Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre 4. Evaluation des phosphates naturels pour l'application directe


Le chapitre 3 a décrit la caractérisation des éléments du phosphate naturel (PN) pour l'application directe. Selon leur origine et leur histoire géologique, les PN montrent une grande variabilité dans leurs propriétés naturelles, particulièrement dans leur grade, besoin d'enrichissement et réactivité de l'apatite. Ces renseignements donnent la première occasion d'évaluer l'adaptation des PN pour l'application directe. Dans le cas de leur utilisation en agriculture, les PN appliqués au sol subissent une série de transformations chimiques et biologiques qui régissent leur dissolution et la disponibilité du phosphore dissous (P) pour les plantes.

Ce chapitre passe en revue les méthodologies pour l'évaluation des PN pour l'application directe en agriculture. Cela inclut des tests de solubilité utilisant les réactifs conventionnels, des études d'incubation dans des sols sans plantes, des expérimentations en pot en utilisant une plante test dans des conditions contrôlées, et des expérimentations au champ intégrant les facteurs environnementaux, les systèmes de culture et les procédures de gestion, ainsi que leurs interactions. Ce chapitre illustre ces approches en utilisant des exemples choisis dans des études avec des PN d'Afrique occidentale (Truong et al., 1978). Des résultats ont été obtenus avec le PN de Taiba (Sénégal) et celui de Hahotoe (Togo), qui sont exploités à grande échelle pour l'exportation, ainsi qu'avec d'autres PN comme ceux d'Arli et de Kodjari (Burkina Faso), de Tahoua (Niger), et de Tilemsi (Mali), qui sont extraits à petite échelle pour un usage local. Le PN de Gafsa (Tunisie) sert de référence en raison de sa réactivité élevée. L'intérêt pour les PN africains, en particulier ceux d'Afrique subsaharienne, provient d'un certain nombre de considérations. Tout d'abord, il y a une situation paradoxale du fait que l'Afrique se situe au premier rang pour la production mondiale de PN avec 28,5 pour cent, alors qu'elle a la plus faible consommation de phosphate avec 2,8 pour cent de la consommation mondiale (FAO, 1999). En second lieu, bien que les ressources en PN de l'Afrique soient considérables en termes de quantité et de diversité, elles ne sont pas bien exploitées (McClellan et Notholt, 1986, Baudet et al., 1986). Tous les types de PN peuvent y être trouvés. Il y a des gisements de PN magmatiques en Afrique du Sud, en Zambie et au Zimbabwe, PN qui sont de nature grossièrement cristallisée, non réactifs et peu adaptés pour l'application directe (Khasawneh et Doll, 1978). Les gisements de type guano se trouvent en Namibie et à Madagascar (Truong et al., 1982). Ces dépôts se sont formés récemment sur des soubassements coralliens; les PN sont très tendres et pratiquement équivalents au phosphate hydrosoluble. Enfin, il y a des PN sédimentaires qui ont été déposés progressivement au cours des temps géologiques et qui sont faiblement consolidés. Ils contiennent des particules microcristallines avec de grandes surfaces spécifiques et varient considérablement en termes de composition chimique et de réactivité. Ces dépôts représentent 80 pour cent de toutes les réserves du monde. Ils s'étendent du nord à l'ouest et au centre de l'Afrique et sont parmi les plus appropriés pour l'application directe en agriculture.

Pour des connaissances détaillées récentes, le lecteur peut se référer au projet FAO/AIEA de recherche en réseau international (IAEA, 2002). Ce projet a effectué tous les types d'études mentionnées ci-dessus afin d'évaluer l'efficacité agronomique des sources de PN de plusieurs gisements dans le monde entier dans une large gamme de conditions de sols, climats, cultures et de modes de gestion.

TESTS DE SOLUBILITÉ DES PHOSPHATES NATURELS

Les tests de solubilité des PN utilisant des méthodes d'extraction chimique sont empiriques. Ils offrent une méthode simple et rapide pour classer et choisir des PN selon leur efficacité potentielle. Ils ne peuvent pas être employés pour évaluer la quantité de phosphore disponible pour les plantes parce que l'efficacité agronomique réelle du PN au champ dépend de toute une gamme de facteurs. La plupart des méthodes conventionnelles d'extraction sont basées sur celles utilisées au début de l'ère de l'industrie des phosphates (Lenglen, 1935). Cela inclut l'utilisation des acides organiques trouvés dans le sol résultant du métabolisme microbien et de la décomposition de la matière organique, et dans les exsudats racinaires qui aident les racines à absorber le phosphate (Amberger, 1978). L'eau serait l'extractant idéal parce qu'elle est un composé naturel (par rapport aux électrolytes alcalins ou acides) et dérange moins l'équilibre ionique dans les phases solides et liquides (Van der Paauw, 1971). Cependant, la mesure des concentrations très basses de phosphore dans la solution du sol entraîne beaucoup de difficultés analytiques. Les extractants chimiques incluent des réactifs tels que l'oxalate, le citrate, l'éthylène diamine tétra acétate de sodium (EDTA), le citrate d'ammonium alcalin et un certain nombre d'acides faibles (dont les acides oxalique, lactique, malique, acétique, citrique et formique), qui dissolvent et forment des complexes avec le phosphore des PN. Diverses études ont évalué ces méthodes (Engelstad et al., 1974, Chien et Hammond, 1978, Mackay et al., 1984, Rajan et al., 1992). Les réactifs les plus généralement utilisés sont le citrate d'ammonium neutre (CAN), l'acide citrique à 2 pour cent (AC) et l'acide formique à 2 pour cent (AF).

Mesures de la solubilité en utilisant des techniques chimiques conventionnelles

La teneur en P2O5 total et en CaO des PN et la solubilité du phosphore sont obtenues en utilisant des techniques chimiques conventionnelles. Le tableau 8 montre de telles données pour les PN africains. Le phosphore total dans les PN va de 27 à 36 pour cent de P2O5 et les teneurs en CaO sont plus élevées que celles de P2O5. Ceci est dû à la composition de l'apatite, qui contient 10 atomes de calcium pour 6 atomes de phosphore, et de la présence possible de carbonates libres. En plus du phosphore, le calcium (Ca) libéré par les PN peut jouer un rôle important dans l'équilibre ionique des sols et dans la nutrition des plantes poussant dans les sols tropicaux acides.

Les données de solubilité pour les trois réactifs conventionnels diffèrent suivant la force de l'extraction. Cependant, elles sont étroitement reliées et classent les PN dans le même ordre relatif: Gafsa, Tilemsi et ensuite les autres dans le même groupe. Le tableau 8 montre également une bonne relation entre la solubilité dans différents extractants et le rapport CO3/PO4, qui indique le degré de substitution isomorphe de PO4 par CO3 dans la structure de l'apatite. Plus le degré de substitution est grand, plus élevée sera la solubilité dans les réactifs standards (chapitre 3; Lehr et McClellan, 1972).

TABLEAU 8
Analyse chimique des PN africains sélectionnés et solubilité dans des réactifs conventionnels

Phosphates naturels

Teneurs totales (% du minerai)

Solubilité exprimée en % du P2O5 total

Substitution CO3/PO4

P2O5

CaO

CAN

Acide citrique

Acide formique

Arli

30,8

47,6

5,4

19,2

38,7

0,098

Kodjari

30,1

44,8

6,1

18,8

37,1

0,093

Tahoua

34,5

44,8

8,3

19,3

34,0

0,112

Taiba

36,5

44,8

5,0

19,8

38,7

0,098

Tilemsi

27,9

43,1

10,4

29,7

47,3

0,210

Hahotoe

35,4

36,4

4,3

19,1

36,7

0,088

Gafsa

30,2

31,9

20,5

37,8

78,6

0,254

Source: Truong et al., 1978.

Expressions de la solubilité des PN

L'expression de la solubilité du phosphore peut être source de problèmes. Dans des études avec plusieurs sources de PN ayant de grandes variations de teneur totale en phosphore, Chien (1993) a proposé que la solubilité des PN soit exprimée comme pourcentage de la roche phosphatée plutôt qu'en pourcentage du phosphore total (chapitres 3 et 11). En effet, des pratiques sans scrupules, telles que le mélange de sable avec le PN, peuvent augmenter le coefficient d'extractibilité (chapitre 11), amenant ainsi à des conclusions incorrectes sur la réactivité des PN.

En général, la solubilité exprimée en pourcentage du phosphore total est privilégiée pour des raisons pratiques. En effet, le pourcentage du phosphore total qui est soluble dans un réactif indique la réactivité du PN. De plus, la dose d'application d'un engrais phosphaté est calculée selon la teneur en phosphore total. L'expression de la solubilité des PN comme pourcentage du phosphore total serait seulement recommandée quand elle représente une propriété naturelle d'une source de PN et/ou quand on compare plusieurs PN; toutes les origines de PN ayant une teneur semblable en phosphore total. Cependant, il est possible de surmonter ce problème en considérant la solubilité en même temps que la teneur en phosphore total des PN.

Une autre expression proposée par Lehr et McClellan (1972) est l'indice de solubilité absolue (ISA), qui est énoncé comme suit:

ISA = [(% de P soluble)/(% de P dans l'apatite)] x 100

La teneur théorique en phosphore (en pourcentage) de l'apatite peut être calculée à partir des paramètres cristallographiques a et c. De cette façon, il est possible d'éliminer la variabilité de la teneur en apatite dans les minéraux et en phosphore total dans les apatites (Lehr et McClellan, 1972). Le pourcentage de phosphore soluble dépendra du test choisi. L'inconvénient principal de la méthode ISA est que les études cristallographiques sont chères et exigent un personnel entraîné et des laboratoires spécialisés avec un équipement sophistiqué pour l'analyse aux rayons X. Par conséquent, elles devraient être réservées pour les études de base de caractérisation des principaux gisements de phosphate.

Effet de la dimension des particules sur les mesures de solubilité

Comme les PN sont des minéraux relativement insolubles, leur surface géométrique est un paramètre important déterminant leur taux de dissolution. Dans le cas des PN sédimentaires, la surface extérieure géométrique est d'environ 5 pour cent de toute la surface extérieure en raison de la structure poreuse des particules de PN (Lehr et McClellan, 1972). Dans un PN magmatique avec des structures grossièrement cristallisées ne possédant aucune surface interne, les surfaces extérieures géométriques et totales sont semblables.

La dimension des particules de PN est également importante: plus la dimension des particules est petite, plus la surface extérieure géométrique est grande, ainsi que le degré de contact entre le sol et les particules de PN, donc, plus le taux de dissolution du PN est élevé. Le point de coupure concernant la dimension des particules de PN semble être de 100 mesh (149 µm), car le coût d'un broyage plus fin serait prohibitif quel que soit le gain d'efficacité. Rajan et al. (1992) ont rapporté que l'augmentation du phosphore chimiquement extractible après broyage des PN est corrélée positivement à la réactivité des PN. Ils ont constaté que plus la réactivité du PN est grande, plus l'augmentation de la teneur en phosphore extractible due au broyage est grande. Les données présentées dans le tableau 9 montrent une relation positive entre la finesse des particules de PN de Caroline du Nord et l'augmentation du phosphore soluble dans le citrate de ce PN (Chien et Friesen, 1992). En conclusion, les mesures de solubilité de PN devraient être faites sur des échantillons ayant la même distribution granulométrique résultant du même processus de broyage.

Effet des minéraux associés sur les mesures de solubilité des PN.

TABLEAU 9
P soluble dans le citrate du PN de Caroline du Nord selon la dimension des particules

Dimension des particules

P Total

P soluble dans le citrate

Mesh

µm

%

% du PN

% du phosphore total

-35

500

13,2

2,7

20,5

-65

230

12,9

2,8

21,7

-100

149

12,9

3,3

25,5

-200

74

13,2

3,8

28,7

Source: Chien et Friesen, 1992.

Les PN contiennent généralement des matériaux d'endogangue et d'exogangue, tels que calcite, dolomie, gypse, ainsi que quartz, oxydes de fer et d'aluminium et argiles (Lehr et McClellan, 1972). Parmi tout cela, les carbonates libres auraient une influence importante sur la dissolution des PN parce qu'ils sont plus solubles que l'apatite. Ils consomment également une partie des réactifs chimiques, particulièrement les extractants faibles utilisés pour les essais de solubilité, tels que le CAN. Pour surmonter ce problème de réaction préférentielle dans les mesures de solubilité, Chien et Hammond (1978) se sont débarrassés du premier extrait de CAN et ont mesuré la quantité de PN dissoute dans le deuxième extrait CAN. Mackay et al. (1984) et Rajan et al. (1992) ont trouvé que la somme de quatre extraits était plus représentative.

Les minéraux associés ont moins d'influence sur les extractants acides (Rajan et al., 1992, Chien, 1993). En augmentant la force de l'acide citrique de 2 à 5 pour cent, puis à 15 pour cent, Mackay et al. (1984) pouvaient extraire 21, 44 et 59 pour cent, respectivement, du phosphore du PN. L'influence des carbonates libres diminue avec la force des extractants. Des trois méthodes qui sont les plus généralement employées, l'extractant AF à 2 pour cent devrait être préféré comme procédé chimique d'extraction simple.

Cinétique de la dissolution à long terme du PN

Les tests habituels standards de solubilité sont seulement qualitatifs par nature car ils emploient des procédures qui limitent la dissolution du PN soit par un temps de réaction court soit par un faible rapport échantillon de PN/solution d'extraction. Par conséquent, ces tests conventionnels se concentrent sur l'évaluation de l'efficacité des PN à court terme.

Les procédures d'extractions successives ou séquentielles peuvent améliorer considérablement la capacité prédictive des tests en solubilisant une plus grande proportion du phosphore total sans réaliser la dissolution complète des PN.

Truong et Fayard (1995) ont proposé une procédure simple complémentaire pour mesurer la cinétique de dissolution des PN dans le temps. L'échantillon de PN (1 g) est placé dans un entonnoir ou un tube conique, retenu par de la laine de verre, et une solution d'AF à 2 pour cent coule sans interruption sur l'échantillon de PN à une dose d'environ 1 goutte par seconde. Une étude préliminaire a prouvé qu'après 4 h et 300 ml de solution, la majeure partie du phosphore des PN a été dissoute. La figure 11 présente certains de ces résultats.

FIGURE 11
Cinétique de dissolution en continuu des PN dans de l'acide formique

L'avantage de ce procédé est qu'il évacue tout le phosphore et le calcium dissous. Ainsi, il n'y a aucune accumulation à la surface des particules qui pourrait empêcher une dissolution supplémentaire du PN. Les solutions extraites peuvent être analysées à intervalles de temps choisis pour dessiner une courbe de dissolution en fonction du temps.

En général, les courbes représentées dans la figure 11 montrent deux parties. La première est une zone de dissolution rapide durant environ 50-60 minutes, qui pourrait être reliée à l'efficacité à court terme. Les courbes des différents PN sont plus raides et proches l'une de l'autre pendant cette première partie. La seconde partie est une zone de dissolution lente avec un changement prononcé de pente, correspondant à l'effet à long terme. Il est difficile de dissoudre complètement certains PN du fait qu'ils sont cimentés par de la silice ou bloqués dans des oxydes de fer et d'aluminium (Lehr et McClellan, 1972). Dans l'étude présentée sur la figure 11, le PN de Tilemsi confirme sa réactivité élevée dans le court et le long terme. Le procédé ci-dessus demande plus de temps qu'une simple extraction, mais pas plus que les extractions séquentielles ou successives et fournit plus d'informations sur la dissolution des PN dans le temps.

Echelles de réactivité des PN et réponse des rendements des cultures

Les échelles de réactivité des PN servent non seulement à comparer plusieurs sources de PN mais également à prévoir leur efficacité agronomique potentielle. Quand un PN réactif est appliqué dans un sol, il se dissout dans des conditions idéales. Le phosphore disponible aura pour conséquence une bonne réponse de la culture si l'approvisionnement en phosphore est un facteur limitant. Cependant, le rapport n'est pas direct parce que beaucoup de facteurs et leurs interactions déterminent l'efficacité agronomique finale des PN (Mackay et al., 1984, Rajan et al., 1996). Néanmoins, de bonnes corrélations ont été trouvées pour un ensemble spécifique de conditions. Par exemple, la solubilité dans le CAN des PN est bien corrélée avec le rendement du riz irrigué en Thaïlande (Engelstad et al., 1974), et avec le rendement en matière sèche de Panicum maximum sur un Oxisol de Colombie (Chien et Van Kauwenbergh, 1992). Cependant, plusieurs études ont trouvé que l'acide formique est le meilleur indicateur de la réponse de la culture (Chien et Hammond, 1978, Mackay et al., 1984, Rajan et al., 1992).

L'étude de Chien et Hammond (1978) illustre la valeur du test à l'acide formique. Ils ont mesuré les indices de solubilité de sept PN par diverses méthodes de laboratoire et la réponse du rendement de cultures à ces PN sur deux sols colombiens (Oxisol et Andosol) dans des expérimentations au champ et en serre. Ils ont constaté que l'acide formique à 2 pour cent a donné le coefficient de corrélation le plus élevé et le plus significatif en rapport avec la réponse du rendement des cultures, suivie de l'acide citrique à 2 pour cent et du CAN (tableau 10). L'efficacité des PN change considérablement avec la dose d'application de phosphore et la durée de l'expérimentation. Avec une faible dose de P, les PN réactifs ont rapidement libéré du phosphore et ont maintenu leur position dominante, alors que les PN moins réactifs libéraient lentement une petite quantité de P. Avec des doses élevées de phosphore appliqué, les PN réactifs ont libéré une proportion plus élevée de phosphore au début et la partie non utilisée a été convertie dans le sol en formes moins disponibles. En revanche, les PN moins réactifs ont libéré une plus grande quantité de phosphore avec le temps, apportant de ce fait un approvisionnement adéquat à la culture. Leur efficacité s'est améliorée avec le temps.

TABLEAU 10
Coefficients de corrélation entre les échelles de réactivité de sept PN et les rendements des cultures


Citrate d'ammonium neutre

Acide citrique à 2%

Acide formique à 2%

Expérimentation en serre




Panicum maximum




P ajouté (ppm)




50

0,65

0,78 *

0,76 *

100

0,78 *

0,86 *

0,89 *

200

0,89 **

0,93 **

0,95 **

400

0,88 **

0,92 **

0,96 **

Expérimentation au champ




Haricots




Dose d'application,




(kilogramme P/ha)




22

0,75 *

0,79 *

0,89 **

44

0,65

0,71

0,81 *

88

0,59

0,65

0,76 *

176

0,63

0,74

0,85 *

* Significatif au niveau de 5%.
** significatif au niveau de 1%.
Source: Chien et Hammond, 1978.

Etalonnage et indices de réactivité

Les PN peuvent servir de matières premières pour le traitement industriel dans la fabrication des engrais phosphatés et pour l'application directe en agriculture. Les critères de qualité pour ces deux usages peuvent être différents du fait que l'industrie moderne des engrais exige des normes de qualité strictes pour les matières premières qu'elle emploie dans des processus de fabrication spécifiques. Ainsi, non seulement le grade (teneur en P2O5) du PN est important mais certaines autres valeurs seuil devraient également être prises en compte. Par exemple, le rapport CaO/P2O5 est d'une importance majeure en raison de sa signification par rapport à la consommation d'acide lors de la dissolution du PN. Quand le rapport excède 1,6, le processus humide est peu économique. Les impuretés d'aluminium (Al) et de fer (Fe) sont particulièrement gênantes dans le processus humide. Un rapport (Al2O3 + Fe2O3)/P2O5 > 0,10 est considéré comme critique. Par ailleurs, un rapport MgO/P2O5 > 0,022 est indésirable du fait d'un effet néfaste sur la production d'acide phosphorique.

Les facteurs de qualité pour l'application directe sont différents. En fait, les sources de PN adaptées à l'application directe sont considérées comme des «minerais à problème» en raison de leur qualité inférieure et de la présence de minéraux accessoires et d'impuretés (Hammond et al., 1986b). La présence de carbonates de calcium (Ca) et magnésium (Mg) en tant que minéraux accessoires pourrait être utile pour la nutrition des plantes et l'amendement des sols. Le teneur en Al ou en Fe est habituellement sans importance majeure. A côté de l'adaptation à l'enrichissement, les facteurs les plus importants dans l'évaluation pour l'application directe sont le grade (teneur en P2O5) et la réactivité de l'apatite (solubilité).

Dans certains dépôts géologiques, les minéraux des PN changent dans le même gisement. Le tableau 11 présente des exemples de plusieurs gisements. Certaines couches sont plus réactives que d'autres. Une exploitation adéquate des gisements devrait considérer leur qualité en relation avec l'utilisation du PN pour un traitement industriel ou une application directe.

Les directives par rapport aux indices de réactivité changent selon les pays. Les normes de la Communauté européenne concernant les PN pour l'application directe sont strictes, considérant qu'en Europe la plupart des sols ne sont pas acides, les précipitations annuelles sont modérées et la culture est saisonnière. Pour assurer une efficacité agronomique appropriée, trois types de PN peuvent être vendus sous le nom d'engrais. Ceux-ci sont:

· PN fin: 25 % de P2O5 total, soluble à 55 % dans l'AF à 2%, 90 % des particules < 63 µm, 99 % < 125 µm,

· PN semi-fin: 25 % de P2O5 total, soluble à 45 % dans l'AF à 2%, 90 % < 160 µm,

· PN dur: 25 % de P2O5 total, soluble à 10 % dans l'AF à 2%, 90 % < 160 µm.

TABLEAU 11
Variabilité spatiale des échantillons de PN dans le même gisement

Gisements de phosphate

P2O5 total, % du PN

Solubilité dans AF 2%, % du P2O5 total

Monte Fresco (Venezuela)



Couche intacte

27,4

10,7

Couche lessivée

33,2

16,7

Navay (Venezuela)



Couche extérieure

22,6

40,0

Couche profonde

19,5

64,4

Matam (Sénégal)



Bloc Est

18,3

20,1

Bloc Ouest

34,3

71,0

Sources: Truong et Cisse, 1985; Truong et Fayard, 1988.

Concernant les Etats-Unis, le chapitre 3 présente une classification des PN pour l'application directe, proposée par Diamond (1979), basée sur leur solubilité et les réponses initiales prévues des rendements des cultures.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, la plupart des PN sont utilisés dans les pâturages permanents et l'indice de réactivité est de 30 pour cent de phosphore soluble dans l'AC à 2 pour cent (Sale et al., 1997a).

Ces exemples suggèrent que l'indice de réactivité devrait être adapté aux conditions locales. Par exemple, dans les zones tropicales d'Amérique latine et d'Afrique, avec des sols très acides et de fortes précipitations ou en Asie du Sud-Est avec des cultures pérennes en plantation, les valeurs seuil de l'indice pourraient être inférieures à celles ci-dessus.

Mesure du phosphore échangeable des PN par des techniques radio isotopiques

Les techniques isotopiques utilisant les radio-isotopes avec émission bêta 32P (demi-vie = 14,3 jours) ou 33P (demi-vie = 25,3 jours) fournissent une autre façon de mesurer le phosphore échangeable libéré par des PN tout en gardant inchangé l'équilibre ionique entre le liquide et les phases solides. Bien que ces techniques donnent des informations précises et quantitatives, leur utilisation exige un personnel ayant des qualifications adéquates et de l'expertise, ainsi que des équipements fonctionnels de laboratoire conformes aux règlements de protection contre les rayonnements et des équipements de sûreté (Zapata et Axmann, 1995).

Les applications des techniques radio-isotopiques comprennent la technique à court terme de cinétique d'échange isotopique pour mesurer, au laboratoire, la dynamique du phosphore dans le sol, en particulier le phosphore échangeable - ou valeur E - à des moments choisis (Fardeau, 1981). Des mesures indirectes existent également utilisant des plantes telles que le phosphore labile ou valeur L (Larsen, 1952) ou à partir de la dilution isotopique, le phosphore provenant du PN qui est disponible pour la plante (Zapata et Axmann, 1995).

Dans l'étude des PN africains, les valeurs de phosphore échangeable (valeurs E) ont été déterminées en premier. Pour ce faire, une quantité d'ions phosphate 32P sans entraîneur (R) a été injectée dans une suspension phosphate/eau (rapport: 1 g pour 100 ml). Aux moments choisis, 10 ml de la suspension sont prélevés et filtrés à l'aide de filtres Millipore, puis la concentration en phosphore (Cp) et la radioactivité (r) de la solution sont mesurées. Le phosphore isotopiquement échangeable (valeur E) a été calculé en utilisant la formule générale de dilution isotopique: E = Cp x R/r. Les résultats sont présentés dans le tableau 12.

La technique d'échange isotopique peut discriminer les PN dans un temps très court. Après 1 minute, deux groupes peuvent être clairement séparés: plus de 99 pour cent du 32P ajouté sont échangés avec le phosphore des PN de Gafsa et de Tilemsi, tandis que seulement 75 pour cent sont échangés avec le phosphore des PN de Kodjari et de Hahotoe. Bien que l'échange isotopique soit habituellement un processus rapide, les réactions continueront jusqu'à l'équilibre. Après quatre heures, la différence entre les deux groupes a été confirmée par leurs valeurs E. Le phosphore échangeable est un indicateur de leurs réactivités respectives. Cependant, la différentiation des PN dans un même groupe (par exemple Gafsa et Tilemsi) a besoin d'un plus long temps de contact d'environ 24 heures (Fardeau, 1993) ou de plusieurs semaines.

TABLEAU 12
Cinétique d'échange isotopique et solubilité des PN dans l'eau

Phosphates naturels

% de 32P restant en solution

Valeur de E après 4 h

Solubilité dans l'eau

1 minute

10 minutes

100 minutes

% du phosphore total

% du phosphore total

Hahotoe

28,27

15,27

8,98

0,28

0,057

Kodjari

23,60

13,52

7,92

0,17

0,032

Tilemsi

0,58

0,21

0,08

3,87

0,007

Gafsa

0,23

0,10

0,07

3,61

0,006

Source: Truong et al., 1978.

La solubilité du phosphore des PN dans l'eau était très faible pour tous les phosphates, et ces valeurs n'étaient donc pas utiles pour le choix des PN (tableau 12).

RÉACTIONS ENTRE LES PHOSPHATES NATURELS ET LE SOL

Incubation dans un sol

L'incubation de sols amendés avec des PN fournit l'occasion de mesurer la dissolution des PN dans des sols sélectionnés avec différentes propriétés. En outre, certains PN ont des quantités significatives de carbonates libres et d'autres minéraux et peuvent modifier les caractéristiques des sols quand ils se solubilisent. Les études en incubation fermée pour déterminer des taux de dissolution de PN dans les sols ont des limitations parce que les produits de réaction ne sont pas enlevés et, en conséquence, les résultats pourraient être des artefacts expérimentaux. Les études en incubation ouverte, pour lesquelles le sol traité avec le PN est placé dans un récipient ouvert et de l'eau est ajoutée à une dose simulant des conditions locales de précipitations, sont préférables. Les lixiviats sont ainsi collectés et analysés pour le phosphore, le calcium et d'autres éléments. Selon une périodicité choisie, des échantillons de sol sont analysés pour mesurer le PN dissous.

Les études d'incubation fermée de Mackay et Syers (1986) ont prouvé que la réaction de dissolution atteint un équilibre après environ 50 jours. Vraisemblablement, à ce moment là, en l'absence de mécanismes d'enlèvement tels que le prélèvement par la plante ou la lixiviation, la concentration de phosphore dans la solution du sol s'était élevée dans cette étude jusqu'au point où toute dissolution supplémentaire de PN était arrêtée.

Dans une autre étude d'incubation, Jadin et Truong (1987) ont comparé le PN de Gafsa, de réactivité élevée, et le PN de Hahotoe, de faible réactivité, avec un engrais hydrosoluble, le superphosphate triple (TSP), l'étude comprenant un témoin sans phosphate. Le sol utilisé était un Oxisol de Njole (Gabon) avec un pH eau de 4,3 et une capacité de rétention de 234 mg de phosphore par kilogramme. La dose d'application de phosphore était de 100 mg/kg. Le phosphore disponible a été mesuré par la méthode Olsen modifiée par Dabin (1967) pour estimer le phosphore dissous des PN. Les données du tableau 13 reflètent les résultats nets des réactions opposées se produisant lors de la dissolution des PN. Celles-ci comprennent la libération de phosphore dissous dans la solution du sol, la rétention du phosphore dissous sur les colloïdes du sol et sa conversion en formes non disponibles pour les plantes. Les taux de dissolution basés sur les données de phosphore disponible (méthode Olsen-Dabin) étaient de 84 pour cent pour le TSP, de 58 pour cent pour le PN de Gafsa et de 35 pour cent pour le PN de Hahotoe. La différence entre les sources de PN était conforme aux résultats obtenus avec les précédentes techniques d'évaluation, en particulier pour ce qui est de la réactivité des PN.

TABLEAU 13
Effets d'une incubation des PN sur les caractéristiques d'un Oxisol de Njole, Gabon

Traitements

P disponible (Olsen-Dabin) mg/kg

pH

Ca échangeable meq/100g

Al échangeable meq/100g

Témoin

31

4.0

0.9

0.12

TSP

110

4.3

1.2

0.07

PN de Hahotoe

46

4.1

1.6

0.09

PN de Gafsa

76

4.5

2.1

0.01

Source: Jadin et Truong, 1987.

L'application de PN avant la plantation peut être un avantage dans les sols à faible pouvoir tampon pour le phosphore mais pas nécessairement dans les sols ayant un pouvoir tampon plus élevé pour le phosphore (Chien et al., 1990b). La disponibilité du phosphore adsorbé a été mesurée en fonction de la capacité d'adsorption afin de vérifier la validité de cette hypothèse.

Dans l'étude de Njole, 63 pour cent du phosphore adsorbé sont demeurés échangeables pendant la phase de désorption en utilisant la technique de dilution isotopique au 32P (Jadin et Truong, 1987). Par conséquent, il est nécessaire d'évaluer la capacité globale de rétention de phosphore du sol quand on envisage de faire des applications de PN au sol avant la culture.

Effet chaulant des PN

Les calculs théoriques peuvent estimer l'équivalent en carbonate de calcium (ECC) du PN comme somme des minéraux de la gangue et du carbonate de l'apatite. Ceci peut également être mesuré par la méthode l'«Association of Official Analytical Chemists» dans laquelle 1 gramme de PN est ajouté à 50 ml d'HCl 0,5 N et l'acidité résiduelle est mesurée par titration inverse (Sikora, 2002). Normalement, le ECC représente environ 50 pour cent du PN. Ces évaluations (effet chaulant potentiel) considèrent que le PN est totalement dissous.

Une étude en serre a évalué la valeur du potentiel chaulant de certains PN d'Amérique du Sud et d'Afrique de l'Ouest appliqués à un Ultisol. Il a été constaté que les PN ayant une réactivité moyenne à élevée peuvent fournir du calcium aux plantes poussant dans des sols acides avec un faible taux de calcium échangeable (Hellums et al., 1989). Dans une autre expérimentation avec un Oxisol du Gabon, l'application de PN de Gafsa a augmenté le pH du sol de 0,5 unité (tableau 13). Des doses plus élevées de PN peuvent entraîner de plus fortes augmentations du pH. Les effets de la libération de calcium par les PN étaient également significatifs en raison de l'approvisionnement en calcium pour la nutrition des plantes, sa contribution à la saturation en bases et la diminution de la toxicité aluminique. Ce résultat est reflété non seulement par une diminution de l'aluminium extractible mais également par une augmentation du niveau de calcium échangeable (Kamprath, 1970).

Bien que les augmentations potentielles de pH du sol résultant de la dissolution des PN soient faibles (Sinclair et al., 1993b), elles peuvent avoir un effet significatif sur les niveaux de saturation en aluminium dans les sols tropicaux. Des travaux sur des Ultisols et Oxisols à Porto Rico ont prouvé que la saturation en aluminium est passée de 60 pour cent à pH 4,2 à 35 pour cent à pH 4,5 et à 20 pour cent à pH 4,8 (Pearson, 1975). Ces effets peuvent améliorer les propriétés chimiques des sols de manière significative, particulièrement dans les sols très acides, dégradés et à problème tels que les sols sulfatés acides en Asie du Sud-Est (Truong et Montange, 1998).

En conclusion, l'effet chaulant du PN existe mais il est de faible ampleur. Les doses réalistes d'application de PN (100 à 200 kg/ha) avec une valeur neutralisante efficace d'environ 50 pour cent sont équivalentes à 50 à 100 kilogrammes de chaux par hectare. Cependant, malgré ces faibles quantités, les PN moyennement et fortement réactifs peuvent avoir des effets bénéfiques sur les propriétés chimiques des sols tropicaux fortement lessivés.

ESSAIS EN SERRE

La prochaine étape dans l'évaluation implique des expérimentations en pots à l'aide d'une plante test. Elles ont l'avantage d'être relativement peu coûteuses et de permettre de tester plusieurs facteurs tels que le type de sol, le PN et les espèces de plantes (qui influencent l'efficacité agronomique des PN). Cette approche peut généralement contrôler d'autres facteurs qui influencent la croissance des plantes, tels que la lumière, l'humidité, la température et la maladie, ce qui est souvent difficile au champ. Cependant, les conditions de croissance et de développement des plantes en serre sont habituellement très différentes des conditions de champ. Par exemple, le volume, la profondeur et la stratification des horizons naturels de sol au champ influencent le développement du système racinaire dans différents endroits du profil et régulent le stockage et le mouvement de l'eau et des éléments nutritifs dans le sol. Ceci est difficile à reproduire dans un pot (Rajan et al., 1996). Vu les caractéristiques de libération lente des PN, une évaluation à long terme au champ exige des variations dans le sol et les conditions climatiques ainsi que dans les procédures de gestion des systèmes de culture.

Il existe un certain nombre de considérations pratiques pour la conduite d'expérimentations en pot. La taille du pot dépend de la plante-test et de la durée prévue pour l'expérimentation. Des pots contenant 2 à 5 kilogrammes de sol sont normalement utilisés pour obtenir le rendement en grain avec des céréales à petites graines et des légumineuses à graines. La durée de l'expérimentation dépend des objectifs de l'étude. Certaines études recommandent de récolter les plantes à la période de la demande maximale de phosphore par les plantes, par exemple au stade de la montaison pour les céréales et à la floraison ou à l'apparition des gousses pour les légumineuses. D'autres se concentrent sur l'effet des traitements sur le rendement en grain et, en conséquence, amèneront les cultures à maturité. Pour comparer un grand nombre de PN dans une gamme de sols, des petites graminées sont recommandées comme Agrostis sp. avec 100 à 200 g de sol par pot, ou le ray-grass dans des pots contenant de 500 à 1 000 g de sol. Une croissance rapide permet plusieurs coupes à des intervalles de 2 à 4 semaines. Agrostis est particulièrement intéressante en raison de ses graines de petite taille (100 graines/pot pèsent 12 à 15 mg et contiennent 50 à 60 µg de P) et de sa réponse au statut phosphaté du sol (Truong et Pichot, 1976). Un grand nombre de graines par pot est important pour assurer l'homogénéité de la germination, du tallage et de la production de biomasse. La dose d'application de phosphore devrait être comprise entre 25 et 400 milligrammes par kilogramme de sol. Les faibles doses (25 ou 50 mg/kg) sont souvent insuffisantes dans les sols à faible et forte capacité de sorption du phosphore et les effets ne sont alors pas détectés. Les doses élevées (400 mg/kg ou plus) peuvent induire des perturbations dans l'équilibre ionique du sol (Zapata et Axmann, 1995).

L'étude des PN africains par Truong et al. (1978) a comparé sept PN de différentes réactivités avec un engrais soluble (TSP) et un témoin sans apport de P. Les PN ont été appliqués à la dose de 100 mg de phosphore par kilogramme de sol dans des pots contenant 100 g de sol. Les trois sols utilisés étaient un alfisol du Niger (pH eau de 6,5; Capacité de rétention du phosphore Langmuir de 16 ppm), un vertisol du Sénégal (pH 5,9, rétention de 1 067 ppm de P) et un andosol de Madagascar (pH 4,3, rétention de phosphore de 3 818 ppm). Ils étaient tous déficients en phosphore disponible. Les engrais et les sols ont été parfaitement mélangés avec des niveaux adéquats des autres éléments nutritifs afin de s'assurer que le phosphore était le seul facteur influençant les résultats. Du 32P sans entraîneur a été également ajouté pour déterminer le phosphore isotopiquement échangeable (valeur L) selon Larsen (1952). Les plants d'Agrostis ont été coupés chaque mois avec un total de quatre coupes avec détermination de la matière sèche et du phosphore absorbé. Les traitements ayant reçu du phosphore (TSP et PN) ont donné des rendements sensiblement plus élevés en matière sèche, une absorption de phosphore et des valeurs L plus grandes que le témoin, le TSP donnant les rendements les plus élevés (tableau 14). Les données réelles pour les traitements avec PN variaient d'un sol à l'autre mais le classement relatif des PN est demeuré presque le même, c'est à dire Gafsa était le plus réactif, suivi de Tilemsi, et quelques fois, Tahoua a été meilleur que les autres. L'absorption de phosphore semble être un paramètre plus sensible que la matière sèche pour différencier les PN. En général, les résultats ont confirmé que les caractéristiques naturelles des PN demeurent le facteur le plus important pour déterminer leur valeur agronomique potentielle.

En conclusion, les expérimentations en pot servent principalement à obtenir des renseignements préliminaires sur l'efficacité agronomique potentielle des sources de PN. Elles sont particulièrement utiles pour intégrer les effets et les interactions des PN, des sols et des plantes dans des conditions contrôlées. Néanmoins, les résultats obtenus dans ces expérimentations exigent une soigneuse interprétation.

TABLEAU 14
Résultats d'une expérimentation en pot avec des PN africains sélectionnés

Traitements

Matière sèche (mg/pot)
Somme des 4 coupes

Absorption de phosphore
(µg P/pot)
Somme des 4 coupes

Valeur L (ppm P)

Andosol

Vertisol

Alfisol

Andosol

Vertisol

Alfisol

Andosol

Vertisol

Alfisol

Témoin sans P

635d

1 165f

235e

478e

832f

146e

30f

38e

6e

Arli

1 343c

1 505de

320d

1 968d

1 282e

186cd

77e

39e

28d

Kodjari

1 336c

1 430e

332d

1 720d

1 267e

195cd

74e

39e

30d

Tahoua

1 621bc

1 791d

431c

2 496c

1 956d

269c

100c

46d

33c

Taiba

1 389c

1 365e

335d

2 146cd

1 251e

195cd

90d

41e

28d

Tilemsi

1 769b

1 932c

428c

3 352b

2 700c

259c

134b

62c

33c

Hahotoe

1 313c

1 438e

337d

1 919d

1 361e

209cd

91d

45d

30d

Gafsa

1 892ab

2 260b

506b

3 774b

4 575b

318b

139b

94b

42b

TSP

1 974a

2 862a

1 599a

4 078a

6 549a

4 975a

150a

128a

88a

Les valeurs suivies de la même lettre ne sont pas statistiquement différentes (P = 0,05).
Source: Truong et al., 1978.

Comparaison des PN avec des engrais standards

La performance agronomique des PN par rapport aux engrais phosphatés hydrosolubles s'exprime normalement de deux manières différentes. La première est la valeur de substitution (VS) ou approche horizontale, donnée par le rapport: «dose d'engrais phosphaté standard» sur «dose de l'engrais testé nécessaire pour obtenir le même rendement de la culture». La seconde est la réponse relative (RR) ou approche verticale, donnée par le rapport: «réponse à l'engrais testé» sur «réponse à l'engrais standard» quand tous les deux sont appliqués à la même dose de P. Les deux approches ont leurs avantages et leurs inconvénients.

La valeur de substitution est utile pour réaliser une estimation économique du PN par rapport à l'engrais de référence (Chien et al., 1990a) au niveau de productivité qu'un agriculteur peut souhaiter réaliser. Le système VS a une valeur constante indépendante de la dose de phosphore si l'engrais de référence et celui testé ont le même rendement maximum, ce qui est rarement le cas avec des PN (Rajan et al, 1991a, Ratkowsky et al., 1997). Pour cette raison, les valeurs de VS sont calculées au niveau désiré de rendement (Rajan, 2002) ou comme une fonction continue du rendement (Singaram et al., 1995).

Comme, invariablement, les courbes de réponse du rendement aux PN et au phosphore hydrosoluble ne partagent pas une limite de rendement commune, il n'est pas possible de calculer une seule valeur de RR pour chaque source. Il est recommandé de faire l'évaluation sur une gamme complète de doses d'application de P. Cependant, cette approche implique un grand nombre de pots ou d'unités expérimentales, et exige une surveillance et une logistique compliquées. Un compromis implique de travailler avec des doses modérées, dans la partie linéaire des courbes de réponse, où le RR serait simplement le rapport des pentes des parties linéaires des courbes de régression (Khasawneh et Doll, 1978). Avec des doses modérées de 50 à 200 mg de phosphore par kilogramme de sol, généralement utilisées dans les expérimentations en serre selon la texture du sol, son statut phosphaté et sa capacité de fixation du P, il a été constaté que la comparaison de diverses sources de phosphore était indépendante de la dose d'application du phosphore (Morel et Fardeau, 1989).

Un autre indice s'appelle l'efficacité agronomique relative (EAR) d'un engrais phosphaté testé. Elle est déterminée en exprimant en pourcentage le rapport de la réponse à l'engrais testé (traitement - témoin) sur la réponse à l'engrais standard, quand tous les deux sont appliqués à la même dose:

EAR = (engrais phosphaté testé - témoin)/(engrais phosphaté standard - témoin) x 100

Pour que les valeurs de EAR soient significatives, la différence entre l'engrais phosphaté standard et le témoin devrait être statistiquement significative. Le PN étudié est l'engrais phosphaté testé tandis que l'engrais phosphaté standard est un engrais hydrosoluble tel que le superphosphate simple ou triple. Basés sur l'équation de l'EAR, différents coefficients peuvent être calculés pour le rendement de la culture ou la production de matière sèche, l'absorption de phosphore, l'extraction chimique ou la valeur L. Le tableau 15 présente les données obtenues pour l'étude des PN africains en utilisant le TSP comme engrais de référence. Cela montre que le classement relatif des PN est presque le même avec les différents coefficients, mais les valeurs réelles varient largement avec les sols. En prenant en compte les EAR basées sur l'absorption de phosphore, le PN de Gafsa était équivalent (98 pour cent) au TSP dans l'andosol mais son efficacité relative était de 54 pour cent dans le vertisol et de 42 pour cent dans l'alfisol. Réciproquement, le PN le moins réactif (Arli) était équivalent à 42 pour cent du TSP dans l'andosol. Ainsi, le classement des PN pour l'application directe reste relativement constant, mais l'efficacité des PN devrait être considérée en relation avec les propriétés du sol.

TABLEAU 15
Coefficients estimés d'EAR basés sur les valeurs L et l'absorption de P. Expérimentation en pot

Phosphates naturels

Coefficient EAR (%)
(valeur L)

Coefficient EAR (%)
(absorption de P)

Alfisol
(Tarna)

Vertisol
(Richard Toll)

Andosol
(Ambohimandroso)

Alfisol
(Tarna)

Vertisol
(Richard Toll)

Andosol
(Ambohimandroso)

Arli

27

1

39

27

5

42

Kodjari

29

1

37

32

3

35

Tahoua

33

8

58

38

14

52

Taiba

27

3

50

28

5

42

Tilemsi

33

27

87

38

16

69

Hahotoe

29

8

51

31

6

38

Gafsa

44

62

91

42

54

98

Source: Truong et al., 1978.

Effet de la durée

Les PN sont des engrais à dissolution lente. Ils ont besoin de temps et d'eau entourant les particules afin de permettre aux produits de dissolution de diffuser loin des particules de PN dans le volume de sol. L'évaluation en serre des PN africains a été entreprise pour observer les changements se produisant avec le temps. Les coefficients d'EAR basés sur les valeurs L et l'absorption de phosphore ont changé considérablement entre 1 et 4 mois pour la plupart des PN dans un Andosol (tableau 16). Etant très réactifs, les PN Gafsa et de Tilemsi se sont dissous rapidement et leur efficacité est demeurée inchangée ou légèrement augmentée après 4 mois, alors que les PN moins réactifs avaient besoin de temps pour exprimer leur efficacité potentielle. L'amélioration de l'efficacité relative des PN au cours du temps a été attribuée à la continuation du processus de dissolution des PN tandis qu'une faible concentration de phosphore est maintenue dans la solution du sol. L'amélioration peut également résulter de l'épuisement du phosphore issu de l'engrais soluble en raison de l'absorption de phosphore par les plantes et la conversion de phosphore soluble en formes de phosphore moins disponibles. En général, les PN moins réactifs doivent être broyés plus finement afin d'assurer un plus grand et plus long temps de contact entre le PN et le sol.

TABLEAU 16
Changements avec la durée des coefficients estimés d'EAR pour des PN appliqués sur un Andosol à Madagascar

Phosphates naturels

Coefficient EAR (%)
(valeur L)

Coefficient EAR (%)
(absorption de P)

Après 1 mois

Après 4 mois

Après 1 mois

Après 4 mois

Kodjari

12

39

19

35

Hahotoe

11

56

24

38

Taiba

19

57

29

42

Tahoua

34

62

49

52

Tilemsi

67

89

72

69

Gafsa

91

89

120

98

Source: Truong et al., 1978.

TABLEAU 17
Influence de la teneur en eau du sol sur l'absorption de phosphore des PN dans un Oxisol à Madagascar

Phosphate naturel

Absorption de phosphore (µg P/pot)

25% de la capacité au champ

50% de la capacité au champ

Arli

5,22

9,44

Kodjari

5,35

7,72

Tahoua

8,04

11,78

Taiba

6,26

9,48

Tilemsi

13,41

18,22

Hahotoe

4,66

9,68

Gafsa

26,05

23,69

TSP

24,62

25,33

Rapport entre la solubilité des PN et l'absorption de phosphore par la culture

En général, une solubilisation accrue du PN devrait augmenter le phosphore disponible, et cela devrait avoir comme conséquence une augmentation de l'absorption de phosphore et du rendement de la culture. Cependant, le rapport n'est pas direct en raison des nombreux facteurs et de leurs interactions qui affectent l'efficacité agronomique des PN (Mackay et al., 1984, Rajan et al., 1996). Normalement, la réactivité prévue des PN, évaluée dans des essais de solubilité, devrait être validée dans des expérimentations en serre et au champ. Le tableau 18 présente les coefficients de corrélation calculés en utilisant des données des tableaux 8 (solubilité) et 14 (absorption de P). Les coefficients sont élevés pour l'andosol et le vertisol mais faible pour l'alfisol. Dans l'alfisol, le pH du sol est presque neutre et les propriétés chimiques ne sont pas adéquates pour la solubilisation des PN.

TABLEAU 18
Coefficients de corrélation entre l'absorption de phosphore et les tests de solubilité


Andosol

Vertisol

Alfisol

Citrate d'ammonium neutre

0,90

0,98

0,87

Acide citrique à 2%

0,90

0,90

0,73

Acide formique à 2%

0,81

0,91

0,69

Source: Truong et al., 1978.

ÉVALUATION AU CHAMP

La dernière étape de l'évaluation des PN est la conduite d'expérimentations sur le terrain dans des endroits représentatifs de la région ou du pays étudié. Les expérimentations au champ sont essentielles afin de fournir une évaluation réaliste des performances du PN en conditions pratiques de production. Une évaluation nationale au champ est intéressante vu que l'efficacité agronomique du PN est affectée par les propriétés naturelles du PN, le sol et les conditions climatiques, les systèmes de culture et les pratiques de l'agriculteur. Cependant, un tel programme exige une importante équipe bien formée et un budget que peu de pays peuvent mobiliser. Le projet national sur les phosphates naturels réactifs d'Australie fournit un bon exemple d'un tel programme (Sale et al., 1997a).

Plusieurs programmes d'évaluation au champ comprenant des expérimentations en station de recherche et en exploitation agricole impliquant des tests multilocaux ont évalué les effets directs et résiduels des PN. Des programmes nationaux ont été réalisés au Chili et au Venezuela (Besoain et al., 1999, Casanova, 1992 et 1995, Zapata et al., 1994), en Nouvelle-Zélande (Sinclair et al., 1993c), au Brésil (Lopes, 1998), au Burkina Faso (Lompo et al., 1995, FAO, 2001b), au Mali (Bagayoko et Coulibaly, 1995, FAO, 2001b), au Togo (Truong, 1986, FAO, 2001b) et au Sénégal (Truong et Cisse, 1985, FAO, 2001b). Pour plus d'information sur un programme international, le lecteur peut se référer au récent projet FAO/AIEA de recherche en réseau (IAEA, 2002).

L'exemple suivant illustre le cas du Burkina Faso, où le PN local de Kodjari avait été étudié intensivement en raison de sa faible réactivité et de sa difficulté à se dissoudre dans les acides minéraux (Truong et Fayard, 1987, Frederick et al., 1992). En se basant sur la localisation géographique, les types de sol, les conditions climatiques et les systèmes de culture, les régions potentielles pour évaluer ce PN en application directe ont été regroupées en trois zones avec les principales caractéristiques suivantes:


Zone A

Zone B

Zone C

Zone géographique

Nord et est

Centre

Ouest et Sud-Ouest

Précipitations

< 600 millimètres

600-800 millimètres

> 800 millimètres

Sol

Alfisol, sableux

Oxisol, limoneux

Ultisol, limono-argileux

Cultures principales

Mil

Sorgho

Maïs

Fertilisation

23N-25P2O5-30K2O

34,5N-25P2O5-30K2O

46N-25P2O5-30K2O

De faibles doses d'engrais ont été recommandées pour tenir compte des raisons économiques et des risques climatiques (sécheresse). Les chercheurs agronomes et le personnel de vulgarisation ont estimé les doses de fertilisation selon la réponse prévue à l'application de phosphore pour chaque emplacement. En utilisant l'information existante tirée des expérimentations passées et vu le budget disponible et les capacités techniques du personnel local, le nombre limité de traitements incluait: (i) un témoin NK sans P, (ii) NPK avec du PN de Kodjari, (iii) NPK avec du PNPA de Kodjari (acidulé à 50 pour cent avec de l'acide sulfurique) et (iv) NPK avec TSP.

Des expérimentations de terrain de type «station» ont été installées en nombre limité dans chaque zone. Ces expérimentations comportaient un modèle statistique, des répétitions adéquates et une surveillance technique afin d'obtenir des informations précises pour servir de référence à la zone. En outre, un grand nombre d'agriculteurs ont été choisis pour participer au programme d'évaluation avec les mêmes traitements, mais sans répétitions. Ces expérimentations sur des exploitations agricoles ont été effectuées afin d'intégrer la variabilité des pratiques des agriculteurs. Johnstone et Sinclair (1991) ont estimé que 40 répétitions seraient nécessaires pour assurer 90 pour cent de probabilité de détecter une différence entre deux engrais qui diffèrent de 10 pour cent dans la disponibilité du phosphore.

Le tableau 19 présente les données de rendement des deux types d'expérimentation. Les valeurs moyennes d'EAR pour le phosphate naturel partiellement acidulé (PNPA) étaient plus élevées que celles pour le PN dans les deux types d'expérimentations pour toutes les cultures. Le riz inondé cultivé en casiers a donné des résultats plus élevés, confirmant que l'eau est essentielle pour l'efficacité des PN dans les savanes sèches d'Afrique subsaharienne. Une série d'expérimentations complémentaires a évalué la performance du PN de Kodjari. Sa solubilité dans l'AF était de 37 pour cent (tableau 8). Les valeurs d'EAR étaient de 29 pour cent basées sur la valeur L et de 32 pour cent basées sur l'absorption de phosphore (tableau 16). La valeur moyenne d'EAR basée sur les données de rendement était de 48 pour cent au champ pour tout le pays (tableau 19), allant de 36 pour cent dans le nord à 60 pour cent dans le sud, selon les précipitations.

TABLEAU 19
Rendement des cultures et EAR estimé pour des expérimentations de terrain au Burkina Faso

Expérimentations «en station»

Traitements

Mil

Sorgho

Maïs

kg/ha

EAR

kg/ha

EAR

kg/ha

EAR

Témoin

596


916


2 219


PN

698

68

1 006

39

2 464

35

PNPA

728

88

1 103

81

2 839

88

TSP

745


1 146


2 919


Expérimentations «en exploitation agricole»

Traitements

Mil

Sorgho

Maïs

Riz inondé

Moyenne de 70 champs

Moyenne de 146 champs

Moyenne de 54 champs

Moyenne de 6 champs

kg/ha

EAR

kg/ha

EAR

kg/ha

EAR

kg/ha

EAR

Témoin

440


671


1 263


2 036


PN

598

54

911

50

1 976

77

2 348

80

PNPA

642

70

1 004

70

1 959

76

2 455

108

TSP

728


1 143


2 184


2 422


Sources: Frederick et al., 1992, Lompo et al., 1994.


Page précédente Début de page Page suivante