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L’enseignement forestier technique en Afrique: le point de vue de l’industrie

J.J. Landrot

J.J. Landrot est Secrétaire général de l’Association interafricaine des industries forestières, Paris (France).

Un aperçu de la formation nécessaire aux industries forestières africaines – dans les écoles de formation technique et en cours d’emploi pour ceux travaillant déjà dans le secteur – qui souligne les avantages de liaisons entre l’industrie et les écoles techniques.

Dans les années 60 (et même plus tôt), l’ouverture d’une conces- sion forestière en Afrique tropicale humide comportait simplement la mise en œuvre d’un programme de récolte forestière basé sur une prospection topographique et un inventaire sommaire. La récolte forestière était la planification d’un prélèvement sélectif de quelques essences recherchées, avec un diamètre minimum de coupe et la fermeture des parcelles, permettant à la nature de régénérer la forêt sans perturbations en vue de futures récoltes.

Dans les années 90 cette simple approche s’est modifiée en raison de la dégradation environnementale croissante entraînée par une démographie galopante, la surexploitation industrielle des ressources forestières et la conversion des forêts à d’autres affectations pour réaliser un développement économique rapide. En 1990, les membres de l’Organisation internationale des bois tropicaux se sont engagés à réaliser l’Objectif 2000, qui vise la production à 100 pour cent durable des forêts tropicales. L’inquiétude mondiale sur la pérennité des massifs forestiers de la planète, mais plus spécifiquement tropicaux, a été exprimée lors de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) en 1992. L’industrie forestière aussi a commencé à reconnaître qu’il était nécessaire de considérer les forêts non plus seulement comme une source de bois, mais aussi comme un système écologique complexe à gérer de manière durable afin de satisfaire les besoins des générations présentes et futures.

Trois ans après la CNUED, les premières concessions forestières africaines ont commencé le processus d’aménagement dans une approche systémique qui prévoyait la planification à long terme de la récolte de produits forestiers. Pourtant, plus de 10 ans après la CNUED, moins de 1 pour cent des concessions tropicales forestières en Afrique (1,5 million d’hectares) ont complété et mettent en œuvre des plans de gestion forestière durables à long terme – bien que ce chiffre devrait augmenter sensiblement dans les quelques années à venir car davantage de plans sont déposés pour approbation auprès des autorités forestières.

Le manque d’un régime de gestion à long terme est extrêmement nuisible à la pérennité des forêts africaines et à la disponibilité permanente de bois tropicaux pour les consommateurs qui demandent de façon croissante du bois provenant de forêts gérées de manière durable. L’une des raisons du retard dans la concrétisation de la durabilité est le manque de programmes de formation professionnelle visant à répondre aux nouveaux besoins du secteur privé, des gouvernements et des organisations non gouvernementales (ONG). Une autre raison est l’absence de réinvestissement des recettes fiscales dans la gestion forestière ou dans l’enseignement et la formation. La gestion forestière moderne en vue de la production de bois exige des connaissances spécialisées qu’il a été difficile, voire impossible, d’obtenir dans les entreprises d’exploitation. Le présent article décrit le type de formation dont ont besoin les entreprises forestières en Afrique, tant au niveau des écoles de formation technique que pour ceux déjà employés dans le secteur.

BESOINS DE FORMATION

L’inventaire forestier

Le nombre d’espèces arborées commerciales à inventorier et inclure dans les inventaires a augmenté; dans les pays du bassin du Congo, par exemple, où les forêts sont encore extrêmement riches en diversité spécifique, ce nombre est passé d’une dizaine environ à plus de 100. Les inventaires doivent comprendre non seulement les arbres mûrs pour la récolte présente, mais aussi les jeunes arbres de la récolte future, c’est-à-dire au diamètre à hauteur d’homme (dhh) de 10 cm et davantage. Les écorces et les feuilles de ces jeunes tiges sont souvent différentes des arbres matures et il faut un surcroît de connaissances pour les identifier. En outre, ces dernières années, dans de nombreux inventaires forestiers on a commencé à inclure des aspects sociaux, des produits forestiers non ligneux et une grande variété de flore et de faune forestières.

Les photos satellites, les systèmes de position géographique (GPS) et les systèmes d’information géographique (SIG) sont devenus d’importants compléments de la boussole, de la chaîne d’arpenteur et du petit cahier d’inventaire.

Extraction

Les nouvelles techniques d’exploitation à impact limité commencent par la planification et la construction d’infrastructures routières à faible impact qui n’occupent que l’espace nécessaire. De nouvelles approches sont appliquées dans la construction des chemins forestiers principaux et secondaires et dans le franchissement de petits et grands cours d’eau.

Les essences secondaires jouent un rôle d’une importance croissante dans la mise en valeur des forêts de la région, et les prospecteurs doivent avoir maintenant une compétence économique pour pouvoir évaluer la valeur marchande de ces espèces et recommander leur commercialisation en fonction d’estimations qualitatives sur pied.

Le matériel forestier a changé radicalement ces dernières années et évolue constamment. De nombreuses machines forestières sont maintenant partiellement ou entièrement informatisées. Les ordinateurs sont utilisés aussi pour la gestion du matériel et des pièces détachées. La main-d’œuvre de l’entreprise d’exploitation est tenue d’avoir des compétences techniques croissantes afin de comprendre le dialogue entre la conception et l’entretien du matériel et des installations.

Les progrès qui permettent d’accroître les rendements industriels et d’améliorer la protection des récoltes futures, comme l’abattage directionnel et l’utilisation de tronçonneuses à grande capacité (qui ont remplacé les haches et les scies de travers dans les opérations d’abattage), exigent de nouvelles compétences et connaissances

On accorde désormais plus d’attention à l’extraction elle-même en vue de minimiser les dégâts causés au peuplement résiduel, au sol et aux troncs tractés. On se préoccupe aussi davantage de l’utilisation optimale des machines et des pistes de débardage, ainsi que de la planification et de la construction de dépôts provisoires.

Le simple concept de rendement commercial, qui guidait jusqu’alors la découpe des grumes dans les parcs à grumes africains, est maintenant remplacé par la notion bien plus complexe d’optimisation de la ressource englobant le volume exportable en l’état et le volume transformable localement.

Une formation en techniques d’abattage directionnel à impact limité qui contribue
à protéger l’environnement et à accroître les rendements industriels

ATIBT

Transformation et valeur ajoutée

Dans toutes les industries du bois (sciage, déroulage, par exemple), les processus modernes exigent de nouvelles compétences et de nouvelles connaissances.

ENSEIGNEMENT TECHNIQUE

Trois niveaux d’enseignement technique sont actuellement disponibles en Afrique:

Les candidats peuvent choisir entre deux spécialités, l’une pour ceux qui veulent travailler dans la forêt et l’autre pour ceux qui aspirent à être employés dans des entreprises de transformation.

Le nombre d’institutions et de cours disponibles doit augmenter pour répondre aux besoins croissants de formation professionnelle dans la région. Le nombre d’écoles, d’étudiants et de cours spécialisés offerts et le choix entre une école nationale ou sous-régionale doivent être établis en fonction de l’analyse des besoins. Cependant, on peut estimer que chaque pays a besoin de plusieurs écoles pour former des techniciens ordinaires et supérieurs en sciences forestières ou techniques de transformation. A un niveau supérieur, une seule institution de formation dans chaque pays avec une capacité d’accueil de 30 candidats ingénieurs par an environ serait suffisante à satisfaire les besoins du gouvernement, des entreprises et des ONG. Une école sous-régionale, en partenariat éventuellement avec des écoles dans des pays industrialisés, serait sans doute suffisante pour que les meilleurs étudiants puissent poursuivre leurs études.

Il faudra aussi apporter des améliorations au matériel pédagogique, au recrutement des professeurs et aux méthodes d’enseignement. En raison de l’évolution rapide de la profession, il faut constamment mettre à jour le matériel et prévoir le recyclage des instructeurs.

Les gouvernements et les bailleurs de fonds doivent garantir que l’appui à l’enseignement forestier dure suffisamment de temps et qu’il soit tenu compte de l’importance de sa viabilité à long terme. Leur appui aux institutions de formation devra naturellement être soutenu par la profession du point de vue financier aussi bien que technique.

Les conducteurs d’engins de récolte et de transformation forestières sont parmi les candidats de la formation
en cours d’emploi qui leur permettra de mettre à jour leurs compétences et leurs connaissances

ATIBT

L’ENSEIGNEMENT POUR CEUX DEJÀ EMPLOYÉS DANS LE SECTEUR

Les besoins de formation et d’enseignement en cours d’emploi se sont accrus énormément avec l’expansion du nombre d’entreprises d’exploitation et de transformation, et la sophistication des compétences exigées.

Il existe de nombreuses catégories de candidats pour la formation en cours d’emploi:

Le tableau fournit une estimation simple du nombre des entreprises du secteur formel de chaque pays qui exigent du personnel formé (fondé sur l’adhésion des fédérations industrielles nationales). D’après un calcul approximatif, si les 300 entreprises d’exploitation identifiées doivent former une moyenne de 10 ouvriers pour les secteurs indiqués, et si chacune des environ 200 entreprises de transformation doivent former en moyenne cinq personnes, il faudra dispenser une formation immédiate à 3 000 ouvriers forestiers environ et à peu près 1 000 ouvriers en usines. Si l’on ajoute à ces formations du secteur privé les besoins des gouvernements et des ONG, les chiffres de 3 500 formations forestières et 1 200 formations industrielles paraissent un minimum raisonnable. D’autres besoins de formation dépendraient du rythme de rotation, du développement professionnel et des méthodes de travail, mais on pourrait les estimer à la moitié des besoins immédiats, à savoir 1 750 dans le secteur forestier et 600 dans celui du secteur industriel annuellement.

Estimation simplifiée du nombre d’entreprises dans le secteur formel de chaque pays susceptibles d’être intéressées par les formations forestières

Pays

Entreprises forêts

Entreprises usines

Cameroun

100

50

République centrafricaine

10

10

Congo

50

30

Côte d’Ivoire

30

30

République démocratique du Congo

20

20

Gabon

50

20

Ghana

50

50

Total

310

210

Les quelques cours de formation sur le tas disponibles à présent en Afrique se déroulent pour la plupart dans les grandes entreprises et sont gérés par des consultants européens, et financés par des bailleurs de fonds. Cependant, ce type de financement n’est pas viable car on n’a aucune assurance de sa poursuite à longue échéance. L’appui des bailleurs de fonds aux cours de formation doit, dès lors, être complété progressivement et éventuellement remplacé par le financement public et celui de l’industrie pour être réellement viable.

La logistique des grandes entreprises et le nombre souvent plus élevé des personnels à former par entreprise facilitent grandement la fourniture de cours de formation pour une entreprise; on peut tout au plus associer le personnel de deux ou trois grosses entreprises. Le Centre pour le développement des entreprises (CDE) de l’Union européenne et d’autres bailleurs de fonds ont partiellement financé des programmes de formation pour de grandes entreprises dans des domaines comme la gestion durable des forêts, l’exploitation à impact limité et les techniques d’affûtage et de séchage. Il en est de même pour le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui pour le moment s’est concentré sur les seules grandes entreprises dans sa coopération pour la gestion durable des forêts financée par l’Union européenne. Cependant, le manque de coordination et d’économie d’échelle a sûrement pénalisé ces programmes.

Pourvoir en formation le personnel des petites entreprises est beaucoup plus difficile car elles n’ont ni la logistique d’accueil ni la concentration des candidats nécessaires. Le soutien des écoles spécialisées est alors nécessaire.

De fait, il paraît fortement souhaitable, pour des raisons de stratégie générale de couverture de l’ensemble des besoins, de s’appuyer sur le réseau des écoles pour l’ensemble des formations. Il y aurait à ce niveau un quadruple avantage:

NOUER DES LIENS ENTRE LES ENTREPRISES ET LES ÉCOLES TECHNIQUES

Les entreprises privées, notamment dans les zones reculées, ont traditionnellement dispensé leurs propres cours de formation. Elles se sont occupées non seulement de l’enseignement scolaire primaire mais aussi de la formation professionnelle interne. Cependant, il est plus difficile pour le secteur privé d’élaborer des programmes de formation sophistiqués pour l’enseignement des technologies modernes que de fournir une formation de base aux méthodes traditionnelles.

D’après l’auteur, un avantage réciproque pourrait s’obtenir en resserrant les liens entre les écoles et les entreprises. Ces liens pourraient être noués à cinq niveaux:

CONCLUSION

Il ressort de cette étude plusieurs indications à suivre par les décideurs des gouvernements africains et par leurs bailleurs de fonds.

Dresser un inventaire actualisé des institutions de formation et des besoins de formation professionnelle par pays et sous-région (francophone et anglophone) par spécialités (exploitation forestière, techniques de transformation, ingénierie, commerce).

Une coordination est nécessaire entre les Etats, les bailleurs de fonds et le secteur privé pour définir une politique d’enseignement et de formation professionnelle forestiers. Cette politique devrait être mise en œuvre suivant les besoins et les préférences de chaque partie prenante. Par exemple, un bailleur peut être intéressé par une école forestière et un autre pourrait vouloir donner son appui au développement technique. Le secteur privé devrait être mobilisé pour appuyer et financer la mise en œuvre de cette politique.

La formation forestière et en industries du bois est également nécessaire pour le personnel du gouvernement et des ONG si l’on veut encourager et superviser efficacement l’industrie.

L’Association interafricaine des industries forestières et ses associations membres, en tant que principaux bénéficiaires, peuvent avoir un rôle vital à jouer dans l’enseignement forestier par leur participation à la collecte d’informations sur les besoins, en aidant à gérer les écoles et en contribuant aux programmes de formation professionnelle.

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