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CHAPITRE UN
Introduction

IRD/B. Maire

Au Sommet du Millénaire pour le développement qui s'est tenu en septembre 2000, les Etats formant les Nations Unies ont réaffirmé leur engagement à lutter prioritairement contre la pauvreté et pour un développement soutenu. En continuité avec les recommandations des différentes conférences mondiales tenues au cours de la décennie précédente, huit objectifs fondamentaux de développement[1] ont été rediscutés et approuvés (voir encadré), tandis qu'un canevas était mis en place pour le suivi des progrès dans ce domaine (World Bank Group, 2000).

Ces objectifs représentent un consensus actuel sur les problèmes prioritaires de développement, et sur les efforts à consentir, individuellement pour chaque pays, et globalement pour l'ensemble de la communauté mondiale, pour traiter efficacement ces problèmes. Ainsi ont été formulées des échéances et des résultats précis à atteindre pour faire évoluer de façon significative la situation, tandis qu'un certain nombre d'indicateurs étaient suggérés pour en assurer la mesure de façon commune.

Objectifs du millénaire pour le développement

1 - Eliminer l'extrême pauvreté et la faim
2 - Assurer une éducation primaire pour tous
3 - Promouvoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes
4 - Réduire la mortalité des enfants de moins de cinq ans
5 - Améliorer la santé maternelle
6 - Combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d'autres maladies
7 - Assurer un environnement durable
8 - Mettre en place un partenariat mondial pour le développement

Le premier de ces objectifs fondamentaux reprend l'objectif intermédiaire qui avait été adopté dès 1996 par le Sommet mondial de l'alimentation (SMA) "de réduire de moitié, pour 2015 au plus tard, le nombre de personnes sous-alimentées dans le monde". Plus généralement ce sommet avait placé la sécurité alimentaire mondiale dans un contexte large, son plan d'action, doté de 27 objectifs, couvrant la plupart des secteurs contribuant à la sécurité alimentaire à tous les niveaux[2] (FAO, 1997).

Le SMA confirmait également, tout en les complétant, les recommandations de la Conférence internationale sur la nutrition (CIN), qui s'était tenue en 1992 sous l'égide de la FAO et de l'OMS, et s'était achevée par l'adoption d'une déclaration mondiale et d'un Plan d'action en vue de combattre plus efficacement les différentes formes de malnutrition dans le monde (FAO & OMS, 1992a, b). Le Sommet du Millénaire comme le SMA soulignaient ainsi l'importance de la sécurité alimentaire et de l'amélioration de la nutrition, en liaison avec la réduction de la pauvreté, pour le développement international.

Une caractéristique commune de ces Sommets et Conférences internationales est la reconnaissance de la nécessité de suivre les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs fixés, et donc de disposer d'une liste d'indicateurs clefs; mais aussi pour les pays d'être en mesure de sélectionner des indicateurs adaptés à chaque situation et à différents usages. Plus précisément, le SMA engageait les gouvernements à établir "des mécanismes pour recueillir des informations sur la situation nutritionnelle de tous les membres des communautés, particulièrement des pauvres, des femmes, des enfants et des membres des groupes vulnérables et défavorisés, pour suivre et améliorer la sécurité alimentaire des ménages concernés" (FAO, 1996).

En 2002, la déclaration du 'Sommet mondial de l'alimentation: cinq ans après' réaffirmait cette nécessité: "Appelons les partenaires du développement concernés à déployer tous les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs de développement international de la Déclaration du Millénaire, en particulier ceux qui portent sur la réduction de moitié de la faim et de la pauvreté pour 2015, pour améliorer et renforcer les indicateurs nécessaires et pour suivre les progrès réalisés dans le cadre de leur mandat; et à renouveler et renforcer leur engagement en faveur des systèmes nationaux et internationaux en place pour évaluer la sécurité alimentaire". Elle soulignait de nouveau "...l'importance des questions nutritionnelles, qui doivent faire partie intégrante de la sécurité alimentaire" (FAO, 2002).

Les objectifs du Sommet du millénaire rappellent en outre que le développement passe par un ensemble large de conditions, et qu'il est vain de vouloir améliorer les choses isolément si l'on vise un résultat durable. Il est essentiel ainsi, tout en portant une attention particulière à l'évolution des indicateurs spécifiques en matière d'alimentation et de nutrition, d'avoir une vision d'ensemble de l'évolution des indicateurs de pauvreté et de développement en regard des premiers, la plupart des politiques ou programmes mis en place par les pays concernant de nombreux secteurs.

La mise en oeuvre de politiques ou de plans d'action en nutrition implique une information sur les problèmes et sur leurs causes pour identifier les priorités, puis sur les options programmatiques possibles, et enfin sur le suivi et l'impact des actions entreprises. Il faut pour cela disposer à chaque étape d'instruments pertinents aptes à décrire la situation, et à la positionner en termes d'objectifs de changement, de tendances ou de résultats obtenus par rapport à une situation de départ ou de référence. Ces instruments sont les indicateurs, c'est-à-dire des descriptifs, chiffrés ou non, élaborés à partir de variables (ou combinaisons de variables) collectées dans le cadre de mesures, d'observations ou de questionnaires, et qui devraient, dans l'idéal, rendre compte de façon synthétique de l'information recherchée, tout en étant facilement compris, et interprétés de la même façon, par tous les utilisateurs.

Un travail important a été accompli au niveau international depuis les travaux du SMA en matière de définition, de mise en place et d'analyse d'indicateurs dans des domaines variés, notamment par le Comité de la Sécurité Alimentaire mondiale (CSA, 2001 a, b) et par le groupe de travail inter-institutionnel du SICIAV[3] (SICIAV, 2002) pour tout ce qui touche au suivi de la sécurité alimentaire et de la situation nutritionnelle globale.

Beaucoup de facteurs peuvent contribuer à l'amélioration de la situation nutritionnelle. Certains de ces facteurs peuvent être modifiés par des interventions, d'autres non. Mais tous ces facteurs doivent être identifiés, suivis, et leur rôle respectif pris en considération. Au fur et à mesure que nos connaissances sur les malnutritions - et de manière générale sur les problèmes de santé publique liés à l'alimentation dans le monde - s'approfondissent, le nombre des indicateurs disponibles pour nous permettre de saisir cette complexité augmente inexorablement; il en existe plusieurs centaines si l'on inclut tous les secteurs ayant un lien direct ou indirect avec la situation nutritionnelle des populations. Se pose donc bien un problème d'identification et de choix des indicateurs pertinents.

En effet, nombre d'indicateurs sont utilisés de manière régulière au sein de chaque grand secteur; cependant leur présentation est dispersée à travers un grand nombre de documents. Or cette information doit pouvoir être accessible rapidement aux groupes intersectoriels chargés de la mise en oeuvre et du suivi des politiques nationales. Ceux qui paraissent les plus utilisés ou les plus pertinents pour chaque secteur ont donc été rassemblés dans le présent guide. De plus, des indicateurs novateurs, encore peu utilisés, sont aussi présentés. Le problème principal demeure d'effectuer un choix judicieux parmi ceux-ci afin d'obtenir les informations nécessaires à un coût raisonnable. Il est difficile de donner une recette universelle, dans la mesure où le choix dépend avant tout des objectifs nutritionnels fixés en fonction de la situation de chaque pays, et des besoins de chaque utilisateur. Au départ, une liste large d'indicateurs, comme celle qui est présentée au chapitre 3, est donc inévitable. Quelques règles générales de sélection et d'utilisation seront rappelées dans le chapitre deux. Il faut d'abord tenir compte de la nature et des qualités de ces indicateurs, dont certaines sont étroitement liées aux conditions de leur production et de leur traitement, qu'il sera très souvent nécessaire d'examiner. Il faut ensuite tenir compte de leur positionnement au sein du cadre conceptuel qui a présidé à la définition des actions envisagées. C'est, en effet, au fur et à mesure de l'élaboration d'un tel cadre, nécessaire pour déterminer les politiques et programmes à mettre en place, en fonction de la situation existante et des priorités affichées, que va pouvoir s'opérer ce choix.

En complément des instruments déjà existants, ce guide a l'ambition de contribuer ainsi, au niveau des pays, à la réalisation et au suivi des objectifs du SMA et des Objectifs du millénaire pour le développement pour toutes les questions relatives à la nutrition au niveau des populations.

Qu'est-ce qu'un indicateur?

Un indicateur, comme son nom le suggère, donne une «indication», c'est-à-dire tente de refléter une situation donnée, soit une réalité sous-jacente difficile à qualifier directement, et, habituellement, de fournir un ordre de grandeur. Un chiffre moyen de rendement agricole, en tonnes par hectare d'une certaine culture, par exemple, pourra donner une idée de la productivité du travail agricole dans la région considérée.

Il peut s'agir de variables quantitatives ou qualitatives, collectées sous forme de mesures, de questions ou d'observations, selon la nature des phénomènes à décrire; dans l'exemple précédent, on pourrait considérer un indicateur qualitatif concernant la nature du sol, le mode de culture, ou l'intensité perçue par les cultivateurs de leur travail, pour compléter utilement l'information fournie par l'indicateur quantitatif de rendement.

D'une manière générale, plus la réalité dont on cherche à rendre compte est complexe, plus on a besoin d'indicateurs différents. Ainsi la mesure de l'état de santé d'une population ne saurait être résumée par un seul indicateur. Par ailleurs, un indicateur peut souvent avoir un lien limité avec la réalité que l'on cherche à cerner, ce n'est qu'un indicateur approché (proxy): dans ce cas, c'est moins la mesure directe de cette réalité que l'on suivra avec cet indicateur que des variations qui, elles, seront liées aux variations de cette réalité difficile à cerner. Ainsi, l'évolution des taux de mortalité, là où ceux-ci sont élevés, donne une bonne idée de l'évolution de l'état de santé de la population concernée.

Tout ceci explique qu'il est nécessaire d'utiliser différents indicateurs et que l'on est constamment amené à en définir de nouveaux, simples ou combinés, pour affiner l'interprétation. C'est parce que le revenu par habitant d'un pays est insuffisant pour décrire sa situation de développement, que les Nations Unies ont suggéré un indicateur de «développement humain» prenant en compte la longévité, le niveau d'instruction et le pouvoir d'achat des habitants. En effet, pour un même niveau de richesse, le niveau de développement réel peut être très différent. C'est pour affiner encore le concept, que les économistes du Programme des Nations Unies pour le Développement ont ajouté une mesure de l'accès aux services publics essentiels, donnant un nouvel indicateur baptisé «indicateur de pauvreté humaine».

Les indicateurs quantitatifs (variables brutes ou indices numériques calculés à partir de celles-ci) sont utilisés pour décrire de façon standardisée les situations et leur évolution; il arrive souvent qu'un indicateur soit construit à partir d'une variable continue, discrétisée de façon dichotomique (oui/non) ou en classes, privilégiant les valeurs relatives (rang) plutôt qu'absolues. Un certain nombre d'indicateurs qualitatifs sont parfois exprimés sous forme de proportions (ex.: pourcentages) pour faciliter la perception d'un ordre de grandeur des phénomènes observés ou de leurs changements. Certains indicateurs sont applicables directement à des unités élémentaires (individus, ménages, maisons, etc.); un indicateur synthétique peut alors être construit au niveau de l'ensemble de ces unités (moyenne, % d'unités en dessous d'un certain seuil, etc.); c'est ce type d'indicateur qui est le plus généralement utilisé pour le suivi de situations au niveau des populations.

Un indicateur ne se réduit pas aux données sur lesquelles il repose; il comporte en général des éléments (un seuil, un référentiel, un mode d'expression, etc.) qui permettent d'apprécier de façon relativement universelle l'information qu'il délivre et qui facilitent les comparaisons dans le temps et dans l'espace. L'utilisation de ces indicateurs a souvent fait l'objet d'une littérature abondante dans chaque secteur concerné. De ce fait l'information associée à un indicateur peut aller au-delà de la seule quantification des phénomènes; c'est pourquoi le choix, l'analyse et l'interprétation doivent être réalisés, autant que possible, par un spécialiste du domaine concerné. Des données de prévalence de tel ou tel indice de malnutrition permettront par exemple au nutritionniste d'évaluer cette malnutrition en termes de sévérité sur le plan de la santé publique, ou en termes de conséquences possibles sur le plan plus général du développement, en tenant compte des conséquences connues sur la santé, la productivité, l'apprentissage scolaire ou le dynamisme social. D'où la nécessité d'une analyse au sein de groupes intersectoriels dès lors que de nombreux indicateurs sont en jeu.



[1] voir http://millenniumindicators.un.org/unsd/mi/mi_goals.asp
[2] La déclaration de Rome définissait la sécurité alimentaire comme " l'accès physique et économique de tous, à tout moment, à une alimentation suffisante et adéquate du point de vue nutritionnel et sanitaire". La sécurité alimentaire peut s’analyser à tous les niveaux: mondial, national, régional, ou encore aux niveaux familial et individuel.
[3] SICIAV: Systèmes d'Information et de Cartographie sur l'Insécurité Alimentaire et la Vulnérabilité

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