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Dégradation et remise en état de bassins versants d'altitude: les monts Jizera en République tchèque

J. Keek et Z. Hoická

Josef Keek est professeur
agrégé au Département
d'hydrologie, de l'Université
technique tchèque de Prague
(République tchèque).

Zuzana Hoická est maître
de conférences au Département
d'hydrobiologie de l'Université Charles
de Prague (République tchèque).

L'aménagement des bassins versants peut contribuer à purifier l'eau altérée par la pollution atmosphérique et par des pratiques sylvicoles nuisibles.

Sites dégradés de la région du «Triangle noir» en République tcheque

Dans les années 70 et 80, les bassins versants des monts Jizera, dans le nord de la Bohème, en République tchèque, ont été dégradés par des dépôts atmosphériques acides (principalement sulfates provenant de la combustion du lignite) et par des pratiques sylvicoles nuisibles. La partie amont avait beau être une zone protégée, il a fallu attendre les années 90 pour que le bassin versant soit géré dans une optique écologique. L'érosion du sol et les ruissellements de sédiments ont nui à la qualité de l'eau dans les rivières, les plans d'eau et les réservoirs. Les faibles valeurs du pH et la haute teneur en métaux toxiques des eaux de surface ont causé la disparition des poissons et la réduction des populations d'autres organismes aquatiques.

La remise en état des bassins versants d'altitude, dans les monts Jizera, a commencé dans les années 90, avec l'avènement des réformes politiques et économiques en Europe de l'Est. Les dépôts atmosphériques de sulfate ont diminué et la protection de la nature et la régénération du paysage ont reçu une plus grande attention (Keek, 1994; Grennfelt et al., 1995; Haigh et Keek, 2000).

Le présent article montre comment la qualité de l'eau a été améliorée durant la dernière décennie, sous l'effet combiné d'une réduction de la pollution atmosphérique et de pratiques d'aménagement des bassins versants, qui ont comporté l'abattage de peuplements d'épicéas (réduisant la surface foliaire) et le chaulage du réservoir et du bassin versant. Les valeurs annuelles moyennes du pH ont augmenté et les concentrations d'aluminium ont baissé, ce qui a permis de rempoissonner. Un retour aux pratiques sylvicoles traditionnelles (débusquage du bois à cheval ou par câble, respect des zones ripariennes, débusquage saisonnier et reboisement manuel), a contribué à la stabilisation des bassins versants d'altitude.

CARACTÉRISTIQUES DU SITE

La région des monts Jizera (350 km², latitude 50°40' à 50°52', longitude 15°08' à 15°24', zone tempérée humide) fait partie du fameux «Triangle noir» qui est l'épicentre des dépôts atmosphériques acides en Europe. Le couvert forestier y est de 83 pour cent. Les essences forestières indigènes sont le hêtre commun (Fagus sylvatica), l'épicéa commun (Picea abies) et le sapin argenté (Abies alba). La région comprend un plateau de 200 km², d'une altitude supérieure à 800 m (point culminant, 1 124 m), avec des pentes douces presque entièrement boisées. La composition des espèces a été considérablement modifiée au XXe siècle, où les plantations d'épicéas sont devenues dominantes (90 pour cent des forêts de montagne).

Les précipitations annuelles moyennes augmentent avec l'altitude, dans une fourchette de 800 à 1 600 mm (niveau de pluviométrie le plus élevé en République tchèque), alors que la température annuelle moyenne de l'air diminue avec l'altitude, et tombe de 8 °C à 4 °C entre 300 et 900 m au-dessus du niveau de la mer. Le haut plateau (plus de 800 m) est normalement recouvert de neige du début novembre jusqu'à la fin avril, l'épaisseur maximale moyenne du manteau neigeux étant de 120 cm. La roche de fond (granit) et les sols podzoliques peu profonds sont extrêmement sensibles à l'acidification. Les ruissellements de surface dominent, l'eau souterraine n'étant présente que dans les couches de subsurface peu profondes. Entre 1902 et 1909 (après les inondations catastrophiques de 1897), cinq réservoirs hydriques ont été construits dans les monts Jizera, pour protéger les villes et les villages d'aval. Le système d'adduction de l'eau potable est postérieur aux années 60.

En 1956, le gouvernement a institué la Région naturelle protégée des monts Jizera pour préserver son patrimoine naturel unique. Pour soutenir la conservation des eaux et des sols, d'importance cruciale, la partie supérieure des monts Jizera a été proclamée zone protégée par un décret du gouvernement en 1978. Malheureusement, la proposition d'aménagement «écologique» du bassin versant (comportant des restrictions des coupes rases) n'a pas été mise en pratique.

DOMMAGES CAUSÉS AUX BASSINS VERSANTS DANS LES ANNÉES 80

Dans les années 80, les bassins versants recouverts d'une forêt d'épicéas, en particulier sur le haut plateau, ont été gravement endommagés par des dépôts atmosphériques acides (provenant de la combustion du lignite) et des pratiques sylvicoles inappropriées, notamment: plantations d'épicéas moins résistants (plus sensibles aux stress écologiques dus au climat, au vent, à la pollution de l'air, aux dépôts acides, et aux infestations d'insectes), exploitation extensive par coupe rase avec emploi d'engins lourds et échec de la lutte contre les infestations d'insectes. Les opérations de reboisement ont été inefficaces, principalement en raison de la forte compétition d'une herbe envahissante, Calamagrostis villosa.

Exemples de stress dans les bassins versants des monts Jizera: dépérissement des plantations d'épicéas et coupes rases extensives dans le bassin versant du réservoir de Sous, 1991

- J. KEEK

Impact des pratiques sylvicoles inappropriées

Environ 100 km² (50 pour cent de la superficie du haut plateau) ont été exploités dans les années 80. La technologie d'exploitation par coupe rase (et plus particulièrement le débusquage du bois à l'aide d'engins de traction lourds) a compacté environ 10 pour cent de la superficie du sol, ce qui a réduit sa capacité d'infiltration, tombée de 150 à

40 mm par heure. L'établissement d'un réseau de chemins de débardage et l'allongement des canaux périodiques ont entraîné une érosion intense du sol et des ruissellements de sédiments, qui ont dégradé la qualité de l'eau dans les cours d'eau et les réservoirs.

La densité des chemins de débardage et de leur réseau de drainage sur le haut plateau des montagnes est passée de 1,3 à 4,7 km par kilomètre carré. De ce fait, la proportion des ruissellements de surface, qui se produisaient uniquement le long des chemins de débardage, est passée de 52 à 68 pour cent et la capacité de rétention des bassins versants a décliné. L'érosion du sol s'est intensifiée de 0,01 à 1,34 mm, et les ruissellements de sédiments ont augmenté, passant de 8 à 30 pour cent du volume de sol érodé.

Érosion du sol dans les chemins de débardage du bassin versant de Jizerka (1993) - ayant conduit à une détérioration de la qualité de l'eau des fleuves et des réservoirs

- J. KEEK

Dépôts atmosphériques acides

La charge atmosphérique acide mesurée en pleins champs a atteint un pic à la fin des années 80 (figure 1).

1
Concentration annuelle moyenne de SO2 dans l'air, monts Jizera, 1972-1993

Note:
Jizerka, altitude 860 m, plateau oriental; Bedrichov, altitude 760 m, plateau central; Hejnice, altitude 400 m, frange nord des montagnes.

Le sulfate et le nitrate représentaient respectivement 45 pour cent et 16 pour cent des dépôts atmosphériques totaux. En conséquence, la concentration de SO2 dans l'air a diminué sous l'effet de la baisse de production des centrales à charbon d'Europe centrale, en particulier en Allemagne de l'Est. Dans les années 90, la charge atmosphérique acide en pleins champs était de l'ordre de 40 pour cent du niveau de 1987. Toutefois la charge atmosphérique en soufre, observée sous végétation, en particulier dans les forêts d'épicéas, restait nettement plus élevée qu'en pleins champs (tableau 1). Sous le couvert d'arbres, les dépôts de soufre diminuent avec la défoliation des peuplements d'épicéas et l'apparition d'espèces décidues.

TABLEAU 1. Dépôts annuels de soufre sous le couvert forestier, 1996-2000a

Peuplement
forestier

Altitude
(m)

Essence
forestière

Âge
(années)

Nombre
Arbres

Nombre
d'arbres morts

Défoliation
(%)

Précipitations
(mm)

Eau d'égouttement
(mm)

Pluie
pH

Eau d'égouttement
pH

Dépôts de soufre
(kg/ha)

Plein champ

Canopée

1

650

Hêtre commun

140-150

32

0

15

852

690

4.10

4.26

7.2

10.5

3

750

Epicéa commun

80-100

82

10

35

1206

856

4.15

3.65

12.2

32.5

2

780

Epicéa commun

80-100

76

5

40

1182

804

4.08

3.68

12.5

34.3

4

980

Epicé commun

80-100

120

38

75

1308

1007

4.12

3.82

13.5

35.6

a FQuatre peuplements forestiers (30 x 30 m, 900 m²) ont été équipés de 10 pluviomètres pour recueillir l'eau de pénétration par les frondaisons et l'eau d'écoulement (le long des troncs).

DÉGRADATION DES COURS D'EAU ET DES RÉSERVOIRS

Depuis 1982, une enquête hydrologique a été réalisée sur une longue période pour suivre les effets écologiques des dépôts acides et des pratiques sylvicoles. L'enquête a été menée dans:

 

TABLEAU 2. Caractéristiques des réservoirs étudiés

Réservoir

Année
de création

Altitude
(m)

M Profondeur maximale
(m)

Volume
(106 m3)

Superficie au sol
(ha)

Bassin versant
(km2)

Intervalle entre l'entrée
et la sortie de l'eau
(jours)

Bedrichov

1905

775

13.5

2.1

37

4.3

41

Sous

1915

769

19.3

7.6

86

14.0

179

Josefuv Dul

1982

733

38.2

23.3

145

19.8

464

Source: Stuchlik et al., 1997.

L'enquête a révélé une détérioration sensible de la qualité de l'eau dans les rivières et les réservoirs des monts Jizera dans les années 70 et 80, avec: chute des valeurs du pH, tombées entre 4 et 5 (tableau 3); augmentation de la teneur en aluminium, passée de 1 à 2 mg par litre, avec concentration élevée de ses formes toxiques (Al³+ libre et composés d'aluminium inorganique); et diminution de la faune benthique. Dans les réservoirs de Bedrichov, Sous et Josefuv Dul, la disparition des poissons a été attestée et le zooplancton et le phytoplancton (algues) ont considérablement diminué (Stuchlik et al., 1997). La composition spécifique du phytoplancton dans les réservoirs (peu de taxons, avec dominance de dinophycées, principalement Peridinium sp.) reflète l'acidité de l'eau. Le zooplancton était rare, les organismes dominants étant les rotifères (Brachionus sericus et Keratella valga) et les crustacés (Ceriodaphnia quadrangula et Cyclopidae spp). Les variations saisonnières de la composition chimique de l'eau (acidification transitoire après la fonte des neiges ou après de fortes averses) étaient relativement importantes (figure 2).

TABLEAU 3. Qualité de l'eau dans les réservoirs (valeurs moyennes, minimales et maximales), 1993-1997

Réservoir

Bassin versant
soumis à coupe rase
(%)

pH

Alcalinité
(meq/litre)

Sulfate
(mg/litre)

Moyen

Min

Max

Moyen

Min

Max

Moyen

Min

Max

Bedrichov

58

5.2

4.6

5.5

4.8

-26.2

+20.8

10.4

6.2

15.5

Sous

73

5.5

4.5

6.1

19.3

-28.8

+64.3

6.9

3.8

10.0

Josefuv Dul

42

5.0

4.7

5.3

2.2

-54.0

+10.6

14.2

11.3

18.2


2
Variations saisonnières du pH dans le réservoir de Bedrichov, 1995

RESTAURATION DE LA QUALITÉ DE L'EAU GRÂCE À L'AMÉNAGEMENT DU BASSIN VERSANT

Dans les eaux de surface, les premiers signes d'amélioration ont été observés à la fin des années 80, à la suite de la réduction de la surface foliaire des plantations d'épicéas qui a donné lieu à une diminution des dépôts acides sous le couvert d'arbres. Dans le bassin expérimental de Jizerka, la coupe rase de peuplements d'épicéas adultes, et leur remplacement par de jeunes plants de la même espèce, a entraîné une diminution de l'indice foliaire, tombé de 18,5 dans les forêts d'épicéas adultes à un maximum saisonnier de 2,7 (dans les étendues recouvertes de jeunes épicéas et d'herbe) et a augmenté de 108 mm l'apport d'eau annuel (niveau observé pour la période 1991-2000: 872 mm contre 764 mm pour la période 1981-1985, où le bassin versant était encore couvert d'épicéas adultes). Cela a eu un effet sur l'évapotranspiration annuelle à long terme, qui est tombée de 543 mm (peuplements d'épicéas adultes) à 355 mm (nouveaux peuplements de jeunes épicéas et herbe).

Après la coupe rase des peuplements d'épicéas, des signes d'amélioration ont été décelés dans la composition chimique de l'eau des rivières du bassin versant de Jizerka (figure 3): augmentation des valeurs annuelles moyennes du pH passées de 4,0 à 5,3, diminution des concentrations de sulfate et de nitrate, respectivement tombées de 13 à 6 mg par litre et de 6 à 4 mg par litre.

3
Composition chimique de l'eau des rivières après la coupe rase des peuplements d'épicéas adultes, bassin versant de Jizerka, 1982-2000

Depuis les années 90, les forêts sont exploitées selon des méthodes traditionnelles respectueuses de l'environnement: limitation des coupes rases (petits parterres de coupe), débusquage du bois à cheval ou par câble, débardage saisonnier et respect de zones ripariennes tampons. La maîtrise des ravines - petits canaux creusés par l'érosion - dépend de la succession de végétaux par rapport à la profondeur, à la pente et à la longueur des ravines. Or, près de 90 pour cent des ravines se sont stabilisées naturellement.

Utilisation d'espèces indigènes

Les essences forestières indigènes à enracinement profond (hêtre, pin) peuvent être bénéfiques pour la stabilité de l'écosystème, en incluant les horizons du sous-sol dans le recyclage des nutriments, en minimisant le lessivage des éléments nutritifs et en contribuant à la stabilisation des pentes (notamment en réduisant la vulnérabilité au vent). Les forêts semi-naturelles de hêtres (forêts indigènes exploitées selon le système de la coupe sélective, principalement pour favoriser le recrû naturel) résistent mieux à l'acidité que les plantations d'épicéas et poussent naturellement sur les versants abrupts des monts Jizera. Elles jouent un rôle essentiel dans la stabilité du sol, le maintien du microclimat forestier et le régime hydrologique. Dans les forêts de hêtres, les dépôts de substances acides sous le couvert d'arbres sont plus faibles - 30 pour cent des niveaux observés dans des peuplements d'épicéas comparables (tableau 1). On en déduit que les peuplements forestiers de composition similaire à leur structure originelle (tableau 4) pourraient contribuer à la maîtrise à long terme de l'acidification.

TABLEAU 4. Pourcentage des essences forestières dans les bassins versants des monts Jizera, en 1700, 1810 et 1968

Essence forestière

1700

1810

1968

Sapin argenté

33

17

0

Épicéa commun

32

41

89

Pin sylvestre

0

7

2

Hêtre commun

32

31

8

Conifères

65

65

91

Décidues

35

35

9

Chaulage pour rendre l'eau plus alcaline

Depuis 1998, le réservoir de Sous est chaulé chaque année après la fonte des neiges (application aérienne de poudre de calcite, à raison de 10 à 12 g par mètre cube, particules inférieures à 0,2 mm) pour augmenter le pH et détoxifier l'eau. Le chaulage a sensiblement augmenté l'alcalinité de l'eau du réservoir, ce qui avait aussi été le cas dans les pays scandinaves, dans les années 80 (Brocksen et Wisniewski, 1988). Toutefois, le chaulage favorise une variation saisonnière du pH de l'eau du réservoir (figure 4) et entraîne des transformations radicales de la composition chimique de l'eau, qui peuvent être à l'origine de changements imprévisibles dans la productivité en phytoplancton et zooplancton dans le réservoir (thème actuellement à l'étude).

Les forêts semi-naturelles de hêtres (ici, dans le bassin versant du réservoir de Raspenava) contribuent à stabiliser le sol grâce à leurs racines profondes, et tolèrent mieux l'acidité que les plantations d'épicéas

- J. KEEK


4
Variations saisonnières du pH dans le réservoir de Sous, sous l'effet du chaulage, 1999

REMPOISSONNEMENT

Depuis les années 50, les poissons avaient disparu des eaux de surface du haut plateau des monts Jizera, en raison de l'acidification excessive du milieu et de la teneur élevée en métaux toxiques.

Le suivi à long terme des effets des processus affectant les bassins versants sur la qualité de l'eau et le biote, dans les réservoirs et les cours d'eau, a commencé en 1991; 20 grands cours d'eau et six réservoirs ont été sondés périodiquement. La transparence, la conductivité, le pH et la teneur en oxygène dissous ont été mesurés in situ. Des tests de laboratoire ont été effectués pour analyser le pH, la conductivité, l'alcalinité, la concentration en cations et en anions, la concentration en phosphore total et en carbone organique dissous. Le phytoplancton et le zooplancton ont été identifiés et comptés dans des échantillons.

L'amélioration des paramètres physiques et chimiques des eaux, observée au début des années 90, a permis d'envisager la réintroduction des poissons.

En 1991, l'omble moucheté (Salvelinus fontinalis, ou truite de mer, espèce tolérant le mieux l'acidité) et la truite brune (Salmo trutta - fario) ont été réintroduits à titre expérimental dans le réservoir de Bedrichov et dans les eaux qui s'y déversent. Un inventaire des populations de poissons dans les cours d'eau a été effectué après la fonte des neiges (mai), en été (juillet) et pendant la période de reproduction (octobre). Les poissons ont été inventoriés par pêche électrique (capture des poissons facilitée par des chocs électriques, et remise à l'eau des poissons après inventaire) dans des transects de 30 à 60 m de long, dans des cours d'eau. Les ombles ont survécu et se sont reproduits; durant les années suivantes, l'observation de la population a révélé une quantité suffisante de nourriture, une structure des âges équilibrée et une croissance individuelle satisfaisante. Les exemplaires de truites brunes ne mangeaient pas à leur faim et ne se sont pas reproduits.

En 1996, le réservoir de Sous et les eaux qui s'y déversent ont été empoissonnés avec 30 000 alevins d'omble moucheté. Le taux de survie a également été satisfaisant. Toutefois, les concentrations d'aluminium et de métaux lourds dans les muscles et le foie des poissons restent supérieures aux normes (tableau 5). Cela s'explique par la concentration extrêmement élevée de ces substances dans la nourriture des poissons, principalement constituée d'espèces benthiques, comme les éphéméropthères (mouches de mai) et les trichoptères (espèce dominante: Hydropsyche sp.).

TABLEAU 5. Polluants présents dans l'organisme de l'omble moucheté - Réservoirs de Bedrichov et de Sous, 1996-2000

Polluant

Tissus du poisson
(mg/kg)

Aliments des poissons
(mouches de mai et trichoptères)
(mg/kg)

Limite hygiénique
(mg/kg)

Muscles

Foie

Mercure

0.04-2.6

0.05-6.2

0.1-0.5

0.01

Cadmium

0.1-0.4

0.4-6.2

0.3-4.0

0.05

Plomb

1.4-2.7

1.3-7.0

1-54

1.0

Aluminium

6.6-18.2

13.1-90.7

150-218

30.0

En 1999-2000, le rempoissonnement a été poursuivi dans le réservoir de Josefuv Dul. Pour accroître la résistance de la nouvelle population, les alevins utilisés pour le repeuplement ont été produits dans l'eau froide d'une rivière fortement acidifiée.

La survie des poissons dans les eaux de surface du haut plateau des monts Jizera semble être limitée par des chutes transitoires des valeurs du pH et par la concentration de formes toxiques d'aluminium (Al3+ libre, et composés d'aluminium inorganique). La mobilisation d'aluminium toxique semble significative lorsque le pH de l'eau est inférieur ou égal à 5,3. Sur la base du taux de survie des poissons, on considère que 300 µg par litre est le seuil de toxicité de l'aluminium. Dans les eaux superficielles, ces deux seuils sont encore dépassés durant la fonte des neiges et les averses torrentielles.

Pêche électrique pour inventorier les populations de poisson dans les affluents du réservoir de Bedrichov, août 1996

- J. KEEK

Le suivi d'impact sur la qualité de l'eau englobait des mesures in situ du pH, de la conductivité et de l'oxygène dissous (réservoir de Bedrichov, mars 1995)

- J. KEEK

DISCUSSION ET CONCLUSIONS

Dans nombre de régions montagneuses d'Europe centrale, les forêts de conifères sont en train de changer pour s'adapter à un environnement en évolution (Teller, Mathy et Jeffers, 1992). Dans les années 80, les bassins versants des montagnes de Jizera ont été dégradés par des dépôts atmosphériques acides excessifs, par le dépérissement des plantations d'épicéas et par des pratiques d'exploitation nuisibles dans les forêts commerciales. Les forêts des monts Jizera sont parmi les écosystèmes les plus sensibles d'Europe: le soubassement à désintégration lente et les sols podzoliques peu profonds, avec un pool de cations basiques très peu profond, ont une capacité tampon insuffisante pour résister aux dépôts acides.

La récente amélioration de la qualité des eaux de surface dans les monts Jizera résulte à la fois de la diminution de la pollution atmosphérique et d'une réduction de la surface foliaire (ainsi que de la rugosité de la canopée) après la coupe rase des peuplements d'épicéas; le chaulage des réservoirs et des bassins versants a également joué un rôle. Les valeurs du pH de l'eau sont passées de 4 -5 à 5 - 6; les concentrations d'aluminium ont chuté de 1 et 2 mg par litre à 0,2 et 0,5 mg par litre; et l'omble moucheté (Salvelinus fontinalis) a été réintroduit avec succès dans les réservoirs d'amont.

Le chaulage a ostensiblement accru l'alcalinité de l'eau des réservoirs. Toutefois, un changement radical de la composition chimique de l'eau pourrait être à l'origine de modifications imprévisibles de la productivité du phytoplancton et du zooplancton dans les réservoirs, et créer des problèmes pour le traitement de l'eau. Le chaulage des bassins versants, pour réduire l'acidité des sols, comporte aussi de nombreux risques sur les sites à minéralisation excessive.

La revitalisation des bassins d'amont devrait perdurer sans intervention additionnelle (Haigh et Keek, 2000). La charge d'acidité atmosphérique dans les forêts des monts Jizera (500 à 700 équivalents acide par hectare et par an) reste supérieure d'environ 50 pour cent au seuil critique (RIVM, 1993).

À long terme, il devrait être possible d'améliorer la qualité de l'eau en plantant des peuplements de composition similaire à celle des forêts naturelles (forêts décidues ou mixtes avec surface foliaire et rugosité de surface inférieures à celles des plantations d'épicéas). Les essences forestières naturelles à enracinement profond (hêtre, pin) peuvent aussi améliorer la stabilité de l'écosystème, en incluant les horizons du sous-sol dans le recyclage des nutriments, en minimisant le lessivage des éléments nutritifs et en stabilisant les pentes. La gestion des bassins versants d'altitude devrait englober des pratiques sylvicoles traditionnelles respectueuses de l'environnement: restrictions des coupes rases, plantations-écran, débusquage du bois à cheval ou par câble, débusquage saisonnier, reboisement manuel. Le respect des zones ripariennes est essentiel pour la stabilisation des bassins versants d'altitude. 

Bibliographie


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