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5 QUESTIONS VISÉES ET ENJEUX DES NÉGOCIATIONS


Dans les études de cas, une partie finale est consacrée aux questions relatives aux négociations et aux enjeux. Elles s’appuient parfois sur les propositions officielles faites lors de la session spéciale du Comité de l’agriculture à l’OMC par les pays eux-mêmes mais aussi d’une manière plus générale sur les droits et les obligations des pays en développement, vis-à-vis des pays développés, au titre de l’Accord sur l’agriculture. Dans le présent chapitre, il n’est ni possible ni approprié de récapituler les différents cas exposés mais certains points généraux peuvent être précisés.

Un meilleur accès aux marchés (surtout dans les pays développés dans lesquels on enregistre depuis toujours les niveaux les plus élevés de soutien ayant des effets de distorsion sur les échanges, pour la production agricole) et l’abolition de la concurrence déloyale provoquée par les subventions à l’exportation, sont les principaux objectifs du cycle actuel de négociations. Dans la plupart des pays en développement, les stratégies de substitution des importations adoptées par le passé ont été remplacées par des politiques de développement, qui mettent l’accent sur les bénéfices qui peuvent découler d’une intégration à l’économie mondiale. Toutefois, ces avantages ne seront pas obtenus si les obstacles au commerce continuent à freiner et à limiter la croissance des secteurs pour lesquels les pays en développement ont un avantage comparatif. Ces difficultés sont évidentes dans l’étude de cas consacrée à l’Égypte. Avec une amélioration de l’accès aux marchés, l’Égypte devrait adopter une stratégie reposant sur l’attribution de ressources accrues aux exportations de produits horticoles exportables de valeur élevée, pour lesquels l’Égypte a un avantage comparatif. Toutefois, des améliorations limitées d’accès aux marchés conduiront l’Égypte à adopter une stratégie de substitution des importations axée sur la production alimentaire qui s’accompagne d’une utilisation moins efficace des ressources agricoles. Le protectionnisme dans l’Union européenne (principal marché de l’Égypte) n’incitent pas l’Égypte à modifier sa position sur l’autosuffisance alimentaire, comme moyen d’assurer la sécurité alimentaire.

Dans les paragraphes consacrés à l’accès aux marchés et à la concurrence, divers problèmes sont soulevés dans les études de cas, et notamment les suivants: crêtes tarifaires sur les produits d’exportation importants pour les pays en développement; crêtes tarifaires limitées dans le Cycle d’Uruguay mais qui font néanmoins obstacle à l’extension des activités de transformation des aliments entraînant une valeur ajoutée dans les pays en développement; recours plus fréquent aux mesures SPS et aux retards pour reconnaître l’équivalence des mesures SPS mises en oeuvre dans les pays en développement; problèmes des préférences commerciales; nécessité de contingents tarifaires plus importants dont les modalités d’accès devraient être plus transparente; et nécessité de supprimer les subventions à l’exportation.

La plupart des études de cas sont favorables à des mécanismes de sauvegarde appropriés, permettant de lutter contre des prix d’importation trop bas et contre des augmentations subites des importations, afin de permettre une libéralisation accrue des échanges en évitant des coûts sociaux excessifs. Un tel mécanisme se justifie aussi comme protection contre les effets des subventions élevées et de la protection de l’agriculture dans les pays développés, qui déprime et déstabilise les cours mondiaux et créé une concurrence déloyale à la fois sur les marchés internationaux et nationaux. On estime en général que les sauvegardes générales du GATT sont trop complexes et lourdes à utiliser, les préjudices devant être démontrés. Une adaptation des mesures de sauvegarde spéciale pour les pays en développement semble être une alternative souhaitable.

Une autre préoccupation des pays importateurs de produits alimentaires est celle de la hausse des cours mondiaux et de l’instabilité des prix conduisant à un risque de tendance des prix à la hausse pour les pays importateurs. On considère dans l’ensemble que la Décision de Marrakech est dépourvue d’effet et qu’il sera essentiel de renforcer ses dispositions pour obtenir le soutien des pays importateurs de denrées alimentaires à faibles revenus, dans les négociations en cours.

Plusieurs études de cas ont signalé qu’il était nécessaire d’assurer que les règles de l’Accord sur l’agriculture n’empêchent pas les pays en développement de protéger et de soutenir la production alimentaire nationale. Cette préoccupation découle en partie de la constatation qu’un niveau élevé d’autosuffisance alimentaire, notamment pour les denrées de base, est nécessaire pour la sécurité alimentaire du pays. Elle est également liée au fait que la pauvreté sévit surtout dans les zone rurales et qu’il est donc nécessaire de développer les possibilités de croissance et d’emploi dans les zones rurales et dans l’agriculture, dans le cadre des stratégies de sécurité alimentaire. Comme les petits producteurs sont souvent les plus touchés par le processus de libéralisation des échanges, une certaine forme de soutien ciblé en vue d’accroître la productivité des petites exploitations et pour stimuler la diversification de l’économie rurale pourraient aussi être requises afin d’empêcher la marginalisation des producteurs à faibles revenus. Un troisième aspect est celui de l’équité: l’Accord sur l’agriculture a favorisé les pays développés qui ont octroyé de fortes subventions par le passé, en leur permettant de continuer cette pratique, mais il empêche maintenant les pays en développement de se comporter de la même façon, simplement parce qu’ils étaient trop pauvres pour financer ces subventions par le passé.

Il ressort des études de cas, que les disciplines de l’OMC n’ont pas été contraignantes pour les politiques de soutien nationales, que les pays en développement veulent mettre en place. Les contraintes budgétaires et les engagements précédents au titre des PAS semblent avoir un effet beaucoup plus limitatif pour ces interventions. Toutefois, nombre de ces études de cas indiquent que les pays en développement sont perplexes au sujet de l’implication des disciplines actuelles pour les options de soutien. De nombreux pays en développement souhaitent une flexibilité supérieure à celle que les dispositions actuelles de l’Accord sur l’agriculture peuvent autoriser.

Une certaine perspective historique sur l’évolution du soutien accordé aux agriculteurs peut être utile, pour étudier cette question. Avec le développement des pays, l’accroissement du niveau de revenus s’accompagne de transferts plus élevés vers le secteur agricole dans les pays. Cela s’explique à la fois pour des raisons économiques et politiques. La croissance économique est associée à un déplacement des possibilités d’emploi du secteur agricole vers les secteurs non agricoles et des zones rurales vers les zones urbaines. Ce passage s’accompagne d’un écart croissant entre les revenus non agricoles et enfin avec un déclin de l’importance de la main d’œuvre agricole. Confrontés au déclin de leurs revenus, les agriculteurs sont incités à se regrouper et à faire pression politiquement pour les transferts de revenus. Parallèlement, la croissance économique permet davantage au secteur non agricole de soutenir le coût de l’augmentation des transferts destinés aux agriculteurs. La croissance économique implique aussi l’adoption d’une alimentation plus riche en viande et en consommation indirecte de céréales, qui aboutit à une détérioration de la balance des échanges agricoles. La préoccupation de voir la baisse des rapports d’autosuffisance, s’accompagne d’une réduction de la sécurité alimentaire et vient s’ajouter à une réduction des problèmes d’équité, pour augmenter la volonté des populations non agricoles de contribuer aux transferts agricoles. La réduction de la taille du secteur agricole s’accompagne d’une efficacité accrue des agriculteurs qui exercent une pression plus forte, alors que le coût des transferts vers la population non agricole, de plus en plus nombreuse, diminue. Cela se traduit par un niveau de plus en plus élevé de soutien agricole, parallèlement à la croissance des revenus par habitant. Il est probable que les mêmes forces économiques et politiques agiront, notamment dans les pays en développement à revenus moyens, avec la hausse du niveau de leurs revenus par habitant.

Les études de cas indiquent que les restrictions financières qui existent dans de nombreux pays en développement (surtout dans les pays en développement à faible revenu), impliquent que ces pays ne pourront pas recourir à une flexibilité accrue, pour les dépenses de soutien internes. Les pays en développement, à revenus moyens, en voie d’industrialisation et où le nombre absolu de personnes travaillant dans l’agriculture est en recul, sont ceux qui vraisemblablement pourront recourir à cette flexibilité additionnelle. Compte tenu des pressions probables qui s’exerceront pour des transferts agricoles accrus à l’avenir, notamment pour les pays en développement à revenu moyen, la question pour les pays en développement est de savoir comment tenir compte de ces pressions en adoptant une plus grande flexibilité, pour fournir des transferts agricoles liés à la production. On peut tirer des leçons importantes de l’expérience des pays développés où la protection tend à être accaparée par les groupes de producteurs et ne bénéficie pas nécessairement à l’intérêt général.

Une autre stratégie adoptée par les pays en développement à faible revenus, consiste à limiter ou à accroître la flexibilité de prendre des mesures à la frontière, pour protéger la production nationale. Des droits plus élevés pour protéger les producteurs nationaux de denrées alimentaires n’entraînent pas des dépenses publiques et peuvent contribuer à renflouer les caisses publiques. Il existe une tension permanente entre le choix d’augmenter les prix en faveur des producteurs ruraux de denrées alimentaires et d’abaisser les prix des denrées pour accroître la sécurité alimentaire des consommateurs. Les avantages du soutien des prix tendent à profiter surtout aux principaux producteurs commerciaux, qui produisent le gros des disponibilités alimentaires commercialisées. La plupart des pauvres ruraux sont des ouvriers agricoles et des acheteurs nets de produits alimentaires. L’Indonésie fournit un exemple dramatique: la pauvreté qui avait reculé progressivement de 1976 à 1996, a repris à nouveau régulièrement du terrain du fait de la crise asiatique et a retrouvé le niveau d’avant la crise vers l’an 2000. La baisse des prix alimentaires, due en grande partie au recul du prix du riz, à la suite de la réforme commerciale, a eu un rôle important dans cette amélioration. Dans certains cas, l’élimination des taux de change surévalués pourraient accroître les incitations pour la production nationale de denrées alimentaires (comme récemment en Égypte) sans introduire les distorsions associées à une politique tarifaire, mais des mesures spéciales pour aider les consommateurs pauvres à la suite de la dévaluation pourraient aussi être prises. A l’avenir les politiques tarifaires devraient tenir compte également des engagements d’intégration régionale adoptés par chaque pays.

Un certain nombre d’études de cas soulèvent d’autres questions spécifiques à élucider lors des négociations agricoles. On peut citer notamment le statut des subventions d’irrigation, la méthodologie utilisée pour calculer l’élément de soutien des prix du marché de la MGS et la position des PMA. Certains pays aimeraient que les règles de l’Accord sur l’agriculture soient plus claires pour que les niveaux positifs de MGS par produits ou autres que par produits puissent être compensés par des niveaux négatifs de MGS par produits. Un tel changement ne serait pertinent que pour les pays qui ont un engagement consolidé de MGS. Pour les pays dont les niveaux de MGS à l’avenir, doivent être limités aux catégories «exemptées» - il s’agit de la plupart des pays en développement - la possibilité de compensation serait sans effet puisque les conditions de minimis de la MGS autorisent au maximum 10 pour cent de la valeur de la production de chaque produit individuel, indépendamment du niveau faible ou élevé de la MGS pour d’autres produits.

Avec le progrès des négociations, les avantages deviennent plus évidents, et les pays en développement devront examiner de manière spécifique et détaillée les répercussions possibles des différentes questions faisant l’objet de négociations. Certains pays ont un besoin d’aide technique et financière pour améliorer la capacité d’analyse politique. Un certain nombre d’études de cas ont relevé l’incapacité des mécanismes politiques d’aborder les questions relatives à l’Accord sur l’agriculture et le besoin d’améliorer la coordination notamment avec la participation d’organisations de la société civile, à la formulation des positions de négociations dans le pays. De nombreux pays en développement négocient des accords d’intégration régionale parallèlement à la libéralisation des échanges multilatéraux. La nécessité des pays en développement d’évaluer et de mettre à jour leurs niveaux de MGS, non pas seulement pour se conformer aux règles de l’OMC, mais dans le cadre du processus d’analyse des politiques nationales, a été souligné dans certaines études. Certains pays ont bénéficié de l’aide technique au titre du Programme intégré conjoint d’assistance technique et du Cadre intégré pour l’assistance technique liée au commerce pour les PMA, mais il existe encore un besoin d’aide technique et financière, pour améliorer la capacité d’analyse politique, notamment dans les PMA.


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