3.1 Les conflits violents se traduisent généralement par des changements notables dans les régimes fonciers et ladministration foncière. Ils peuvent entraîner des déplacements massifs de populations. Les communautés daccueil vivant dans des zones sûres se trouvent alors confrontées à une concurrence accrue pour laccès à la terre, aux forêts et à leau avec larrivée en masse de personnes déplacées. Les services de ladministration foncière peuvent ne plus disposer de personnel, de registres fonciers et déquipements. La cessation des hostilités permet le retour des habitants et la fin de linstabilité. Elle peut aussi se traduire par une modification des rapports de pouvoir au sein de la société et par une lutte acharnée pour les terres.
3.2 Le présent chapitre sadresse à deux types de publics. Il propose aux concepteurs des projets durgence une description des régimes fonciers et de ladministration foncière, et informe ceux-ci, mais aussi les spécialistes des régimes fonciers et de ladministration foncière, des conditions prévalant généralement dans les pays émergeant de conflits violents. Les moyens possibles de sadapter à ces conditions sont définis aux chapitres 4, 5 et 6. La dernière section du présent chapitre traite de la nécessité de prendre en considération les régimes fonciers dans les projets durgence.
3.3 Les régimes fonciers ont trait aux relations entre les personnes, quil sagisse de particuliers ou de groupes, du point de vue des ressources foncières et dautres ressources naturelles. Ce lien peut être défini par un texte de loi ou par la coutume. Le régime foncier est une institution, à savoir des règles inventées par la société pour régir les comportements. Il définit la façon dont les droits à la terre sont attribués au sein des sociétés. Il définit aussi laccès aux terres de même que les droits de gérer, dutiliser et de transférer des terres ainsi que les responsabilités et contraintes quils imposent. De façon plus simple, les régimes fonciers indiquent qui peut utiliser telle ou telle ressource foncière, pendant combien de temps et sous quelles conditions.
3.4 Les droits sur une terre et sur les habitations qui peuvent sy trouver sont considérés en droit international comme des droits de lhomme régis par des conventions telles que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), la Convention internationale sur lélimination de toutes les formes de discrimination raciale (1969), la Convention sur lélimination de toutes les formes de discrimination à légard des femmes (1981) et la Convention relative au statut des réfugiés (1951).
3.5 On distingue généralement quatre catégories de régimes fonciers:
1. Propriété privée: les droits sur la terre sont attribués à une entité privée qui peut être un particulier, un couple marié, un groupe de personnes ou une personne morale (entité commerciale ou organisation à but non lucratif, par exemple). Ainsi, au sein dune communauté, des familles peuvent posséder des droits exclusifs sur des lots bâtis, des parcelles agricoles et certains arbres. Les autres membres de la communauté peuvent être empêchés dutiliser ces ressources sans le consentement des détenteurs des droits.
2. Biens communautaires: au sein dune communauté, tous les membres peuvent partager le droit dutiliser de façon indépendante les biens communautaires. Ainsi, ils peuvent être autorisés à faire paître du bétail sur un pré communal.
3. Libre accès: personne ne bénéficie de droits spécifiques et personne ne peut en être exclu. Lexemple type de cette catégorie est le régime marin, en vertu duquel laccès à la haute mer est généralement ouvert à tous; ce statut peut également sappliquer à des terres de parcours et des forêts, laccès aux ressources étant libre. (Une importante différence entre les biens librement accessibles et les biens communautaires réside dans le fait que ces derniers sont interdits à quiconque nest pas membre de la communauté.)
4. Propriété publique: les droits de propriété sont attribués à une entité du secteur public. Ainsi, dans certains pays, les terres boisées peuvent être placées sous lautorité de lÉtat (gouvernement central ou collectivité locale).
Ces différentes catégories peuvent coexister au sein dune société donnée. Ainsi, dans un même pays, il peut exister des prés communaux, des parcelles loties et des parcelles agricoles privées, et des forêts domaniales.
3.6 Dans la pratique, une parcelle de terre peut donner lieu à des droits multiples: droits de vente, droit dutilisation aux termes dun bail ou droit de passage. Les droits peuvent être détenus par plusieurs personnes ou groupes différents. Cette situation a donné naissance à la notion de «faisceau de droits», lensemble des droits afférents à une parcelle de terre pouvant être comparé à un faisceau de branches. Chacun des droits peut être détenu par différentes personnes, acquis de différentes manières et conservé pendant différentes périodes. Ainsi, le faisceau de droits peut être partagé entre un propriétaire et un bailleur et donner lieu à un contrat de location conférant à ce dernier le droit dutiliser la terre dans des conditions spécifiées. Si lexploitation est hypothéquée, le créancier peut, au titre de lun des droits quil détient, récupérer le prêt impayé grâce à la vente du bien hypothéqué en cas de défaut de paiement. Un agriculteur voisin peut, en vertu de lun des droits dont il est titulaire, traverser la terre pour mener du bétail à un cours deau.
3.7 Il peut être parfois utile de simplifier la représentation des droits à la terre en distinguant:
Les droits dusage: droits dutiliser la terre pour faire paître du bétail, cultiver des denrées vivrières, ramasser des produits forestiers, etc.
Les droits de gestion: droits de décider de la façon dont la terre sera utilisée (choix des cultures qui seront pratiquées, notamment) et de tirer financièrement profit de la vente des produits, etc.
Les droits de cession: droits de vendre ou dhypothéquer la terre, de la transmettre à des tiers dans le cadre dune redistribution au sein de la communauté ou à des héritiers par voie successorale, et de réattribuer les droits dutilisation et de gestion.
Généralement, les membres les plus pauvres de la communauté ne disposent que des droits dusage. Ainsi, il arrive quune femme ait le droit dutiliser une terre pour la cultiver dans le but de nourrir la famille, tandis que son conjoint peut en tirer des profits en vendant sur le marché les divers produits de la terre. Si ce type de simplification peut être utile, la façon précise dont les droits à la terre sont effectivement répartis et détenus est parfois très complexe.
3.8 Dune manière générale, on établit une distinction entre les droits fonciers «formels» et «informels». Cette distinction peut poser des problèmes de compréhension, dans la mesure où certains droits dits informels peuvent présenter, dans la pratique, un caractère tout à fait officiel et sûr dans le contexte qui leur est propre. En dépit de ces problèmes, la classification entre droits formels et informels peut déboucher sur une analyse utile.
3.9 Les droits fonciers formels sont explicitement reconnus par lÉtat et pouvant être protégés par la loi. Les droits informels sont ceux qui ne bénéficient pas dune reconnaissance et dune protection officielles. Dans certains cas, ils sont illégaux; autrement dit, les droits sont détenus en violation de la loi. Un cas extrême est celui de squatters occupant un site en dépit dun arrêté dexpulsion. Dans de nombreux pays, la détention illégale de biens est la conséquence dune législation inappropriée. Ainsi, la loi peut imposer une taille minimum pour les exploitations, alors que dans la réalité les dimensions sont beaucoup plus réduites en raison de partages informels entre les héritiers. Dans dautres cas, les droits informels pourraient être qualifiés dextralégaux, cest-à-dire non pas contraires à la loi, mais non reconnus en droit. Dans certains pays, les biens coutumiers détenus par les indigènes en milieu rural relèvent de cette catégorie. On distingue souvent les régimes statutaires ou régimes reconnus officiellement, dune part, et les régimes coutumiers ou régimes traditionnels, dautre part. Cette distinction a tendance à sestomper aujourdhui dans un certain nombre de pays, notamment en Afrique, où les régimes coutumiers bénéficient dune reconnaissance juridique officielle. Régimes formels et informels peuvent coexister. Ainsi, dans un pays où laffermage est interdit, une personne possédant un droit de propriété officiellement reconnu sur une terre peut la donner à ferme de façon illicite à un paysan sans terre.
3.10 Ces différentes formes de régime foncier peuvent donner lieu à une structure complexe de droits et dintérêts. La situation se complique lorsque des droits prévus par la loi sont concédés sans quil soit tenu compte de droits coutumiers existants, par exemple à des fins de culture et de pâturage. Cette contradiction entre droits de jure (existant en vertu dune loi écrite) et de facto (cest-à-dire dans les faits) se produit souvent dans des régions où lenvironnement est dégradé.
3.11 La sécurité de jouissance est la certitude que les droits dune personne sur une terre seront reconnus par des tiers et protégés en cas de contestation. Les personnes dont la sécurité de jouissance est précaire sont exposées au risque de voir leurs droits menacés par des revendications concurrentes, voire supprimés à la suite dune expulsion. Létendue de la sécurité de jouissance dépend dans une large mesure de la façon dont elle est perçue. Ses composantes peuvent varier en fonction du contexte. Ainsi, lorsquune personne ayant le droit dutiliser une parcelle de terre pendant les six mois que dure la période de végétation est à labri dune expulsion durant ce laps de temps, on peut considérer quil y a sécurité de jouissance. Néanmoins, on ne peut attendre de quelquun dont les droits dutilisation se limitent à six mois quil plante des arbres, quil investisse dans des ouvrages dirrigation et quil prenne des mesures pour freiner lérosion des sols, la période de jouissance étant trop brève pour que linvestissement soit rentable. La jouissance nest pas sûre dans le cas dinvestissements à long terme, même si elle lest pour des investissements de courte portée.
3.12 Si dans certains pays la sécurité de jouissance est assimilée au droit de vendre et dhypothéquer, cela nest pas le cas dans la plupart des autres. Les populations vivant dans les régions où les régimes fonciers coutumiers sont sûrs peuvent bénéficier dune sécurité de jouissance sans posséder le droit de transférer le bien ou en détenant des droits strictement limités; ainsi, les cessions peuvent être limitées aux héritiers par voie successorale ou les ventes aux membres de la communauté.
3.13 Lorigine de la sécurité de jouissance peut varier en fonction du contexte. Elle peut découler de la reconnaissance ou de la protection des droits dune personne par:
la communauté locale et les groupes qui la composent comme les organisations paysannes ou les associations dusagers de leau;
lÉtat, à travers la reconnaissance politique de certains droits, comme lacceptation dun empiètement ou dune colonisation illicite;
les administrations publiques et le système judiciaire officiel.
Dans certains pays, la sécurité de jouissance peut aussi être assurée par des structures exerçant leur contrôle par la force, comme les seigneurs de guerre qui imposent leur pouvoir en labsence dÉtat durant les périodes marquées par des troubles civils.
3.14 Ladministration foncière est lensemble des systèmes et procédures par lequel les règles des régimes fonciers sont appliquées dans la pratique, incluant:
Les statuts doccupation: attribution de droits sur les terres, fixation des limites des parcelles sur lesquelles des droits sont accordés, cession entre une entité et une autre dans le cadre dune vente, dune location, dun prêt, dune donation ou dun héritage, et éclaircissement des doutes et règlement des différends concernant les droits et les limites des parcelles.
Réglementation sur lutilisation des terres: aménagement de lespace rural et application de la réglementation, et résolution des différends en matière dutilisation des terres.
Évaluation des terres et détermination des impôts fonciers: détermination de la valeur des terres et des bâtiments, recouvrement des impôts sur les terres et les bâtiments et règlement des différends sur lévaluation et la taxation des terres.
Ladministration foncière comporte une dimension coercitive destinée à garantir lapplication des règles existant en matière foncière.
3.15 Dans la plupart des pays victimes de conflits violents, les systèmes officiels dadministration foncière gérés par lÉtat ne sont souvent utilisés que pour les terres dune valeur économique élevée, cest-à-dire une petite partie seulement des terres du pays considéré. Les systèmes officiels dadministration foncière nont souvent pas la capacité voulue pour fonctionner efficacement, même en labsence de conflits violents. Dans les pays victimes de conflits, ce sont généralement des systèmes informels ou coutumiers dadministration foncière qui sappliquent sur la majeure partie du territoire.
3.16 Durant le conflit, les causes pour lesquelles certains sont privés de leurs terres sont diverses:
Les autorités en place peuvent avoir procédé à des expulsions arbitraires pour récupérer des terres. Les terres peuvent avoir été expropriées sans que leur propriétaire ait bénéficié dun dédommagement équitable. Les terres expropriées peuvent avoir été cédées à vil prix à des politiciens ou des militaires influents.
Des propriétaires terriens puissants, employant parfois des bandes armées, peuvent avoir expulsé des populations de leurs terres. Ils peuvent également avoir contraint par la force des personnes détenant des droits formels sur des terres à signer des documents pour faire croire quelles avaient volontairement cédé leur bien.
La population peut avoir abandonné ses terres sous lempire de la peur pour gagner des zones plus sûres. Lautorité en place peut ensuite avoir légitimé loccupation du bien, qualifié de vacant, par le membre dun groupe plus puissant.
Il se peut que les populations vivant dans des zones sûres naient plus accès à la terre en raison de larrivée des personnes déplacées. Celles-ci et les communautés daccueil parviennent souvent à un accord lorsque le système foncier en vigueur permet daccueillir de nouveaux arrivants, mais les besoins créés par larrivée massive de personnes déplacées peuvent excéder la capacité daccueil de la communauté concernée. Les deux groupes peuvent aussi envisager lutilisation des terres de façon différente. De nouveaux conflits sont susceptibles de se produire si les conceptions sont incompatibles.
3.17 À la suite du conflit, des ruraux ayant fui les campagnes peuvent rechercher des terres pour sinstaller dans des zones urbanisées. Dautres réfugiés et DI regagnent leurs foyers, soit spontanément, soit dans le cadre dun mouvement organisé. Le retour des réfugiés est régi par la Convention relative au statut des réfugiés. Il nexiste pas de législation internationale équivalente pour les DI, mais leur droit au retour est défini par le HCR dans ses «principes directeurs sur les déplacements intérieurs», qui constituent un cadre non contraignant concernant le retour et la réintégration des populations. En application de ces principes que les DI doivent être en mesure de rentrer dans leur foyer ou de se réinstaller dans une autre région du pays. Les droits des réfugiés et des DI à retrouver leur foyer et lieu de résidence habituel a été réaffirmé dans des résolutions de la Sous-Commission des droits de lhomme (2002/30) et de la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et la protection des minorités (1998/26) de lOrganisation des Nations Unies. De plus, certains accords de paix tels que lAccord de Dayton concernant la Bosnie-Herzégovine portent sur la restitution des biens.
3.18 Lorsque les réfugiés et les DI regagnent leur région dorigine, leurs terres sont souvent occupées. Dans certains cas, les nouveaux occupants ont utilisé la force pour accaparer les terres ou bénéficié de lois discriminatoires pour les acquérir en tant que biens vacants. Dans dautres cas, il sagit aussi de victimes du conflit ayant fui dautres régions. Il est donc fréquent que ceux qui regagnent leur foyer ne puissent récupérer leur bien sans en évincer les occupants. Il arrive que ceux-ci conservent la propriété de leur propre bien tout en occupant le bien dautrui. On parle alors de double occupation. Il est possible que les occupants sopposent par la violence aux tentatives de récupérer le bien. Les populations dans lincapacité de regagner leur terre dorigine tentent de se réinstaller ailleurs.
3.19 Les possibilités daccéder à la terre sont différentes pour les hommes et les femmes. Les conflits violents peuvent avoir pour conséquence une augmentation du nombre des ménages ayant à leur tête une femme, mais lattribution de terres à lissue du conflit peut continuer de favoriser les hommes. Laccès des veuves à la terre peut savérer particulièrement difficile dans certains systèmes fonciers coutumiers.
3.20 Il arrive que les programmes dattribution de terre à des bénéficiaires soient utilisés de façon abusive. Ainsi, les personnes pouvant prétendre à lattribution de terre, comme les personnes déplacées et les anciens combattants, vendent parfois leur terre sur le marché foncier non officiel et soumettent ensuite une autre demande ailleurs.
3.21 De grands groupes privés recherchent parfois des terres dans des pays émergeant dun conflit. Des millions dhectares de forêts et de terres agricoles ont ainsi été attribués à des entreprises commerciales et à des particuliers intéressés par des investissements et une exploitation de longue durée. La spéculation foncière et laccaparement de terres par les élites sont parfois monnaie courante. Elles risquent dopposer les faibles aux puissants bénéficiant de relations et de donner le sentiment aux premiers quils ont été dépossédés des bienfaits de la paix.
3.22 Certaines terres peuvent être irrécupérables en raison de la présence de mines et dexplosifs. Il sagit généralement des terres situées durant le conflit sur la ligne de front, dailleurs susceptible de se déplacer au fil des années, lesdites terres pouvant avoir été minées sur une vaste superficie. Lexode massif des populations fuyant les combats conduit au retour dun grand nombre de personnes vers des zones où la concentration dexplosifs est élevée. Il est rare que lemplacement des mines soit indiqué dans des documents au moment où elles sont posées. Lenlèvement des mines terrestres prend du temps et le retour des populations coïncide rarement avec les opérations de déminage. En conséquence, les mines continuent de tuer et de mutiler les réfugiés et les DI,et retardent la réalisation des programmes agricoles destinés à assurer la sécurité alimentaire.
3.23 Registres fonciers. A loccasion de maints conflits, les registres fonciers sont délibérément détruits par une ou plusieurs des forces en présence. Ces documents contiennent souvent des informations qui servent les intérêts des uns, mais pas des autres. Un groupe contraint de se retirer dune région peut subtiliser des registres qui servent ses intérêts et détruire ceux qui sont favorables à lopposition. On estime quau Timor-Leste 80 pour cent des registres ont été détruits. Les documents en possession des particuliers, souvent abandonnés dans la précipitation de lévacuation, ont aussi été détruits. En labsence de registres fonciers, il est difficile de faire valoir des droits.
3.24 Il arrive que les registres fonciers soient sauvegardés. Parfois, le personnel du service du cadastre a pu les récupérer et les dissimuler pour les protéger. Toutefois, les registres ayant échappé à la destruction ne peuvent pas toujours être acceptés en létat. Il arrive quils nindiquent pas le nom de lactuel propriétaire:
Il y est fait mention dune personne décédée, parce que les héritiers nont pas entrepris les démarches nécessaires pour se faire reconnaître en tant que propriétaires légitimes.
Le propriétaire dont le nom apparaît a cédé volontairement le bien à un tiers. Durant le conflit, les services du cadastre nont pas forcément fonctionné et de nombreuses transactions peuvent ne pas avoir été enregistrées officiellement. Les acquéreurs peuvent posséder des documents faisant mention de la cession, mais ne remplissant pas les conditions nécessaires pour que la transaction soit considérée comme légale. Lorsque les conflits ont duré plusieurs années, le nombre de transactions informelles peut être élevé.
La véritable identité de lacquéreur na pas été mentionnée sur le registre afin déchapper aux lois discriminatoires en vigueur au moment de la cession. Le nom qui figure peut être celui dun intermédiaire. À lissue du conflit, ce sont les intermédiaires, dont les noms figurent sur les documents officiels, qui apparaissent comme les propriétaires des biens.
3.25 Dans dautres cas, les registres indiquent comme propriétaire officiel une personne ayant acquis la terre par la force ou frauduleusement:
Les registres ne spécifient pas que la cession a été obtenue par la contrainte. Les propriétaires légitimes ont été menacés dactes de violence sils nindiquaient pas quils avaient procédé à une transaction volontaire pour vendre leur bien.
Les registres peuvent être falsifiés. Des documents contrefaits ont été produits pour convaincre les agents de lÉtat que les occupants sont détenteurs de droits reconnus par la loi.
3.26 Dans dautres cas encore, les réfugiés et DI rentrés pour récupérer leur bien découvrent quil est occupé par des personnes qui en sont devenues les propriétaires légitimes durant le conflit. Ainsi, les bénéficiaires dattribution de terres acquises par le gouvernement à la suite dune expropriation illicite peuvent les avoir revendues à des acquéreurs de bonne foi, qui figurent sur les registres comme propriétaires officiels.
3.27 Cadre juridique. La législation peut pécher à plusieurs titres. Certaines lois peuvent établir une discrimination à légard de groupes ethniques, cest-à-dire instaurer des restrictions en matière de droits de propriété. Elles peuvent être appliquées de façon sélective au détriment de certains groupes. Elles peuvent aussi ne pas prévoir de garanties suffisantes pour les femmes, par exemple en ne leur reconnaissant pas le droit dhériter.
3.28 La législation en vigueur peut ne pas tenir compte de certaines des réalités complexes propres à des pays émergeant dun conflit, notamment la restitution de terres et la réinstallation de familles sur une grande échelle. Il peut ne pas exister de garanties juridiques et procédurales permettant la restitution de terres ou le paiement dindemnités. Les démarches nécessaires pour permettre à un propriétaire de récupérer son bien peuvent ne pas être définies. En raison de nombreuses zones dombre, il peut être impossible de déterminer clairement le propriétaire légitime dun bien.
3.29 Une nouvelle législation peut avoir été adoptée dans la précipitation, sans quon en ait bien mesuré les conséquences. La législation permettant daccéder à la terre peut être incompatible avec une autre législation. La législation en matière foncière peut changer de nombreuses fois et.dans ce cas, les juges et autres fonctionnaires concernés ignorer la législation et la réglementation applicables.
3.30 Tribunaux. Souvent, il nexiste pas de procédures impartiales pour résoudre les différends dans les pays émergeant dun conflit. Il peut ne pas exister de système judiciaire ou, parce quils sont surchargés ou inefficaces, les tribunaux sont incapables de dire la loi. La corruption est parfois généralisée. Il peut ne pas exister dautre mécanisme de règlement des différends. Il est possible que les règles permettant de rendre un jugement ne soient pas claires. Il peut arriver que les juges et autres auxiliaires de justice soient très peu au fait des procédures permettant davoir accès à la terre, lorsquil en existe, ou de concepts tels que le droit international ou les droits de lhomme.
3.31 Applications. Il se peut que les contentieux concernant les biens perdurent parce que les décisions de justice et ordonnances dexpulsion ne sont pas appliquées. Une décision judiciaire peut ne pas être suffisante pour permettre à quelquun de récupérer son bien. Les fonctionnaires et les politiciens qui souhaitent empêcher le retour des minorités refusent parfois dappliquer des ordonnances dexpulsion lorsque leurs sympathisants sont en cause.
3.32 Communication. Il arrive que les programmes dinformation du public, lorsquils existent,, soient insuffisants. De nombreux DI, qui vivent parfois au sein de groupes dispersés, ne sont pas forcément informés des programmes ou des procédures de restitution. Des rumeurs risquent de se propager et de susciter un sentiment dinquiétude.
3.33 Fonctionnement des services. La capacité dexercer les fonctions liées à ladministration foncière est généralement limitée. Il arrive que les techniciens qualifiés et le personnel dencadrement aient fui ou trouvé la mort. Au Rwanda, les trois quarts du personnel des services publics ont disparu, tandis que 80 pour cent des fonctionnaires de justice qualifiés ont péri ou choisi lexil. Les véhicules, le matériel et les locaux ont souvent été détruits. Lexercice de la justice peut relever dadministrations différentes et dépendre à la fois du gouvernement central et des collectivités territoriales. La coordination des activités et la communication entre les services peuvent être limitées, voire inexistantes, ce qui peut conduire à des situations paradoxales telle que lattribution de la même parcelle à plusieurs personnes par différents services, par exemple.
3.34 Le nombre de réfugiés et de DI regagnant leur foyer est parfois tellement élevé que les services de ladministration foncière sont dépassés. Leur réinstallation se fait souvent de façon non officielle. Les tentatives daccélérer le processus par lintroduction de systèmes informatiques peuvent être vaines si les systèmes sont mal conçus et mal appliqués, et il peut en résulter de longs retards en raison de la faiblesse des moyens humains et techniques disponibles.
3.35 Corruption. Labsence de responsabilisation peut favoriser les détournements de fonds. Les commissions chargées dallouer des terres aux réfugiés et aux DI peuvent se les réserver ou les attribuer à des parents. Les fonctionnaires de ladministration foncière sont parfois soumis aux pressions des élites. La corruption au quotidien peut être répandue; les requérants doivent alors verser des pots de vin.
3.36 Financement. La demande de financement est généralement supérieure aux ressources disponibles pour les programmes destinés à assurer laccès aux terres et à améliorer ladministration foncière. Les stratégies qui sont conçues sont souvent irréalistes compte tenu du manque de ressources.
3.37 Degré de dépendance accru. La fragilité des gouvernements dans les pays émergeant dun conflit peut renforcer linfluence de la communauté internationale. La coordination entre le gouvernement et les donateurs peut poser problème. Les interlocuteurs locaux ont parfois une autre interprétation des principes des droits de lhomme, par exemple en ce qui concerne la protection du droit à la terre des femmes et des minorités. Les priorités en matière de restitution, dindemnisation ou de réinstallation et de réorganisation des services de ladministration foncière ne sont pas nécessairement identiques. Il peut exister des différences dopinion quant à lopportunité de remplacer les droits fonciers coutumiers par des régimes fonciers officiels ou de privatiser les ressources possédées en commun.
3.38 Lexistence dans un pays de droits fonciers coutumiers pose toute une série de problèmes supplémentaires. Dans ces pays, les femmes et les veuves en particulier, peuvent rencontrer des difficultés pour avoir accès à la terre. Dans maintes sociétés coutumières, laccès à la terre passe par les maris ou les hommes de la famille. Les femmes qui ont été déplacées en raison du conflit peuvent rencontrer des difficultés pour regagner leur foyer si leur mari ou leurs frères ont été tués.
3.39 Laccès des pasteurs à la terre peut jouer un rôle important. Il est parfois difficile de savoir de qui relèvent les terres dans les zones ou les pâturages arides. Dans certains pays, lÉtat possède en théorie les terres utilisées par les pasteurs, mais sans exercer son contrôle. Ces terres nétant pas clairement délimitées sur le terrain, la situation est dautant plus floue. Dans les régions arides, en raison de la variabilité des précipitations, la mobilité est un élément important de lexistence des pasteurs nomades et dautres catégories. Les groupes de pasteurs se déplacent à lintérieur du territoire communautaire. Leurs déplacements peuvent seffectuer à léchelon dune région; ils migrent alors en empruntant des itinéraires sur une base saisonnière. Les droits daccéder à la terre et aux points deau sont souvent négociés entre les différentes parties prenantes selon des modes traditionnels, par exemple lorsquil sagit de fixer les droits de passage à travers différents territoires communautaires. Les modalités daccès sont généralement fonction de lorganisation sociale, et des populations peuvent être entraînées dans un conflit en raison de leur appartenance à cette organisation. Les litiges liés à la terre ne se manifestent ainsi généralement pas de manière individuelle; ils éclatent et se règlent au sein de groupes sociaux.
3.40 Les droits coutumiers donnent rarement lieu à des écrits et la destruction des registres fonciers pose rarement des problèmes insurmontables dans les régions régies par le droit coutumier. Lorsque la structure coutumière est toujours en place, ce sont les chefs coutumiers qui doivent continuer à représenter la mémoire institutionnelle des détenteurs et de la nature des droits, mais aussi à allouer les terres et à trancher les litiges.
3.41 Des connaissances peuvent faire défaut lorsque les chefs coutumiers ont fui ou péri. Un conflit durable peut affaiblir les institutions coutumières et saper la crédibilité des notables, ainsi du cas dun chef non respecté par les membres de la communauté, soit quil doive son pouvoir à lune des forces en présence, soit quil ait provoqué le conflit pour occuper sa position.
3.42 Le droit coutumier coexiste souvent avec une législation officielle dans les situations caractérisées par ce quil est convenu dappeler un pluralisme juridique. Les décisions concernant les terres prises à léchelon local sont parfois fondées sur une combinaison de lois écrites et de règles coutumières, les différences dinterprétation étant importantes dune région à lautre. Ce pluralisme peut permettre à certains de choisir le cadre juridique qui leur donne le maximum de probabilités de faire valoir leurs droits sur un bien, on parle alors de «forum-shopping». Le pluralisme juridique peut présenter lavantage de permettre à la population de sadapter à lévolution de la situation sociale, politique et environnementale, et de rendre possible lexistence de plusieurs régimes fonciers qui ont évolué en fonction des conditions locales. Un tel pluralisme peut aussi être dangereux, en cela quil favorise lincertitude et la confusion quand des personnes cherchent par des voies différentes à faire valoir leurs droits sur la même parcelle de terre.
3.43 Lorsquils coexistent, les régimes fonciers coutumiers et officiels peuvent évoluer à des rythmes différents. Après un accord de paix, on assiste souvent à une ruée vers les terres. Certains groupes sociaux peuvent tirer parti de la situation chaotique qui prévaut pour revendiquer à nouveau des droits historiques sur des terres quils ont perdues dans le passé. Lacquisition de terres de façon informelle est possible lorsque des filières officielles nexistent pas ou quelles sont difficiles à utiliser. Lévolution dun régime foncier coutumier ou informel se fait de manière plus rapide que la réorganisation du système dadministration foncière. En labsence de structures gouvernementales officielles, les communautés peuvent modifier les systèmes coutumiers ou informels afin de les adapter à des conditions qui nexistant pas avant le conflit nétaient pas soumises à des règles traditionnelles. Dans certains cas, des aspects du droit coutumier - laccès des femmes à la terre par exemple - peuvent sopposer aux nouvelles politiques antidiscriminatoires adoptées à lissue du conflit.
3.44 Assurer un accès sûr à la terre est lun des besoins humanitaires durgence à satisfaire et contribue largement à la stabilité sociale et économique à plus long terme. Cela permet daider les victimes des conflits à trouver un endroit pour vivre, un moyen de se procurer de la nourriture et une source de revenus. La sécurité de jouissance et la certitude de ne plus être expulsées permettent aux populations de retisser des liens économiques et sociaux. Plus généralement, elles permettent aux régions et au pays tout entier de se doter dun système économique. Elles favorisent la réconciliation et les espoirs dune paix durable (voir encadré 2).
3.45 Quelle que soit la cause dun conflit, la perpétration dactes de violence sur un vaste territoire et pendant une longue période engendre de nombreux problèmes liés au système foncier. Les populations qui ont été déplacées doivent récupérer leur bien ou se réinstaller ailleurs. Si ces problèmes ne sont pas résolus rapidement, le processus de paix risque dêtre compromis. La résolution de certains problèmes, même importants, liés au régime foncier pourra se voir différée jusquà ce que le pays dispose des capacités voulues. Ainsi, les programmes du type réformes agraires à grande échelle bien que hautement complexes et parfois hors de portée pour un pays émergeant dun conflit violent, doivent cependant être appliqués dès que les pays possèdent les moyens de les mettre en uvre.
3.46 Trop souvent, les problèmes liés au régime foncier ne sont pas pris en compte pendant la période de relèvement et de reconstruction. Il arrive quils soient laissés de côté, les responsables chargés de planifier la reconstruction dun pays nayant pas conscience de la nécessité de les résoudre, soit parce quils sont jugés trop complexes, soit par manque de volonté politique (les personnes ayant pris une part active au conflit peuvent en avoir profité pour acquérir des biens). Pour autant, le fait dignorer les problèmes liés au régime foncier ne les fait pas disparaître, et peut entraîner une recrudescence de la violence. Ainsi, dans certains pays émergeant dun conflit, les organismes daide se sont efforcés dassister les personnes déplacées en les installant sur des terres qui avaient été considérées à tort comme biens vacants, de sorte que les communautés locales avaient été dépossédées injustement de leurs droits sur ces terres. Les personnes déplacées en raison du conflit dorigine se voyaient ainsi impliquées dans un nouveau conflit lorsque les communautés tentaient de récupérer leur bien.
ENCADRÉ 2 L'instauration d'une paix durable à l'issue de conflits violents peut être mise en péril par l'impossibilité de résoudre les questions liées au régime foncier. Un accord destiné à instaurer la paix dans un pays où la situation est encore incertaine peut être compromis par des litiges survenant au moment du retour des réfugiés et des DI. Assurer un accès à la terre dans des pays émergeant d'un conflit peut être difficile lorsque les terres font l'objet de plusieurs revendications contradictoires bien que légitimes. En outre, il importe de permettre l'accès à la terre des personnes vulnérables comme les femmes et les enfants, les personnes âgées et les minorités ethniques et politiques. La résolution des problèmes d'accès à la terre peut présenter plusieurs avantages:
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