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Chapitre 4 - Les contrôles des moyens de production et de la production: gérer l'effort de pêche et les captures pour assurer une pêche responsable par John POPE


Norfolk, Royaume-Uni

1 INTRODUCTION

Les ressources halieutiques sont limitées. Ainsi, si la pression d'exploitation due à la pêche n'est pas contrôlée d'une façon ou d'une autre, elle augmentera jusqu'à ce que, dans le meilleur des cas, la pêcherie connaisse une rupture y compris sur le plan

économique et, au pire, le stock de poissons s'épuise faute de pouvoir se reproduire. Il existe différentes formes possibles de gestion:

La conservation des stocks de poissons est au centre du Code de conduite de la FAO pour une pêche responsable (FAO, 1995), car s'il n'y a pas de poissons, tous les autres objectifs disparaissent (paragraphes 6.2, 6.3, 7.1.1 et en particulier 7.2.1). Par conséquent, limiter l'intensité d'exploitation est un outil essentiel de conservation (paragraphes 7.1.8 et 7.6.1). C'est pourquoi ce chapitre décrit comment on peut y parvenir en limitant les moyens de production (effort de pêche) et la production (captures). Il explique les exigences et les avantages de ces méthodes de conservation, ainsi que les problèmes qu'elles posent.

2 QUE SONT LES CONTRÔLES DES MOYENS DE PRODUCTION ET DE LA PRODUCTION?

2.1 Les contrôles des moyens de production ou la gestion de l'effort de pêche

Selon la définition ci-dessus, le contrôle des moyens de production consiste à imposer des limites à l'intensité de l'utilisation des engins dont les pêcheurs se servent pour capturer les poissons. Le plus souvent, il s'agit de restrictions visant le nombre et la taille des navires de pêche (contrôles de la capacité de pêche), le temps pendant lequel les navires sont autorisés à pêcher (contrôles de l'utilisation des navires), ou le produit de la capacité et de l'utilisation (contrôles de l'effort de pêche). L'effort de pêche constitue fréquemment une mesure utile de la capacité d'une flotte à capturer chaque année une proportion donnée du stock de poissons. Quand l'effort de pêche s'intensifie, toute chose restant égale par ailleurs, on s'attend à ce que la proportion des poissons capturés augmente.

Dans certaines pêcheries, les navires peuvent déployer une quantité variable d'engins de pêche. Dans ces cas-là, un facteur relatif à l'utilisation des engins par navire devrait aussi figurer dans la définition de l'effort de pêche. En principe, les contrôles des moyens de production peuvent également concerner les limites imposées à d'autres intrants qui sont essentiels à la pêche, par exemple la quantité de fuel autorisée (la conservation de l'énergie est souhaitable; voir paragraphes 8.6.1 et 8.6.2 du Code de conduite), mais la forme de contrôle des moyens de production la plus courante concerne les différentes composantes de l'effort de pêche. Dans les pêcheries les plus simples et les moins mécanisées, les contrôles des moyens de production peuvent concerner le nombre d'engins de pêche déployés (par exemple le nombre de pièges fixes) ou le nombre de pêcheurs individuels autorisés à pêcher.

2.2 Les contrôles de la production ou la gestion des captures

Les contrôles de la production sont les limites directes de la quantité de poisson qui sort d'une pêcherie donnée (par poisson, on entend ici également les coquillages et autres animaux aquatiques vivants prélevés). Parmi les formes évidentes de contrôle de la production, on peut citer les limites imposées au tonnage de poisson ou le nombre de poissons qui peuvent être capturés dans une pêcherie pendant une période de temps donnée (par exemple le total admissible de capture, soit en fait généralement le total des débarquements autorisés). Une autre forme de contrôle de la production est la limite de la poche (limitation du nombre de poissons qui peuvent être débarqués en une journée), qui est utilisée dans de nombreuses pêcheries récréatives. La limitation des prises accessoires peut également être considérée comme un contrôle de la production. Il convient de noter immédiatement que, pour limiter l'intensité de pêche, il faut (à moins que les poissons ne soient relâchés vivants, ce qui est rarement le cas) limiter les captures (la quantité prélevée de la mer), plutôt que la quantité débarquée (qui peut n'être qu'une partie choisie de la capture). La partie non débarquée de la capture (les rejets) peut représenter une proportion importante des captures totales (Alverson et al., 1994) et risque de compromettre le but de la gestion des captures.

2.3 La nécessité de contrôler de façon générale la gestion de l'effort et des captures

Il est important de noter que la gestion de l'effort de pêche ou la gestion des captures ne seront probablement efficaces que si elles s'appliquent à tous les pêcheurs d'une pêcherie (ou tout au moins à la grande majorité d'entre eux). Les contrôles partiels laissent au secteur non contrôlé de la pêcherie l'occasion d'intensifier ses activités dans toute brèche laissée ouverte par les contrôles exercés sur d'autres parties de la pêcherie. Auparavant, un certain nombre de pays contrôlaient seulement l'effort des plus grosses unités de pêche au motif qu'elles exerçaient le plus de pression d'exploitation. Les petites embarcations des flottes de pêche n'étaient pas contrôlées parce qu'on pensait qu'elles ne prélevaient qu'une faible portion des captures. On a ainsi assisté à une expansion incontrôlée du secteur des petits bateaux qui, grâce aux techniques modernes, peuvent tuer les poissons de façon très efficace. En conséquence, le Code de conduite encourage les responsables de l'aménagement à appliquer les mesures à tous les navires relevant de leur juridiction (paragraphes 6.10 et 7.6.2).

3 POURQUOI POURRIEZ-VOUS DÉSIRER RECOURIR À LA GESTION DE L'EFFORT OU DES CAPTURES?

3.1 Quel est leur lien avec les objectifs de l'aménagement des pêcheries?

La réponse rapide au titre de cette section est donnée dans l'introduction du présent chapitre. C'est parce que les ressources halieutiques sont limitées, et si la mortalité par pêche n'est pas contrôlée, elle augmentera jusqu'à ce que la pêcherie ne soit plus rentable ou que les stocks s'effondrent au point de disparaître (voir chapitre 6, section 2). Ainsi, dans la plupart des cas, la gestion de l'effort de pêche ou la gestion des captures sont considérées comme de strictes mesures de conservation.

Réduire le degré d'exploitation en gérant l'effort ou les captures est une façon de protéger les stocks de poissons de la surexploitation ou d'encourager la reconstitution des stocks épuisés par suite de la surexploitation. Cela permet ainsi d'assurer la conservation biologique des stocks de poissons. Cependant, comme il est précisé au chapitre 7, les pêcheries font obligatoirement appel à des personnes et, outre les objectifs biologiques, elles ont donc aussi des objectifs sociaux et économiques. Ainsi, il est peut-être naïf de considérer ces mesures ou d'autres mesures de gestion comme de simples outils de conservation. Les objectifs sociaux et économiques posent la question de savoir pourquoi les gens pêchent et pourquoi les responsables de l'aménagement souhaitent tout particulièrement assurer la conservation des poissons. Pour ces raisons, le Code de conduite demande aux gestionnaires de prendre en compte les facteurs sociaux et économiques quand ils fixent des objectifs et mettent au point des méthodes d'aménagement (paragraphes 7.2.2 et 7.6.7). Il est donc important d'examiner comment la gestion de l'effort de pêche ou des captures peut influer sur les résultats sociaux et économiques de la pêcherie. En procédant ainsi, les responsables de l'aménagement peuvent choisir des méthodes qui correspondent bien aux résultats qu'ils escomptent, ou tout au moins éviter les approches qui auraient des effets non désirés (FAO, 1985; Pope, 1983; McGoodwin, 1990).

L'effort de pêche incontrôlé tend à s'intensifier jusqu'à ce que, en moyenne, les pêcheurs individuels ne fassent dans le meilleur des cas que des bénéfices modérés, et souvent n'en fassent plus du tout. Quand les pêcheries ne sont pas aménagées, cette tendance conduit fréquemment à une surexploitation biologique de la pêcherie, cette dernière étant soumise à un effort de pêche trop intense, d'où un taux annuel de prélèvement excessif. En conséquence, les poissons sont pêchés avant d'avoir réalisé leur plein potentiel de développement, et souvent avant d'avoir pu se reproduire, ce qui dans ce dernier cas est évidemment beaucoup plus préjudiciable. Dans les pêcheries monospécifiques, il suffit parfois d'imposer des mesures techniques de conservation appropriées pour empêcher la surexploitation biologique en protégeant les jeunes poissons et/ou les poissons reproducteurs et/ou en rendant la pêcherie suffisamment inefficace pour que le niveau de profit zéro soit atteint avant que le stock ne soit surexploité. Si l'on souhaite atteindre l'objectif social d'un maximum d'emplois découlant de la pêcherie, cette méthode de gestion peut paraître parfaitement raisonnable. Il suffit d'empêcher les pêcheurs de faire ce qui amènerait à la surexploitation (par exemple, épuiser le stock reproducteur) et de les laisser ensuite pêcher autant qu'ils le désirent. Cependant, cette méthode peut échouer si les coûts liés à l'exploitation diminuent (par exemple, si les engins de pêche deviennent moins chers et plus efficaces, ou si le prix du fuel baisse), ou si le prix du poisson augmente. En conséquence, le Code de conduite encourage à limiter la capacité de pêche pour empêcher une augmentation incontrôlée du niveau des activités halieutiques (paragraphes 7.1.8 et 7.6.1).

Une méthode technique d'aménagement peut également poser des problèmes s'il y a plus d'une espèce visée dans la pêcherie ou si l'on y fait des prises accessoires d'espèces vulnérables non visées (par exemple des mammifères marins). Il se peut qu'une mesure technique de conservation convienne bien à une espèce dont la taille adulte est faible et ne convienne pas à une espèce dont la taille adulte est plus grande mais qui est exploitée en même temps par les mêmes navires de pêche. On peut citer à cet égard des exemples de pêche aux poissons plats - plies et soles - dans les pêcheries au chalut à perche de l'Europe septentrionale. Le maillage est inférieur à un maillage optimal pour les plies, afin de permettre la capture de la sole de Douvres, qui est petite mais de plus grande valeur. Ainsi, limiter les moyens de production ou la production dans de telles pêcheries multispécifiques peut être la meilleure façon de les gérer pour éviter la surexploitation biologique.

Si l'on souhaite maximiser les retombées économiques de la pêcherie, des méthodes autres que les mesures techniques s'imposent. Quand la totalité des retombées économiques doit aller à l'Etat, il suffit d'avoir recours à des mesures fiscales telles que les impôts. Si de telles mesures sont établies à un niveau adapté à l'économie de la pêcherie, elles peuvent permettre de tirer une rente de la pêcherie et en même temps amener les pêcheurs à atteindre le point de rupture ou le seuil de non rentabilité avec l'effort de pêche, qui évite la surexploitation du stock. Cependant, si on veut qu'au moins une partie des bénéfices aille au secteur halieutique, il faut empêcher les pêcheurs d'intensifier leur effort de pêche à un certain niveau avant d'atteindre le seuil de non rentabilité. Il faut également chercher comment les empêcher de gaspiller leurs bénéfices en investissant dans d'autres moyens de production incontrôlés, ou de s'autoriser des pratiques telles que le rejet des poissons de moindre valeur pour augmenter la qualité des captures débarquées (Townsend [1998] examine les nouvelles approches). Ainsi, on peut recourir à la gestion de l'effort de pêche ou des captures pour réaliser les objectifs biologiques et les objectifs sociaux ou économiques des pêcheries, ou parvenir à un compromis entre les avantages biologiques, économiques et sociaux (voir chapitre 5). Cependant, la façon dont les objectifs sociaux et économiques se compensent dans la pratique varie selon le mode de répartition entre pêcheurs des restrictions visant les captures ou l'effort. Cette question est étudiée au chapitre 6.

4 COMMENT POURRIEZ-VOUS IMPOSER LA GESTION DE L'EFFORT ET LA GESTION DES CAPTURES?

4.1 La nécessité de restreindre l'octroi des licences

Il ressort des paragraphes qui précèdent que la gestion de l'effort et la gestion des captures peuvent servir les objectifs biologiques, économiques et sociaux d'une pêcherie. Il y a plusieurs façons de mettre en place la gestion de l'effort ou des captures, mais c'est la manière de les imposer qui déterminera quels objectifs seront éventuellement atteints. Les pays exigent normalement que les navires de pêche aient une licence. L'Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons (article 18) demande à l'Etat du pavillon de contrôler ses navires au moyen de licences, d'autorisations ou de permis lorsqu'ils pêchent en haute mer (voir aussi Code de conduite, paragraphes 7.6.2, 8.1.1, 8.1.2 et 8.2.1). Cependant, en règle générale, ces plans fondamentaux d'enregistrement ne sont pas en eux-mêmes restrictifs; par exemple, on peut normalement obtenir une licence en remplissant un formulaire et en payant une redevance symbolique. Bien que de tels plans soient utiles pour servir de base aux statistiques et à certaines formes de contrôle des pêcheries, ils ne limitent pas le niveau d'exploitation, à moins d'être associés à un plan de limitation d'accès.

De toute évidence, les mesures visant à limiter les moyens de production exigent un octroi restrictif des licences, qui limite le nombre total de navires pratiquant un certain type de pêche, de même que leur puissance de pêche. Souvent, pour que les plans de restriction se heurtent à une opposition moins forte, la licence peut être accordée au départ à tous les navires, même si certains ne participent que rarement à la pêcherie. Ces navires peu utilisés constituent une capacité de pêche latente; ils pourraient éventuellement participer davantage à la pêcherie, si cette dernière devenait plus lucrative. Ainsi, il peut être judicieux de mettre fin à ces droits, ou tout au moins de les limiter fortement, s'ils ne sont pas utilisés de façon régulière, faute de quoi le gouvernement pourrait être dans l'obligation de racheter les droits quand ils auront pris de la valeur. Il est sage de prévoir cette éventualité quand les licences sont délivrées pour la première fois. Pour la même raison, il est également important que la licence restrictive enregistre certaines caractéristiques du navire, par exemple sa taille et la puissance du moteur, qui influent sur sa capacité d'exploitation. Si ces caractéristiques ne sont pas enregistrées, la licence peut alors être transférée à un nouveau navire plus puissant, ou bien le navire peut être amélioré. L'un ou l'autre de ces changements permettra d'augmenter la capacité de pêche (le paragraphe 7.4.3 du Code de conduite conseille d'examiner ces incidences).

Si les licences restrictives sont transférables entre propriétaires, il est alors probable qu'elles acquerront une forte valeur aux yeux des détenteurs et qu'elles seront transférées à un prix élevé. Si le gouvernement veut éviter qu'on fasse valoir qu'elles encouragent des pratiques dangereuses, des règles typiques en matière de transfert des licences doivent permettre au moins les transferts limités d'un vieux navire à un navire neuf ou d'un parent à son enfant. En conséquence, une certaine valeur risque d'être attachée à la licence restrictive, ce qui place le gouvernement devant le dilemme suivant: le droit qu'il a délivré, souvent pour une redevance fixe, a pris une valeur considérable qu'il devra probablement compenser s'il souhaite abroger ce droit. En principe, on peut remédier à cette situation en délivrant des licences à durée déterminée, plutôt que des licences permanentes. Cependant, les programmes d'octroi des licences découlent d'ordinaire des programmes d'enregistrement antérieurs, et il peut s'avérer difficile, tant sur le plan social que politique, de refuser aux pêcheurs le droit de gagner leur vie en exerçant une activité familiale traditionnelle, sans leur offrir de compensation. Même quand la pêche n'est pas une activité traditionnelle, les licences à court terme peuvent décourager encore davantage les pêcheurs de s'attacher à protéger la productivité à long terme des stocks halieutiques. Ces questions sont étudiées plus en détail au chapitre 6.

4.2 Réduire la capacité de la flotte

Les programmes d'octroi des licences ont souvent été adoptés suite à la surexploitation. Dans ces cas-là, la flotte est déjà trop importante. Même quand le programme d'octroi des licences a été introduit assez tôt, il est fort possible que les progrès technologiques en matière de conception des navires et des engins, ainsi que les améliorations dans l'équipement de détection des poissons et de navigation, entraînent au fil du temps un accroissement de la capacité effective de pêche d'une flotte. En fait, on estime souvent, ou plutôt on «devine», que l'efficacité due aux progrès technologiques augmente d'environ 2 pour cent par an. Il se pourrait que le chiffre réel soit plus élevé, notamment si des licences restrictives rendent l'efficacité des navires avantageuse. La règle des intérêts composés fait que, même avec un taux d'augmentation de la capacité effective de pêche de 2 pour cent par an, la capacité de la flotte doublera en 36 ans environ; avec un taux d'augmentation de 4 pour cent par an, la capacité effective doublera en 18 ans.

Ainsi, il n'est pas rare que les responsables de l'aménagement trouvent que les flottes dont ils s'occupent ont déjà une trop forte capacité ou qu'elles acquerront cette capacité avec le temps. (A titre d'exemple, la surcapacité dans la Communauté européenne est décrite dans le rapport Lassen, 1996). Ainsi, si malgré le programme d'octroi des licences, une flotte est trop importante pour telle pêcherie, il faudra réduire sa capacité (Code de conduite, paragraphe 7.6.1). Il existe plusieurs façons de le faire:

Il faut toutefois noter qu'aucune de ces méthodes ne réussira à réduire la quantité des activités de pêche, à moins de «clôturer» tout d'abord l'accès à la pêcherie (par un programme d'octroi limité des licences).

Retirer des navires de la flotte

Le fait de retirer des navires d'une flotte requiert normalement l'annulation d'une licence du gouvernement. En substance, cela suppose de retirer un droit à un particulier pour le bien général, et un système juste prévoit que le propriétaire soit indemnisé. Ces retraits de navires sont normalement organisés par l'adoption d'un plan de rachat ou de mise à la casse financé par le gouvernement. Si les licences restrictives sont transférables librement, le gouvernement peut simplement racheter en bloc l'excédent de licences. Le plus souvent, les gouvernements annoncent des plans destinés aux pêcheurs, afin qu'ils fassent des soumissions pour le déclassement de leurs navires, ou bien annoncent le prix auquel ils rachèteront les licences.

Un problème général qui concerne tous les plans volontaires de ce genre est que les navires mis à la casse seront vraisemblablement les moins efficaces de la flotte.

Ainsi, leur retrait n'entraînera pas une réduction équivalente de l'aptitude de la flotte à capturer des poissons. Un autre problème est que, les communautés de pêcheurs étant souvent très solidaires, l'argent versé à un ancien propriétaire pour qu'il se retire de la pêcherie pourra être réinvesti éventuellement dans la capacité de la flotte, et servir par exemple à renforcer l'efficacité du navire d'une personne de la famille. En fait, à mesure que les licences deviennent plus restrictives, l'incitation à accroître l'efficacité des navires risque d'être plus forte, ce qui peut maintenir telle quelle la capacité de la flotte et rendre également plus coûteux les plans successifs de rachat par l'Etat. Il faut donc probablement soutenir ces plans de rachat au moyen de mesures fiscales, par exemple un prix plus élevé des licences. Une approche rationnelle pourrait être de considérer les rachats par l'Etat comme un prêt d'investissement en faveur du secteur tout entier, qui pourrait être financé en totalité ou en partie par les remboursements ultérieurs du prêt par le reste du secteur. En général, le fait de retirer des navires d'une flotte permet d'augmenter la rentabilité des navires restants et favorise donc l'objectif économique qui est de maximiser les bénéfices.

Réduire le temps pendant lequel les navires sont autorisés à pêcher

On peut réduire le temps de pêche en limitant le nombre de jours pendant lesquels les navires peuvent pêcher. Mais une fois que le navire a disparu derrière l'horizon, il est parfois difficile de vérifier exactement ce qu'il fait! Il est vrai que l'observation par satellite aide à déterminer les jours passés à pêcher mais, à moins de disposer de senseurs spéciaux, elle peut confirmer seulement que le navire était sur le lieu de pêche et non pas qu'il était réellement en train de pêcher (voir chapitre 8, section 3.2.5). Ainsi, il est en général plus facile de réduire l'exploitation en limitant le nombre de jours en mer.

Il est évidemment possible d'imposer des restrictions directes sur les jours de pêche. On peut attribuer à un navire un quota de jours pendant lesquels il est autorisé à pêcher (ce qui se traduit normalement, après déduction, en nombre de jours durant lesquels il ne pourra pas pêcher et devra rester amarré au port). De telles autorisations peuvent avoir un caractère cessible et être négociées entre navires. Si la pêcherie est lucrative, elles peuvent alors acquérir une valeur considérable. On pourrait supposer que ces échanges aboutiraient en fin de compte à une réduction de la flotte, la totalité des jours de pêche allant à un petit groupe efficace de la flotte qui aurait les meilleurs moyens financiers de racheter les droits des autres pêcheurs. Cette méthode tendrait donc à créer une pêcherie performante sur le plan économique, plutôt qu'une pêcherie privilégiant directement l'emploi. Comme dans tous les autres cas de réduction effective de l'effort de pêche, de tels plans peuvent contenir en germe leur propre échec en encourageant à investir des capitaux dans l'équipement de pêche et/ou le remplacement des navires, ce qui accroît la capacité de pêche. Cette tendance, appelée «renforcement du capital», apparaît toujours dans tout contrôle des moyens de production visant à accroître la rentabilité des flottes pour assurer des profits à leurs propriétaires. On pourrait prévoir cette tendance et la contrecarrer en promulguant des lois sur les attributions de jours en mer, afin de les réduire progressivement au fil du temps et/ou en faisant respecter les réductions de la capacité de pêche enregistrée des navires de remplacement.

Les responsables de l'aménagement devraient tenir compte du fait que, à moins d'offrir une indemnité de transition, l'imposition soudaine de restrictions sur le nombre de jours en mer sera considérée par le secteur halieutique comme une «mise à la casse à bon marché». De telles restrictions se heurteront généralement à une opposition car, tant que le stock ne réagira pas à une moindre exploitation, elles feront baisser ou réduiront à néant tout bénéfice que le secteur pourrait escompter. Les mesures concernant les jours en mer (en particulier pour des saisons précises) peuvent être attaquées par des groupes de pêcheurs au motif qu'elles risquent d'encourager les gens à aller en mer pour remplir leur quota, alors qu'il est dangereux d'aller pêcher. Les mesures relatives aux jours en mer peuvent également poser un problème général, car elles sont souvent en forte contradiction avec l'idée que les pêcheurs se font d'euxmêmes, se considérant libres d'aller en mer comme ils veulent et quand ils le veulent. Le succès de la mise en œuvre du plan des îles Féroé décrit ci-après a été lié à d'étroites consultations avec le secteur halieutique.

D'autres restrictions concernant le temps passé en mer sont possibles. Quand les pêcheurs d'un groupe sont effectivement les seuls utilisateurs d'une partie de la ressource, ils peuvent eux-mêmes imposer de fortes restrictions sur les périodes de pêche. De telles restrictions sont assez courantes dans les pêcheries de la Communauté européenne qui se trouvent en Méditerranée, où des groupes de pêcheurs (par exemple les Confederes en Espagne) imposent leurs propres règles. Dans les ports de Catalogne, par exemple, la pêche est organisée en fonction d'un plan journalier et à des heures strictement définies pendant lesquelles les navires peuvent sortir en mer. En cas de non-respect, le navire fautif peut être «sanctionné» en restant plus longtemps au port le lendemain.

Au Royaume-Uni, le sort des restrictions sur les jours en mer proposées par la loi de 1993 sur les pêcheries marines du Royaume-Uni devrait servir de leçon de choses aux gestionnaires, en ce qui concerne les problèmes que soulève l'imposition d'un plan sur les jours en mer. Bien que cette loi ait été promulguée par le Parlement du Royaume-Uni, le secteur collectif de la pêche s'y est violemment opposé, ce qui a donné lieu à une révision judiciaire et à un rapport contraire du Comité de sélection parlementaire. Le plan continuait à pouvoir être utilisé, mais la volonté de l'imposer avait disparu. Il est clair qu'il vaut mieux appliquer de tels plans dès les premiers stades d'une pêcherie, quand ils n'ont pas besoin d'être trop durs, et non pas lorsque de réels sacrifices s'imposent face à des stocks en fort déclin numérique.

On peut aussi mettre en place des limites sur le temps passé en mer selon des plans prévoyant par exemple des week-ends sans pêche. Dans certains cas, ces règles peuvent être compatibles avec les coutumes locales et être donc bien accueillies, mais dans d'autres cas elles risquent d'être discriminatoires à l'égard de différents groupes de pêcheurs. Par exemple, une interdiction portant sur le week-end peut favoriser les pêcheurs qui partent pour la journée sur de petites embarcations, par rapport à ceux qui font de plus longues sorties en mer. En général, quand on réduit le temps d'utilisation des navires de pêche, la flotte tend à être moins efficace, ce qui préserve éventuellement les emplois, bien que ce soit peut-être pour des périodes de travail plus courtes. Si les propriétaires de navires peuvent négocier entre eux le temps pendant lequel les navires peuvent être utilisés, une telle restriction pourrait en fin de compte améliorer la rentabilité, mais plus lentement qu'en supprimant des navires. Comme toujours, les responsables de l'aménagement doivent bien réfléchir pour voir si tel ou tel règlement aura des incidences autres que celles prévues ou souhaitées (voir Code de conduite, paragraphe 7.6.2).

Limiter l'utilisation du matériel de pêche par les navires

Certains navires de pêche (par exemple les chalutiers de fond) utilisent généralement des engins dont la taille est adaptée à celle du navire et à sa puissance, mais même pour ces engins les progrès techniques peuvent permettre d'accroître la puissance effective de pêche du navire. Limiter l'utilisation de tels engins peut être un moyen d'empêcher que l'efficacité de l'effort de pêche se renforce. Dans un certain nombre d'autres méthodes de pêche, la quantité d'engins déployés en une journée peut avoir un lien encore moins évident avec la taille du navire ou la puissance du moteur. Tel est le cas en particulier avec les engins fixes, par exemple les filets maillants, les casiers et les paniers à poissons.

Le nombre d'engins de ce type que transporte un navire (ou plus exactement le nombre d'engins déployés) peut augmenter si des restrictions sont appliquées à d'autres aspects de l'efficacité ou de l'utilisation du navire. Ainsi, lorsque des navires utilisent des engins fixes (par exemple des filets maillants), il se peut que les restrictions sur les jours en mer ne suffisent pas à elles seules, parce que les pêcheurs peuvent fort bien laisser pêcher leur engin, alors qu'eux mêmes sont au port. En outre, les restrictions sur les jours en mer peuvent inciter à utiliser davantage les filets ou à laisser les engins plus longtemps dans l'eau, afin de maximiser les captures à l'intérieur même des contraintes. Ces réactions des pêcheurs face à la législation peuvent entraîner une baisse de la qualité du poisson et une augmentation des pertes d'engins fixes, d'où une intensification de la pêche fantôme. Cette dernière est due à la perte d'engins qui continuent à tuer des poissons (voir chapitre 2). Dans ces cas-là, il est parfois nécessaire non seulement de limiter la capacité du navire et les jours où il est utilisé, mais aussi la quantité d'engins transportés. Il se peut, toutefois, que ce facteur soit beaucoup moins facile à limiter et à gérer que les jours en mer du navire. Une solution consiste à insister pour que l'engin soit ramené par le navire quand il rentre au port. Ces restrictions peuvent aussi servir à éviter la surcharge dangereuse des navires ou les méthodes de pêche peu valables, par exemple laisser les filets maillants trop longtemps dans l'eau (voir Code de conduite, paragraphe 6.7).

Dans le sud de Terre-Neuve, où la pêche côtière au cabillaud est surtout pratiquée avec des engins fixes, des mesures ont été introduites lors de la campagne de pêche 2000 pour limiter l'utilisation des filets maillants à la saison d'été, quand ils risquent moins d'attraper des bouvards, d'être laissés en train de pêcher ou de se perdre à cause du mauvais temps. Il semble que, d'une manière générale, certains pêcheurs des zones côtières du sud de Terre-Neuve tendent à utiliser de nouveau des engins de pêche plus traditionnels, tels que les lignes et les palangres ou les pièges à poissons.

Aux Bermudes, les engins utilisés dans la pêcherie de langoustes sont contrôlés de façon très rigoureuse. L'Etat reste propriétaire des pièges normalisés, qui sont les seuls à être autorisés dans cette pêcherie, et il loue à bail chaque année un maximum de 300 de ces pièges à 20 détenteurs de permis au maximum. Les pièges doivent être rendus à l'administration à la fin de chaque année pour être de nouveau attribués.

Réduire l'efficacité de l'effort de pêche

Les fermetures de saisons sont souvent considérées comme des mesures techniques de conservation (voir chapitre 3 pour un examen détaillé). Cependant, on peut les voir comme un moyen de limiter l'effort si elles visent à réduire le temps de pêche, plutôt qu'à influer sur la sélection en protégeant les poissons pendant les périodes où certaines tailles sont particulièrement vulnérables. De même, la décision de fermer une zone à la pêche pourrait être considérée comme un contrôle des moyens de production de facto, si elle était motivée par le désir de limiter l'efficacité des navires. Ces fermetures visant à limiter les moyens de production s'appliqueraient aux zones où les taux de capture sont élevés, plutôt qu'à celles où il y a des poissons vulnérables en raison de leur âge. De toute évidence, de telles décisions peuvent être motivées tant par le désir d'améliorer la sélection (conservation technique) que par celui de réduire le volume de poisson prélevé (conservation directe), et la limite entre ces deux approches peut devenir assez floue à ce stade. Les mesures qui visent à limiter l'efficacité auront manifestement tendance à réduire la rentabilité et à préserver ou stimuler l'emploi, en permettant à un plus grand nombre de navires d'exploiter le stock. Des plans de ce genre sont souvent adoptés par les membres de la Communauté européenne qui ont un littoral sur la Méditerranée, où les objectifs sociaux tendent à prédominer.

4.3 Les formes de gestion des captures

Les restrictions visant les captures peuvent prendre plusieurs formes, la plus évidente étant la limite sur l'ensemble des captures, généralement appelée total admissible de capture (TAC), bien que les termes quotas de capture et capture biologique admissible soient utilisés dans certaines régions. Le total admissible de capture concerne parfois le nombre de poissons (notamment pour les espèces pêchées à une taille assez uniforme), mais il est le plus souvent donné en termes de tonnage. A strictement parler, pour être efficace il devrait concerner les captures de poissons, mais pour des raisons de commodité administrative il s'agit souvent des limites appliquées aux quantités débarquées plutôt qu'aux captures.

Effort d'aménagement dans les îles Féroé

Les Féroé, un groupe d'îles situées entre l'Islande et les îles Shetland, au nord du Royaume-Uni, font partie du Danemark mais sont autonomes localement pour la plupart des affaires, entre autres la pêche. Cette dernière est d'une importance majeure pour l'économie des Féroé et offre de nombreux emplois. Par tradition, le pays cherche à donner de l'emploi à tous les habitants des Féroé mais, au début des années 90, il est clairement apparu qu'il fallait préserver les stocks locaux de poissons, en particulier le cabillaud, l'églefin et la plie. Un système de total admissible de capture a été adopté en 1994, mais les fausses déclarations sur les captures faites par certaines flottes ont amené le secteur halieutique à rejeter le principe du total admissible de capture. En conséquence, un programme de gestion de l'effort a été adopté en 1996. Ce programme impose une limitation du nombre de jours en mer, qui sont transférables d'une catégorie à l'autre de navires, pour tous les navires à l'exception des plus gros. Les gros navires ne sont pas autorisés à pêcher à moins de 12 milles des côtes, et un ensemble de fermetures de zones est imposé pour protéger les lieux de ponte et réduire l'efficacité de la pêche. Les pêcheurs sont également encouragés à pêcher au-delà de la zone de distribution des cabillauds et des églefins, des jours supplémentaires étant attribués aux navires qui pêchent au-delà de cette zone. Les prises accessoires de cabillauds et d'églefins sont également limitées pour les gros navires et tous les chalutiers. Ces mesures semblent avoir limité quelque peu la mortalité par pêche dans les stocks de cabillauds et d'églefins, mais pas autant qu'on l'aurait souhaité. Le secteur halieutique semble généralement les accepter comme le meilleur compromis possible. Encore faut-il voir si le caractère transférable des restrictions appliquées à l'effort ne conduira pas à concentrer les quotas d'effort entre moins de pêcheurs et à réduire ainsi à néant l'objectif en partie social de la mesure. Il faut voir également si les améliorations techniques des navires exigeront d'autres réductions de l'effort de pêche et si les déplacements de l'effort d'un stock à l'autre, selon l'abondance, générera un cycle vertueux ou vicieux d'exploitation.

L'objectif du total admissible de capture est de limiter les taux de récolte du poisson à des seuils d'exploitation durable. En réalité, de telles restrictions permettent souvent aussi de répartir la ressource entre les groupes d'utilisateurs. Cela est particulièrement important dans les pêcheries exploitées par plusieurs Etats, où il faut négocier une certaine répartition entre les pays si l'on veut que le système de gestion fonctionne.

Parfois, cette question de la répartition du total admissible de capture peut paraître, aux yeux des hommes politiques et des pêcheurs, plus importante que les besoins de conservation. Poser la question sur la façon dont ils répartiront le dernier poisson permettrait peut-être de mettre de nouveau l'accent sur les besoins de conservation.

Les limites des poches représentent une forme plus simple de limitation des captures; elles visent à restreindre certains modes de pêche en limitant le nombre de poissons qu'une personne, ou un navire, peut capturer pendant une courte période, normalement une journée. Ces limites ne restreignent évidemment pas les captures totales de l'ensemble de la pêcherie, mais elles peuvent s'avérer efficaces pour apporter des restrictions dans certains secteurs, par exemple la pêche de loisir, ou la pêche aux petits métiers, qui consistent en de nombreuses opérations souvent dispersées qu'il serait peut-être difficile de limiter autrement. Ces pêcheries peuvent avoir une aptitude surprenante à capturer les poissons. On estime par exemple qu'aux Etats-Unis la pêche de loisir prélève des pourcentages assez importants de plusieurs espèces qui sont également soumises à la réglementation de la pêche commerciale. L'un des avantages des limites des poches que l'on fait valoir est qu'elles empêchent la pêche de loisir de se transformer en activité semi-commerciale en partie financée par la vente des captures. Un autre avantage est qu'elles empêchent la pêche commerciale de se faire passer pour de la pêche de loisir; un problème se pose éventuellement quand la pêche côtière artisanale est limitée par le total admissible de capture.

Les restrictions visant les prises accessoires peuvent aussi être considérées comme des formes de contrôle de la production, vu qu'elles limitent soit la capture des espèces pêchées accidentellement, soit la proportion de ces espèces dans le total capturé, souvent sur la base sortie par sortie. Le but de ces limites est parfois d'éviter que ne soient visées des espèces en déclin numérique ou des espèces protégées en vertu de quelque forme de législation, par exemple les mammifères marins. De telles règles ont parfois besoin d'être renforcées par la présence d'observateurs à bord, si les prises accessoires qui sont limitées ont peu de valeur commerciale ou n'en ont pas. On peut aussi recourir aux restrictions sur les prises accessoires pour que, dans la mesure du possible, la capture par des engins à maillage fin autorisés se limite aux seules espèces pour lesquelles ils sont prévus (par exemple les crevettes). Dans ce cas-là, la limite concerne la proportion d'espèces de plus grande taille qui peuvent être capturées au cours d'une sortie en mer par un engin à maillage fin. Utilisées de cette façon, les limites des prises accessoires viennent soutenir les mesures de conservation technique, plutôt qu'elles ne visent à contrôler la production à proprement parler. Le principal contrôle de la production reste normalement le total admissible de capture.

L'objectif du total admissible de capture est de permettre une exploitation durable. Le TAC devrait servir à limiter la récolte à une proportion raisonnable du stock de poissons exploitable. Ainsi, pour être vraiment efficaces, de telles captures doivent être liées à la taille de la biomasse de poissons exploitable, et comme cette dernière varie souvent d'une année à l'autre, le total admissible de capture devrait en faire autant. Dans la pratique, estimer la taille de la biomasse de poissons exploitable dans la mer est une tâche difficile et onéreuse (voir chapitre 5). Elle requiert une assez bonne précision parce que si, par exemple, le TAC est fixé à la moitié de la biomasse exploitable (une proportion qui n'est pas anormalement élevée), une surestimation de 100 pour cent permettrait en principe de capturer la totalité du stock, ce qui aurait des conséquences catastrophiques pour la conservation.

Quelquefois, le TAC est fixé sur la base de l'abondance moyenne du stock, et si un stock est relativement peu exploité, cela peut suffire. Cependant, des TAC moyens (parfois appelés TAC de précaution[4]) conduiront à exploiter une plus large proportion du stock quand ce dernier est plus faible, et une plus petite proportion quand le stock est plus important. Bien entendu, cela n'irait pas du tout car le TAC limiterait de façon excessive l'activité des pêcheurs quand le stock serait important et pourrait ne pas protéger suffisamment le stock quand ce dernier serait faible. Les TAC représentent donc une forme de gestion beaucoup plus efficace si on peut les modifier périodiquement pour les ajuster à la taille du stock. Toutefois, si le taux d'exploitation est faible et/ou si le stock ne varie pas beaucoup, il n'est peut-être pas nécessaire de les modifier chaque année. Cependant, la plupart du temps, les TAC doivent être ajustés toutes les années.

Une fois que total admissible de capture est fixé, il faut contrôler la pêcherie de façon que le TAC ne soit pas dépassé. Plusieurs méthodes sont possibles, notamment les suivantes:

Options pour la gestion du TAC

Permettre de pêcher librement jusqu'à ce que le total admissible de capture soit prélevé est la manière la plus simple d'administrer un total admissible de capture, puisqu'il suffit de garder un total mobile de l'ensemble des captures, puis de mettre fin à la pêche quand la limite est atteinte. Cependant, ce type de pêcherie encouragera une course intense à l'exploitation avant que le total admissible de capture soit prélevé, ce qui incitera la pêcherie à avoir une capacité de pêche excessive, d'où des résultats économiques médiocres. L'exemple classique de cette forme de gestion est celui de l'aménagement initial de la pêcherie de flétans du Pacifique, où la saison annuelle s'est progressivement raccourcie, au point de se réduire à une période très courte juste avant la fermeture de la saison. Des courses aussi intenses peuvent exclure certains pêcheurs qui ont par ailleurs d'autres activités pendant la courte saison d'ouverture. En revanche, le côté positif est que ce type d'aménagement souffre peut-être moins de la pratique des rejets, parce que les pêcheurs considèrent probablement qu'il est préférable de débarquer toutes leurs prises. Une course intense à l'exploitation implique toutefois un débarquement rapide des captures, ce qui risque de faire passer la qualité du poisson au second plan. En résumé, un tel système n'a pas grand chose à offrir, si ce n'est sa simplicité.

L'approche qui consiste à attribuer un volume de capture par saison et à permettre de pêcher librement pendant chaque saison a l'avantage d'être simple, comme la méthode précédente, notamment parce qu'il suffit de surveiller l'ensemble de la capture. Elle encourage là encore toutes sortes de courses à l'exploitation, mais elle présente l'avantage que le poisson est débarqué toute l'année. En fait, on peut choisir de faire coïncider la période d'ouverture avec les périodes où la qualité ou les prix du poisson sont les meilleurs. Cependant, une surcapacité de pêche risque là encore d'être encouragée, d'où un manque de rentabilité.

Attribuer des proportions du TAC à différents secteurs qui gèrent eux-mêmes les prélèvements peut encourager à des prélèvements plus disciplinés, mais la mesure dans laquelle la méthode réussira dépendra de la capacité du secteur à s'autogouverner. Dans certains cas, les associations de producteurs ou les coopératives peuvent gérer de façon très efficace la répartition des prélèvements de poisson entre leurs membres. Dans d'autres cas, quand le quota est destiné à un secteur industriel, ce quota peut tout simplement conduire à une course à l'exploitation à l'intérieur de ce secteur. Un problème pour la gestion est que les statistiques sur les captures devront être collectées séparément pour tous les secteurs; en outre, les attributions par secteur inciteront les différents secteurs à fournir des chiffres sur les captures inférieurs à la réalité s'ils sentent qu'ils peuvent faire accepter la chose, ou s'ils soupçonnent que d'autres secteurs trichent eux aussi. Un autre problème peut être de décider comment traiter le cas d'un secteur quand on constate qu'il a dépassé son quota. L'excédent doit-il être déduit du quota qui sera alloué les années suivantes à ce secteur? Ou doit-on pénaliser les transgresseurs, mais compenser les captures excédentaires en réduisant le reste des quotas annuels des autres secteurs? Si le TAC est réparti entre plusieurs pays, cette deuxième solution est peut-être la seule qui puisse être adoptée, mais elle risque d'être très impopulaire auprès des autres secteurs. Dans les secteurs mieux gérés, on a tendance à essayer d'améliorer la qualité et le prix, mais cela risque aussi d'encourager l'écrémage, qui consiste à rejeter les captures de moindre valeur, en privilégiant les plus prisées. Vu qu'il y a souvent des écarts de prix selon la taille des poissons et que la qualité de ces derniers peut être altérée pendant la pêche (par exemple quand ils restent trop longtemps dans les filets maillants), la tentation est forte de recourir à cette pratique si les pêcheurs savent quelle est la part de captures qui leur est attribuée.

La méthode qui consiste à attribuer des proportions du TAC à des pêcheurs ou des navires individuels présente les avantages prêtés à l'approche précédente. Elle a davantage de chances de conduire à un prélèvement discipliné du TAC et d'être économiquement rentable. Cependant, un programme de ce genre est particulièrement sujet aux inconvénients d'ordre administratif. On doit évidemment garder des statistiques pour chaque pêcheur ou navire, et la tentation ou l'occasion de faire de fausses déclarations augmente quand les allocations sont divisées en portions plus petites. Ces problèmes d'établissement des rapports amènent souvent les gouvernements à élaborer des mesures assez draconiennes pour obtenir des particuliers qu'ils respectent les règles. Les problèmes d'écrémage risquent aussi d'être plus aigus lorsque les quotas sont aménagés sur une base individuelle.

Comme dans le cas de la gestion de l'effort de pêche, la gestion des captures peut à l'évidence influer sur les résultats des différents objectifs de l'aménagement des pêcheries. La proportion du stock qui est destinée à être prélevée chaque année aura des effets sur les objectifs biologiques de maximisation du rendement, sur la stabilité du rendement et sur la conservation. La proportion prélevée peut aussi influer sur la rentabilité dans son ensemble, parce qu'il est possible de réaliser un bénéfice maximal quand les taux d'exploitation sont inférieurs aux taux qui permettent un rendement maximal. Ceux-ci sont également inférieurs au taux d'exploitation quand on atteint le seuil de rentabilité, c'est-à-dire le niveau auquel davantage de pêcheurs seraient recrutés dans une pêcherie non subventionnée. La façon dont le TAC est alloué à chaque pêcheur aura aussi une incidence sur la réalisation des objectifs. A titre d'exemple, imaginons un quota qui pourrait être partagé en de nombreuses petites portions destinées à assurer aux pêcheurs une existence viable. Evidemment, ces portions ne devraient pas être transférées. De tels quotas non transférables tendraient à favoriser une participation maximale dans la pêcherie. En revanche, des quotas transférables seraient négociés et auraient tendance à aller vers des entreprises moins nombreuses mais plus rentables. De nombreux économistes des pêches se font les défendeurs de cette méthode de gestion, parce qu'ils sont enclins à croire que le meilleur objectif est une maximisation des bénéfices. La Nouvelle-Zélande et l'Islande fournissent des exemples notables de l'utilisation des programmes de gestion des quotas individuels transférables. On trouve de plus en plus de programmes de ce genre dans d'autres pays, bien que ce ne soit pas toujours sous une forme aussi évidente. Par exemple, au Royaume-Uni, les quotas sont attribués aux associations de producteurs plutôt qu'aux navires. En revanche, l'Irlande et la Namibie ont des quotas non transférables pour favoriser le marché de l'emploi. Ces approches sont étudiées plus en détail au chapitre 5.

5 DE QUELLES STRUCTURES AVEZ-VOUS BESOIN POUR GÉRER L'EFFORT ET LES CAPTURES?

5.1 Le caractère centralisé de la gestion de l'effort et de la gestion des captures

Par leur essence même, la gestion de l'effort et la gestion des captures doivent porter sur l'ensemble de la pêcherie (voir Code de conduite, paragraphe 7.3.1). Les faibles ressources peuvent être gérées au niveau local, mais la gestion des ressources plus importantes et étendues doit être convenue au niveau national. Comme les ressources les plus importantes sont en général les plus étendues, les méthodes tant de gestion de l'effort de pêche que de gestion des captures sont d'ordinaire des méthodes de commandement et de contrôle centralisées. La capacité de déléguer le pouvoir de décision aux districts où les pêcheurs exercent leurs activités est d'ordinaire assez faible, excepté pour les petits stocks locaux (par exemple les harengs de la Tamise). Cela a pour corollaire que les mesures de gestion ne seront pas toujours efficaces si l'organisme central ne contrôle que faiblement les régions où les pêcheries sont réellement à l'œuvre (voir Code de conduite, paragraphe 7.7.1). En outre, l'organisme central peut souvent sembler éloigné des parties intéressées, et les pêcheurs ont parfois l'impression que les contrôles sont effectués selon les caprices de lointains bureaucrates à qui ils reprochent, parfois à juste titre, de ne connaître ni les poissons ni le secteur halieutique. Toute tentative visant à donner aux processus de décisions un aspect plus humain et à accroître leur transparence (Jentoft et McCay, 1995) sera ainsi bien accueillie (voir chapitre 7 du présent guide et paragraphes 6.13 et 7.1.9 du Code de conduite). Un autre problème est que ces outils de gestion risquent de devenir «les volants de badminton» du débat politique. Ainsi, comme l'attention pourrait se focaliser sur les objectifs à court terme de la pêcherie plutôt que sur les objectifs à long terme, cela pourrait porter préjudice aux objectifs de conservation et d'utilisation optimale à longue échéance. Il peut donc y avoir quelque avantage à ce que la prise de décisions et la gestion de l'effort ou la gestion des captures ne soient plus soumis au contrôle politique direct, mais confiés à un organisme public favorable et transparent auquel les hommes politiques donneraient des objectifs clairs, mais qui serait libre ensuite de faire son travail comme il l'entend.

Le FRCC du Canada

Le Conseil pour la conservation des ressources halieutiques (FRCC) a été créé en 1993 pour former un partenariat entre, d'une part, les experts scientifiques et universitaires et, d'autre part, tous les secteurs de l'industrie de la pêche. Les membres du Conseil font ensemble des recommandations d'intérêt collectif au Ministre canadien des pêches et des océans sur des questions telles que le total admissible de capture (TAC) et autres mesures de conservation applicables à la pêcherie de poissons de fond de l'Atlantique canadien. Le Conseil est chargé de fournir des avis au Ministre sur la position du Canada en ce qui concerne les stocks chevauchants et les stocks transfrontières qui relèvent de la juridiction d'organismes internationaux, tels que l'Organisation des pêches de l'Atlantique Nord-Ouest (NAFO). Le Conseil donne aussi des avis sur la recherche scientifique et les priorités d'évaluation.

Le Conseil se compose de 15 membre, nommés par le Ministre des pêches et des océans, avec un bon équilibre entre «sciences» et «industrie». Les membres sont choisis sur la base de leur mérite et de leur réputation dans la communauté, et non pas en tant que représentants d'organisations, de régions ou d'intérêts. Les membres des «sciences» viennent des secteurs de l'administration et d'universités ou occupent des postes internationaux, et les différentes disciplines sont bien représentées, en particulier la gestion des pêcheries et l'économie; les membres de l'«industrie» ont une bonne connaissance de la pêche et de l'industrie de la pêche, et comprennent les incidences opérationnelles et économiques des décisions en matière de conservation. Les membres du Département des pêches et des océans qui ont été nommés exercent ès-qualités. Les quatre provinces de l'Atlantique, le Québec et le Nunavut peuvent nommer chacun un délégué au Conseil.

L'encadré ci-dessus donne l'exemple du FRCC canadien, qui est décrit comme un organisme indépendant fournissant des avis en matière d'aménagement des pêcheries. Les organismes de ce genre conviennent bien également pour dispenser une formation aux parties intéressées sur les questions de conservation, car certains de leurs membres font partager leurs connaissances et leur expérience en tant que pêcheurs (voir Code de conduite, paragraphes 6.16 et 7.1.10).

Quand les pêcheries sont situées de part et d'autre de frontières politiques ou que la pêche a lieu dans des eaux internationales, on aura besoin d'un organisme intergouvernemental au sein duquel les questions de gestion des pêches pourront être examinées et les décisions prises dans la concertation. Le Code de conduite contient de nombreux détails à cet égard (paragraphes 6.12, 6.15, 7.1.4 et 7.3.4). Il faudra aussi presque certainement qu'il y ait un organisme scientifique correspondant qui fournisse des avis scientifiques concertés sur les besoins en matière d'aménagement (Code de conduite, paragraphes 7.3.4 et 7.4.1). De tels organismes existent pour la plupart des pêcheries internationales. Par exemple, la NAFO assure la réglementation des pêcheries qui se trouvent entièrement ou en partie dans sa zone de convention en dehors des zones économiques exclusives nationales des côtes du Groenland occidental, du Canada côté Atlantique, de la France (St-Pierre et Miquelon) et des Etats-Unis (Nouvelle-Angleterre), mais les pêcheries multinationales peuvent aussi être gérées par le biais d'organismes bilatéraux ou multilatéraux, officiels ou officieux (par exemple la gestion conjointe par l'Argentine et l'Uruguay des pêcheries du Rio de la Plata, ou la gestion conjointe de la mer du Nord par la Norvège et la Communauté européenne).

Quand les pêcheries sont totalement du ressort de l'Etat, elles relèvent en général de la responsabilité de diverses instances gouvernementales. Même si certains problèmes peuvent être résolus plus facilement du fait qu'un seul propriétaire possède la ressource, les problèmes de l'aménagement national sont souvent le microcosme des problèmes de l'aménagement international. Les organismes gouvernementaux régionaux ont fréquemment des objectifs discordants et des flottes de types différents; ils peuvent aussi avoir des points de vue divergents sur ce qu'on entend par contrôles appropriés des pêcheries (voir Code de conduite, paragraphes 6.12 et 7.6.5). Cette situation peut conduire à des désaccords aussi bien entre les différentes régions qu'avec le gouvernement central. Il n'est pas rare, dans ces circonstances, qu'on parvienne à un accord pour des raisons politiques plutôt que de conservation, notamment parce que le délai nécessaire à la reconstitution du stock halieutique est souvent plus long que la durée du mandat des hommes politiques. Cela explique pourquoi il est souhaitable de prendre les décisions en matière d'aménagement en dehors de l'arène politique et de permettre que les parties intéressées participent au processus. Peut-être faudrait-il pour les pêches l'équivalent de ce que l'ex-Bundes Bank de la République fédérale d'Allemagne a fait, c'est-à-dire protéger les stocks de poissons et les ressources côtières comme la banque a protégé la valeur de la monnaie allemande (voir Code de conduite, paragraphe 10.1.3).

5.2 Les structures chargées du suivi, de l'application des mesures et de la consultation

Quel que soit le type d'aménagement, il faudra de toute évidence collecter des données sur la pêcherie, afin de surveiller que les pêcheurs respectent les restrictions relatives à l'effort ou aux captures et de faire appliquer les mesures de gestion de la pêcherie (voir chapitre 8 pour une analyse détaillée). On peut rarement en laisser le soin à l'industrie des pêches, et en conséquence l'Etat doit souvent jouer le rôle d'arbitre et prendre les dispositions nécessaires pour veiller au bon ordre dans la pêcherie. Il faut donc en général qu'il existe un service national de collecte des données et d'inspection pour assurer le suivi et le contrôle des pêcheries (voir Code de conduite, sous-article 7.4 pour ce qui est des données, et paragraphes 7.1.7 et 7.7.3 pour le contrôle et la surveillance).

Il est possible de combiner les services chargés du suivi et de l'application des règles, car ils nécessitent un accès analogue à la pêcherie, et les données concernant le suivi fournissent des informations essentielles sur le non-respect de l'effort de pêche et des limites de captures (voir chapitre 8, section 1). Pour être efficaces, ces services doivent être dotés d'un personnel qui comprenne le travail du secteur halieutique et ses problèmes, et qui puisse traiter ces derniers de façon équitable, mais ferme s'il le faut. Souvent, le suivi et la coercition au niveau des docks ne suffiront pas à répondre aux besoins en matière de restrictions relatives à l'effort de pêche (les engins utilisés, les zones exploitées et les espèces capturées auront peut-être tous besoin d'être contrôlés en mer), ou en matière de restrictions relatives aux captures (le rejet des captures à la mer doit parfois être surveillé ou empêché). Le personnel chargé du suivi et du respect des règlements devra donc normalement être capable de travailler en mer, et il serait peut-être bon que le personnel de haut niveau possède un diplôme de marin. Le plus important est que les membres de ce personnel ne se laissent pas corrompre, ce qui signifie qu'ils doivent avoir un revenu satisfaisant et être choisis avec soin.

La plupart des méthodes d'aménagement des pêcheries ont besoin d'avis scientifiques pour que les décisions soient prises en connaissance de cause (voir chapitre 5 de cet ouvrage et Code de conduite, paragraphes 7.4.1 à 7.4.5 et tout l'article 12). C'est notamment le cas pour la gestion de l'effort de pêche et la gestion des captures. Toutes deux visent à limiter à un niveau durable la proportion des stocks de poissons prélevée chaque année, ce qui dans l'idéal suppose qu'on sache en permanence quelle proportion du stock est prélevée chaque année et qu'on connaisse de façon assez précise quels niveaux de prélèvement sont susceptibles d'être durables. On pourra ainsi ajuster soit l'effort de pêche appliqué au stock, soit les captures prélevées du stock, de façon que la juste proportion du stock soit prélevée à l'avenir. En réalité, ce n'est pas si simple, car il faut recenser une ressource qu'on ne peut ni voir ni compter directement, et comprendre comment elle réagira à l'exploitation.

S'agissant de la gestion des captures, il faut normalement avoir des estimations assez précises de la taille du stock. En effet, si les estimations sont faites au hasard et donc inexactes, il se pourrait même que les captures soient limitées à un niveau qui dépasse la taille du stock. Au mieux, cela n'entraînerait aucune restriction dans la pêcherie et, au pire, menacerait le stock d'extinction. On devra aussi avoir des avis scientifiques assez précis en matière de contrôle des moyens de production, afin de les établir à un niveau approprié au départ et de les adapter par la suite à l'évolution de l'efficacité de l'effort de pêche. Cependant, il n'est pas nécessaire en général que les estimations de population destinées au contrôle de la production soient aussi précises que pour la gestion des captures, puisque le taux de prélèvement qui résulte des niveaux courants de l'effort de pêche peut être apprécié sur une série d'années plutôt que sur une base annelle. On obtient ainsi une certaine moyenne de résultats incertains. Quand ces résultats douteux ne sont pas applicables, on peut parfois trouver une mesure du taux de prélèvement relatif et savoir également quels sont les niveaux viables de cette mesure. Cependant, la mesure la plus courante du taux de prélèvement relatif est l'effort de pêche, qui est soumis aux tendances de l'efficacité, ce qui peut masquer les modifications du stock. Un certain niveau d'effort de pêche peut donc sembler viable à en juger par les données sur les niveaux précédents de capture par unité d'effort, mais un renforcement de l'efficacité pourrait masquer une diminution du stock. Ainsi, des mesures de l'abondance du stock indépendantes des pêcheries, par exemple des enquêtes scientifiques sur la pêche, fournissent parfois une mesure de la situation du stock plus sûre que les taux de capture fondés sur l'effort de la pêche commerciale.

Dispenser des avis sur la situation du stock suppose que l'on ait une source satisfaisante d'avis scientifiques (voir chapitre 5). Ces derniers peuvent éventuellement être recueillis au cas par cas dans les instituts universitaires, mais s'ils sont insuffisants il faudra probablement recourir à un organisme scientifique spécialisé. Fournir des avis suppose aussi normalement la collecte de données scientifiques, plutôt que de données sur l'aménagement, car l'évaluation scientifique d'un stock exige en règle générale des connaissances plus détaillées qu'il n'en faut pour le suivi, le contrôle et la surveillance de routine.

Outre les avis biologiques sur lesquels on se fonde pour fixer les limites, il sera également judicieux d'avoir des avis sur les incidences économiques et sociales probables de la pêcherie. Comme ces avis risquent d'être divergents, il vaut mieux les intégrer de manière à distinguer clairement les avantages relatifs de chaque incidence (voir Code de conduite, paragraphe 7.4.5).

6 DIFFICULTÉS RENCONTRÉES DANS L'APPLICATION DE LA GESTION DE L'EFFORT ET DES CAPTURES - COMMENT LES CONTOURNER?

6.1 La difficulté de la gestion de l'effort

L'une des principales difficultés rencontrées dans la gestion de l'effort est de fixer une mesure unitaire raisonnable de l'effort de pêche. Par exemple, pour les engins de pêche remorqués (chaluts à panneaux, dragues, chaluts à perche), il semble que combiner le tonnage du navire et la puissance du moteur soit une bonne solution pour mesurer la capacité à capturer une partie du stock. A titre d'exemple, le système de gestion de l'effort adopté par la Communauté européenne (appelé Programme d'orientation pluriannuel) utilise à la fois le tonnage et la puissance du moteur pour définir d'autres mesures de la puissance de pêche, et ces deux paramètres doivent décroître avec le temps selon des calendriers convenus (voir Commission européenne [1994] pour une simple description générale de la Politique commune des pêches, qui utilise à la fois la gestion de l'effort et la gestion des captures). Pour les méthodes de pêche qui font appel aux engins statiques, d'autres mesures de l'effort peuvent mieux convenir comme indicateur uniforme de la puissance de pêche, mais pour certaines méthodes il n'existe pas de mesure uniforme. Cela tient au fait qu'une condition essentielle de tout contrôle des moyens de production est qu'une quantité donnée du moyen de production réglementé devrait correspondre à une capacité constante d'exploitation des poissons. C'est généralement le cas pour la pêche démersale aux engins remorqués. Cependant, pour la pêche aux espèces pélagiques qui se rassemblent en bancs, la proportion du stock halieutique capturée par une unité donnée de l'effort de pêche peut varier selon la taille du stock. Si le nombre de bancs de poissons diminue à mesure que la taille du stock se réduit, il sera alors progressivement plus facile de capturer des proportions plus importantes du stock à mesure que ce dernier devient moins abondant. De toute évidence, des stocks de ce genre ne sont pas adaptés à une gestion qui fait appel au contrôle des moyens de production.

Quand les méthodes de gestion de l'effort sont appropriées, les principaux problèmes concernent alors le renforcement de l'efficacité technique, qui tend à se produire au fil du temps. Le problème du renforcement du capital a déjà été évoqué. Il semble évident que si les pêcheurs ne peuvent pas développer une activité rentable en augmentant la taille ou le nombre de leurs navires, ils peuvent essayer de le faire en consacrant davantage de capitaux à l'amélioration de l'efficacité. La question de savoir s'il y a une limite supérieure aux améliorations possibles de l'efficacité soulève la controverse. Toutefois, s'il existe en théorie une limite supérieure, il est évident qu'elle n'a pas encore été atteinte vu que l'efficacité a toujours tendance à se renforcer. La technologie en matière d'engins de pêche a certainement progressé de façon inexorable au cours du siècle dernier, et avec elle la capacité, pour une taille donnée de navire, de tuer une plus grande proportion des poissons disponibles. En conséquence, si on limite les investissements des pêcheurs en gérant l'effort, cela risque de les inciter à apporter des amélioration techniques à l'efficacité de leurs navires. Les solutions les plus appropriées face à cette situation sont soit de supprimer les bénéfices supérieurs à la normale à l'aide de mesures fiscales, soit de réduire peu à peu la capacité de la flotte. Une autre solution qui consisterait à préciser les caractéristiques des navires de pêche avec autant de rigueur que pour les yachts de compétition semble totalement inadaptée. En outre, elle a peu de chances de réussir car, en raison de l'ingéniosité humaine, les pêcheurs trouveront toujours les moyens d'améliorer tout aspect non réglementé des moyens de production. Le plus important est donc de s'attendre à ce que ces améliorations de l'efficacité se produisent et de prévoir comment traiter la question à ce moment-là.

Un problème particulier est que la puissance du moteur est souvent indiquée sur la licence, or on peut facilement réduire cette puissance en faisant de légères modifications techniques. Le moteur peut ainsi être déclaré conforme pour l'obtention de la licence, mais une fois la certification acquise sa puissance peut être renforcée de façon subtile! Il est parfois nécessaire de procéder à des certifications et à des inspections périodiques pour mettre fin à ce subterfuge.

D'autres problèmes concernent la pêche pratiquée sans licence. Il peut s'agit notamment d'un problème pour les pêcheries située dans des eaux internationales, où les flottes battant pavillon dans des pays qui ne font pas partie de l'organisation internationale pertinente peuvent avoir tendance à ne pas tenir compte des décisions de cette dernière. Elles ne devraient certainement pas agir ainsi, et le Code de conduite de la FAO est très explicite à ce sujet (paragraphes 6.1, 7.1.5 et 8.2.6). L'Accord d'application de la FAO et le Plan d'action international sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (voir chapitre 1, tableau 2) traitent tous deux de cette question importante.

Dans les pêcheries multispécifiques, il existe un risque évident que l'effort de pêche se déplace entre les différents stocks de poissons disponibles en fonction de la rentabilité. Dans une certaine mesure, cela peut être bénéfique car l'effort de pêche pourrait tendre à s'éloigner des stocks peu abondants pour se porter sur les plus abondants. Cependant, demeure le risque que les espèces qui ont le plus de valeur attirent davantage la pression d'exploitation que les espèces de moindre valeur. De plus, comme les espèces de haute valeur sont rares, leur prix à l'unité peut augmenter suffisamment pour continuer à attirer l'effort même quand elles sont surexploitées et peu abondantes. La meilleure façon de résoudre ce problème pourrait être d'imposer également des mesures techniques de conservation visant à protéger les espèces les plus prisées et les plus vulnérables d'un assemblage.

Il peut y avoir un autre problème quand plusieurs pêcheries de types différents coexistent. Dans ce cas-là, il est parfois difficile d'assurer qu'un navire qui possède une licence pour participer à telle pêcherie ne pêche pas en réalité dans une autre.

6.2 LES DIFFICULTÉS QUE COMPORTE LA GESTION DES CAPTURES

Comme suggéré plus haut, avec de simples méthodes de contrôle de la production (quand la pêcherie est fermée aussitôt que le quota a été prélevé), on assiste presque obligatoirement à une véritable course à l'exploitation, qui risque de s'accompagner d'une surcapacité de pêche, de résultats économiques médiocres, d'une mauvaise qualité des produits de la pêche et donc de prix peu élevés, ainsi que d'emplois qui ne seront que saisonniers (voir Code de conduite, paragraphe 6.7). En outre, la ruée vers le poisson peut compromettre la sécurité des équipages. Si les quotas sont gérés de façon plus rationnelle, avec une répartition entre les différents groupes ou particuliers, il est probable qu'il y aura moins de problèmes de ce genre. La plus grande difficulté d'une telle forme de contrôle de la production est qu'il arrive souvent que la réglementation ne soit pas respectée ou qu'elle soit contournée. Dans de nombreuses pêcheries, les pêcheurs sont fortement tentés pour des raisons économiques de débarquer un volume de poisson supérieur à leur quota. Ces débarquements illicites sont souvent appelées «débarquements noirs» (Alverson et al., 1994). S'ils sont abondants, ils peuvent saper la confiance dans le mécanisme de gestion (voir encadré sur l'aménagement des pêcheries dans les îles Féroé). Ils risquent en outre de créer une distorsion des statistiques sur les captures, d'où une difficulté pour les experts des pêches d'évaluer avec précision les futures captures. De plus, une moindre capacité des scientifiques à prévoir les captures peut conduire à un manque de confiance dans le système de gestion. Le remède qui s'impose est une application plus rigoureuse de la réglementation, associée à un programme d'éducation visant à faire comprendre aux pêcheurs qu'ils escroquent leurs collègues pêcheurs plus que l'Etat. Cela pourra être facilité par un système administratif plus ouvert, pas trop proche de celui du gouvernement central et comptant parmi ses membres des représentants du secteur halieutique.

Une forme plus subtile de non-observation des règles consiste à déclarer une espèce du quota sous le nom d'une autre espèce, ou de déclarer une espèce comme provenant d'une autre zone d'aménagement. L'expression «débarquements gris» est parfois utilisée pour désigner ces formes d'infractions. Les conséquences des débarquements gris en termes de moindre confiance dans le système peuvent être aussi nocives que celles des débarquements noirs. En réalité, elles peuvent même être pires puisqu'elles brouillent les statistiques d'au moins deux stocks. Là encore, une réglementation et une éducation appropriées sont les bonnes solutions pour empêcher ce genre de situation.

Les quotas sont souvent définis comme des niveaux de quantité légale débarquée plutôt que de quantité capturée. Ainsi, les pêcheurs peuvent choisir de rejeter à l'eau une partie de leurs prises de moindre valeur, afin de tirer les meilleures recettes du quota dont ils disposent. Ces rejets sont souvent légaux, et on oblige même parfois les pêcheurs à rejeter le surplus de leur quota ou les poissons de trop petite taille. Il s'agit là d'un gaspillage qu'il faudrait réduire au minimum (voir Code de conduite, paragraphes 6.7, 7.6.9 et 8.4.5). En outre, ces pratiques de rejet risquent aussi de dévier l'objectif de la réglementation et d'autoriser une exploitation supérieure à celle que veut la réglementation. La confiance dans le système d'aménagement risque là encore d'être sapée. Traiter la question des rejets, c'est se placer face à un dilemme. Si on autorise les rejets, cela signifie qu'on permet aux observateurs scientifiques de les mesurer (bien que cela coûte cher); si on les interdit, on peut décourager cette pratique, mais on risque aussi de la rendre tout simplement impossible à observer. Certains pays, par exemple la Norvège, exigent que tout le poisson soit débarqué, et plusieurs pays dédommagent les pêcheurs pour le coût du débarquement des poissons non autorisés ou non commercialisables. L'indemnisation est fixée à un niveau qui encourage à débarquer la prise, mais elle ne fournit pas aux pêcheurs un véritable profit qui justifierait la capture de ces poissons. D'autres méthodes consistent à prévoir des zones de fermeture permanente ou temporaire, afin que les pêcheurs n'aillent pas dans les zones où abondent les poissons qui risquent d'être rejetés (voir Code de conduite, paragraphe 7.6.9). Pour être efficace, la fermeture temporaire de zones exige de toute évidence des décisions rapides de la part des gestionnaires, et il est plus facile de procéder quand le secteur halieutique participe à l'aménagement et peut fournir rapidement des renseignements. (La Norvège et l'Islande, par exemple, ont recours à la fermeture temporaire de zones, et le secteur de la pêche pélagique en Afrique du Sud impose à ses membres la fermeture de zones pour réduire les prises accessoires.)

Le rejet des captures peut être un problème important dans les pêcheries multispécifiques. Quand le quota pour une espèce est épuisé, les pêcheurs peuvent continuer à pêcher cette espèce et la rejeter, tout en pêchant d'autres espèces dans la même zone, ce qui pose un problème si une espèce est en train de se reconstituer suite à la surexploitation et si les quotas ont été fixés sur la base de faibles taux de prélèvement, alors que la pêcherie autorise des taux de prélèvement beaucoup plus élevés pour une autres espèce. Le problème est évidemment aggravé si les deux espèces sont capturées avec le même engin de pêche, à la même époque et dans les mêmes zones. Une méthode de gestion peut consister à autoriser le débarquement limité des prises accessoires des espèces qui ont le plus de valeur, mais cela risque d'entraîner le développement de méthodes de pêche qui utilisent au maximum toute disposition concernant les prises accessoires. Une autre méthode peut être de prendre des mesures techniques appropriées (voir Code de conduite, paragraphe 7.6.9), mais le problème qui risque alors de se poser est que l'espèce vulnérable soit de plus grande taille et plus facilement capturée par les engins de pêche que les espèces moins vulnérables.

Une méthode draconienne mais efficace consiste à fermer entièrement la pêcherie une fois que le quota est atteint ou qu'un certain niveau donné de prises accessoires a été dépassé. Les Etats-Unis ont recours à cette méthode dans le mer de Béring et le golfe d'Alaska pour protéger le flétan et les mammifères marins du Pacifique. Pour que cette approche soit efficace, elle doit s'accompagner d'un programme d'observateurs spécialisés à bord. Faute de tels programmes, certaines flottes risquent de procéder à des rejets anticipés de n'importe quelle espèce faisant l'objet de quotas ou de niveaux de prises accessoires, ce qui en cas de dépassement pourrait conduire à la fermeture de toute la pêcherie.

7 L'APPROCHE DE PRÉCAUTION ET LA GESTION DE L'EFFORT ET DES CAPTURES

L'approche de précaution dans l'aménagement des pêcheries (FAO, 1996; FAO, 1997) peut être appliquée à tous les stades de la mise en valeur des pêcheries (voir Code de conduite, paragraphes 7.5.1 et 7.5.2). Elle n'est pas particulièrement liée à telle ou telle méthode de gestion. Cependant, comme l'exploitation des stocks de poissons s'intensifie progressivement, il se peut qu'il faille réduire les taux d'exploitation que visent à établir la gestion de l'effort ou la gestion des captures. Anticiper intelligemment cette nécessité peut bien sûr faciliter les choses. On peut y parvenir en recourant à des programmes d'octroi des licences restrictifs et en obtenant des statistiques détaillées sur les captures avant que le besoin ne s'en fasse sentir. Cette sage anticipation des problèmes grâce à l'élaboration d'un plan d'aménagement des pêcheries approprié (voir chapitre 9 de cet ouvrage et Code de conduite, paragraphe 7.3.3) est un élément fondamental de l'approche de précaution. Une interprétation plus détaillée de l'approche de précaution devient possible une fois que toute la gamme des mesures de gestion de l'effort ou de gestion des captures est en place. Il est davantage possible en particulier d'imposer à une pêcherie des points de référence cibles et limites, si on connaît la dynamique des populations d'un stock avec tous les détails qu'exige souvent la gestion des captures (voir Code de conduite, paragraphe 12.13).

Des plans de reconstitution des stocks qui soient compatibles avec l'approche de précaution ont fait l'objet de réflexions scientifiques approfondies (CIEM, 1997). Il s'agit en général de réduire progressivement le taux de mortalité par pêche à mesure que la taille des stocks diminue. Ce genre d'aménagement minutieux exige probablement une gestion de l'effort et/ou une gestion des captures pour pouvoir être réalisé. Cependant, des mesures techniques de conservation sans risques, complémentaires ou de remplacement, par exemple un maillage des engins remorqués qui donne aux poissons l'occasion de frayer avant d'être capturés ou la création de vastes zones sans prélèvements, pourraient en premier lieu empêcher que le stock ne s'amenuise sérieusement.

8 OÙ POUVEZ-VOUS TROUVER DES EXEMPLES CONCRETS DE GESTION DE L'EFFORT ET DE GESTION DES CAPTURES?

La gestion des captures, notamment les systèmes de gestion du total admissible de capture, est particulièrement courante dans les pêcheries où la capture repose sur un nombre réduit d'espèces. Dans le cas des pêcheries démersales, ces espèces se trouvent souvent à de plus hautes latitudes. Parmi les pêcheries européennes de l'Atlantique Nord, la plupart des grandes pêcheries démersales se servent du TAC comme principal instrument de gestion. Cela est également vrai pour les pêcheries démersales du Canada et d'une grande partie des Etats-Unis. On a aussi recours à la gestion du TAC en Argentine, Australie, Namibie, Nouvelle-Zélande et Afrique du Sud. Le TAC est parfois également utilisé dans les pêcheries pélagiques qui sont généralement moins mélangées que les pêcheries démersales, en particulier dans les pêcheries de grands pélagiques comme le thon rouge du sud.

Le total admissible de capture présente un intérêt évident quand les possibilités de pêche doivent être réparties entre plusieurs pays, communautés ou flottes, car on peut leur attribuer une part constante de l'ensemble du TAC. Ces parts de capture en pourcentage constituent le fondement de nombreux accords de pêche entre pays. En général, les pays se mettent plus facilement d'accord sur une proportion des captures à partager que sur la manière de répartir entre eux l'effort de pêche. Cela tient au fait que l'effort de pêche est mesuré de différentes façons pour différentes flottes, de sorte qu'il est difficile sur le plan technique d'établir une «monnaie» commune pour un accord.

En outre, tout le monde sait que l'intensité de l'effort de pêche peut évoluer avec le temps, et les modifications d'efficacité faites par un partenaire peuvent fort bien compromettre un accord, quel qu'il soit. Ainsi, les parts de capture en pourcentage (dénommées stabilité relative) constituent le fondement des parts nationales des pêcheries de l'Atlantique de la Communauté européenne. C'est également la base de partage entre la Norvège et la Communauté européenne dans la mer du Nord, entre la Norvège et la Russie dans la mer de Barents et entre l'Australie, le Japon et la Nouvelle-Zélande pour le thon rouge du sud. Pour ces raisons, la gestion du total admissible de capture reste bien établie dans ces régions, même quand ses résultats en matière de pêche durable sont tout sauf remarquables, par exemple dans les pêcheries démersales de la Communauté européenne.

Alors que le recours à la gestion du TAC s'est généralisé dans les pêcheries démersales et pélagiques de plus haute latitude, il semble que la gestion devienne plus difficile à mesure que le nombre des espèces augmente dans une pêcherie donnée. Cela tient à plusieurs raisons. Tout d'abord, les problèmes de prises accessoires augmentent inévitablement quand davantage d'espèces composent la capture, et il est plus probable que, parmi les quotas établis pour la pêcherie, plusieurs seront incompatibles et conduiront à des rejets ou à de fausses déclarations sur les débarquements. En second lieu, l'évaluation scientifique de la taille des stocks est plus difficile et moins rentable quand on se trouve en présence de nombreux petits stocks plutôt que d'un seul grand stock. En effet, il faut autant d'échantillons pour évaluer efficacement un petit stock que pour évaluer un stock important. Ainsi, le coût des avis scientifiques par capture unitaire tend à être inférieur pour un grand stock de poissons que pour un petit. Souvent, cela est également vrai en ce qui concerne le coût unitaire du suivi et de la surveillance de l'aménagement. En conséquence, les pêcheries démersales aux espèces variées, situées dans les régions tropicales, peuvent être quasiment impossibles à gérer par le biais de quotas monospécifiques. L'option des quotas multispéfiques comporte évidemment toujours le risque que la pêcherie s'intéresse surtout aux espèces de plus grande valeur et mette au rebut les espèces moins prisées, afin de maximiser les recettes à court terme.

Les systèmes de gestion de l'effort ont une répartition moins systématique. De toute évidence, ils risquent de ne pas convenir pour aménager des pêcheries où les poissons pélagiques se déplacent en bancs, car la possibilité de capture peut augmenter à mesure que la taille des stocks diminue. Ces systèmes semblent convenir à certaines pêcheries monospécifiques, notamment lorsqu'il est difficile d'évaluer scientifiquement avec précision la taille des stocks mais qu'on suppose raisonnablement qu'il existe une possibilité constante de capture. Certaines pêcheries régionales de crustacés et mollusques en fournissent des exemples.

Pêcherie de crevettes en eaux profondes au Mozambique

Cette pêcherie illustre les avantages potentiels de la gestion de l'effort, mais également les problèmes que posent ses bons résultats. Dans la pêcherie située au bord du Sofala, on capture deux espèces de crevettes. Une espèce a un recrutement continu, tandis que le recrutement de l'autre se fait en novembre et décembre. La pêche industrielle au chalut a débuté à la fin des années 70 et elle est rapidement devenue la pêche la plus importante du Mozambique. Elle était exploitée essentiellement par deux flottes formant une entreprise commune qui versaient au Mozambique des droits de licence. Cependant, les stocks ont commencé à être surexploités dès le début des années 90. Un plan de limitation d'accès et un total admissible de capture ont été adoptés, mais ce dernier était fixé à un niveau trop élevé pour pouvoir limiter la pêche de façon contraignante. L'Institut de recherche halieutique du Mozambique (IIP) a proposé une période de fermeture en janvier et février, à la fois comme mesure technique et pour réduire l'effort. Cela s'est traduit par un rétablissement rapide de la pêcherie, qui a retrouvé des niveaux rentables. La saison de fermeture a ensuite été prolongée pour inclure décembre. Cependant, le caractère rentable de la pêcherie a conduit à délivrer davantage de licences, et la pêcherie est de nouveau en déclin. Pour plus de détails, consulter www.mozpesca.org

La gestion de l'effort semble bien adaptée aux pêcheries multispécifiques au chalut où la capacité des flottes à porter leur attention sur les espèces les plus abondantes peut contribuer à réduire la pression sur les stocks épuisés. Cependant, il ne s'agit pas là d'un avantage automatique. Il faut évidemment aussi que les flottes ne soient pas trop importantes, afin de ne pas épuiser un stock avant que le stock au repos ne soit reconstitué. La réussite dépend aussi du mode de répartition des différents poissons et de la façon dont leurs prix relatifs s'adaptent à la rareté ou à l'abondance.

La gestion de l'effort est également utilisée pour soutenir les pêcheries gérées surtout par le TAC. Un exemple en est donné par les pêcheries de l'Atlantique de la Communauté européenne (voir Commission européenne [1994] pour une description générale de la politique commune des pêches, ainsi que le rapport Lassen [1996] pour les caractéristiques de la surcapacité) où la capacité de la flotte est disproportionnée par rapport aux ressources et doit être réduite. Dans le cas de la Communauté européenne, un programme de gestion de l'effort appelé Programme d'orientation pluriannuel est en place depuis un certain temps. Il souffre toutefois du fait que les réductions annuelles décidées par les pays de la Communauté européenne ne suffisent pas à freiner les augmentations caractéristiques de l'efficacité de l'effort de pêche que l'on peut prévoir.

L'expérience a montré qu'il est rare que des outils isolés suffisent à assurer l'aménagement des pêcheries. En outre, lorsqu'il existe plusieurs objectifs, il faudra certainement plusieurs outils d'aménagement (voir Pope [1983] et chapitre 5 du présent ouvrage). Cependant, il est également vrai que les problèmes à long terme tant en matière de gestion de l'effort de pêche que de restrictions appliquées aux captures ont fait que les préoccupations au sujet des objectifs à court terme ont souvent éclipsé la réalisation des objectifs à long terme. En conséquence, on n'a pas appliqué habituellement la gestion de l'effort de pêche et la gestion des captures avec assez d'énergie, ou en consacrant une attention suffisante à l'approche de précaution pour parvenir à une viabilité à long terme. Réaliser les objectifs à longue échéance par le biais des contrôles des moyens de production et de la production, ou d'autres méthodes, exigera une grande attention et une forte volonté politique.

9 RÉFÉRENCES

Alverson, D.L., Freeberg, M.H., Murawski, S.A. & Pope, J.G. 1994. A global assessment of fisheries bycatch and discards. FAO Fisheries Technical Paper, 339. FAO, Rome. 233 p.

CIEM. 1997. Report of the Study Group on the Precautionary Approach to Fisheries Management, ICES Headquarters, 5-11 février 1997. ICES CM 1997/Assess:7. 41 p.

Commission européenne. 1994. The New Common Fisheries Policy. Bureau des publications officielles des Communautés européennes, Luxembourg. 46 p.

FAO. 1985. Report of the Expert Consultation on the regulation of fishing effort (fishing mortality). A preparatory meeting for the FAO World Conference on fisheries management and development. Rome, 17-26 janvier 1983. FAO Fisheries Report R289. FAO, Rome. 34 p.

FAO. 1995. Code de conduite pour une pêche responsable. FAO, Rome. 46 p.

FAO. 1996. L'approche de précaution appliquée aux pêches. Première partie: Principes directeurs de l'approche de précaution appliquée aux pêches de capture et aux introductions d'espèces. FAO: Documents techniques sur les pêches, n° 350/1. FAO, Rome. 57 p.

FAO. 1997. L'approche de précaution appliquée aux pêches de capture et aux introductions d'espèces. FAO: Directives techniques pour une pêche responsable, n° 2. FAO, Rome. 73 p.

Jentoft, S. & McCay, B. 1995. User Participation in Fisheries Management: Lessons drawn from International Experiences. Marine Policy, 19: 227-246.

McGoodwin, J.R. 1990. Crisis in the World's Fisheries: People, Problems and Policies. Stanford University Press, Stanford.

Pope, J.G., 1983. Fisheries Resource Management Theory and Practice. In Taylor, J. L. and Baird, G.G., éd. New Zealand finfish Fisheries: the Resources and their Management. Trade Publications, Auckland. p. 56-62

Rapport Lassen. 1996. Report of a Group of Independent Experts to advise the European Commission on the Fourth Generation of Multi-annual Guidance Programmes, Commission of the European Communities. DG XIV Bruxelles.

Townsend, R.E. 1998. Beyond ITQs: Property Rights as a Management Tool. Fisheries Research, 37:203-210.


[4] De précaution dans le sens qu'ils sont adoptés par défaut. A ne pas confondre avec la notion d'aménagement de précaution.

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