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5. ASSISTANCE DANS LES OPERATIONS D’URGENCE


5.1 Les missions d’évaluation préliminaires permettent de procéder à une analyse générale de la situation, mais elles n’apportent qu’un éclairage limité sur les problèmes, dans la mesure où elles ne portent que sur le court terme. Les premières initiatives concrètes visant à aider le gouvernement ne sont souvent prises qu’à l’arrivée du personnel de mission chargé de tâches de plus longue haleine. L’accent est mis dans les premiers temps sur les activités présentant un caractère d’urgence.

5.2 Le personnel de projet doit comprendre des spécialistes des régimes fonciers et de l’administration foncière. Le présent chapitre énumère les questions clés qu’ils devront traiter pendant la phase d’urgence, leur travail servira à définir les priorités en ce qui concerne la mise au point des politiques foncières. En outre, ils doivent définir des mesures immédiates pouvant être appliquées dans un délai relativement bref. Les difficultés liées à la collecte de données, qui ont été décrites au chapitre 4, n’auront sans doute pas disparu et pèseront sur la qualité de l’analyse.

5.3 L’équipe de spécialistes doit être composée de personnel national et international. Il risque d’être difficile d’identifier des spécialistes nationaux qui, selon toute vraisemblance,,comme le reste de la population auront été affectés par le conflit, mais des efforts doivent être faits en ce sens. Ce personnel doit apporter sa connaissance des procédures et des langues locales; par ailleurs, il aidera l’équipe à retrouver les registres fonciers et d’autres documents indispensables. Il doit jouir de l’estime des différentes catégories de la société. Les spécialistes internationaux, quant à eux, apporteront leur connaissance des meilleures pratiques applicables dans les pays émergeant d’un conflit et sauront assurer l’impartialité nécessaire face aux polémiques locales.

5.4 La combinaison des compétences et des expériences des spécialistes des régimes fonciers et de l’administration foncière doit être adaptée à la nature de la situation et aux conditions qui prévalent dans un pays émergeant d’un conflit. Les domaines dans lesquels une expérience peut être requise sont les suivants:

5.5 Les parties prenantes doivent être recensées dès le départ (voir encadré 4). Leur nombre risquant d’être élevé, elles ne pourront sans doute pas toutes participer aux premiers échanges de vues. Les personnes vulnérables comme les pauvres, les illettrés et les habitants des zones reculées peuvent rencontrer des difficultés pour s’organiser et leur participation peut poser problème. En dépit de ces difficultés, des efforts particuliers devront être faits pour atteindre les pauvres en raison de leur vulnérabilté et parce que les nouvelles politiques foncières risquent d’avoir une forte incidence sur leurs moyens d’existence. Les intérêts des parties prenantes doivent faire l’objet d’une analyse.

Reconnaissance des problèmes liés au régime foncier

5.6 Les problèmes d’accès à la terre sont-ils à l’ordre du jour? Il convient d’évaluer l’importance réservée aux questions relatives aux modes d’exploitation des terres par ceux qui assument la responsabilité des efforts de relèvement et de reconstruction. Les responsables qui déterminent les priorités dans ces domaines peuvent attribuer aux problèmes relatifs aux régimes fonciers une importance différente que ceux qui les vivent au quotidien. La mise en place d’institutions dotées de la personnalité juridique et du pouvoir d’attribuer des droits d’accès à la terre et de statuer sur les litiges existant dans ce domaine peut être considérée comme accessoire ou complexe. Il a parfois fallu des cas extrêmes de violation des droits de l’homme pour que les problèmes de régime foncier soient inscrits à l’ordre du jour.

ENCADRÉ 4
IDENTIFICATION DES PARTIES PRENANTES

Les personnes concernées par les problèmes de régime foncier sont notamment les suivantes:

  • Les personnes s'efforçant de récupérer leurs terres, par exemple lorsque celles-ci ont été expropriées de façon injuste par le gouvernement, acquises par la force ou frauduleusement ou encore occupées par des tiers lorsque les propriétaires légitimes ont fui le conflit.

  • Les personnes cherchant à acquérir des droits officiels sur la terre qu'elles occupent, par exemple les occupants sans titre ou les personnes ayant acquis une terre auprès d'une précédente administration gouvernementale sans pour autant être en possession d'un titre officiel.

  • Les personnes qui occupent une terre sans autorisation.

  • Les personnes cherchant à obtenir une parcelle de terre, par exemple celles qui ne peuvent regagner leur foyer, les anciens combattants et autres paysans sans terre pauvres, y compris les ménages ayant à leur tête une femme.

  • Les dirigeants en place.

  • Les législateurs.

  • Le personnel des services de l'administration foncière chargé d'appliquer les orientations et la législation en matière de régime foncier.

  • Le personnel d'autres administrations (finances, santé et sécurité sociale, transport, communications ou développement rural, par exemple).

  • Les chefs locaux.

  • Les employés des ONG concernées par les problèmes de régime foncier, et dont certains peuvent s'intéresser à des problèmes plus spécifiques comme la parité hommes-femmes ou l'environnement.

  • Le personnel des départements universitaires concernés.

  • Le personnel des institutions bilatérales et multilatérales qui financent les activités de relèvement et de reconstruction.

5.7 Les questions relevant des régimes fonciers sont nombreuses et concernent notamment, l’attribution de terres à titre temporaire, la nécessité pour les terres agricoles d’assurer la sécurité alimentaire, l’obligation d’offrir des logements adéquats ou la mise en place de moyens de faciliter l’accès à la terre selon une procédure de recours légitime. Ces différents aspects des régimes fonciers ont une importance politique variable durant la période qui fait suite au conflit. L’approche de l’hiver peut renforcer la nécessité de prévoir des logements d’urgence, mais l’arrivée d’un temps plus clément peut avoir l’effet inverse.

5.8 Même s’il reconnaît que l’accès à la terre constitue une source de tension sociale, un gouvernement peut ne pas concevoir un cadre précis pour résoudre les difficultés. Des conflits de compétence peuvent intervenir entre différents ministères sur des questions liées à la terre et à d’autres types de biens. Les responsabilités en matière d’administration des terres peuvent être attribuées en dehors de tout cadre politique et juridique. En conséquence, l’accès à la terre peut être obtenu selon le principe du «chacun-pour-soi», la population s’efforçant de survivre à tout prix, notamment en occupant les terres ou les bâtiments disponibles quels qu’ils soient.

Le régime foncier

5.9 Quels sont les régimes fonciers existants? L’analyse effectuée au cours des premières missions d’évaluation doit être approfondie. Elle doit fournir les bases nécessaires pour la remise en place ou la réforme des institutions. Les régimes fonciers dotés d’un statut juridique officiel peuvent concerner le secteur privé, des coopératives ou des sociétés publiques. Il convient d’évaluer les caractéristiques du système d’enregistrement, par exemple pour savoir si les registres apportent une preuve irréfutable des droits sur la terre ou seulement des indices sérieux. Il convient également de vérifier le statut juridique des relevés de terrain et des cartes des parcelles pour savoir si elles figurent dans les actes. Les systèmes officiels peuvent différer selon qu’il s’agit de zones rurales ou de zones urbaines; il convient donc d’évaluer les liens entre les unes et les autres.

5.10 Systèmes fonciers officiels et systèmes fonciers coutumiers peuvent coexister. Dans ce cas, les seconds peuvent concerner davantage les zones rurales, notamment les plus éloignées. Les institutions coutumières peuvent survivre au conflit, parfois sous de nouvelles formes. Les droits coutumiers et leur évolution dans le temps n’étant pas les mêmes d’une région à l’autre, il arrive que les responsables de l’administration foncière en saisissent mal les règles spécifiques. La situation peut être complexe. Il peut exister dans les différentes parties du pays divers types de systèmes coutumiers qui ont été modifiés par la législation ou en raison du conflit.

5.11 Comment la situation née du post- conflit a-t-elle modifié le mode d’acquisition de l’accès à la terre? Le conflit peut avoir fait disparaître les modes traditionnels d’acquisition des terres et suscité une multitude de revendications contradictoires. Ainsi, dans les premiers jours suivant la fin du conflit:

5.12 Quels sont les groupes vulnérables? Il convient d’identifier dès que possible les groupes vulnérables. Ainsi:

Décisions judiciaires concernant les droits à la terre

5.13 Quels sont les besoins en matière de restitution? Quelle est l’importance des occupations de terres non autorisées? Les réfugiés et les DI regagnant leur foyer découvrent parfois que leur bien est occupé par des tiers. Les terres du domaine public peuvent elles aussi être occupées de façon illégitime. Pour permettre la restitution des terres revendiquées par plusieurs personnes, il faut qu’un jugement soit rendu aux fins de déterminer la demande la plus légitime. Dans certains cas, la demande peut être relativement simple lorsque les personnes dont la terre a été acquise par la force ou frauduleusement s’efforcent d’obtenir de ceux qui s’en sont emparés qu’ils la restituent. Il existe des cas de figure plus complexes lorsque les diverses demandes sont légitimes. Ainsi, la terre peut avoir été expropriée de façon arbitraire par le gouvernement durant le conflit et cédée à un bénéficiaire qui peut ensuite l’avoir vendue en toute légalité à l’actuel propriétaire. Dans ce cas, c’est une personne qui possédait la terre avant qu’elle ne soit expropriée qui cherche à obtenir de quelqu’un qui l’a acquise de bonne foi qu’il la restitue.

5.14 Il convient d’analyser la nature et l’importance des litiges (voir encadré 5) afin de répondre à des questions de type suivant:

5.15 Quels sont les problèmes posés par les expulsions? D’un côté, faute de possibilités de relogement, des réfugiés et des DI peuvent avoir des difficultés à expulser des personnes de leur terre. D’un autre côté, les expulsions peuvent être effectuées par un groupe aux dépens d’un autre; ainsi, des femmes peuvent être expulsées par leur famille de la propriété familiale. Il se peut également que les gouvernements procèdent à des expulsions pour respecter des obligations contractées aux termes d’accords internationaux. Les retards intervenant dans l’application des programmes de récupération des armes à feu et les difficultés qu’ils posent peuvent créer des situations dangereuses lorsque les tentatives d’expulsion se heurtent à une résistance.

5.16 Quels sont les mécanismes juridiques en place pour résoudre les litiges concernant la terre? Quelle est la capacité des tribunaux à statuer dans des délais acceptables? Des méthodes parallèles de résolution des conflits comme la médiation ou l’arbitrage ont-elles déjà été appliquées? Dans la négative, est-il possible d’introduire des méthodes informelles de ce type sans saper le système juridique officiel ou les systèmes coutumiers?

ENCADRÉ 5
EXEMPLES DE LITIGES LIÉS À LA TERRE

La nature des litiges en rapport avec la terre dépend des circonstances. Il peut en exister de nombreuses combinaisons différentes:

  • Recours de l'État contre des personnes occupant des terres du domaine public.

  • Recours de réfugiés et de DI regagnant leur foyer à l'encontre de personnes occupant leur terre sans autorisation.

  • Recours de propriétaires contre des réfugiés et des DI rentrant dans leur foyer, qui occupent leurs terres sans autorisation.

  • Recours de réfugiés à l'encontre de DI occupant leur terre sans autorisation.

  • Recours contre des personnes occupant la terre qui ont été installées par un précédent gouvernement, c'est-à-dire sur ordre et pas de leur propre chef.

  • Demandes légitimes antagonistes dues au fait que la terre a été occupée successivement et pendant un temps assez long par différentes parties.

  • Revendication d'une même terre par deux communautés ou plus.

5.17 Est-il nécessaire de formaliser les droits? Certaines personnes peuvent souhaiter acquérir des droits officiels sur les terres qu’elles occupent. Ainsi, le gouvernement peut avoir cédé des terres durant le conflit aux bénéficiaires d’une réforme agraire, mais sans délivrer de titre. Dans d’autres cas, des occupants sans titre peuvent s’être installés sur des terres sans que leur présence soit contestée. Les personnes bénéficiant d’une sécurité de jouissance limitée peuvent souhaiter faire confirmer leurs droits avant d’en être dépossédées par des tiers.

Besoins de terres

5.18 Quels sont les besoins de terres nécessaires à la réinstallation des personnes qui en sont privées? Une réinstallation est à prévoir lorsque les populations sont dans l’incapacité de regagner leurs terres d’origine et doivent être installées ailleurs. La question de l’accès des femmes et d’autres groupes vulnérables à la terre doit être traitée, particulièrement dans les zones soumises à des régimes fonciers coutumiers qui peuvent désavantager les femmes. L’accès à la terre peut être imposé pour certains groupes; dans certains cas, un accord de paix peut stipuler l’attribution de terre aux anciens combattants.

5.19 Quelles sont les superficies nécessaires pour l’agriculture? Les besoins de terre immédiats et à plus long terme doivent être calculés pour les différentes parties prenantes. L’analyse doit distinguer les différents types d’utilisateurs, exploitants sédentaires et pasteurs nomades, par exemple. L’évaluation des besoins en terres de pâturage doit intégrer des plans de reconstitution des troupeaux.

5.20 Quels sont les besoins en terrains à bâtir? Des terrains peuvent être nécessaires pour permettre aux populations qui ne souhaitent pas regagner leur région d’origine de disposer de parcelles à bâtir en zone urbaine et périurbaine. Dans le domaine du logement, il faut évaluer les solutions à plus long terme en procédant, par exemple, à un inventaire des logements endommagés et des besoins en matière de reconstruction.

5.21 Quels sont les besoins en terres pour le fonctionnement de l’administration et des infrastructures publiques? Les administrations doivent disposer de locaux adaptés pour pouvoir accomplir leur tâche. De surcroît, des terrains peuvent être nécessaires pour la construction ou la remise en état des infrastructures publiques. Il existe un risque que l’acquisition de terres à cette fin ait lieu de façon désordonnée en raison d’un manque de coordination au sein du gouvernement, d’une mauvaise appréciation des besoins de l’État et des crédits budgétaires disponibles, et de l’empressement manifesté par certaines administrations d’acquérir et de contrôler les ressources pour se constituer de petites féodalités.

5.22 Quels sont les besoins de terres à usage temporaire? Des terres peuvent être nécessaires pour permettre:

Disponibilités en terres

5.23 Quelles sont les superficies de terres domaniales abandonnées ou disponibles pour d’autres raisons? Existe-t-il des terres domaniales pouvant être utilisées à titre permanent ou temporaire afin d’y installer des populations démunies? Des occupants sans titre sont-ils déjà installés sur des terres domaniales?

5.24 Existe-t-il des terres privées abandonnées ou disponibles pour d’autres raisons? Il arrive que les propriétaires des terres ne soient pas revenus. Le problème se pose alors de savoir à partir de quand une terre peut être considérée comme abandonnée. L’État peut estimer que les terres ont été abandonnées alors que leurs propriétaires considèrent qu’ils ne sont absents que temporairement.

5.25 Quelles terres sont minées et quelles terres ne le sont pas? Il convient d’établir un inventaire des terrains minés. Il se peut que la présence de mines décourage les populations de revenir sur leurs terres même si elles en ont officiellement le droit. Il convient d’établir des priorités en ce qui concerne les zones à déminer.

Cadre opérationnel

5.26 Quels sont les services de l’administration foncière encore en activité? Il faut dresser la liste des services chargés d’assurer les différents aspects de l’administration foncière, notamment afin de:

Ces services coopèrent-ils de façon satisfaisante? Quelles stratégies peuvent être mises en place pour en coordonner les activités?

5.27 Quelles sont les compétences techniques et la capacité de gestion disponibles? Il convient de recenser le personnel des administrations et d’évaluer les compétences disponibles et les lacunes existantes. Il se peut que beaucoup de gens aient fui. En raison du faible niveau d’éducation et de formation du personnel de l’administration foncière, qui correspond au niveau d’éducation de la population en général, il arrive que nombre d’employés soient mal préparés à accomplir leur tâche. Les cadres peuvent ne pas être au fait des nouvelles technologies et ne pas posséder les notions de gestion nécessaires.

5.28 Quels sont les bâtiments disponibles pour accueillir les administrations? L’importance des destructions limite la capacité d’action des services de l’administration foncière. L’évaluation doit définir la situation géographique des bureaux, l’étendue des dommages occasionnés aux bâtiments et les travaux de réparation pouvant être effectués dans un délai rapide pour qu’ils puissent être utilisés. L’évaluation doit permettre de déterminer l’espace disponible pour l’archivage et pour les opérations administratives.

5.29 Quel est le matériel disponible? Il convient d’évaluer les quantités de matériel disponible. Le matériel topographique et informatique est souvent obsolète, quand il n’a pas été détruit.

5.30 Quels sont les documents disponibles? Les documents tels que les registres fonciers, plans cadastraux et relevés topographiques constituent des preuves utiles pour faire valoir des droits. Des documents annexes tels que les annuaires téléphoniques, les factures d’électricité et les avis de taxes foncières peuvent également être utiles pour étayer la revendication de droits sur une terre. Les registres fonciers peuvent être détruits, mais, dans de nombreux cas, les agents de l’administration foncière ont retiré les documents pour les mettre en lieu sûr durant le conflit. Il convient d’analyser ces registres pour répondre à des questions du type suivant:

5.31 Existe-t-il un problème de corruption? Le système est-il corrompu et faut-il verser des pots-de-vin pour obtenir gain de cause? Les attributions de terre sont-elles transparentes? À qui la corruption profite-t-elle?

5.32 Quelles sont les mesures qui peuvent être prises pour rendre opérationnels les services de l’administration foncière? Pour faire fonctionner le système le plus rapidement possible, il peut être nécessaire d’apporter des modifications minimes aux services de l’administration foncière. En revanche, l’introduction de réformes de grande envergure peut entraîner des retards substantiels si l’expérience du personnel de retour dans les services est inadaptée pour la mise en place du système proposé.

Cadre politique

5.33 Quelle est l’étendue du pouvoir du gouvernement? Pour améliorer l’accès à la terre, le gouvernement doit être habilité à prendre rapidement des mesures décisives. Son pouvoir est plus ou moins important selon qu’il s’agit d’un gouvernement de transition mandaté par la communauté internationale ou d’un gouvernement national indépendant. Toutefois, les deux types de gouvernement peuvent avoir leurs limites. Dans certains cas, l’action des gouvernements de transition sous contrôle international s’inscrit dans une situation constitutionnelle floue fondée sur mandat imprécis; cet état de fait se traduit par une certaine confusion et des contradictions dans l’application de la politique foncière. À l’inverse, des gouvernements nationaux indépendants peuvent pécher par manque de crédibilité et rencontrer une forte opposition interne qui peut décourager l’application de certains aspects de la politique.

5.34 Quels sont les moyens disponibles pour concevoir et appliquer une politique en matière foncière? Le manque d’experts nationaux peut limiter la prise en compte, dans les orientations, de connaissances locales utiles. Lorsque les capacités locales nécessaires pour mettre en œuvre des orientations font défaut, les progrès à espérer dans la mise en œuvre des processus de l’administration foncière sont retardés. Le manque de ressources réduit la capacité des services à employer du personnel compétent, à acquérir des équipements techniques et à assurer une formation. Les moyens d’intervention des services de l’administration foncière peuvent aussi être limités par d’autres contraintes. La destruction d’infrastructures essentielles peut limiter les communications, la création de bureaux et l’établissement de registres, ainsi que l’utilisation du matériel fonctionnant à l’électricité.

Cadre juridique

5.35 Quelles sont les institutions prévues par la loi encore en place? Il convient de dresser la liste des textes de loi pertinents (voir encadré 6). L’analyse juridique doit permettre de répondre aux questions suivantes:

5.36 Lorsqu’il existe un régime coutumier, l’analyse juridique doit permettre d’évaluer:

ENCADRÉ 6
ANALYSE JURIDIQUE

Parmi les exemples de lois à analyser, on peut citer les textes suivants:

  • Constitution;

  • Législation sur la gestion des terres;

  • Législation sur la gestion des ressources naturelles (environnement, eaux et forêts en particulier);

  • Lois sur la publicité foncière et le cadastre (cessions et hypothèques, notamment);

  • Plans d'occupation des terres et contrôle du morcellement;

  • Législation sur les baux;

  • Lois sur la famille;

  • Législation successorale;

  • Législation sur la privatisation;

  • Législation sur la fiscalité foncière;

  • Législation sur les collectivités locales;

  • Législation sur les systèmes fonciers coutumiers;

  • Lois sur la renonciation et la restitution, y compris prescription et possession de fait;

  • Législation sur l'expropriation des terres et l'indemnisation;

  • Autres lois pouvant être contraires aux principes du droit international et ayant une incidence sur le droit de propriété.

5.37 Le système juridique établit-il une discrimination à l’égard de certaines personnes? Les périodes antérieures et postérieures à un conflit sont souvent caractérisées par l’existence de lois discriminatoires. De telles lois jouent souvent un rôle important dans le déclenchement du conflit. La législation limite-t-elle totalement ou en partie les activités de certaines composantes de la population? Il arrive que des lois, sans être discriminatoires en tant que telles, puissent avoir été utilisées de façon discriminatoire au cours du conflit. En conséquence, il peut exister un certain ressentiment à leur encontre. Des lignes directrices sont-elles nécessaires pour déterminer de quelle manière les dispositions juridiques existantes doivent être utilisées et interprétées sous certaines conditions?

5.38 Quelles sont les compétences locales disponibles? La connaissance locale de la législation et des usages doit être utilisée le plus souvent possible. Il est probable que le gouvernement devra s’appuyer sur tout ou partie du système juridique existant pour agir durant la période faisant suite au conflit, même si cela risque de heurter de front certaines catégories de la population qui ont fait l’objet d’une discrimination antérieurement dans le cadre de ce système.

Coordination interinstitutions

5.39 Quelle est la capacité à communiquer efficacement avec d’autres administrations nationales, les organisations internationales et les ONG? Le manque de coordination au sein de l’État et avec d’autres organisations favorise un chevauchement des activités ainsi que la conception et l’application de politiques foncières incohérentes.

Communication

5.40 Quelle est la capacité de communication? L’absence de capacité à communiquer efficacement avec la population peut engendrer incompréhension, méfiance, manque de coopération, voire des comportements violents. Dans les périodes faisant suite à un conflit, au cours desquelles des spécialistes internationaux s’efforcent de définir la politique en vigueur ainsi que les systèmes juridiques et administratifs existants, la méconnaissance des langues locales peut constituer un sérieux obstacle à un fonctionnement efficace. Il peut être nécessaire de consacrer des crédits et des efforts importants à la recherche d’interprètes. L’interprétation et la traduction peuvent donner lieu à une déformation délibérée de la vérité qui en modifie le sens et l’intention. Plusieurs traducteurs devront peut-être réviser les traductions au contenu particulièrement sensible et déterminant, de sorte que le message à faire passer soit conforme à la réalité.

5.41 Les difficultés à communiquer de façon satisfaisante peuvent être imputables à la persistance de conflits à l’échelle locale ou à l’état d’infrastructures telles que les réseaux téléphonique, électrique et routier. Il convient également d’évaluer la capacité des populations rurales à recevoir la radio, la télévision et les journaux.

Identification des priorités

5.42 Quels sont les domaines prioritaires? L’analyse doit déterminer l’importance, la nature, l’intensité et la répartition des problèmes de régime foncier qui se posent dans le pays. Elle doit indiquer selon quel ordre de priorité ils doivent être traités et évaluer la capacité du gouvernement à les résoudre, notamment en prévoyant l’adoption de tous les textes de loi nécessaires pour donner aux services de l’administration foncière l’autorité juridique dont ils ont besoin pour agir.

5.43 Quels sont les problèmes que les responsables de l’administration foncière doivent aborder avec circonspection? Les problèmes nécessitant un examen attentif doivent être identifiés. Ainsi, il peut exister dans certains cas des raisons valables de ne pas traiter les problèmes liés au droit coutumier, en particulier si le personnel international n’en saisit pas toutes les subtilités. À l’inverse, il faut résister à la tentation de mettre de côté de nombreuses questions qui, même si elles sont très sensibles, devront en tout état de cause trouver une solution. L’analyse doit permettre de déterminer comment les problèmes peuvent être redéfinis afin de limiter les controverses; par exemple, en préconisant l’attribution de terres à une large catégorie représentative de la société plutôt qu’à un groupe unique.

Conception et application de mesures de portée immédiate

5.44 De nombreuses questions essentielles telles que la restitution de terres et la réinstallation des populations ne peuvent être traitées que lorsque des règles ont été convenues et que la législation et les mécanismes d’application nécessaires ont été mis en place. Ces questions s’inscrivent dans le cadre d’un règlement à plus long terme et, en les traitant trop vite, des difficultés risquent d’apparaître si les options retenues diffèrent des règles sur lesquelles sera fondée une législation ultérieure. Toutefois, l’analyse réalisée pendant la phase d’urgence peut définir un certain nombre d’orientations provisoires et de mesures de portée immédiate, susceptibles d’être appliquées. Les mesures envisageables sont définies ci-après.

5.45 Inscrire les problèmes de régime foncier à l’ordre du jour. Si les problèmes de régime foncier ne figurent pas à l’ordre du jour, il convient de consacrer du temps et des efforts pour expliquer aux pouvoirs publics et à d’autres parties prenantes l’importance de l’accès à la terre. Le message doit être clairement énoncé pour être bien compris des responsables et des cadres. L’accès à la terre, tout en représentant une source potentielle de denrées alimentaires, d’abris et d’aide d’urgence, peut très vite représenter le fondement de la stabilité politique, sociale, culturelle et économique. Compte tenu de l’importance de ces facteurs, la conception et l’application de politiques destinées à faciliter l’accès à la terre ainsi que l’administration foncière doivent constituer des priorités dans les domaines politique, social, culturel et économique pour tous les gouvernements des pays émergeant d’un conflit.

5.46 Mise en place de mécanismes de coordination. La coordination des politiques de l’État du point de vue de leur incidence sur l’accès à la terre passe par la création de comités interinstitutions. Un organisme chef de file doit être chargé au sein de l’administration nationale de traiter des problèmes d’accès à la terre et de sécurité de jouissance. Il convient de mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer la coordination entre les organismes d’aide internationaux ainsi qu’entre ces organismes et les pouvoirs publics, afin de faciliter le partage des informations et d’améliorer les mesures proposées en matière d’accès à la terre et d’administration foncière.

5.47 Traduction de la législation et d’autres documents. Les principaux textes de loi peuvent avoir été traduits à partir des langues locales afin d’être utilisés par les spécialistes internationaux au cours de l’analyse initiale du cadre juridique. Il faut évaluer avec soin la qualité des traductions et procéder à de nouvelles traductions le cas échéant. Les autres documents juridiques et les documents définissant les orientations en rapport avec l’accès à la terre doivent être traduits comme il convient pour pouvoir être utilisés par les experts internationaux. Les traducteurs doivent être familiarisés avec le contenu technique (droit, économie, topographie) des documents qui leur sont confiés.

5.48 Remise en état des locaux de l’administration foncière. Les locaux des principaux services de l’administration foncière doivent être rénovés et sécurisés de manière à pouvoir être opérationnels.

5.49 Protection des registres fonciers. Les registres fonciers existants doivent être placés en lieu sûr après avoir été photocopiés. Des efforts doivent être faits pour retrouver les registres manquants.

5.50 Formation accélérée dans le domaine de l’administration foncière. L’analyse devrait faire apparaître les domaines dans lesquels existe un manque ou une absence de compétences. Des sessions de formation de courte durée doivent être conçues et mises en œuvre à l’intention du personnel spécialisé afin de reconstituer la capacité des services en matière de gestion et sur les plans technique et administratif. Dans les premiers temps, les cours de formation peuvent porter notamment sur la gestion de projets et sur l’utilisation de matériel informatique et topographique moderne.

5.51 Infrastructures de communication. Les rumeurs peuvent contribuer à créer un sentiment de peur et d’insécurité lorsque les populations sont mal informées de la situation. Des réseaux de communication doivent être mis en place pour diffuser des données dans les langues locales au travers des médias (radio, télévision et journaux, par exemple). Il peut être utile de prévoir des moyens de traduction et d’interprétation de qualité, de sorte que les rencontres individuelles, les ateliers et les documents ne donnent pas lieu à des malentendus.

5.52 Suspension momentanée des expulsions. Pour empêcher les expulsions à caractère arbitraire, il peut être souhaitable de maintenir dans les lieux les populations ne disposant pas d’une solution de rechange pour une période limitée définie à l’avance.

5.53 Suspension de toute nouvelle attribution de vastes superficies de terres et évaluation des attributions existantes. Dans maints conflits, certains tirent parti de la situation pour privatiser de vastes domaines. Il convient de suspendre et d’analyser les demandes d’attribution, à titre temporaire ou permanent, sous la forme de concessions ou de dons de vastes étendues de terres domaniales qui ne sont pas nécessairement le mode d’utilisation des terres le plus approprié. Dans les cas où les terres ont déjà été attribuées, il faut se demander si l’État n’a pas des raisons valables de récupérer les terres.

5.54 Attribution du droit d’usage temporaire. Avant l’adoption d’une législation, il peut être souhaitable d’autoriser l’usage d’une terre à titre temporaire. Les attributions temporaires doivent être clairement définies pour prévenir d’éventuels conflits. Établir une distinction entre propriété et usage de la terre est parfois utile. Il peut ainsi être impératif d’utiliser une terre productive pour faciliter la reprise économique, mais cela ne doit pas se faire aux dépens des propriétaires légitimes. Ceux-ci peuvent être disposés à affermer leurs terres s’il leur est possible de consentir des baux de courte durée qui protègent leurs droits et ceux des fermiers. Des baux de durée limitée permettent la production de cultures saisonnières sur des terres domaniales inexploitées. L’adoption de baux simples, mais équitables, peut être encouragée. Des informations sur la mise en place de baux de location fiables peuvent être obtenues dans la deuxième étude FAO sur les régimes fonciers intitulée «Directives concernant les bonnes pratiques en matière de baux agricoles» et la Série 1 des notes FAO sur les régimes fonciers «Louer des terres agricoles».

5.55 Mesures provisoires pour gérer les revendications portant sur des terres. Il peut arriver qu’avant que les textes permettant de donner suite aux requêtes portant sur des litiges relatifs aux terres soient adoptés, des particuliers fassent part à un service de l’administration foncière de leur intention de demander la restitution de leurs terres. Le service peut mettre le dossier en attente jusqu’à ce que la procédure voulue puisse être mise en œuvre.


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