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Thierry MOIGNEU
Après 35 ans de pratique, le forestier périurbain doit encore faire face à trois catégories de problèmes: les conflits dusage liés à la montée de lindividualisme, une gestion multifonctionnelle et notamment des coupes difficilement acceptées dans un contexte périurbain, et le financement de laccueil du public encore trop dépendant de la recette des bois.
Lémergence de solutions est entravée par une connaissance très insuffisante du profil des usagers et de leurs besoins. Leur consultation et participation à la gestion sont encore embryonnaires. Enfin la gestion périurbaine pâtit de sa forte composante qualitative ainsi que de la difficulté à mesurer son efficacité réelle.
Pour mieux faire face à cette situation et rechercher les moyens appropriés, un projet franco- suédois, destiné à accroître les bénéfices que le public tire des forêts périurbaines, a vu le jour en 2001 pour durer jusquen 2005.
Parmi ses axes majeurs:
- un colloque daudience européenne focalisé sur lapproche sensorielle de la forêt;
- le développement de la concertation avec élus et usagers selon deux modalités différentes qui contribueront à lassiette dune couverture appropriée de la région en structures de concertation;
- un statut de forêt pilote pour la forêt domaniale de Sénart pour y mettre en uvre le meilleur savoir-faire technique du moment, lévaluer et aussi montrer sur le terrain une concrétisation de la politique daccueil.
Parmi les actions menées figurent limplantation dun zonage permettant daugmenter léventail des prestations offertes par la forêt; une charte forestière de territoire pour lancer la concertation, inventorier les bénéfices apportés par la forêt, les chiffrer, les hiérarchiser et retenir ceux dont le financement peut être assuré; et la mise en commun, entre gestionnaires européens, de linformation technique afin de réaliser rapidement et à moindre coût un saut qualitatif déterminant.
Mots clés: Forêts périurbaines, accueil du public, comité dusagers, concertation, zonage, approche sensorielle, usagers, forêt pilote.
Le profil de la fréquentation des forêts périurbaines de la Région Parisienne a considérablement évolué depuis ses débuts vers 1850. A lépoque un «public» rural issu des villages riverains, au fait du fonctionnement de la Nature vivait dans la forêt pour en tirer une grande partie de sa subsistance, (gardiens de troupeaux, artisans du bois,...) sous le contrôle strict des forestiers .
Arrivèrent alors les visiteurs en villégiature, citadins aisés qui ne connaissaient ni le fonctionnement de la forêt ni sa gestion, mais recherchaient essentiellement leur plaisir. Ils venaient sémerveiller du spectacle de paysages typiques (landes à bruyères, rochers, points de vues, étangs, ...) et de vieux arbres sculptés avec force et constance par la Nature au fil des siècles.
Dès lors, le forestier pourtant sur le point de gagner son combat séculaire contre gardiens de troupeaux et autres usagers utilitaires, bientôt repoussés hors la forêt domaniale, va paradoxalement voir son autorité et ses choix de gestion sensiblement contestés dans les forêts périurbaines.
Aussi dès 1853, dans le droit fil des mouvements didées américains qui conduiront à la mise en réserve de Yosemite Valley et plus tard à la création du parc de Yellowstone, un groupe de pression politique stimulé par les peintres de Barbizon obtiendra de Napoléon III, en forêt de Fontainebleau, la mise en réserve artistique de 1600 ha de vieux peuplements destinés à être régénérés. Le mode de gestion sylvicole de la forêt de Fontainebleau en sera dès lors durablement affecté.
Une pression récurrente sexerçant au profit de la stabilité, de la fixité des paysages, le maintien sur pied des vieux arbres, voire labandon de la gestion et surtout de lexploitation forestière samplifiera avec le temps et la croissance de la fréquentation.
Cette dernière a beaucoup augmenté et sest beaucoup diversifiée. Elle atteint maintenant 55 M de visites/an (enquête Agence des Espaces Verts -CREDOC) pour 73 000 ha. Elle représentait 30 M visites pour 60 000 ha en 1968. La fonction sociale des forêts et notamment des forêts périurbaines est désormais un fait de société. La gestion de ces forêts en concertation aussi étroite que possible avec les usagers et leurs représentants est maintenant une nécessité.
Après 35 ans de pratique et la satisfaction davoir préservé et mis à la disposition du public des espaces précieux pour la qualité de vie dans un contexte urbain souvent stressant, le forestier périurbain va devoir surmonter certaines difficultés avant de trouver son second souffle.
Trois points délicats doivent être mentionnés:
La mise en uvre dune gestion durable multifonctionnelle, au moins dans ses modalités pratiques engendre souvent incompréhension, insatisfaction voire conflits entre usagers et forestiers.
Les coupes de régénération et leur exploitation produisent un impact paysager et un impact sur les chemins perturbants pour lusager, soit parce que la référence de stabilité que représente la forêt est attaquée, soit parce que le loisir est entravé.
Dune manière générale la pluralité hiérarchisée des objectifs de gestion nécessite des compromis souvent difficiles à faire avaliser par des usagers à la vision très sectorisée.
Les conflits dusages: piétons/VTT, cavaliers/piétons, cavaliers/ propriétaires de chiens, ...
Beaucoup de comportements dusagers témoignent dune augmentation de lincivilité, du non respect dautrui, dune exercerbation de lindividualisme.
A ce titre, la forêt périurbaine et un intéressant révélateur de létat et des problèmes de la société.
Le gestionnaire doit y faire face en sachant quun aménagement inadapté peut aggraver la situation ou engendrer un conflit.
Le financement de laccueil du public dans les forêts domaniales dIle de France est actuellement supporté pour près de la moitié de son coût (7 M €) par lOffice National des Forêts dont les revenus sont liés à la vente des bois. Lautre moitié lest par les collectivités territoriales (Région, Départements et quelquefois communes). La fragilité de ce mode de financement éclairée par la récente chute du cours des bois appelle des mesures et probablement un plus grand investissement de la part des collectivités.
En contrepartie la définition de la politique daccueil du public en forêt et de ses objectifs doit associer beaucoup plus les usagers et les élus intéressés.
2 - Une analyse rapide de la situation conduit à identifier certaines faiblesses du gestionnaire, auxquelles il va falloir remédier.
- La connaissance du profil des usagers et de leurs besoins est encore très insuffisante.
Les enquêtes de fréquentation décrivent nettement lexistence de sous-populations aux caractéristiques et aspirations très différentes.
Les références disponibles donnent quelques bases utiles mais sont très peu nombreuses;
Par ailleurs, la caractérisation de ce quon recherche et apprécie en forêt est très imprécise.
Les motivations profondes dordre psychologique et leurs processus physiologiques, qui incitent à aller en forêt sont quant à elles largement inexplorées.
La réponse appartient au domaine du sensoriel, nécessite une approche pluridisciplinaire lourde avec des mesures difficiles à effectuer ce qui explique sans doute létat actuel des connaissances opérationnelles.
Que peut on tirer efficacement, actuellement de notions telles que calme, ambiances paysagères, sensations,... Par quels circuits passe la satisfaction tirée dun séjour en forêt ?
- La consultation des usagers et leur participation aux processus de décision, daménagement et de gestion des forêts périurbaines sont encore limitées. Alors quà priori les usagers devraient déterminer ce quils attendent de la forêt.
Pour linstant on peut craindre que le forestier, plus ou moins inconsciemment réponde plus à ses propres demandes quà celles du public.
Lintroduction de la démocratie dans la gestion des forêts permet dassocier la légitimité politique des représentants des usagers à la légitimité technique de laménageur.
Peut être faudra-t-il ultérieurement se poser la question de la légitimité de la représentation proposée dans la mesure où lon est loin dune représentation statistique.
- Lexpérience de la gestion périurbaine est encore récente.
Par ailleurs lefficacité des équipements et aménagement est difficile à mesurer et souffre ainsi dun manque apparent de rationalité. Une dérive peut alors sinstaurer.
La confrontation, la mise en commun dinformation, la discussion et la diffusion sont des nécessités pour faire évoluer le savoir faire.
Lexamen des modalités actuelles de la gestion des forêts périurbaines invite instamment à favoriser le rapprochement des différentes parties intéressées à ces forêts: gestionnaires et usagers au sens large.
Cest ainsi que le projet Urban Woods for People a été lancé pour explorer différentes voies stimulant ce rapprochement: structures de concertation et modes de diffusion de linformation entre usagers et gestionnaires, inventaire, rationalisation et diffusion du savoir faire technique,...
Soutenu par la Commission Européenne et en Ile de France par le Conseil Régional, 2 Conseils Généraux et plusieurs organismes publics, ce projet est mis en uvre par lOffice National des Forêts Direction Territoriale Ile de France Nord Ouest en partenariat avec six partenaires Suédois (dont la Régional Forestry Board of Malardalen près de Stockholm). Débuté en avril 2001 il durera jusquen mars 2005.
Ses axes majeurs sont les suivants:
3.1 Un colloque daudience européenne contribuant à faire le point des connaissances sur le sujet. Il mettra essentiellement laccent sur la connaissance des usagers et de leurs aspirations. Une coopération pluridisciplinaire avec des chercheurs en sciences humaines ambitionne de donner un éclairage scientifique densemble sur lapproche sensorielle de la forêt, domaine actuellement peu étudié.
Tenu en novembre 2002 le colloque doit engendrer des groupes de travail chargés de mener une investigation sur ce thème pendant 2 ans.: un second colloque à Stockholm au printemps 2004 en présentera les conclusions.
3.2 Le développement de la concertation avec les usagers.
La concertation commence à sinstaller autour des forêts périurbaines européennes.
Deux nouveaux types de comités dusagers sont mis en place en Ile de France. Lun à léchelle de la forêt pilote de Sénart (3000 ha). Lautre à léchelle du Département des Hauts de Seine .
Le comité dusagers de Sénart a été installé en février 2002. La participation des élus et usagers y est particulièrement constructive. De plus la forêt de Sénart a un statut de «forêt de protection» qui protège quasi définitivement son intégrité foncière. Les discussions entre élus et gestionnaires sont désormais exemptes de toute arrière pensée et nhésitent pas à traiter de tous les enjeux de valorisation de la forêt.
Ces deux expériences de concertation seront analysées de près. Les résultats complèteront ceux des autres modalités de concertations existantes et permettront dasseoir dans la région une couverture appropriée (maximisant le rapport bénéfice/coût) de comités dusagers. Cela permettra à chacun de sexprimer, de faire partager ses connaissances, ses besoins, et de partager ceux des autres, trouver ensemble les nécessaires compromis, créer de nouveaux liens entre les riverains et leur forêt, susciter une appropriation raisonnée de la forêt.
La concertation peut déboucher sur 2 modalités complémentaires qui vont être testées:
- Un programme éducatif visant à mettre les enfants du primaire concernés en réelle situation de forestier (programme forestiers juniors).
- Une implication physique des usagers dans la gestion, léquipement et lentretien de la forêt sous forme de bénévolat
3.3 Un statut de forêt pilote pour la forêt domaniale de Sénart
- pour y mettre en uvre le meilleur du savoir faire du moment, éventuellement ajuster les techniques et estimer leffet synergique de ces équipements et aménagements localisés sur un même site.
- Pour illustrer la politique daccueil, ses objectifs et ses outils auprès des usagers et de leurs représentants ainsi quauprès des gestionnaires de lensemble de la région
- Pour, après ajustement et améliorations éventuelles, diffusion aussi large que possible du savoir faire le plus efficace afin dassurer un niveau de qualité plancher aux nouveaux aménagements et parallèlement réaliser des gains de productivité.
- Et pour ensuite en faire une forêt laboratoire où des techniques innovantes seront testées pour toujours améliorer la qualité de laccueil en forêt.
Les différentes actions menées dans le cadre de la forêt pilote peuvent trouver leur place dans le périmètre de la forêt.
Mais aussi bien favoriser les liens fonctionnels entre la forêt et le milieu urbain qui lenserre (liaisons vertes, traitement et protection des lisières,...). En un mot, rapprocher la forêt des gens.
(Aussi le zonage interne à la forêt vise t-il à distinguer diverses zones, en général concentriques, qualifiées par le degré de nuisances quelles supportent (bruit, pollution, sur fréquentation,...). Cette approche technique permet daugmenter le nombre de prestations offertes par la forêt aux différents publics. Par exemple la zone concentrique externe où seront strictement localisées les aires daccueil du public (parking, panneaux dinformation, équipements divers, départ des sentiers piétons, cavaliers et cyclistes) accueillera la majorité du public qui aime la proximité des équipements et accepte un niveau de naturalité correct mais modeste. A contrario la zone la plus interne, globalement indemne de nuisances aura un aspect très naturel et pourra même ne plus faire lobjet de coupes forestières. Etant à une certaine distance des parkings, elle recevra uniquement les amateurs disolement, de contact intime avec une nature préservée, qui acceptent de marcher une certaine distance pour y arriver. Cette approche ne brime aucun usager, par contre elle permet doffrir de tels espaces naturels remarquables, rares, à proximité immédiate des habitations, même dans un contexte très urbain.
Lenjeu important à léchelle régionale consiste à protéger et si possible restaurer de telles zones pour que dans 20 ans les habitants des centres urbains naient pas à parcourir 100 à 150 km jour pour avoir ce type de contact avec la nature.
· Autre sujet dintervention, les ordures en forêt. Nombreuses, leur ramassage et traitement est très coûteux et risque daugmenter encore avec la mise en place du tri sélectif obligatoire. A ce handicap sajoute une situation étonnante: les sociologues laissent entendre que la forêt serait larchétype de la Nature pour nombre dusagers citadins. Cela se vérifie dailleurs lors de coupes ou de travaux qui modifient et artificialisent le paysage. Comment dans ces conditions peut on laisser des ordures dans un milieu que lon considère comme un symbole de la Nature ?
Laction proposée vise par linformation et la concertation à faire prendre conscience à tous les usagers de certaines de leurs contradictions comportementales qui engendrent des difficultés avérées . Avec la coopération des collectivités concernées il sagirait de rendre à la forêt sa force de sanctuaire de Nature et de faire que la réalité du terrain corresponde mieux aux représentations mentales que les usagers peuvent en avoir.
Cette action prendra sa véritable dimension quand par ailleurs le nouvel aménagement forestier à élaborer en concertation sappuiera sur cette considération sociologique, magnifiera les lisières en tant que frontière entre un monde naturel et un monde urbain avec pour zones de passage des «entrées de forêts» symboliques mais identifiées.
· Dune manière générale le projet cherche à rapprocher la forêt de ses usagers et notamment des riverains. Le rapprochement peut être physique par la création de voies vertes, de lignes de transport en commun desservant la forêt, ... mais aussi intellectuel par linformation sur la forêt en général, sur lactualité de la forêt de Sénart en particulier, la participation à la conception des aménagement, voire à leur réalisation (bénévolat).
Une «charte forestière de territoire» outil mis en place par la loi dorientation forestière de 2001 pour stimuler la concertation, inventorier les bénéfices procurés par la forêt, recenser ceux que les usagers et élus considèrent comme prioritaires et in fine acceptent de financer. Il y a là une potentialité réelle dasseoir le financement des services produits par les forêts et dont lutilité est revendiquée par élus et usagers.
3.4 Inventaire du meilleur savoir-faire, discussion, rationalisation, diffusion
Linventaire bénéficiera dune large coopération entre les services gestionnaires de lONF de la région Ile de France Nord Ouest, des spécialistes de lOffice National des Forêts du reste du pays, ainsi que de certaines spécialistes européens et particulièrement nos partenaires suédois.
La coopération avec les scientifiques spécialisés en sciences humaines est également une nécessité.
La mise en commun, discussion et rationalisation des approches, procédures et techniques résultera de la création de groupes de travail et de la mise en place de réseaux de spécialistes.
Une mention toute particulière doit être faite sur la coopération franco-suédoise qui sétablit. En effet les objectifs des partenaires sont très voisins et le travail en synergie qui se dessine produira plus et de meilleurs résultats.
La diffusion de linformation sappuiera sur des guides destinés aux gestionnaires (guide du forestier périurbain, guide de laccès aux handicapés, guide daménagement et de gestion périurbaine).
Parallèlement un site internet devrait être créé par chacun des partenaires afin de diffuser linformation nécessaire aux usagers, recueillir leurs commentaires et tester la possibilité dinfluer sur les buts de visite.
A lépoque des 35 heures de travail hebdomadaires, la forêt périurbaine, et probablement dautres forêts plus excentrées, recueillent plus que jamais les faveurs du public. La fréquentation quelquefois massive, de plus en plus diversifiée, dans des milieux à forte charge symbolique, quelquefois fragiles engendrent de multiples problèmes. Cette situation et les problèmes afférents (financement, conflits dusages, manque de concertation) sont assez similaires dune zone à lautre de lEurope.
Pour ce qui est des techniques et des solutions, nombre de bonnes idées jusqualors isolées existent ici ou là. Les moyens de communication actuels, lincitation de la Commission Européenne, lacuité des problèmes à résoudre localement militent en faveur dune mise en commun des expériences pour réaliser rapidement et à moindre coût un saut qualitatif déterminant. De son coté la promotion de la concertation locale pousse le gestionnaire à une ouverture très profitable qui contribuera sans aucun doute au développement dune gestion plurifonctionnelle plus durable.
Maresca, B., 1999. Enquête sur la fréquentation des forêts publiques Franciliennes.
Centre de recherche pour létude et lobservation des conditions de vie, Agence des Espaces Verts de la Région Ile de France, Paris, 70 p.
Office National des Forêts, Institut dObservation et de Décision, 1994. Diagnostic et attentes concernant la forêt de Fontainebleau. Approche qualitative, Boulogne, 90 p.
Office National des Forêts, Institut dObservation et de Décision, 1996. Etude quantitative de la fréquentation des forêts de Fontainebleau et des Trois Pignons, Boulogne, 179 p.
Polton, J.C., 1994. Tourisme et Nature au XIXème siècle. Ministère de lenseignement supérieur et de la recherche, Paris. 300 p.