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Le Processus de Tarapoto: élaboration de critères et indicateurs de gestion durable des forêts amazoniennes

E. Elías

Enrique Elías, citoyen du Pérou, est Coordonnateur du Secrétariat pour les questions environnementales, Secrétariat permanent, Organisation du Traité de coopération amazonienne (ACTO), Brasilia (Brésil).

Huit pays du bassin amazonien ont élaboré conjointement des critères et indicateurs dans le cadre de l’Organisation du Traité de coopération amazonienne.

Il est souvent impossible de résoudre les problèmes environnementaux, et encore moins de réaliser le développement durable, dans les limites du territoire national. En 1978, huit pays du bassin amazonien ont signé le Traité de coopération amazonienne (ACT) en reconnaissant qu’il représentait, dans une région aussi complexe et riche en ressources naturelles, l’instance la plus efficace de discussion et d’accords.

Les pays signataires du Traité ont accompli des progrès notables sous l’angle de la définition progressive et concertée des approches et politiques relatives à l’Amazonie. Ils ont mobilisé un vaste réseau d’institutions et d’organisations publiques et privées et conçu des stratégies visant l’utilisation rationnelle des ressources naturelles de la région au profit de ses populations. Ces stratégies tiennent compte des cycles naturels de renouvellement et des systèmes de survie des écosystèmes fragiles et diversifiés de la région. Les parties ont cherché à identifier non seulement le potentiel économique de la biodiversité amazonienne et les moyens les plus efficaces de l’utiliser, mais aussi les conditions essentielles à la survie et à la reproduction des espèces animales et végétales, qui sont indispensables pour la mise en œuvre du concept de développement durable envisagé par les pays signataires du traité.

Parmi les importantes initiatives réalisées dans le cadre du traité figure l’élaboration de critères et indicateurs régionaux de durabilité de la forêt amazonienne, à savoir le Processus de Tarapoto relatif aux critères et indicateurs de durabilité des forêts amazoniennes. Ce processus, qui est le résultat de cinq ans de consultation à tous les niveaux (y compris de la société civile et des gouvernements) dans et entre huit pays membres, reconnaît que la gestion de chaque pays exerce une incidence sur les ressources forestières de la région et sur son développement durable et intégré. Il vise à instaurer parmi les pays la compréhension et l’harmonisation de termes et de définitions.

Les critères et indicateurs permettront aux pays membres de collecter et d’analyser les données de façon plus efficace et faciliteront le suivi et l’évaluation des progrès accomplis vis-à-vis de la gestion durable des forêts amazoniennes, ainsi que l’établissement de rapports périodiques les concernant. Ces mesures compléteront les initiatives de réduction de la pauvreté et de sécurité alimentaire.

Quinze indicateurs prioritaires ont été identifiés et sont en cours de validation dans le cadre d’un projet dont la mise en œuvre a démarré en juillet 2004 en coopération étroite avec les programmes forestiers nationaux de chaque pays.

Paysage de forêt amazonienne, Brésil
FAO/CFU000101/R. FAIDUTTI

UNE ORGANISATION POUR LA COOPÉRATION AMAZIONIENNE

Le Traité de coopération amazonienne est un instrument régional signé par les gouvernements de la Bolivie, du Brésil, de la Colombie, de l’Équateur, du Guyana, du Pérou, du Suriname et du Venezuela le 3 juillet 1978; il exprime l’intention concertée de ces pays de promouvoir le développement harmonieux de la région amazonienne, de relever les niveaux de vie de ses populations et d’intégrer les territoires amazoniens de chaque pays dans leur économie nationale respective.

En tant qu’instrument juridique, le traité fournit le cadre nécessaire pour la coopération dans de nombreux domaines du développement durable, y compris la gestion durable des forêts. Il sert d’instance régionale pour les débats intergouvernementaux et de moyen officiel de liaison entre ses pays membres et les autres organisations régionales et mondiales.

En 1995, les Ministres des affaires étrangères de la région amazonienne ont accru le pouvoir institutionnel du Traité par la création de l’Organisation du Traité de coopération amazonienne (ACTO) pour remplacer les secrétariats temporaires précédents qui s’étaient déplacés de pays en pays. L’ ACTO a établi son secrétariat permanent à Brasilia (Brésil) en décembre 2002.

Au moment de son établissement, le secrétariat permanent s’est fixé comme tâche principale l’élaboration d’un plan stratégique visant à fournir des directives pour la formulation, la mise en œuvre et le suivi de projets, programmes et initiatives régionaux réalisables. Le secrétariat entend en outre maintenir le dialogue et la consultation avec ses pays membres pour mieux concrétiser les propositions du traité

Au cours de sa brève vie institutionnelle, le secrétariat permanent a négocié et signé un certain nombre d’accords de coopération avec des organisations et institutions spécialisées des Nations Unies, en vue de s’acquitter d’importantes tâches favorisant le développement durable de la région amazonienne. Les efforts qu’il a déployés pour intégrer les questions politiques, stratégiques, techniques et opérationnelles reflètent la volonté politique des pays membres d’œuvrer pour le renforcement du Traité de coopération amazonienne.

L’ ACTO a mis l’accent notamment sur la formulation de son plan stratégique pour la période 2004-2012, adopté à la huitième réunion des Ministres des affaires étrangères le 14 septembre 2004 à Manaus (Brésil). Le plan exprime les intérêts partagés des pays amazoniens et la direction que devra suivre le secrétariat permanent. Sous l’angle des opérations, le plan s’articule autour de quatre axes stratégiques (ou secteurs de coordination) et six domaines de programme (voir le tableau). L’ ACTO met en œuvre le Processus de Tarapoto dans le cadre du Plan stratégique; il est estimé que les critères de gestion durable des forêts sont l’un des quatre champs d’intervention faisant partie du domaine de programme «Forêts, sols et aires protégées».

Cependant, comme il ressort du tableau, la durabilité des forêts amazoniennes est influencée directement et indirectement par les interventions dans tous les domaines de programme.

Matrice logique du plan stratégique montrant les champs d’intervention


CRITÈRES ET INDICATEURS POUR LA RÉGION

Dans les années 90, on a reconnu l’importance d’établir des critères pour définir la durabilité (environnementale, sociale et économique) des forêts et pour obtenir des indicateurs permettant d’évaluer et de surveiller leur état. Le secrétariat temporaire de l’ACT de l’époque a lancé le processus d’élaboration de critères et indicateurs qui devaient tenir compte des principaux traits des écosystèmes de la région. Avec l’aide des gouvernements des pays membres, le secrétariat du Traité a entamé le processus d’identification de critères et indicateurs visant à concilier les facteurs de durabilité environnementale et l’utilisation optimale des ressources naturelles des forêts amazoniennes.

Le processus a tiré parti des progrès accomplis dans les années 90 par des initiatives mises en œuvre par les pays d’autres régions pour gérer leurs forêts de manière durable. Telles sont le Processus d’Helsinki en Europe (actuellement le Processus pan-européen relatif aux critères et indicateurs qui relève de la Conférence ministérielle sur la protection des forêts en Europe), fruit des préoccupations mondiales quant aux effets des pluies acides sur les forêts et d’une prise de conscience croissante de l’environnement; le Processus de Montréal, qui a démarré en 1993 et établi une instance pour la production de critères relatifs à la conservation et la gestion des forêts tempérées et boréales; et les travaux de l’Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT) sur la gestion durable des forêts.

Grâce aux enseignements tirés de ces importantes initiatives ainsi que d’autres, le secrétariat du Traité s’est rendu compte de l’importance de tenir compte des différences économiques et culturelles entre l’Amazonie et les autres régions, ainsi que des cadres juridiques, des structures et des capacités institutionnelles qui jouent un rôle décisif dans la mise en œuvre de politiques efficaces de développement.

Les pays qui ont signé le Traité de Coopération amazonienne reconnaissent que les efforts visant à réduire la pauvreté et à satisfaire les besoins locaux en bois et en énergie d’origine ligneuse exercent une incidence sur la conservation des forêts
FAO/FO-0099

MISE AU POINT DE LA PROPOSITION DE TARAPOTO

Le Processus de Tarapoto a vu le jour en février 1995 lors de la Première réunion régionale sur les critères et indicateurs de durabilité des forêts amazoniennes, organisée à Tarapoto (Pérou), par le secrétariat temporaire de l’ACT. Des représentants et décideurs forestiers de huit pays membres ont assisté à la réunion, ainsi que des experts d’organisations internationales comme la FAO (le principal allié dans le processus), le Fonds pour l’environnement mondial, le Programme des Nations Unies pour le développement et l’Institut mondial pour les ressources. Au cours de la réunion, ont été identifiés 12 critères et 77 indicateurs de durabilité des forêts amazoniennes qui ont été groupés en trois catégories: niveau national, niveau de l’unité de la gestion et des services et niveau mondial.

La proposition a été appuyée par la Cinquième réunion des Ministres des affaires étrangères des pays signataires de l’ACT tenue à Lima (Pérou) en décembre 1995. Dans la Déclaration de Lima, les ministres ont souligné les progrès accomplis et se sont engagés à promouvoir l’adoption d’un document régional relatif aux critères et indicateurs de durabilité des forêts amazoniennes, afin de poursuivre le Processus de Tarapoto après la conclusion des consultations nationales.

Sur la base de ce mandat conféré par les pays membres de l’ACT, la Proposition de Tarapoto a été soumise à un processus général d’analyse et de discussion dans chacun des pays d’Amazonie entre 1996 et 2000, processus auquel ont pris part 351 institutions et 830 participants venant de tous les secteurs.

À la Septième réunion des Ministres des affaires étrangères, tenue à Santa Cruz de la Sierra (Bolivie) en novembre 2000, l’organisation du Traité a confié au secrétariat permanent la tâche de lancer officiellement le Processus de Tarapoto, en vue de l’adoption définitive d’un nombre déterminé de critères et indicateurs de durabilité des forêts amazoniennes. Le secrétariat était aussi chargé d’identifier des mécanismes et procédures qui permettraient la validation des indicateurs choisis pour leur haute priorité.

Le secrétariat a réuni tous les rapports nationaux venant des divers pays en un seul document, qui a été examiné lors d’une deuxième réunion régionale à Tarapoto en 2001. À cette occasion, les représentants des pays amazoniens ont choisi et classé les critères et indicateurs contenus dans la Proposition de Tarapoto de 1995 en fonction du niveau estimé de consensus et d’applicabilité. Cela était nécessaire car les pays membres n’auraient pas été à même de mettre en œuvre de nombreux critères et indicateurs identifiés dans le passé pour surveiller, évaluer et communiquer les progrès accomplis dans la gestion de leurs forêts.

Le niveau de consensus relatif à la nécessité de ne considérer qu’un nombre limité d’indicateurs pratiques plus faciles à mesurer et à évaluer a grandement facilité leur adoption par les pays membres du Traité.

Lors de la deuxième réunion régionale, on a choisi 15 indicateurs correspondant à huit critères estimés hautement prioritaires ayant été considérés par tous les pays comme étant «très applicables» (voir l’encadré). Il a été décidé que ces 15 indicateurs seraient les premiers à être validés dans un projet régional.

Une terminologie commune sera aussi établie parmi les pays pour faciliter la collecte d’informations servant à appuyer les décisions sur la conservation, l’utilisation et la gestion des ressources naturelles de chaque pays membre.

Les forêts amazoniennes constituent un habitat et une source de revenus vitaux et en outre, elles sont le siège de cultures très anciennes et renferment des connaissances ancestrales; Ici, en Équateur, les agriculteurs récoltent les fruits comestibles de Prunus serotina, utilisent les feuilles pour guérir les contusions et fabriquent des instruments avec le bois
FAO/CFU000101/R. FAIDUTTI

PROJET RÉGIONAL DE VALIDATION

Le projet régional de validation de 20 mois a reçu une contribution d’environ 400 000 dollars EU au titre d’un accord conclu entre la FAO et l’ACTO au début de 2004. Il sera mis en œuvre en collaboration étroite avec les programmes forestiers nationaux des différents pays, dans le but d’établir entre eux une synergie. Le secrétariat a également sollicité l’assistance de la FAO pour l’élaboration des indicateurs au niveau de l’unité de gestion des forêts.

Les objectifs du projet étaient les suivants:

Le secrétariat permanent de l’ACTO, en coordination avec la FAO, a demandé aux pays membres de désigner des coordonnateurs nationaux qui seraient chargés de la mise en œuvre du projet dans leurs pays respectifs. Un coordonnateur régional, engagé par la FAO, surveillerait le réseau du projet. Les coordonnateurs se sont réunis pour la première fois à Lima les 26 et 27 juillet 2004, lors du Premier atelier régional organisé pour la coordination du projet, où ils ont échangé des informations relatives à leurs politiques forestières nationales respectives. Les pays membres ont reconnu que, même si leurs politiques forestières n’étaient pas toutes au même niveau de mise au point, cet échange d’expériences et d’informations les avait encouragés à travailler dans le même sens. Avec l’appui direct de leurs gouvernements ils espéraient réaliser en quelques mois:

Les 15 indicateurs prioritaires de gestion durable des forêts amazoniennes

NIVEAU NATIONAL

1. Existence de politiques et d’un cadre juridique pour la planification de l’utilisation des terres par le zonage écologique et économique

2. Zone classée, par type de forêt, comme aire de conservation, par rapport à la superficie totale de la forêt

3. Taux de conversion du couvert forestier à d’autres utilisations

4. Nombre et qualité des techniques appropriées servant à la gestion et à la production durables de la forêt

5. Investissement dans la recherche, l’enseignement et le transfert de technologies

6. Nombre et qualité des projets de recherche et de développement durable en cours de mise en œuvre

NIVEAU DE L’UNITE DE GESTION

7. Plan de gestion des forêts et autres plans concernant l’utilisation des ressources forestières approuvés par les autorités responsables

8. Fréquence de l’évaluation de la mise en œuvre du plan de gestion et pourcentage moyen de mise en œuvre

9. Niveau d’utilisation de techniques respectueuses de l’environnement, appropriées et compatibles

10. Pourcentage de zones de protection de l’environnement par rapport aux zones de production permanente

11. Existence de mesures de prévention visant à protéger les cours d’eau contre l’impact des activités d’exploitation forestière

12. Nombre d’emplois directs et indirects, et niveaux de revenu

NIVEAU MONDIAL

13. Contribution à la conservation de la diversité biologique

14. Contribution au maintien, à la restauration et à la protection des valeurs culturelles et de la diversité des populations autochtones et locales

15. Contribution à l’économie, à la santé, à la culture, à la science et aux loisirs


L’élaboration de critères et indicateurs devrait permettre aux femmes, aux jeunes et aux communautés forestières de jouer un rôle plus important dans la prise de décisions concernant la gestion des forêts amazonienne
FAO/CFU000902/R. FAIDUTTI

CONCLUSIONS

Grâce à l’engagement et à la vision partagée de tous ses pays membres, l’ACTO espère recevoir des rapports périodiques, simplifiés et normalisés sur les progrès accomplis par chaque pays vers la gestion durable de ses ressources forestières et sur le développement de la région amazonienne en général, afin de fournir des informations à des processus internationaux comme le Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF) et d’autres similaires dans d’autres régions.

En ce qui concerne l’ACTO, le travail concerté sur les critères et indicateurs est particulièrement important car il permet le plein respect des engagements pris dans d’importantes instances internationales sur les questions relatives aux ressources naturelles, comme la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (Rio de Janeiro, Brésil, 1992), le Sommet mondial du développement durable (Johannesburg, Afrique du Sud, 2002) et la quatrième session du FNUF (Genève, Suisse, mai 2004). En particulier, les critères et indicateurs contribueront à la réalisation des objectifs de l’ACT qui reconnaît que le développement durable doit tenir compte de l’influence de la dimension humaine sur la conservation de la nature et des aspects sociaux et culturels des forêts –, sans oublier que les pays du bassin amazonien déploient des efforts considérables pour réduire la pauvreté, réaliser la production durable dans tous les domaines, créer des emplois, satisfaire les besoins locaux en matières premières de base (notamment à partir des forêts) et répondre à la demande d’énergie d’économies en expansion.

Les forêts amazoniennes constituent les racines, l’origine et l’avenir des populations de la région. Non seulement sont-elles un habitat et une source de revenus vitaux, mais elles sont aussi le siège de cultures très anciennes et renferment des connaissances ancestrales. L’ACTO reconnaît que la mise en œuvre des indicateurs validés permettra aux femmes, aux jeunes et aux communautés forestières de jouer un rôle plus important dans les prises de décisions concernant la gestion des forêts amazoniennes. L’organisation suit les progrès vers la réalisation des objectifs du Processus de Tarapoto avec grand espoir, car en même temps que les autres initiatives de l’organisation, ce processus contribuera à réduire la pauvreté et à relever les niveaux de vie et améliorer la sécurité alimentaire des populations amazoniennes.

Bibliographie

ACTO. 2004. Strategic Plan of the Amazon Cooperation Treaty Organization (2004–2012). DOC/XII ACC-ACTO/04. Brasilia, Brésil. Disponible à l’adresse: www.otca.info/PDF/Strategic_Plan.pdf

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