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La sous-alimentation dans le monde

Dénombrement des victimes de la faim: dernières estimations

La FAO estime le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde à 852 millions pour la période 2000-2002, soit 815 millions de personnes dans les pays en développement, 28 millions dans les pays en transition et 9 millions dans le monde industrialisé.

Dans les pays en développement, le nombre de victimes de la faim chronique n'a diminué que de 9 millions entre 1990-1992, période de référence du Sommet mondial de l'alimentation, et 2000-2002. Durant la deuxième moitié de la décennie, ce nombre a grimpé annuellement de presque 4 millions, annulant aux deux tiers la réduction de 27 millions enregistrée au cours des cinq années précédentes.

Ce renversement de tendance à mi-parcours s'explique principalement par l'évolution de la situation en Chine et en Inde. La Chine a fait des pas de géant durant la première moitié de la décennie, soustrayant presque 50 millions de personnes des rangs des sous-alimentés. En Inde, le chiffre correspondant est de 13 millions. Les progrès combinés de ces deux pays ont poussé à la baisse le total mondial, cela en dépit d'une augmentation de 34 millions du nombre des gens sous-alimentés dans le reste du monde en développement. Toutefois, dans la deuxième moitié de la période décennale, le rythme de cette réduction a ralenti en Chine, n'atteignant plus que quatre millions. Pendant ce temps, en Inde, le nombre des victimes de la faim chronique faisait un bond de 18 millions.

Mais le tableau n'est pas complètement sombre. Tout comme les gains en Chine et en Inde ont masqué durant les cinq premières années les reculs affichés ailleurs, la performance mitigée des deux géants asiatiques durant les cinq années suivantes cache une amélioration appréciable des tendances dans les autres pays en développement. Ainsi, après avoir grimpé de près de 7 millions par année, le nombre des victimes de la faim chronique dans les pays en développement, Chine et Inde exclues, s'est stabilisé durant la deuxième moitié de la période décennale et ne représentait plus que 18 pour cent de la population totale, comparativement à 20 pour cent.

La bonne nouvelle, c'est que le virage le plus net dans les tendances concerne l'Afrique subsaharienne. Entre 1995-1997 et 2000-2002, le nombre d'habitants sous-alimentés du continent a augmenté de 1 million par an contre 5 millions par an, ce qui correspond à 33 pour cent de la population totale au lieu des 36 pour cent affichés de manière à peu près constante de 1990-1992.

Proportion de la population sous-alimentée dans les pays en développement, 1990-1992 et 2000-2002

Bandes grises: 1990-1992
Bandes colorées: 2000-2002
Pays regroupés en fonction de la prévalence de la sous-alimentation en 2000-2002

Quatre pays pour lesquels les données de 2000-2002 étaient insuffisantes Afghanistan, Iraq, Papouasie-Nouvelle-Guinée et Somalie - ne sont pas inclus dans ce graphique.

* L'Éthiopie et l'Érythrée ne constituaient pas des entités séparées en 1990-1992.

Le coût humain de la faim: des millions de décès prématurés et de vies brisées par l'invalidité

La faim et la sous-alimentation font des ravages parmis les êtres humains, les ménages, les collectivités et les nations. Le manque de nourriture et les carences en vitamines et minéraux essentiels coûtent la vie à 5 millions d'enfants chaque année; dans les pays en développement, ils coûtent l'équivalent de 220 millions d'années de vie productive aux familles touchées par les décès prématurés et les incapacités liés à la sous-alimentation; enfin, ils coûtent au monde en développement des milliards de dollars en potentiel de productivité et de consommation ruiné.

Le cercle vicieux de la pauvreté

Chaque année, plus de 20 millions de bébés de poids insuffisant voient le jour dans les pays en développement. En Inde et au Bangladesh, ils comptent pour plus de 30 pour cent des naissances.

Ces nouveau-nés partent perdants dans la vie. Ils courent des risques certains de mourir en bas âge, d'éprouver durant l'enfance un retard de croissance physique ou mentale et, une fois adultes, de présenter une capacité limitée de travail et de gain; quant aux filles, elles sont menacées de mettre au monde, plus tard, des enfants de poids insuffisant (voir le diagramme).

Comparés à la normale, les nouveau-nés de moins de 2,5 kg ont quatre fois plus de chances de mourir à la naissance, et 18 fois plus s'ils pèsent moins de 2,0 kilogrammes. Ils afficheront également des taux bien plus élevés de sous-alimentation et de petite taille aux stades ultérieurs de leur vie. Une étude menée au Guatemala révèle que les bébés de sexe masculin de poids insuffisant à la naissance présentent à l'adolescence un déficit de 6,3 cm (taille), et de 3,8 kg (poids); chez les filles, les données correspondantes sont de 3,8 centimètres et de 5,6 kg.

Près du tiers des enfants du monde en développement ont un retard de croissance suffisant pour mettre en cause la sous-alimentation chronique. Or, la petite taille, comme l'insuffisance pondérale, est liée non seulement à une prévalence accrue de maladies et de décès, de difficultés d'apprentissage et d'absentéisme scolaire durant l'enfance, mais, plus tard et pour le reste de l'existence, à une productivité et à des revenus moindres.

Lorsque le retard de croissance se manifeste avant l'âge de cinq ans, les dommages infligés au corps et à l'esprit sont généralement irréversibles (voir le graphique). Leurs conséquences santé ruinée, avenir détruit ne frappent pas seulement les victimes elles-mêmes mais se répercutent sur la génération suivante, les mères sous-alimentées donnant à leur tour naissance à des bébés de poids insuffisant. La petite taille maternelle est d'ailleurs, avec l'insuffisance pondérale et la faible prise de poids durant la grossesse, l'un des meilleurs indicateurs de risque d'insuffisance pondérale chez le nouveau-né.

La sous-alimentation et le retard de croissance sont fréquemment accompagnés de carences en vitamines et minéraux, lesquelles touchent près de deux milliards d'êtres humains. Une insuffisance même légère de ces nutriments accroît sensiblement les risques de maladies graves et de décès. Elle peut aussi entraîner des déficiences cognitives permanentes chez les enfants et une perte de productivité irréversible chez les adultes. On sait, par exemple, que la carence en fer est liée chez la mère au risque de mourir en couches, chez l'enfant, aux handicaps moteurs ou intellectuels, et chez l'adulte, à une capacité de travail limitée. Or, elle concerne quelque 1,7 milliard de personnes sur la planète, dont la moitié souffrent d'anémie pour cette raison.

Dénutrition et mortalité infantile

Plus des trois quarts des décès d'enfants ont pour origine des maladies néonatales ou infectieuses peu nombreuses et qui répondent aux traitements, en particulier la diarrhée, la pneumonie, la malaria et la rougeole. Une forte moitié de ces décès sont imputables à la vulnérabilité particulière des enfants sous-alimentés et de poids insuffisant (voir le graphique). Les carences en oligo-éléments aggravent d'ailleurs le péril des maladies infantiles. C'est ainsi qu'une carence en vitamine A augmente de 20 à 24 pour cent le risque de mourir des suites d'un accès de diarrhée, de pneumonie, ou de malaria.

Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 3,7 millions de décès dans le monde étaient liés en 2000 à l'insuffisance pondérale, et de 750 000 à 850 000 autres, à une carence dans l'un des trois oligo-éléments essentiels que sont le fer, la vitamine A et le zinc.

Une étude menée dans 59 pays en développement sur les tendances de la sous-alimentation et de la mortalité infantile entre 1966 et 1996 a révélé qu'une réduction des taux d'insuffisance pondérale entraîne une importante chute de la mortalité infantile, quelles que soient les variations des autres facteurs socio-économiques ou de politique publique en cause.

On apprend dans cette étude qu'une baisse de 60 pour cent du taux d'insuffisance pondérale a fait reculer de 16 pour cent les décès d'enfants en Amérique latine, et de 27 pour cent en Asie, au Proche-Orient et en Afrique du Nord. En Afrique subsaharienne, les programmes de vaccination, les antibiotiques et d'autres améliorations apportées à la prestation des soins de santé ont suffi à redresser la situation en dépit d'une hausse du taux d'insuffisance pondérale. Mais si la région avait progressé au même rythme que les autres à ce chapitre, les décès d'enfants auraient diminué bien davantage, à savoir de 60 pour cent plutôt que de 39 pour cent. Quant à l'avenir, les auteurs estiment qu'une réduction de 5 points de pourcentage de la prévalence de l'insuffisance pondérale pourrait se traduire par une baisse de quelque 30 pour cent de la mortalité chez les enfants.

Selon d'autres résultats de recherche récents, des interventions réalisables aujourd'hui, et qu'il serait possible concrètement d'étendre aux pays en développement, permettraient de réduire des deux tiers environ le nombre des décès d'enfants. Dans les 42 pays où plus de 90 pour cent de ces décès surviennent, il suffirait de quelques mesures alimentaires efficaces et peu coûteuses - allaitement maternel, complément d'alimentation, suppléments de vitamine A et de zinc - pour abaisser le taux de 25 pour cent, c'est-à-dire pour sauver 2,4 millions de jeunes vies chaque année.

Le coût de la faim exprimé en EVCI

Les personnes qui survivent à la sous-alimentation durant l'enfance sont nombreuses à souffrir d'incapacités physiques et intellectuelles permanentes. L'un des moyens de mesurer l'incidence de la sous-alimentation sur la santé et l'espérance de vie est l'indicateur EVCI (Espérance de vie corrigée de l'incapacité); celui-ci mesure la somme des années de vie perdues pour cause de mort prématurée ou d'incapacité, somme pondérée en fonction de la gravité de certaines maladies.

Une étude parrainée par l'OMS et la Banque mondiale, la Global Burden of Disease Study, fait état des années de vie saine perdues attribuables à toutes sortes de maladies ou de maux, évaluant leur pourcentage par facteur de risque dont la sous-alimentation juvénile et maternelle. Dans la dernière édition de cette publication, l'insuffisance pondérale est en tête des facteurs de risque à l'échelle mondiale (voir le graphique page suivante); dans les pays en développement à taux de mortalité élevé - groupe de près de 70 pays avec une population globale dépassant 2,3 milliards de personnes elle arrive première tant pour les décès prématurés que pour l'EVCI.

Six des 10 principaux facteurs de risque touchant l'EVCI dans ces pays sont liés à la faim et la sous-alimentation. Mentionnons notamment l'insuffisance pondérale, les carences en zinc (au cinquième rang), en fer (sixième) et en vitamine A (septième), ainsi que l'insalubrité de l'eau et les lacunes en matière d'installations sanitaires et d'hygiène (troisième rang). Ces dernières aggravent la sous-alimentation en provoquant des infections qui entravent la digestion et la bonne assimilation des éléments nutritifs (voir le graphique).

La moitié des années de vie saine perdues imputables à la diarrhée, à la pneumonie et à la malaria dans les pays en développement à taux de mortalité élevé ont pour cause première une insuffisance de poids. Lorsque les carences en oligo-éléments figurent dans l'équation, la sous-alimentation explique non plus 60 pour cent mais 80 pour cent des années perdues liées à ces maladies.

Bien évidemment, l'insuffisance pondérale et les carences en oligo-éléments sont des facteurs de risque moins dominants dans les pays en développement plus avancés où les taux de mortalité sont plus bas. Il n'empêche que, là aussi, les maux d'origine nutritionnelle sont à rattacher de près aux décès et incapacités. Dans cette catégorie de pays, qui inclut la Chine, plusieurs autres pays d'Asie et presque toute l'Amérique du Sud, l'insuffisance pondérale et la carence en fer sont au nombre des 10 facteurs de risque les plus importants, à côté du surpoids et de diverses autres déficiences nutritionnelles prédisposant aux maladies chroniques non transmissibles comme la maladie ischémique du cœur, l'hypertension artérielle et le diabète.

En général, ces maladies chroniques sont liées non pas au manque, mais à l'excès de nourriture. Les études montrent cependant qu'un poids insuffisant à la naissance et la dénutrition en bas âge aggravent le risque de devenir obèse à l'âge adulte ou d'être atteint d'une maladie d'origine nutritionnelle (voir aussi la page 23). En Chine, on attribue à la dénutrition infantile plus de 30 pour cent des cas de diabète de même qu'environ 10 pour cent des accidents vasculaires cérébraux et des maladies coronariennes (voir le graphique).

Globalement, et sans compter son incidence sur les maladies chroniques touchant les adultes, la dénutrition des enfants et des mères entraîne, selon les estimations, une perte de plus de 220 millions d'années de vie saine dans le monde en développement. Quand on prend en compte les autres facteurs de risque liés à la nutrition, ce nombre atteint presque 340 millions, la moitié du total enregistré dans tout le monde en développement.

Ces chiffes représentent un déficit de productivité équivalent à celui que provoquerait la disparition ou la mise en état d'incapacité d'une population supérieure à celle des États-Unis. Ils illustrent aussi l'incommensurable souffrance que la catastrophe planétaire de la faim continue de causer à des millions de familles, de même que l'insupportable fardeau économique qui pèse sur l'ensemble du monde en développement.

Le fardeau économique de la faim: des milliards perdus en productivité, revenus et potentiel de consommation

Quiconque fait le calcul du nombre de vies fauchées par la faim ou brisées par l'incapacité qu'elle engendre n'a aucun doute: la faim est moralement inacceptable. Et lorsqu'on mesure le coût du déficit de productivité qui s'ensuit année après année, il devient clair qu'elle est également intolérable du point de vue économique, non seulement pour les victimes mais pour les pays dont elle compromet le développement et la prospérité.

Le coût de la faim prend plusieurs formes. La première, et la plus évidente, est le fardeau économique direct de dégâts qu'il faut réparer. Pensons par exemple aux dépenses médicales liées au traitement des grossesses à problème et des accouchements de femmes anémiques ou de poids insuffisant, et aux soins des enfants atteints gravement, et à répétition, par la malaria, la pneumonie, la diarrhée ou la rougeole parce que leur organisme et leur système immunitaire sont affaiblis par la faim.

Un calcul très approximatif des coûts médicaux directs associés à la sous-alimentation infantile et maternelle dans les pays en développement, fondé sur la proportion des années de vie saine perdues imputable à la faim, donne un total annuel de quelque 30 milliards de dollars EU, plus de cinq fois les sommes engagées à ce jour dans le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme.

Or, cela n'est rien à côté des coûts indirects que représente la perte de productivité et de revenus attribuable aux décès prématurés, aux incapacités, à l'absentéisme scolaire et aux occasions manquées de s'instruire et de travailler. Selon des estimations provisoires, les coûts indirects de la faim seraient de l'ordre de centaines de milliards de dollars.

Ces coûts, directs ou indirects, sont le prix de la complaisance, le prix du renoncement face à la persistance de la faim parmi tant d'êtres humains. Ils sont inacceptables non seulement en termes absolus mais en comparaison de ce qu'il en coûterait pour prévenir et éliminer la faim et la sous-alimentation. De nombreuses études affirment que chaque dollar investi dans des interventions correctement ciblées sur la pénurie de nourriture et les carences en oligo-éléments rapporterait l'équivalent de 5 à 20 dollars.

Les enfants paient le prix de la faim leur vie durant

Les estimations des coûts indirects de la faim sont généralement basées sur des études déterminant l'impact de formes spécifiques de sous-alimentation sur le développement physique et mental et le corrélant avec la diminution de la productivité et des revenus (voir le schéma). Ces études montrent notamment que:

Les adultes ayant souffert d'un retard de croissance sont moins productifs et gagnent moins dans les métiers manuels (les retards de croissance sont causés par l'insuffisance pondérale à la naissance et les carences en protéo-calories).

Chaque année scolaire ratée durant l'enfance se traduit par une forte réduction des revenus la vie durant. Le sous-poids à la naissance, le retard de croissance et les carences en oligo-éléments ont tous été liés à une diminution de la fréquentation scolaire. Un suivi rigoureux d'enfants zimbabwéens touchés par la sécheresse a révélé que la sous-alimentation durant les mois critiques de développement avait réduit leur taille de 4,6 cm en moyenne et leur fréquentation scolaire de presque une année. Ces chiffres peuvent paraître négligeables mais ils correspondent à une perte de revenu estimée à 12 pour cent sur la durée de vie.

L'affaiblissement des aptitudes cognitives, mesurée par des tests de quotient intellectuel, mine la productivité et la capacité de gain. Selon les études, la carence en iode, qui atteint quelque 13 pour cent de la population mondiale, se traduirait par un écart de 10 à 15 points dans les résultats de tests de quotient intellectuel et réduirait la productivité de 10 pour cent.

Conjugués aux statistiques disponibles sur la prévalence de diverses formes de sous-alimentation, ces résultats permettent d'estimer de manière provisoire les coûts de la faim à l'échelle des pays et de la planète.

Un examen détaillé de la question révèle, par exemple, que sur une vie complète, l'économie réalisée pour chaque nourrisson échappant à l'insuffisance pondérale atteindrait près de 1 000 dollars EU (voir le graphique). Les bébés nés en sous-poids chaque année dans les pays en développement sont au nombre de 20 millions; l'inaction sur ce front pendant une année de plus coûterait donc quelque 20 milliards de dollars EU.

Ces économies s'appliquent tant aux coûts directs des soins aux nourrissons, aux malades et aux personnes souffrant de maladies chroniques, qu'aux coûts indirects liés à la perte de productivité pour cause d'interruption de la vie active ou de handicaps physiques ou mentaux. Comme elles sont estimées à leur valeur courante sur la base d'une augmentation de la productivité la vie durant, un indice de pondération est appliqué pour tenir compte de l'inflation et de la possibilité que les gens ne survivent pas ou que la durée de leur vie active soit inférieure à la normale.

Estimation des pertes sur toute une vie

L'Academy for Educational Development (AED) a mis au point une méthodologie et des logiciels permettant de mesurer les coûts de diverses formes de sous-alimentation et les avantages d'intervenir pour la réduire ou l'éliminer. À partir de données sur 25 pays obtenues de l'AED, la FAO a calculé que, si les carences en iode et la malnutrition protéocalorique persistaient à leur niveau actuel pendant encore 10 ans, les dépenses qui leur sont liées atteindraient en valeur actualisée jusqu'à 15 pour cent du PIB annuel (voir le graphique).

Parallèlement, on a estimé dans un groupe de 10 autres pays les coûts annuels à long terme rattachés à la persistance des carences en fer à leur niveau actuel. En pourcentage du PIB, les dépenses en valeur actualisée liées à l'anémie ferriprive varient entre 2 pour cent environ pour le Honduras et 8 pour cent pour le Bangladesh (voir le graphique à la page suivante). Mais en Inde, où le PIB en 2002 dépassait 500 milliards de dollars EU, l'estimation est plutôt de l'ordre d'au moins 30 milliards de dollars EU.

Il s'agit là, comme pour les données de l'AED, de coûts actualisés se rapportant à des formes spécifiques de sous-alimentation et calculés sur la durée d'une vie. Si l'on estime, par exemple, que l'anémie coûte au Bangladesh l'équivalent de 8 pour cent de son PIB, cela ne signifie pas qu'elle ampute le PIB de 8 pour cent par année, mais que, chaque année où l'on continuera de négliger de combattre l'anémie, les dépenses (en valeur courante) qu'il faudra engager sur la durée de vie des enfants actuellement âgés de cinq ans s'élèveront à 8 pour cent du PIB annuel.

Ces chiffres sont cependant loin de rendre compte de tout le fardeau économique de la faim. Ainsi:

ils s'appliquent aux activités commerciales seulement, excluant la valeur du travail effectué au foyer;

ils ne prennent pas en compte le fait que les salaires devraient augmenter au fil des ans;

ils ne prennent généralement pas en compte, non plus, le problème de la transmission de la sous-alimentation d'une génération à l'autre, les mères sous-alimentées mettant au monde des bébés de poids insuffisant;

le calcul de la valeur actualisée des coûts sur une vie entière est fondé sur des indices quelque peu arbitraires, difficiles à déterminer, et qui peuvent conduire à des variations importantes dans l'estimation des gains.

Mêmes approximatives cependant, ces mesures mettent en lumière l'énormité du coût de la faim. Considérons, sur la base de la plus faible estimation, les pertes de productivité et de revenu liées à chaque forme de sous-alimentation; rajustons-les ensuite pour tenir compte de la probabilité d'un recoupement important entre les deux. Il se trouve que, même en fonction d'hypothèses aussi strictes que celles-ci, les coûts liés à la malnutrition protéocalorique, à l'insuffisance pondérale et aux carences en oligo-éléments s'élèveraient ensemble, en valeur actualisée courante, à 5 ou 10 pour cent au moins du PIB des pays en développement, soit un total variant entre 500 milliards et un billion de dollars EU.

Pour les gouvernements nationaux, des manques à gagner de cette ampleur représentent évidemment un terrible fardeau. Or, les estimations de l'AED par pays montrent qu'en regard de ces sommes, les dépenses qu'il faudrait engager pour réduire ou éliminer la sous-alimentation sont minimes: dans les 25 pays visés par les statistiques de l'AED, le gain réalisable en intervenant contre la malnutrition protéocalorique est en moyenne 7,7 fois plus important que le coût des interventions. Pour les carences en fer et en iode, les multiples sont respectivement de 9,8 et 22,7 (voir le graphique).

Le coût d'un échec en regard de l'objectif du SMA

Considérant la question sous un autre angle, la FAO a mené une étude macroéconomique en vue d'évaluer l'intérêt de réduire la sous-alimentation au niveau requis pour atteindre l'objectif du Sommet mondial de l'alimentation (SMA). On a calculé le gain de production qui résulterait d'un recul à 400 millions du nombre de personnes sous-alimentées dans le monde en développement d'ici 2015, par comparaison avec les 600 millions prévus dans une modélisation normale (effectuée par la FAO) excluant une action concertée pour vaincre la faim.

Sur la base de l'allongement de l'espérance de vie qui résulterait d'une augmentation des disponibilités alimentaires suffisante pour atteindre l'objectif du SMA, la valeur pondérée de l'augmentation de production réalisable d'ici 2015 serait de l'ordre de 3 billions de dollars EU, ce qui se traduit par un gain annuel de 120 milliards de dollars EU.

Là encore, les chiffres sont sans doute bien en deçà de la réalité. Mais, tout comme les données de l'AED, ils révèlent clairement qu'il en coûte très cher de ne rien faire pour éliminer la faim persistante, beaucoup plus cher en tout cas que d'agir. L'étude de la FAO mentionnée plus haut indique qu'une hausse annuelle de 24 milliards de dollars EU de l'investissement public suffirait pour réaliser l'objectif du SMA et donc procurer des gains de 120 milliards de dollars EU par an.

La mesure de la faim: des estimations plus justes pour une intervention plus efficace

Les estimations de la FAO quant au nombre d'êtres humains qui sont sous-alimentés constituent la partie la plus fréquemment citée de L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde et celle qui suscite le plus d'intérêt. Les chaînes d'information s'en servent invariablement pour décrire les progrès réalisés à l'égard des cibles du Sommet mondial de l'alimentation et des Objectifs du Millénaire pour le développement, à savoir réduire la faim de moitié d'ici l'an 2015.

Vu toute l'attention dont ces prévisions annuelles font l'objet, on ne s'étonnera pas que la méthodologie utilisée pour les calculer soit examinée et analysée entre experts, de la FAO comme de l'extérieur. Ceux-ci ont relevé des lacunes tant dans l'éventail des données que dans les méthodes d'analyse employées par la FAO.

Soucieuse d'améliorer ses estimations, l'Organisation a tenu un colloque scientifique international en 2002 en vue de réviser les divers procédés servant à mesurer la pénurie alimentaire et la dénutrition. Depuis, elle a pris des mesures tant pour amender sa propre méthodologie que pour valider des approches différentes et complémentaires.

Mesurer la pénurie alimentaire

Pour établir ses estimations, la FAO mesure la pénurie de nourriture, dans chaque pays, à partir de trois paramètres clés: la quantité moyenne de nourriture disponible par personne, les degrés d'inégalité dans l'accès à la nourriture et l'apport calorique minimum requis par personne.

Les données relatives aux disponibilités vivrières sont tirées des «bilans alimentaires» annuels de la FAO établis pour chaque denrée selon le calcul suivant: production nationale plus importations plus ponctions sur les réserves nationales, moins quantités exportées, gaspillées, données en pâture au bétail ou employées à des fins autres que l'alimentation humaine; le total calorique de toute la nourriture disponible pour la consommation humaine est ensuite divisé par le nombre d'habitants, ce qui donne la valeur moyenne de l'apport calorique quotidien par personne.

Pour tenir compte des inégalités dans l'accès à la nourriture, on établit un «coefficient de variation» à partir des statistiques portant sur les ménages. Parallèlement, comme un adulte de grande taille consomme quasiment deux fois plus de calories qu'un enfant de trois ans, le calcul de l'apport calorique minimum par habitant prend aussi en compte la composition démographique par âge, sexe et taille corporelle. La FAO considère comme sous-alimentées les personnes dont la consommation quotidienne de nourriture est inférieure à l'apport calorique minimum.

La méthode de calcul employée par la FAO présente de nombreux avantages, dont celui de reposer sur des données que la plupart des pays consignent à peu près de la même façon et qui peuvent être mises à jour régulièrement. Elle permet donc de comparer les pays entre eux et d'une période à l'autre.

Mais ce système comporte des lacunes évidentes. Ainsi, les estimations produites par la FAO ne sont fiables et justes que dans la mesure de l'exactitude des données servant à établir les bilans alimentaires, les degrés d'inégalité et les seuils minimums de l'apport calorique quotidien. Dans de nombreux pays, les statistiques liées aux deux premiers paramètres ne sont pas sûres. Or, une variation même légère de l'un ou de l'autre peut conduire à des estimations très différentes du niveau de sous-alimentation (voir le graphique).

En outre, des prévisions fondées sur des statistiques nationales de production et de commerce ne sont guère utiles quand il s'agit de cerner les points chauds de la faim, que ce soit par région ou par groupe socioéconomique.

Autres approches, autres dimensions

Bon nombre des propositions présentées au colloque en vue d'améliorer les estimations de la FAO vont dans le sens d'un recours accru aux informations obtenues par des enquêtes sur les budgets des ménages.

De ces sondages, menés dans un nombre toujours croissant de pays en développement, proviennent des données qui peuvent être utilisées dans le calcul de deux des paramètres de la FAO, soit la consommation alimentaire quotidienne et le degré d'inégalité d'accès à la nourriture. Ces données peuvent également servir à mesurer d'autres aspects de la faim et de l'insécurité alimentaire, comme la mauvaise qualité de l'alimentation et la vulnérabilité à la faim, et pour en suivre l'évolution dans différents lieux et groupes de population.

Les sondages eux-mêmes ne sont pas sans défaut, cependant. Tous les pays n'en conduisent pas à intervalle régulier et ceux qui le font ne les mettent à jour que tous les trois à cinq ans; de plus, il arrive souvent que les résultats ne permettent pas de comparer les pays ou même les sondages entre eux. Ils ont donc une utilité limitée en ce qui concerne les suivis annuels, nationaux ou mondiaux.

L'état nutritionnel d'un individu se détériore en réponse au manque de nourriture mais aussi aux maladies récurrentes et aux mauvaises conditions sanitaires ou autres qui empêchent son organisme de tirer pleinement bénéfice des aliments consommés. Les estimations de la FAO ne rendent compte que de la pénurie alimentaire, mais il existe par ailleurs des indicateurs portant sur les autres facteurs liés à l'état nutritionnel, comme la proportion d'enfants accusant un retard de croissance (c'est-à-dire de taille trop courte pour leur âge) ou un poids insuffisant.

La plupart des pays collectent régulièrement des données anthropométriques de ce genre mais ils le font à intervalles de plusieurs années et limitent leurs enquêtes aux enfants.

Bien que la prévalence du retard de croissance ou de l'insuffisance pondérale soit rarement aussi forte que celle de la sous-alimentation, l'ampleur relative des deux phénomènes et leurs tendances générales coïncident habituellement (voir le graphique). Les données anthropométriques sont très utiles pour mettre en relief ces tendances de même que pour évaluer les interventions visant des groupes particulièrement vulnérables, comme les femmes et les enfants.

Renforcer les efforts de suivi

Depuis la tenue du colloque, la FAO a travaillé de concert avec 50 pays en vue de renforcer leur capacité à appliquer les méthodes qu'utilise l'Organisation pour mesurer le manque de nourriture au sein de groupes particuliers. La consommation moyenne par habitant, l'un des paramètres clés qui sous-tendent ses estimations, peut être établie soit à partir des bilans alimentaires nationaux, soit à partir d'enquêtes sur les budget des ménages. Les chiffres fournis dans le présent rapport sont fondés sur les bilans alimentaires, seule source d'information régulière et cohérente sur la situation à l'échelle tant mondiale que régionale.

En revanche, pour ce qui est de cibler des régions géographiques ou des groupes au sein des pays, on peut appliquer la méthodologie de la FAO à des données d'enquête - touchant la consommation alimentaire et l'inégalité d'accès - récoltées auprès des ménages.

L'adoption de cette approche a permis aux autorités nationales d'utiliser des données relatives aux revenus et dépenses des ménages pour évaluer les niveaux de prévalence de la faim dans des zones géographiques particulières (urbaines, rurales résidentielles, écologiquement vulnérables) ou parmi des groupes définis en fonction du niveau de revenu, de l'occupation principale ou de l'activité économique (voir le graphique).

Dans ses estimations, la FAO a toujours eu recours aux données sur les budgets des ménages pour établir le coefficient de variation du paramètre «inégalité d'accès à la nourriture». Mais le coefficient étant appliqué à la série chronologique entière qui concerne un pays, on reproche à ces estimations de ne pas rendre compte des variations temporelles du paramètre inégalité.

En réponse aux critiques exprimées à ce sujet lors du colloque, l'Organisation a fait une étude sur les tendances en matière d'inégalité d'accès dans les pays en développement. L'étude a révélé que l'inégalité est en baisse dans 28 des 38 pays ayant effectué un minimum de deux enquêtes à résultats fiables et susceptibles de comparaison. Lorsque des données de cette qualité seront devenues plus faciles à obtenir, elles seront incorporées dans les estimations de l'Organisation.

Les experts commencent à se mettre d'accord sur le fait que toutes les dimensions de la faim et de la sous-alimentation, à l'échelle de la planète entière comme de chaque pays, ne peuvent être représentées à l'aide d'un seul indicateur. Par contre, on peut appliquer diverses méthodes permettant de créer un éventail d'indicateurs différents.

De grands progrès ont été faits dans cette voie. Ainsi, la FAO et la Banque mondiale ont uni leurs efforts pour élaborer des catégories de données rendant compte tout à la fois de la pénurie de nourriture, des revenus, de la consommation alimentaire et de facteurs anthropométriques. À mesure que se multiplieront les succès de cette nature, on pourra mieux suivre les progrès réalisés à l'égard des cibles du Sommet mondial de l'alimentation et des Objectifs du Millénaire pour le développement, et donc mieux orienter l'action requise de toute urgence pour accélérer ces progrès.

Incidence de la consommation alimentaire moyenne et de l'inégalité d'accès à la nourriture sur les estimations de sous-alimentation

Source: FAO

Les «points chauds» de la faim

En juillet 2004, 35 pays faisaient face à des crises alimentaires nécessitant une aide d'urgence. La situation n'a pas beaucoup évolué depuis la publication de L'état de l'insécurité alimentaire dans le monde 2003: la plupart des crises continuent de toucher l'Afrique, et ont été causées par la sécheresse, un conflit ou une combinaison des deux (se reporter à la carte); et presque toutes sont de nature persistante, leur durée moyenne étant de neuf ans.

Dans la seule Afrique de l'Est, la sécurité alimentaire de plus de 13 millions de personnes a été menacée, tant en raison de l'irrégularité des pluies que des troubles civils, récents ou en cours. Dans la région du Darfour, au Soudan, les conflits ont chassé plus d'un million de personnes de leurs foyers et de leurs champs, ce qui a provoqué une crise majeure. Ailleurs dans la sous-région (parties de l'Éthiopie, de l'Érythrée, de Somalie, d'Ouganda et du Kenya), la sécheresse récurrente a gâché les récoltes et entraîné de grosses pertes de bétail.

Les lieux et causes de la famine: tendances

Les urgences alimentaires sont de plus en plus nombreuses depuis deux décennies. Durant les années 80, on en comptait une quinzaine par année; depuis le tournant du millénaire, la moyenne est passée à plus de 30. Cette augmentation touche surtout l'Afrique, où les crises alimentaires sont presque trois fois plus fréquentes (voir graphique).

De même, les causes de la famine ont acquis un profil différent avec le temps. Depuis 1992, la proportion des urgences alimentaires principalement dues à l'action humaine (conflits, problèmes économiques) a plus que doublé, passant de 15 pour cent environ à plus de 35 pour cent (voir graphique).

Très souvent, les facteurs d'origine humaine et naturelle se renforcent les uns les autres, engendrant les crises les plus graves et les plus longues. Entre 1986 et 2004, 18 pays étaient «en crise» plus de la moitié du temps et, dans tous les cas, la guerre ou les bouleversements économiques et sociaux avaient soit provoqué soit aggravé la situation (voir graphique ci-contre). On le voit par cet exemple, les crises prolongées et fréquentes entraînent dans leur sillage une sous-alimentation répandue et chronique. D'après les dernières estimations de la FAO, 13 de ces 18 pays comptent parmi ceux où plus de 35 pour cent de la population ne mange pas à sa faim.

Surveiller les «points chauds» de la faim

Pour pouvoir identifier et surveiller les éventuels «points chauds» de la faim, il faut prendre en considération la géographie particulière des lieux et les multiples causes des urgences alimentaires. Les conditions climatiques et les perspectives de récoltes dans les régions régulièrement frappées par la mousson peuvent être déterminées relativement facilement. En revanche, lorsque le facteur humain semble être à l'origine d'une urgence alimentaire, on doit évaluer de manière continue tout un éventail d'indicateurs environnementaux, économiques, sociaux et politiques, tâche beaucoup plus complexe. Une fois l'urgence bien définie dans tous ses aspects, c'est le suivi qui fournira l'information nécessaire à l'organisation d'opérations de secours et de mesures de rétablissement efficaces.

De nombreux pays au climat défavorable jouissent d'une économie relativement stable et sont dotés de plans publics de prévention et d'atténuation des crises assortis de bonnes filières de secours et de redressement. Mais lorsqu'il y a conflit ou que l'économie s'effondre, les programmes et l'infrastructure de prévention, de secours et de rétablissement sont généralement perturbés, sinon ruinés.

C'est en Afrique que se trouvent le plus grand nombre et la proportion la plus élevée de pays en proie à une crise alimentaire,et cela est très manifeste, surtout lorsqu'on compare attentivement les sous-régions du continent. L'Afrique de l'Est, par exemple, n'a pas seulement été le théâtre de plusieurs des crises les plus graves en 2003-2004, mais elle abrite six pays qui sont en crise plus de la moitié du temps depuis 1986. La sous-région est régulièrement frappée par la sécheresse et occasionnellement par des pluies torrentielles et des inondations. Mais les pays qui sont les plus durement touchés dans la sous-région sont ceux où sévissent des conflits. La crise humanitaire au Darfour, par exemple, a englouti une zone généralement favorisée par de bonnes pluies et de bonnes récoltes. Elle a été déclenchée par un conflit armé, qui a forcé quelque 1,2 million de personnes à abandonner leurs champs et leurs troupeaux.

Le Soudan, comme d'autres pays de l'Afrique de l'Est, est moins vulnérable aux conditions météorologiques que le Sahel voisin, où l'unique campagne agricole annuelle s'accompagne en moyenne, dans les bonnes années, de 575 mm de pluie seulement, et où la sécheresse est fréquente.

Les pays du Sahel, par contre, sont relativement épargnés par les conflits. Après une série de terribles sécheresses, ils ont commencé à prendre en compte la volatilité des conditions météorologiques dans leurs politiques agricoles et commerciales de même que dans leurs systèmes de culture. En conséquence, ils ont moins tendance à sombrer dans les crises que d'autres pays du continent. Et quand elles surviennent, les crises y sont en général moins graves et beaucoup moins longues. Depuis le milieu des années 80, les plus longues crises ont duré en moyenne un an au Sahel, comparativement à plus de 11 ans en Afrique de l'Est (voir graphique).

Pour voir venir les urgences alimentaires et pour y répondre efficacement quand elles éclatent, il faut absolument tenir compte des causes particulières sous-jacentes à la faim et à la pauvreté, et du degré de vulnérabilité aux catastrophes naturelles et aux crises d'origine humaine.

 

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