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Un jeu foncier de front pionnier en forêt des Mikea (sud-ouest de Madagascar): pratiques, acteurs et enjeux

C. Blanc-Pamard
Géographe auprès du CNRS, CEAf

Le présent article porte sur les connaissances des interrelations entre les pratiques d’exploitation et la dynamique des milieux dans le sud-ouest de Madagascar, et plus particulièrement dans une zone rurale affectée par des mutations rapides, notamment en matière d’extension des surfaces exploitées, et en situation de blocage spatial imminent. Le système d’exploitation du milieu est très dépendant des conditions de peuplement et des modes d’appropriation des ressources. Dans un contexte caractérisé par une forte immigration, par une confrontation entre autochtones et migrants, par une saturation progressive d’anciens espaces d’activité, par des enjeux pour l’accès aux ressources et par l’affaiblissement des dispositifs de contrôle étatiques, on assiste à une accentuation spectaculaire de la déforestation dans la forêt des Mikea. La promotion - depuis les années 70 - de la culture du maïs comme culture commerciale pour le marché national et l’exportation vers l’île de la Réunion est le moteur de la dynamique pionnière. Le système de culture sur abattis-brûlis pratiqué dans ce contexte d’agriculture pionnière est localement nommé hatsaky. La culture du maïs ne cesse de s’étendre aux dépens des espaces forestiers. La dynamique de la déforestation se pose ici en zone semi-aride puisqu’il n’y a pas une reconstitution de la formation initiale mais un processus de savanisation.

La présente recherche - à laquelle ont participé des agronomes, des écologistes et des géographes - a été menée dans le cadre du Programme de gestion des espaces ruraux et environnements à Madagascar (GEREM) avec la collaboration de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) en partenariat avec le Centre national de recherches sur l’environnement (CNRE).

INTRODUCTION

La région est caractérisée par un climat subaride à deux saisons climatiques, avec des précipitations annuelles comprises entre 600 et 1000 mm. La saison des pluies s’étend principalement du mois de novembre au mois de mars, et reçoit près de 90 pour cent des précipitations. La variabilité interannuelle est élevée. La saison sèche, c’est-à-dire celle recevant moins de 50 mm de pluies mensuelles, s’étend du mois d’avril au mois d’octobre. Les formations végétales originelles, aux dépens desquelles s’établissent les cultures, correspondent à la série des forêts denses sèches à Dalbergia, Commiphora et Hildegardia, définie par Humbert et Cours-Darne (1965). Le peuplement pluristratifié se compose d’une strate arborée continue dense d’une dizaine de mètres de haut, dominée par un étage discontinu d’arbres pouvant atteindre 20 m. Le sous-bois arbustif est assez clair. La strate herbacée est inexistante (Koechlin, Guillaumet et Morat, 1974). A proximité s’étendent des savanes, caractérisées par une strate graminéenne largement dominée par Heteropogon contortus et une strate ligneuse par Poupartia caffra (Grouzis et al., 2001).

LE SYSTÈME DE CULTURE SUR ABATTIS-BRÛLIS

Dans ce milieu semi-aride, le système de culture sur abattis-brûlis ou hatsaky constitue la cause quasi exclusive des défrichements forestiers (Milleville et Blanc-Pamard, 2001). Le défrichement et le brûlis de la biomasse ligneuse sont la première étape de l’installation d’un hatsaky. L’abattage à la hache est effectué durant la saison sèche. Enfin, une longue période de séchage, trois à quatre mois environ, est nécessaire pour une bonne mise à feu. La parcelle défrichée se présente comme un amoncellement de branches coupées avec leurs feuilles et entassées sur deux mètres d’épaisseur. Le brûlis de la biomasse ligneuse laisse à la surface du sol une quantité de cendres très importante. Le maïs est une plante très sensible à la concurrence des adventices et le contrôle de l’enherbement constitue un problème majeur. Les pratiques varient avec l’âge de la parcelle et l’état de la végétation. Les deux premières années (hatsabao, C1 et C2) de culture ne nécessitent aucun sarclage. La deuxième année, on procède à un nettoyage en coupant les rejets de souche. Dès la troisième année (mondra, C3), le contrôle des adventices devient un contrôle réel. Le feu et le sarclage constituent les deux moyens de lutter contre les mauvaises herbes. Le recouvrement des adventices augmentant avec l’âge de la mise en culture, la prolifération des adventices de plus en plus difficile à contrôler conduit à l’abandon de la parcelle, en principe après la cinquième année. A partir de la quatrième année, la lutte contre les mauvaises herbes devient de plus en plus préoccupante et nécessite davantage de main-d’oeuvre. La baisse des disponibilités minérales du sol et la dégradation de ses caractéristiques physiques déterminent également l’abandon cultural. De l’ordre de 1 500 kg/ha durant les premières années, les rendements sont généralement inférieurs à 500 kg/ha à partir de la cinquième année. Après cinq ans (parfois plus) de culture ininterrompue, la parcelle est laissée en friche (monka). L’abandon de la parcelle entraîne en conséquence, une extension de la déforestation pour créer de nouveaux champs.

Au cours de la phase postculturale, l’évolution de la végétation conduit à une formation mixte ligneuse-herbacée, ouverte à caractère savanicole (Grouzis et al., 2001). Il n’y a pas de reconstitution de la formation initiale. La dynamique postculturale se caractérise par un processus de savanisation, conséquence de l’intensité et la durée de la perturbation. Ce système de culture n’est donc pas durable.

L’étude de la dynamique et des modalités de la déforestation dans la partie centrale de la forêt des Mikea a été menée à l’aide d’une étude diachronique réalisée par l’exploitation des photographies aériennes de 1949 et d’images satellites à différentes périodes (1986, 1997, 1999 et 2001), combinée aux travaux de terrain et à une reconnaissance aérienne à basse altitude (Lasry et al., 2004). L’extension de la culture du maïs sur défriche-brûlis est intense et spectaculaire. Près de 55 pour cent de la forêt primaire des Mikea a été défrichée entre 1971 et 2001, soit à un rythme moyen de 12,5 km2 par an. Ce rythme s’est considérablement accéléré au cours du temps, passant de 5,9 km2/an à près de 20 km2 entre 1986 et 2001. Le front de défrichement est située en 2001 à 182 km de la RN9 contre 7 km2 en 1973. La course à la terre s’amplifie à mesure que s’amenuise l’espace forestier apte à la mise en culture. L’existence même de la forêt des Mikea se trouve donc compromise à brève échéance.

Il y a d’abord eu une première installation des villages le long de la RN9 dans les années 20. Ces villages de la RN9 ont commandé eux-mêmes d’autres établissements, orientés vers l’élément essentiel que représente la forêt à l’ouest qui, à leur tour, ont fondé des campements.

Une stratégie obsédante de course à la forêt, une poursuite de la culture du maïs sur les hatsaky pendant quatre, cinq années, voire plus, et l’amorce d’une agriculture permanente sur les terres conquises en forêt sont, en 2001, les caractères principaux de la dynamique du système agraire en forêt. Dans la mesure où le défrichement vaut appropriation du sol, sur le front pionnier où les terres sont en accès libre, les stratégies vont bon train. Les défrichements se poursuivent toujours plus loin à l’ouest mais la pénétration en forêt se traduit par de lourdes contraintes comme l’éloignement croissant de la RN9 et des points d’eau permanents. L’accès inégal à la forêt est devenu un facteur de différenciation entre exploitants.

DYNAMIQUES AGRAIRES ET ORGANISATION DE L’ESPACE

La dynamique et la diversité des systèmes de production dans ses combinaisons sont les caractéristiques d’une zone d’immigration et de colonisation récente. Coton intensif à l’est et maïs extensif à l’ouest sont les deux principales cultures commerciales. L’élevage, qui était à l’origine du déplacement des Masikoro dans cette région pourvue de vastes terrains de parcours, voit ses pâturages se raréfier à l’est, en savane, zone qui lui était traditionnellement réservée, et s’étendre à l’ouest sur les friches postculturales en forêt.

D’est en ouest sur le territoire de la commune d’Analamisampy[33], chaque unité écologique est affectée à une fonction productive particulière. Les deux périphéries lointaines contiennent à l’est des réserves de pâturage et à l’ouest les dernières forêts encore disponibles pour l’essartage. L’organisation du territoire d’est en ouest constitue un dispositif en bandes parallèles: savane, baibo[34], terres alluviales de l’Androka, axe routier et chapelet de gros villages dans le couloir d’Antseva, et à l’ouest de la RN9: savane, abandons culturaux, hatsaky et forêt dense sèche, d’où une gradation allant de l’intensif des baibo à l’extrême extensif de l’ouest forestier. Le paysage de campagnes agricoles à l’est couvertes de champs de coton piquetés par les boules vert sombre des manguiers contraste avec celui à l’ouest des vastes étendues déforestées, où se dressent d’imposants baobabs. La circulation s’organise autour de l’axe nord-sud formé par la RN9 qui relie Tuléar à la vallée du Mangoky.

Diversifié quant à ses plantes cultivées (arachide, pois du Cap, pois voème, lentilles, manioc, maïs, coton), le système agraire l’est aussi dans ses modes d’occupation du sol. Au niveau du territoire rural, des niveaux très contrastés d’artificialisation du milieu se rencontrent au sein de mêmes unités de production. Ils ne sont pas réductibles à des catégories d’acteurs et de producteurs. Il n’est pas rare qu’un exploitant soit à la fois chasseur-cueilleur, bûcheron, essarteur, planteur de coton et éleveur. Des exploitants combinent deux systèmes d’exploitation, l’un extensif, l’autre intensif. L’économie de marché est un élément puissant de valorisation des écosystèmes différents et du changement dans l’affectation des terres (pois du Cap, coton, maïs, etc.). Pour les exploitants résidant dans les villages de l’axe routier, la coexistence de différents systèmes de cultures commerciales (maïs extensif, coton intensif) se traduit par une concurrence au niveau du travail. Il n’en reste pas moins que le contexte économique reste favorable à la culture spéculative du maïs avec l’assurance d’une rémunération immédiate. Certains planteurs sont, depuis 1999, déçus par le coton à cause des retards de paiement après la livraison de la production et des prix jugés peu rémunérateurs.

Les champs à l’est de l’axe routier correspondent à trois types de sol, les meilleurs étant les tany Androka puis les tany mainty et les tany mena. Les tany bariaho, de bons sols, sont des terres à risques car sujettes aux crues de l’Androka. Plus à l’est, on trouve les terres de pâturage en savane (monto).

La principale culture est le coton car c’est celle qui «permet le mieux d’acheter des zébus». Avec le coton, on a de véritables domaines latifundiaires dont les plus importants comptent 300 ha, voire même plus de 500 ha. La Société d’Etat Hasyma (HASY MAlagasy) détient le monopole de l’encadrement de la culture cotonnière et contrôle l’ensemble de la filière, de l’approvisionnement en intrants jusqu’à la collecte de la production. L’exigence du calendrier agricole du coton et le respect d’une ponctualité dans les travaux constituent de fortes contraintes. Une main-d’oeuvre importante est nécessaire. L’entraide tend à disparaître au profit du salariat. C’est pourquoi certains agriculteurs préfèrent mettre leur terre en métayage et d’autres laissent une partie de leurs terres en friche en raison du coût d’exploitation.

EN FORÊT, UNE SITUATION FONCIÈRE DE FRONT PIONNIER

L’agriculture pionnière est une activité grosse consommatrice d’espace qui entraîne vers l’ouest à la fois une extension des cultures et une installation des hommes dans des villages et campements. Les habitants des fronts pionniers représentent, en 2001, 13 pour cent de la population totale de la commune d’Analamisampy. La forêt constitue une réserve forestière mais aussi foncière très convoitée.

L’accès à la terre

L’accès à la terre se fait par le défrichement et la mise en culture de la portion de forêt attribuée. Quand la terre retourne à la friche, le droit de hache entraîne pour le défricheur et ses descendants un droit d’usage à long terme. En principe, ce droit disparaît dès que cesse l’usage mais comme la forêt est en voie de réduction rapide, chacun entend bien s’approprier la terre défrichée. Ce système de détention de la terre met au premier plan l’exploitant, sa résidence, son occupation de la terre et donc son travail. Il est adapté à des situations où l’on s’efforce non seulement d’attirer des nouveaux venus (et, dans ce but, on leur concède la jouissance d’une terre dans des conditions favorables), mais aussi de retenir ces mêmes hommes en leur ôtant le droit de conserver cette terre s’ils cessaient de l’exploiter et de résider sur place. Cette forme d’appropriation conditionnelle pose la question des liens établis à propos de la relation à la terre. L’ancienneté d’occupation confère aux fondateurs une autorité sur les terres et un droit d’usage permanent et collectif. Ce sont eux les tompon-tanà, les premiers occupants, les autochtones qui ont fait le nécessaire pour obtenir la protection des esprits de la Nature, véritables propriétaires des lieux. Ils ont ouvert des champs en forêt, ont établi des villages et acquis un droit sur des portions de forêt.

D’après Fauroux (2000): «Un groupe lignager exerce des droits d’usage collectifs sur le territoire hérité de ses ancêtres qui constitue son espace social historique.» Les biens lova sont des biens hérités - familiaux ou lignagers - que l’on transmettra à ses héritiers[35]. Les biens fila sont des biens acquis individuellement par le travail (par le défrichement par exemple) dont on peut disposer librement en les transmettant; mais, si les descendants cessent d’utiliser leurs terres, leurs droits disparaissent. L’héritage des ancêtres (lovan-drazana) d’un lignage concerne ce qui est transmis par les ancêtres aux générations actuelles. En revanche, un bien personnel, fruit du travail (un champ, une récolte, etc.), est nommé anteña: «Le mien c’est à moi car vous n’allez pas me donner le vôtre.[36]»

Il est fady de vendre un lova tanin-draza, c’est-à-dire la terre des ancêtres au sens de bien commun[37], de territoire approprié par les ancêtres, par exemple une forêt ala velo ou un pâturage. Cela permet de mieux comprendre pourquoi les ventes de terre en forêt concernent principalement les hatsabao, C1 et C2. On peut vendre la terre que l’on s’est (à son tour) appropriée par la hache et par le feu. D’où cette formule: «C’est moi qui ai défriché, donc c’est à moi.» L’acte de défricher fonde les droits d’appropriation. Les terrains vendus sont ainsi généralement aménagés et déjà en culture.

La forêt est librement concédée aux étrangers ou mpivahiny. Est étranger celui qui vient d’un autre village que celui qui l’accueille. Les autochtones donnent une autorisation d’installation en forêt pour un hatsaky aux migrants avec lesquels ils contractent une alliance selon les règles traditionnelles (parenté à plaisanterie, ziva; fraternité de sang, fatidrà; mariage). Ces droits d’accès à la terre entraînent une dépendance des migrants vis-à-vis des autochtones. Les nouveaux venus doivent respecter les coutumes qui règlent leur installation et leur intégration. Dans tous les cas, le bénéficiaire n’a qu’un droit d’usage et reste dépendant de son allié-hôte.

Les alliances matrimoniales

Elles répondent, dans une conjoncture particulière - la course à la forêt -, à un nouvel enjeu pour les familles des clans fondateurs. De véritables manoeuvres matrimoniales sont déployées pour garder l’emprise sur la forêt et valoriser leur privilège de premier occupant dans un objectif de consolidation d’un territoire en forêt.

Les pratiques sont différentes selon qu’il s’agit des fils ou des filles. La stratégie matrimoniale est, d’une part, de prendre «des femmes de la forêt» («un jeune homme autochtone qui suit la forêt a intérêt à se marier avec une femme mikea») et, d’autre part, de garder ses filles et soeurs au village en les donnant en mariage à des étrangers (Tanosy, Tandroy, Mahafale) qui viennent résider au village. Le mariage permet, par l’accès à la terre, une insertion sociale dans le territoire. Le principe de patrilocalité qui obligeait une femme à suivre son mari est mis en échec puisque c’est l’homme qui suit sa femme en venant résider chez son beau-père. Dans les deux cas, ces unions fécondent les terres du clan autochtone. Le choix actuel du conjoint (époux comme épouse) renvoie à une stratégie foncière et territoriale.

L’ancienneté d’installation qui confère aux fondateurs une autorité sur les terres fait que les étrangers vont par le mariage accéder à la terre, permettant aux filles des fondateurs et à leur descendance de rester sur place, mais les fondateurs doivent veiller à garder un patrimoine forestier nécessaire pour pouvoir donner leurs soeurs et leurs filles en mariage. Le mariage des fils avec des femmes mikea permet de multiplier les défrichements à la périphérie lointaine, le mariage des filles avec des étrangers d’intégrer ces derniers dans le territoire avec leur descendance.

La progression des hatsaky: «suivre la forêt»

La culture du maïs entraîne une activité agricole dévoreuse d’espace. D’année en année, la forêt régresse. En 2001, les hatsaky les plus éloignés par rapport au village d’Analabo se trouvaient au nord-ouest, au-delà d’Andraketa, à 10 km. Dans les années 60, les premiers hatsaky étaient situés à moins d’un kilomètre d’Analabo et, en 2001, à l’ouest d’Analabo, vers Anjabetrongo et Maromainty, la piste apparaît à découvert sur 3 km dans un abandon cultural (monka) de 30 ans environ et où les seuls arbres adultes sont des baobabs, témoins de la forêt dense sèche. Les habitants du fokontany d’Analabo connaissent l’emplacement des différents hatsaky, leurs exploitants, ainsi que la date du premier coup de hache, et surtout la direction de la progression des hatsaky. De plus, ils sont en mesure d’estimer la durée d’exploitation d’un hatsaky. C’est en effet un élément important de la stratégie que chacun met en oeuvre pour défricher de nouvelles portions de forêt. Chacun adopte alors la meilleure stratégie en déplaçant ses parcelles comme des pions sur un échiquier car il s’agit d’avancer, mais aussi de contrer son adversaire.

La progression s’effectue selon les modalités d’une progression continue, avec parfois des accélérations, dans la même direction ou une exploitation plus offensive. Sous la pression d’une charge croissante de la population et d’une fringale de terres, la déforestation s’est amplifiée. La dynamique actuelle repose sur une extension qui touche cependant à son terme puisque, d’après les paysans, «la forêt est bientôt finie». La course à la terre s’amplifiant en raison de la fin prochaine des hatsaky, le front de défrichement ne progresse pas de façon linéaire. Des agriculteurs anticipent ainsi sur cette avancée, en ouvrant des champs à l’intérieur de l’espace forestier, afin d’être les premiers à s’attribuer des lots de terre de grande taille qui ne pourront ultérieurement leur être contestés; ces îlots se trouvent par la suite inclus dans la zone cultivée. Dans cette logique de course au foncier, la baisse, même forte, des cours du maïs, ne ralentirait pas de façon significative le rythme de la déforestation (Fauroux, S., 2000).

Le contrôle du territoire

Autochtones et étrangers, par des alliances diverses, sont les acteurs locaux d’une construction du territoire en forêt. Dans un contexte où la sécurisation foncière est encore incertaine, la déforestation permet l’accès à la terre. C’est de plus l’assurance d’un contrôle foncier pour l’avenir. Actuellement, pour les agriculteurs, l’intérêt de la forêt réside encore, dans un certain contexte économique et foncier - et de façon paradoxale - dans sa disparition. On note deux types de comportements. D’un côté, les défrichements actuels visent à l’appropriation de réserves foncières, en prévision d’une saturation de l’espace. De l’autre, des adaptations agricoles à la disparition de la forêt sont en cours, mais elles interviennent seulement quand il apparaît que les défrichements ne vont plus être possibles encore longtemps, au même rythme. Après une période de défrichement et une logique d’extension des superficies cultivées, une agriculture permanente en réponse au processus de savanisation s’ébauche sur quelques parcelles, conduites de façon intensive, au sein d’une culture de maïs encore largement extensive.

On assiste à la construction d’un territoire, mais le droit foncier est souple et se limite à un droit d’usage. Le droit de hache pour pratiquer la culture sur brûlis permet de disposer d’un droit d’usage épisodique car ce droit disparaît dès que cesse l’usage. Mais, en raison d’une raréfaction de la forêt, ce n’est plus le cas et l’espace défriché revient au défricheur et à ses descendants qui ont un droit d’usage à long terme.

Les villages et campements se sont structurés par les liens de parenté, puis se sont développés par des relations matrimoniales dans un objectif de consolidation d’un territoire en forêt. On se trouve en présence d’un espace réticulaire de plus en plus étendu et relié par des rapports de parenté entre ses habitants. Les pratiques sociales des clans fondateurs témoignent de l’efficacité du système dans le contrôle et la construction d’un territoire. Mais cet ordre social instauré par les premiers occupants rencontre les appétits d’autres exploitants expansionnistes, agroéleveurs le plus souvent, qui leur disputent l’espace disponible à l’intérieur de leur territoire. La domination masikoro autochtone est maintenue malgré la présence d’immigrants, anciens et nombreux, mais plus le temps passe et plus la forêt se rétrécit, plus les agroéleveurs se font menaçants et plus la suprématie masikoro peut subir des entorses.

Une chronologie dans les modalités d’accès à la forêt montre une rupture à partir du milieu des années 90. L’arrivée de quelques gros agroéleveurs dès 90 a constitué un premier changement, d’une cohésion sociale à une individualisation de plus en plus poussée. La perte de pouvoir de certains clans fondateurs facilite l’accès aux forêts considérées comme tsy manatompo (c’est-à-dire en accès libre) pour les nouveaux venus. Sur le front pionnier, «tout se passe donc désormais comme si la forêt n’appartenait à personne» (Fauroux, S., 2001). Le contrôle de l’accès à la terre et, par conséquent, celui des nouveaux venus et leur insertion dans une communauté locale, échappent aux autochtones. La disponibilité en force de travail familiale et la possibilité de faire appel à une main-d’oeuvre salariée constituent un mode d’accès aux forêts et l’assurance de défricher de grandes superficies pour les plus gros exploitants dès les années 90. Or «défrichement vaut appropriation». Le salariat constitue une part importante des revenus des groupes originaires du sud.

LA TERRE: PRATIQUES ET ACTEURS À L’ÉCHELLE DE LA COMMUNE D’ANALAMISAMPY

En ce qui concerne la terre, les pratiques et les stratégies des acteurs ont été analysées de deux façons. Il s’agit, d’une part, de la sécurité foncière au niveau de la parcelle et des transactions foncières entre acteurs liées aux diverses manières d’accéder à la terre. La vente ou l’achat de terre sur le front pionnier a fait l’objet, d’autre part, d’une analyse approfondie en raison d’une compétition croissante sur une forêt en voie de disparition.

Une délimitation physique des parcelles

Les terres n’étant pas immatriculées, ce sont des repères qui jouent le rôle de limites entre parcelles. Les champs ont des limites précises que ce soit sur les terres de l’ouest, terres défrichées en forêt, ou sur les baibo, champs permanents à l’est.

Il peut aussi s’agir d’une limite résiduelle: herbes non sarclées en bordure du champ ou longue ligne d’herbes entre deux champs. L’exploitant veille aussi à garder comme limite quelques touffes alignées de graminées en bordure de son champ.

A Ankaray sud, avant l’inondation de 1999, des Jatropha curcas (savoa) plantés marquaient les limites des parcelles sur les berges de l’Androka. La forte crue a arraché des pieds de Jatropha, d’autres ont pourri sur place. Néanmoins, sur les anciens emplacements de ces haies, en certains endroits, des touffes de végétaux ont poussé qui permettent aux agriculteurs de retrouver la trace des limites effacées. Les limites sont discutées entre les propriétaires des deux parcelles voisines. Les manguiers toujours présents servent de points d’appui pour se repérer. C’est ainsi que pour matérialiser le bornage, le premier repère a été l’alignement entre une touffe d’herbes qui pousse à l’emplacement de l’ancienne haie et un manguier; on a complété la limite en plantant deux piquets.

Les ventes de terre

Notre hypothèse était que la progressive saturation de l’espace fasse désormais de la terre un bien auquel sa rareté conférerait valeur d’échange. En réalité, d’après nos enquêtes menées dans la commune, dans toutes les unités agroécologiques, les ventes de terres n’ont lieu que sous la pression d’un besoin pressant d’argent des vendeurs. Les ventes restent donc rares. Les prix cités par les différents acheteurs varient pour une même qualité de terre, ce qui explique le fait que l’acheteur en position de force cherche à diminuer les prix. De plus, on note une différence entre ceux qui possèdent ou non un troupeau. La possession d’un troupeau de bovins constitue une capitalisation en biens qui se vendent plus facilement. Dans le cas d’un besoin d’argent, la vente de quelques têtes assure une rentrée d’argent. Pour les autres, c’est la vente d’une terre.

A l’ouest, en forêt, seuls les hatsabao intéressent les acheteurs. La forêt primaire (ala velo, vivante) n’a pas de valeur économique car elle est en accès libre et n’a pas été défrichée. Les prix du marché dans les quatre villages de forêt étudiés varient de 100 000 à 125 000 francs malgaches (FMG) l’hectare (tableau 1). La valeur de référence correspond au coût de production, c’est-à-dire le coût du défrichement d’un hectare (défrichement + nourriture + eau + tabac à chiquer) qui est de 125 000 FMG. Tout se passe comme si la terre n’avait pas de valeur propre en tant que telle, et comme si l’acheteur remboursait à son vendeur les coûts de production d’une terre cultivable pendant une assez courte période de temps. Le vendeur vend à perte: il est conduit à accepter un prix réel du marché inférieur au coût de production de la parcelle vendue. L’acheteur acquiert un droit privatif permanent sur le foncier. Ce qui confère de la valeur à une parcelle de forêt défrichée, c’est la possibilité d’obtenir plusieurs récoltes successives sans sarclage.

Il s’agit d’un marché naissant, informe: il n’y a pas encore un marché du foncier mais seulement une mise en marché de la terre cultivable déjà défrichée. Ce qui est vendu est la promesse d’une récolte et d’un bénéfice important, la valeur des récoltes attendues étant très supérieure au prix réel du marché. Ce dernier est lié au coût de production et au nombre d’acheteurs solvables.

A l’est, les terres de l’Androka sont les plus recherchées dans les zones où les risques d’inondation ne sont pas trop élevés. La valeur de référence est estimée à 1 300 000 FMG/ha mais la vente se fait souvent à un prix moindre. Les tany mainty se situent en deuxième position, de 500 000 à 600 000 FMG/ha. Enfin, les tany mena sont cédées entre 350 000 et 400 000 FMG/ha.

A Ambovomanga, lors de l’enquête, les habitants ont précisé: «Nous sommes des éleveurs Tandroy, donc ceux qui vendent de la terre sont ceux qui n’ont pas de troupeau, donc pas de capital.» Ceux qui achètent des terres vendent leurs zébus au marché. Ils ne vendent pas n’importe quel animal mais ceux qui, en fonction de la couleur de la robe ou de la forme des cornes, satisferaient le moins les ancêtres lors des cérémonies. Les agroéleveurs achètent des zébus avec l’argent procuré par l’agriculture. C’est plus particulièrement la culture du coton qu’ils ont développée dans l’espoir de convertir des revenus agricoles en zébus supplémentaires. C’est ensuite la vente de zébus qui permet d’assurer les dépenses. Il arrive aussi que le produit d’échange soit un boeuf contre de la terre, par exemple un maota contre 3 ha de baibo-savane.

A Ankaray sud, les cérémonies n’obligent pas les gens à vendre leurs terres. C’est plutôt lorsque survient une dépense imprévue, pour une maladie ou un décès. L’argent nécessaire pour répondre à l’invitation à une cérémonie occasionne une location de terre qui, en raison de l’urgence, se fait à un prix plus bas soit 50 000 à 75 000 FMG/ha pour cinq ans au lieu de 100 000 FMG/ha. Les terres les plus recherchées sont les tany mainty et les acquéreurs sont ceux de la RN9. Leur prix de vente varie de 750 000 à 1 000 000 FMG/ha. En fait les terres sont cédées à 750 000 FMG/ha, et parfois même à 400 000 FMG/ha. Cela concerne les exploitants qui ne possèdent pas de zébus. Quant aux terres de l’Androka, les acheteurs ne s’intéressent pas à cette zone beaucoup trop sujette aux inondations.

TABLEAU 1
Le marché de la terre dans sept villages de la commune d’Analamisampy (prix en FMG/ha)


Villages

Ankipola

Soamanonga

Anjabetrongo

Analabo

Ampasikibo

Ambovomanga

Ankaray sud


Date de création

1991

1985

1982

1940

1922

1951

1932

OUEST

hatsabao
prix

oui
125 000
200 000

oui
125 000
110 000

oui
125 000
100 000

oui
125 000
100 000

_______

_______

_______


mondra seul

non

non

non

peu fréquent
20 000 en 1988

_______

_______

_______


monka

non

non

non

une seule vente
en 1997
à 40 000

_______

_______

_______


savane


non

non

non

peu fréquent
100 000 à
150 000

peu fréquent

_______

EST

baibo
tany mena

_______

_______

_______

_______

oui
400 000

oui
500 000

_______


baibo
tany mainty

_______

_______

_______

_______

oui
600 000

oui
500 000

oui
750 000


baibo
tany Androka

_______

_______

_______

_______

oui
900 000

_______

non

125 000 = coût de production supporté par le vendeur
100 000 = prix du marché
_______ Absence de l’unité sur le terroir du village
non = pas de transaction

Pour les agroéleveurs, qui sont avec les Karany, les principaux acheteurs des terres de baibo à l’est, l’argent du maïs permet l’achat de celles-ci. Originaires des villages de la RN9, ils possèdent déjà des tany lova qu’ils complètent par des achats (tany fila). Un exploitant résidant à Ampasikibo et cultivant du maïs depuis 1997 a ainsi acheté 4 ha de tany bariaho avec l’argent obtenu de la vente du maïs.

A l’est, sur les terres de baibo, un marché de la terre existe bien mais les propriétaires ne sont pas en mesure d’exiger une rente foncière. Le prix du marché est plus bas que la valeur de référence, celle-ci étant liée à la qualité des récoltes attendues.

En ce qui concerne la savane à l’ouest d’Ampasikibo, comme ces terres sont un bien commun des villageois (anciennes terres d’élevage d’après l’organisation du territoire par les clans fondateurs), leurs exploitants n’en sont qu’usufruitiers. Les ventes ne sont donc pas autorisées. Dans le cas où un exploitant veut vendre pour un besoin pressant d’argent, il ne pourra établir qu’une location pour un loyer de 100 000 à 150 000 FMG/ha. Ce sont des terres de qualité (tany mainty) à proximité d’Ampasikibo.

La terre est un outil de production marchande par la pratique de la culture du coton. C’est dans ce cadre qu’a lieu la vente de très grandes superficies; les acheteurs sont des urbains de Tuléar (tableau 2) qui investissent à la campagne car ils disposent de moyens financiers issus d’activités qui ne sont pas du monde rural. Ce sont des commerçants, des notables, de hauts fonctionnaires, etc., extérieurs à la communauté paysanne dont ils sont pourtant issus.

Les terres les plus recherchées, rares et très chères, sont les terrains de construction pour les maisons, qui sont appropriés par les membres des clans fondateurs. Ainsi, en 1999, au nord-est du village, en bordure de la piste, un Karany a acheté 0,5 ha à 1 500 000 FMG. Les achats de terre ne concernent pas la forêt ala velo mais les terres nouvellement défrichées, C1 surtout et C2 (hatsabao). Les ventes sont liées à des besoins pressants d’argent liés à une soudure difficile, à une maladie, à un décès, à une cérémonie en tant que clan organisateur ou membre invité. Face à la situation défavorable du vendeur, c’est l’acheteur qui fixe le prix mais normalement le prix doit couvrir les frais de défrichement, soit 125 000 FMG/ ha. Le vendeur saisit l’occasion de vendre un train de cultures C1 + C2 + mondra. En fait, l’acheteur n’est intéressé que par des terres nouvellement défrichées (C1 + C2) sur lesquelles le travail de sarclage est inutile, soit trois années pour un C1 et un C2. Pour un achat de 2 ha de C1 et de C2, le bénéfice sur trois ans de culture en hatsabao est presque 10 fois supérieur à la mise de fonds. L’achat de mondra seul, une terre qui demande un sarclage, est très peu fréquent: un mpivahiny a acheté, en 1988, 0,5 hectare (C3) à un autochtone (40 000 FMG/ha). Le vendeur fait pression sur l’acheteur pour lui céder une parcelle de mondra en même temps que celle de hatsabao et pour obtenir par là même un léger supplément de prix. Le mondra n’a de valeur que dans un lot. Les acheteurs sont obligés d’en passer par ce qu’exige le vendeur.

TABLEAU 2
Les achats de terre à l’est par des habitants de Tuléar - les grands planteurs de coton

Commune Analamisampy

Date

Superficie
ha

Lieu fokontany

Acheteur


1995

100

Ankaray sud

Vezo


1995

200

Ankaray sud

Fonctionnaire


1998

200

Ambovitsiritsy

Commerçant métis chinois


1998

200

Ambovitsiritsy

Fonctionnaire retraité


Avant 1985

5000

Ambovitsiritsy

Karany



128

Ambovomanga

Vezo jeune bachelier

Commune Ankililoaky fktny Antanilehibe

1998

360

Ambovombe

Femme d’une famille de
grands exploitants métis chinois


Avant 1985

260

Ambovombe

Karany


1998

75


Militaire à la retraite


Avant 1985

300

Antseva

Karany

La raréfaction de la forêt n’entraîne pas le développement d’une rente foncière par la vente en raison du faible prix de vente (prix réel du marché) et surtout de l’accès libre déjà mentionné.




C1

C2

C3

Cet achat groupé permet de mettre en culture pendant plusieurs années et autorise à progresser en avant du C1 dans la forêt ala velo. Cet achat sur le front de défrichement constitue un accès direct à la forêt.

Une vente de terre donne lieu à un document («papier» ou taratasy), un «contrat pour une vente de terre», qui est établi par le président du comité exécutif du fokontany en présence des deux contractants et est validé par deux témoins. C’est l’acheteur qui garde le document afin de le faire viser par le maire de la commune. Sur le document sont mentionnés les noms de l’acheteur et du vendeur, la superficie, la localisation et les limites de la parcelle (par rapport au lieu-dit et aux voisins) et le montant total versé. Il existe ainsi un dispositif local informel de sécurisation de la transaction foncière sur un support papier.

En conclusion, l’initiative de la transaction foncière revient en général au vendeur qui est à la recherche d’une somme d’argent dont il a besoin de manière urgente. Rien ne semble avoir changé depuis les années 60: «Les économies traditionnelles sont d’autant plus vulnérables qu’elles sont démunies de réserve, susceptible de jouer le rôle d’un volant de sécurité (Ottino, 1963).»

Les modes d’accès à la terre

Le tableau 3 répertorie les arrangements institutionnels permettant d’accéder à la terre dans les différentes unités écologiques de la commune d’Analamisampy. Ce sont la vente ou l’achat, la location, le métayage, les diverses alliances (ziva, fatidrà, mariage), le troc, et bien évidemment l’héritage non mentionné sur le tableau.

On a souligné l’ambiguïté de la situation foncière qui se caractérise par un droit d’usage. Il n’en reste pas moins que les règles de partage entre les héritiers sont les suivantes: les biens sont répartis de la façon suivante: deux tiers pour les fils et un tiers pour les filles. Le meilleur moyen d’assurer un patrimoine foncier à ses enfants est de défricher et de brûler la forêt, et la conséquence sur l’environnement est lourde.

Le métayage à moitié est développé surtout à l’est sur les baibo (facettes tany mainty, tany mena et tany bariaho) en raison du sarclage que nécessitent les cultures qui y sont pratiquées (manioc, maïs et coton, deux sarclages étant nécessaires pour ce dernier). Le bailleur, qui dispose de la terre, prend en charge la semence et le labour; le preneur s’occupe du semis, du sarclage et de la récolte. Le métayage à moitié (taravay) est un mode de faire-valoir pour le coton. C’est aussi l’insecticide qui «fait le contrat». L’apport du preneur se limite à l’insecticide, alors que le bailleur apporte la terre et prend en charge les travaux culturaux.

A Ankaray sud, le métayage concerne les nouveaux venus sans terre: c’est une forme d’accès à la terre. Le métayage intéresse également ceux qui ont de la terre mais aucun équipement, ni boeufs de trait ni charrue. Il concerne aussi ceux qui ne sont pas membres d’un groupement Hasyma et veulent cultiver du coton. Dans ce cas, le bailleur apporte semences et produits insecticides.

Le métayage constitue une forme, peu développée, d’accès à la terre en forêt. La stratégie d’un migrant «futur essarteur» est d’arriver en avril dans les campements en forêt afin de proposer sa force de travail pour le défrichement et d’obtenir en échange une portion de forêt. En revanche, le migrant qui ne manifeste pas une stratégie de hatsaky ne se voit attribuer par celui qui l’accueille qu’un monka.

A l’ouest, le métayage n’est pas en vigueur comme dans d’autres parties de la forêt des Mikea: il ne concerne que quelques nouveaux venus qui n’ont pas su trouver d’autres moyens pour cultiver une terre et se nourrir la première année. C’est une solution à court terme et très minoritaire. On ne compte, par exemple, dans le fokontany d’Analabo, que quelques cas de métayage. C’est ainsi qu’un Mahafaly, arrivé en 2000, a été accueilli par R., ancien président du comité exécutif du fokontany. Il pratique un métayage à demi sur 3,5 ha (2 ha en C3 et 1,5 ha en C4) à Andraketa. R. prend en charge la semence et le preneur fait le travail de nettoyage et de sarclage.

TABLEAU 3
Les modes d’accès à la terre (prix en FMG/ha)


EST

baibo






OUEST


sec

sec

inondé







tany mena

tany mainty

tany Androka

savane

monka

mondra seul

hatsabao

ala velo

Vente

oui
400 000 à
500 000

oui
600 000

oui
900 000


non

non

oui
100 000 à
200 000

non

Location

oui
50 000

oui
100 000
à 150 000

oui
100 000

vente
considérée
comme
location
100 000
à 150 000

non

non

non

non

Métayage à 1/2

1/2

1/2

1/2

1/2

non

rare

rare

non

ziva

non

non

non

non

non

non

non

peu fréquent

fatidrà

sur terre non
encore mise
en culture

sur terre non
encore mise
en culture

non

peu fréquent

peu fréquent

peu fréquent

oui

oui

Mariage

oui

peu fréquent

peu fréquent

oui

peu fréquent

peu fréquent

oui

oui

Troc (travail
contre forêt)

________

________

________

________

non

non

non

oui

Troc contre
zébus

non

non

oui
en 1968, 5 ha
contre 5 têtes
de zébu

non

non

non

non

non

La location est un mode de faire-valoir indirect qui s’applique surtout aux parcelles de coton. Les Karany cherchent des terres à louer pour étendre leurs superficies en coton. La location est annuelle à 150 000 FMG/ha environ. Suivant la qualité des terres, les prix varient de 50 000 à 150 000 FMG/ha. La terre est également un bien négociable contre d’autres ressources (zébus ou main-d’oeuvre) mais cela est peu fréquent.

Il semble que l’accélération des évolutions - liée à la proche fin de la forêt - s’accompagnerait d’un jeu foncier et ouvrirait la voie à de véritables stratégies d’investissement foncier, l’espace forestier devenant un enjeu. En fait, c’est un soudain besoin d’argent qui amène certains exploitants, les plus pauvres parfois, à monnayer leurs biens dans des conditions qui leur sont défavorables.

Sur le front pionnier, la situation étudiée n’est pas celle d’une circulation des biens entre les personnes mais une situation où ce sont, au contraire, les biens qui sont immobilisés et les hommes qui circulent, d’est en ouest, entre les biens. Cette forme d’organisation caractérise une situation de front pionnier qui n’est pas une situation de marché de la terre.

CONCLUSIONS

Le passage d’une société mobile ouverte sur l’espace à une société stabilisée sur un territoire se dessine avec la disparition proche de la forêt, l’installation de champs fixes et une généralisation de la charrette qui réduit les distances. La disparition de la forêt va également remettre en cause le dispositif matrimonial puisque des autochtones, donneurs de terres et donneurs de femmes, n’auront plus de terres libres.

L’accélération des évolutions - liée à la proche fin de la forêt - aurait pu s’accompagner d’un jeu foncier et ouvrir la voie à de véritables stratégies d’investissement foncier. Mais ce n’est pas le cas: on assiste à une situation sans marché sur le front pionnier.

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Land and the pioneer front in the Mikea forest of southwest Madagascar: practices, actors and implications

This article relates to understanding the interlinkages that exist between farming practices and environmental dynamics in southwest Madagascar, in a rural area that is undergoing rapid change, notably from an expanding crop area and an imminent restriction on land availability. How the local environment is used is closely determined by population pressure and modes of resource appropriation. High immigration, confrontation between locals and migrants, gradual saturation of cropland, impaired access to resources and relaxed state control are fuelling a spectacular increase in deforestation of the Mikea forest. The importance since the 1970s of growing maize as a commercial crop for the domestic market and for export to the island of Réunion has driven pioneer agriculture based on slash-andburn and known locally as hatsaky. Maize is continuously encroaching upon forest land. The process of deforestation in this semi-arid area differs from that in the moist tropical zone, in that there is no regeneration of initial stand but, rather, gradual savannization.

This research, involving agronomists, ecologists and geographers, was conducted in partnership between the Institut de recherche pour le développement (IRD) and the Centre national de recherches sur l’environnement (CNRE), under the Rural and Environmental Management Programme in Madagascar (GEREM).


Un marco pionero en materia de tierras en los bosques de Mikea (suroeste de Madagascar): prácticas, agentes sociales y desafíos

Esta investigación, realizada en asociación entre el Instituto de Investigación para el Desarrollo y el Centro Nacional de Investigación sobre el Medio Ambiente, en el marco del Programa de gestión de espacios rurales y medio ambiente, y en la que participaron agrónomos, ecólogos y geógrafos, versa sobre el conocimiento de las interrelaciones existentes entre las prácticas de explotación y la dinámica de los medios en el suroeste de Madagascar, en el territorio de los masikoro, situado a 100 km al norte de Tuléar, zona rural en la que se están produciendo rápidos cambios, especialmente por lo que se refiere a la extensión de la superficie explotada y el agotamiento inminente de las tierras disponibles. El sistema de explotación del medio depende en gran medida de las condiciones de población y de los modos de apropiación de los recursos. En un contexto caracterizado por una fuerte inmigración, una confrontación entre la población autóctona y migrante, una saturación progresiva de las antiguas tierras explotadas, desafíos en el acceso a los recursos y el debilitamiento de los mecanismos estatales de control, se está produciendo un incremento espectacular de la deforestación del bosque de los mikea. La promoción del maíz como cultivo comercial a partir de la década de 1970 para el mercado nacional y para la exportación a la Isla de la Reunión constituye el motor de una dinámica pionera. El sistema de cultivo sobre residuos de tala y chamicera practicado en este contexto se conoce localmente como hatsaky. El cultivo del maíz no cesa de extenderse a expensas de la superficie forestal. La dinámica de la deforestación en esta zona semiárida es diferente de la de la zona tropical húmeda porque no se da una regeneración de la formación inicial, sino más bien un proceso de sabanización.


[33] La commune rurale d’Analamisampy regroupe sur 700 km2, 83 villages répartis dans 17 fokontany (ancienne collectivité territoriale de base, équivalent d’un terroir), soit 23 000 habitants environ.
[34] Les baibo sont des terres alluviales humides très recherchées, où l’on peut cultiver chaque année.
[35] Voir à ce sujet la remarquable étude d’Ottino (1998).
[36] Anteña avao ñanteña fa ñan’olo tsy ameany.
[37] Fananana iombonana, richesse commune ou patrimoine.

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