 400 Taka (US$8).

LE CONCEPT DE L'ÉLEVAGE DE POISSON-CHAT

Le concept de base de l'élevage familial de poisson-chat consiste à introduire chez les gens les plus pauvres d'une région une méthode facile de pisciculture se pratiquant dans de petits trous creusés dans le lopin de terre habité. Le poisson-chat africain (Clarias gariepinus) est utilisé parce que ce poisson est capable d'utiliser directement l'oxygène de l'air, il possède un taux élevé de croissance et il est très résistant aux maladies. L'expérience a montré qu'aussitôt que les gens connaissent cette méthode, ils l'adaptent en fonction des possibilités existant dans leur environnement immédiat. Pendant ou après l'élevage de leur premier lot de poissons, ils développent des initiatives avec leurs voisins pour continuer cette activité, par exemple en contactant les marchands d'alevins locaux ou en essayant différentes sources d'aliments disponibles localement. Dans le programme, de telles initiatives sont encouragées et sont à la base de son succès.



 Un exemple du puit utilisé pour élever les poissons-chats.Taille des alevins avec lesquels les trous d'élevage sont empoissonnés Toute la formation des participants a été faite sur place, sur le lopin habité même. Chaque membre du personnel de terrain travaillait avec des lots d'environ 50 participants. Les premiers contacts se faisaient lors de l'identification des participants. Afin de s'assurer que les plus pauvres des pauvres étaient bien sélectionnés, une revue de la situation générale de chaque candidat était faite. La sélection finale pour le programme était basée sur quelques critères: (a) le participant devait être "sans terres" (soit, au Bangladesh, posséder moins de 0,02 ha de terre); (b) leur situation générale devait être pauvre/désespérée; et (c) leur habitation devait être faite de murs en terre, en bambou ou en toile de jute.



Aux participants potentiels répondant à ces critères, l'on demandait s'ils étaient intéressés à participer au programme, ce qui comprenait l'achat à prix réduit d'alevins (10 Taka ou 20 cents US) fournis par le vulgarisateur. Le prix des alevins était subventionné par le projet afin de faciliter les futurs rapports entre les participants et les vulgarisateurs. Il était ainsi plus facile pour ces derniers de visiter régulièrement les participants et de leur poser des questions au sujet de leurs expériences.

Lors de la vente des alevins, les quatre règles essentielles qui devaient permettre d'élever facilement des poissons-chats étaient expliquées aux participants:

  • Les poissons doivent être nourris chaque jour, de préférence jusqu'à ce qu'ils n'aient plus faim.

  • Comme nourriture, tout peut être utilisé, sauf l'herbe et le plastique, la meilleure nourriture étant celle qui est riche en protéines.

  • Aussitôt que l'eau du trou d'élevage commence à sentir mauvais, elle doit être changée.

  • Au cours de ce changement d'eau, il faut principalement faire attention à la grandeur des poissons; celle-ci doit être assez uniforme afin d'éviter le cannibalisme.

Deux à trois jours après la vente des alevins, le vulgarisateur responsable devait rendre visite au participant. Cette visite s'est révélée être déterminante du succès ou de l'échec de l'élevage: plusieurs participants qui n'ont pas été visités à ce moment n'ont pas réussi leur élevage. Après les deux premiers contacts, le ménage participant était ensuite visité toutes les trois à quatre semaines afin de contrôler leurs progrès et de répondre à toute question concernant leur pisciculture.

Ménages participant au programme
Deux cents ménages ont participé au programme de pisciculture familiale de poisson-chat. La grandeur moyenne de ces ménages était d'environ cinq personnes. La plupart des membres mâles (84 %) avaient un travail rémunérateur par lequel ils gagnaient en moyenne 49 Taka par jour. D'autre part, la plupart des femmes des ménages sélectionnés restaient au foyer (90 %) et ne gagnaient pas d'argent. Celles qui avaient un revenu gagnait en moyenne 15 Taka par jour, soit moins que les hommes. Un faible nombre d'enfants (2%) générait aussi un revenu, en moyenne 22 Taka par jour et par enfant. Soixante pour cent des enfants allaient à l'école. Le niveau d'éducation le plus élevé atteint par ces enfants était dans la plupart des cas le niveau primaire En général, le revenu journalier d'un ménage atteignait environ 60 Taka.

Les membres des ménages participant au programme prenaient de deux à trois repas par jour, principalement du riz et des légumes. Trois fois par semaine, une légumineuse (dhal) riche en protéines figurait parmi ces légumes. Deux fois par semaine, les repas étaient enrichis par du poisson, une fois toutes les deux semaines par de la viande, et une fois par mois par du poulet. Œufs et lait étaient consommés moins de trois fois par semaine.

Autres alternatives à l'élevage familial de poisson-chat: production de biri (15 takas par jour ou 30 US cents) ou cassage de briques (40 takas par jour).

Gestion piscicole
Ce sont les femmes qui prenaient soin de l'élevage dans la plupart des cas (80%), tandis que les hommes (15%) et les enfants (5%) s'en occupaient beaucoup moins. Ces soins consistaient surtout dans la collecte d'aliments pour les poissons. Ceux-ci pouvaient être récoltés dans les environs immédiats car le poisson-chat mange pratiquement tout. Les enfants des environs aidaient à la récolte, le nourrissage des poissons devenant pour eux un jeu. Les femmes et les enfants (qui n'ont pratiquement pas de revenu) étant les principaux acteurs, le coût de revient de ces aliments peut être considéré comme nul. En guise d'aliments, il s'agissait surtout d'escargots (46%), de riz (18%), de son de blé(9%), de son de riz (9%), de mollusques bivalves (5%) ou de déchets d'abattage d'animaux (5%). Dans d'autres cas, il s'agissait de termites, vers de terre, poudre de blé, bouse de vache, poisson, pain et lentilles d'eau. En moyenne, l'eau des trous d'élevage était remplacée tous les 10 à 12 jours. Le temps moyen dévolu aux poissons était de une heure par jour. Les responsables de l'élevage décidaient eux-mêmes de la gestion et, surtout, de la destination des poissons produits.



Résultat des efforts des participants: poissons-chats africains prêts à la consommation ou à la vente. Vingt ménages ne furent pas capables de produire des poissons marchands (>75 g), pour plusieurs raisons:

  • Support insuffisant de la part du personnel du projet (pas de visite endéans les trois jours après l'achat des alevins, pas de visite régulière toutes les trois à quatre semaines).
  • Pas assez de temps consacré à la gestion de l'élevage par la personne responsable dans le ménage (moins de une heure par jour)
  • .
  • Disparition des poissons (inondation ou fortes pluies).
Au cours d'une période de six mois, 158 ménages additionnels ont adopté cette nouvelle méthode de pisciculture sans l'intervention du personnel affecté au programme, un taux de diffusion de 158/200 = 0,79.



Saison d'élevage
La croissance du poisson-chat africain se poursuit aussi longtemps que la température de l'eau est supérieure à 20°C. Pour que le programme ait des résultats positifs, il faut donc qu'une température minimum de l'eau soit garantie. Ceci peut être obtenu soit en ne pratiquant l'élevage qu'en été, soit en n'utilisant que de l'eau à au moins 20°C. Certains participants par exemple remplaçaient chaque jour l'eau de leur trou d'élevage, utilisant de l'eau d'un puits à 21°C. Impact du programme

 

Impact du programme

La situation des femmes inclues dans le programme (80 % des participants) peut être décrite comme étant soit extrêmement dépendante de leurs maris, soit désespérée dans les cas où elles n'avaient pas de mari. Seulement un petit pourcentage des femmes (10%) gagnait un faible revenu (15.2 Taka/jour ou 30 cents US).Les autres dépendaient entièrement de ce que leur donnaient leurs maris ou de revenus de petits travaux occasionnels ou de commerce d'échanges. Un exemple d'un tel travail occasionnel est la production d'étuis de papier destinés à contenir le tabac de cigarettes locales (biri). Cette production qui se fait à domicile génère un revenu de 2,5 Taka par mille pièces. En moyenne un adulte peut produire ceci en trois heures, ce qui permet d'évaluer le revenu moyen de cette activité à 0,75 Taka (US$0,015) par heure. L'élevage de poisson-chat requiert en moyenne une heure de travail par jour pendant quatre mois pour la production de cinq kilogrammes de poisson (valeur 400 Taka), ce qui correspond à un revenu moyen de 3,33 Taka par heure.

Il est évident que le programme de pisciculture familiale a eu un impact énorme sur les gens qui se trouvaient dans la situation décrite ci-dessus. Si la production de cinq kilogrammes de poisson-chat (soit 400 Taka ou US$8) en quatre mois ne signifie pas grand chose dans les pays développés, pour les participants cela peut faire la différence entre avoir de la nourriture dans leur assiette et n'avoir rien du tout à manger.

Aspects environnementaux

C'est le poisson-chat africain qui est utilisé dans le programme de pisciculture familial parce qu'il présente des avantages, comme mentionné ci-dessus, qu'aucun autre poisson ne présente. La principale raison de le préférer au poisson-chat local (Clarias batrachus) est que son taux de croissance est bien plus élevé. Cependant, l'utilisation de cette espèce exotique pourrait présenter certains dangers. Au Bangladesh, la croyance populaire tend à considérer le poisson-chat africain comme un prédateur féroce, capable même de dévorer de petites chèvres. L'on craint donc de voir cette espèce anéantir les populations locales de poisson.

Cependant, aucun rapport scientifique n'existe concernant les impacts négatifs dont le poisson-chat africain aurait été responsable, alors que cette espèce est utilisée depuis une vingtaine d'années en Asie méridionale et, en particulier, depuis15 ans au Bangladesh. De plus, aucune observation n'a pu mettre en évidence la férocité de ce poisson au cours de la mise en œuvre du programme de pisciculture familiale au Bangladesh. Au contraire, il y est considéré comme un poisson omnivore paresseux, consommant tout ce qui se présente à lui.

Approvisionnement en alevins

Il existe à présent sous la forme d'une florissante industrie à Jessore (dans le Sud Ouest du Bangladesh), où des millions d'alevins de poisson-chat sont produits mensuellement Cette production est soit exportée (illégalement) vers l'Inde, soit vendue sur les marchés locaux. Des marchands d'alevins vendent des poissons-chats à travers tout le pays. Jusqu'à ce jour, la demande dans la zone du projet a été faible et ce marché a été considéré par les marchands d'alevins comme sans importance. Mais, aujourd'hui que le programme de pisciculture familiale est bien implanté, la demande en alevins augmente et les marchands spécialisés parcourent la zone pour vendre leurs alevins. Ils se présentent même directement chez les familles ce qui permet aux femmes aussi d'acheter des alevins.

Durabilité du programme

La "durabilité" du programme dépend entièrement de la disponibilité en alevins de l'espèce piscicole choisie. Aussi longtemps que les alevins nécessaires sont disponibles, le programme a toutes les chances de réussir.

RECOMMENDATIONS

Le programme utilise une espèce exotique, du moins dans le sous-continent indien. Afin de prévenir tout problème qui pourrait être associé à l'utilisation d'une espèce exotique, la méthode présentée devrait être essayée en utilisant des espèces locales. Celles-ci devraient répondre aux critères suivants:

  • Être capables de survivre dans une eau dépourvue d'oxygène dissous.
  • Être faciles à élever, se nourrissant de ce qui est disponible aux environs immédiats.
  • Avoir une croissance rapide.
  • Alevins bon marché et disponibles.
  • Être acceptées par les participants et au marché local.

Afin de s'assurer que le poisson-chat africain ne cause pas de désastre environnemental, il faudrait étudier scientifiquement la férocité potentielle de cette espèce avant de mettre en place un programme de développement à grande échelle vulgarisant cette méthode aux niveaux régional et interrégional.

Les participants utilisant des ressources communes situées aux environs immédiats de leurs habitations, une évaluation des conséquences que la pisciculture familiale pourrait avoir sur cet environnement devrait être faite. Bien que ceci n'ait pas fait partie des objectifs, il s'est avéré que le programme a contribué à l'amélioration de la situation des femmes et qu'il pourrait être utile dans les projets de développement orientés vers les questions liées aux spécificités de chaque sexe.

Il est apparu que la méthode décrite permet d'atteindre avec grand succès la partie la plus pauvre de la population dans la zone du projet. Les participants se sont montrés très motivés et pleins d'initiatives. Si la recherche confirme que la méthode n'a pas d'effets potentiellement négatifs, elle devrait être vulgarisée non seulement au Bangladesh à l'échelle nationale mais aussi au-delà de ses frontières.

A travers son programme régulier d'aquaculture, la FAO encourage l'intégration de l'aquaculture dans les moyens de subsistance ruraux. Le programme décrit ci-dessus est un excellent exemple d'une telle intégration, avec en prime la mobilisation d'un groupe de personnes difficilement atteintes par des programmes aquacoles "normaux". Le sens de "propriété", la possibilité de prendre des décisions concernant l'application de la méthode, est entièrement entre les mains des participants du programme. Ceci leur donne un sens de responsabilité et permet à des gens appartenant au segment le plus pauvre de la société d'appliquer avec succès une méthode de production aquacole. Tous ces facteurs résultent en un programme de développement à la base, couronné de succès, qui pourrait être appliqué dans tout programme de développement rural. Le Comité de rédaction.