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La forêt méditerranéenne, source de vie ..... tarie par le feu?

Yvon Duché


Résumé

La forêt méditerranéenne française est une forêt récente dont l'extension a été modelée par l'homme. Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, elle n'a fait que s'accroître du fait d'un exode rural. On observe, depuis une vingtaine d'années, une grande mobilité des populations citadines vers les espaces forestiers, qui accroît de plus en plus la probabilité d'éclosion d'incendies par négligence.

Pour renverser cette tendance, les pouvoirs publics mènent une politique de prévention des incendies qui s'appuie sur quatre grands axes:

1. Prévision et affichage du risque: L'Etat a la responsabilité de prévoir et de signaler le risque. L'approche est complexe car il faut tenir compte de la probabilité d'éclosion, de la capacité du feu à se propager, mais aussi de son impact potentiel sur les enjeux.

2. Réduction des causes d'éclosion: La réduction du nombre de feux est une condition majeure d'évolution en matière de protection des forêts contre les incendies. L'effort de résorption porte essentiellement sur les infrastructures publiques, les accidents liés aux travaux agricoles et forestiers, et les imprudences.

3. Equipement et aménagement de l'espace: La politique de prévention s'exprime par des documents de planification, à l'échelle d'un ou plusieurs massifs forestiers, qui sont établis de manière concertée avec les collectivités territoriales. Ceux-ci doivent intégrer les interactions de la forêt, de l'agriculture, de l'urbanisme et des autres usages du sol.

4. Surveillance et intervention rapide: L'objectif est de repérer et de signaler au plus tôt les départs de feu de façon à pouvoir intervenir le plus rapidement possible. Le système repose sur des dispositifs de surveillance modulables en fonction du niveau de risque quotidien.

Conclusion: Lorsque la politique de protection des forêts contre l'incendie porte ses fruits, la pérennité des massifs forestiers méditerranéens n'est plus menacée.

Mots clés: forêt méditerranéenne-prévention-incendies-aménagement-surveillance

La forêt méditerranéenne française est une forêt récente (post glaciaire) dont l'extension a été modelée par l'homme dès le néolithique, qui l'a très fortement réduite pour satisfaire ses besoins agricoles et pastoraux, en la brûlant et en la défrichant.

Après avoir atteint son extension minimale au milieu du dix neuvième siècle, cette forêt n'a fait que s'accroître du fait d'un exode rural, accentué par les limitations à l'agriculture inhérentes à la difficulté du climat méditerranéen, et d'une reforestation artificielle de superficies gravement érodées par le surpâturage en montagne.

Jusque dans les années mille neuf cent soixante dix, cet exode transportait les populations rurales vers les centres urbains.

Depuis le début des années mille neuf cent quatre vingt, on observe une grande mobilité des populations citadines vers les espaces forestiers, exprimant un besoin temporaire d'évasion de la ville, par la promenade ou les déplacements touristiques, mais aussi une volonté de retourner habiter au contact de la nature.

Cela induit une nouvelle organisation du territoire, avec le développement de nombreuses infrastructures publiques en forêt et l'apparition de vastes zones d'interfaces entre la forêt et l'urbanisme.

L'augmentation de la présence humaine dans les espaces naturels accroît la probabilité d'éclosion d'incendies par négligence. La tendance actuelle est une augmentation du risque d'incendie de forêt en raison:

Pour renverser cette tendance et garantir aux générations futures une forêt méditerranéenne riche d'une forte biodiversité, et en équilibre harmonieux avec les populations la fréquentant, les pouvoirs publics français mènent une politique de prévention des incendies volontariste, très cohérente avec celle menée par l'union européenne.

Elle s'appuie sur quatre grands axes:

prévision et affichage du risque,
réduction des causes d'éclosion d'incendie,
équipement et aménagement du territoire,
surveillance des forêts et intervention rapide


1. Prévision et affichage du risque.

L'Etat a la responsabilité de prévoir et de dire le risque qui résulte du croisement entre un aléa et la vulnérabilité des enjeux menacés.

Dans le cas du feu de forêt, la prévision du risque dans un massif forestier nécessite la connaissance de l'occurrence spatiale et temporelle des incendies dans ce massif, de l'intensité prévisible de ceux-ci, ainsi que de la vulnérabilité des enjeux menacés, naturels et humains.

L'approche est complexe car il faut tenir compte de la probabilité d'éclosion, elle-même fonction des causes d'éclosion, de la capacité du feu à se propager, mais aussi de son impact potentiel sur les enjeux.

1.1 Fichier Prométhée

Pour mieux connaître le phénomène naturel, un fichier statistique recensant tous les incendies avec leurs caractéristiques (dont les causes) a été mis en place dès 1973 sur la façade méditerranéenne. Il contient aujourd'hui plus de 80.000 feux de forêt et 250.000 feux de l'espace rural et périurbain. Il est accessible sur Internet (http://www.promethee.com)

Malgré une nette amélioration au cours des dernières années, le taux de causes connues n'est pas satisfaisant; aussi, dans chaque département ont été instituées et formées, des cellules inter services (pompier, forestier, policier) chargées de rechercher les causes des incendies (la recherche des auteurs demeurant de la seule compétence de la police).

1.2 Prévision et cartographie de l'aléa feu de forêt

L'aléa est défini comme la probabilité qu'un feu d'intensité donnée se produise en un lieu. Compte tenu de la forte variabilité spatiale des feux de forêt et de leur origine essentiellement anthropique, la prévision et donc la cartographie de l'aléa est difficile.

Plusieurs méthodologies sont utilisées pour cartographier l'aléa en s'appuyant sur ses principales composantes, que sont la végétation, les facteurs climatiques, la topographie et l'activité humaine. Les unes ont recours à des modèles de propagation d'incendie, les autres à des modèles fondés sur des croisements de couches de données.

Leur essor récent est principalement lié au recours plus aisé aux systèmes d'information géographiques, et à l'apport des traitements d'images aériennes ou satellitales.

1.3 Connaissance et hiérarchisation des enjeux

La collectivité publique se doit de rationaliser l'utilisation de ces moyens financiers, et de ce fait, elle ne peut plus mener une politique uniforme sur l'ensemble des territoires potentiellement menacés par les feux de forêts. Il lui faut donc évaluer les enjeux à protéger, en fonction de leur valeur pour la société et de leur vulnérabilité au feu, puis les hiérarchiser, à l'issue d'une négociation avec l'ensemble des partenaires et des utilisateurs concernés, afin que le plus grand nombre adhère au diagnostic et participe activement à la mise en œuvre des actions de protection. Les données scientifiques les plus récentes sont utilisées pour évaluer les dommages potentiels aux personnes et aux biens, ainsi qu'aux espaces naturels; pour les écosystèmes méditerranéens, l'analyse porte sur leur capacité de résilience, le stade d'évolution des peuplements forestiers, les risques d'érosion ou de dégradation des sols, la fragilité de milieux et d'habitats d'espèces remarquables ou menacées, ainsi que sur les aspects paysagers et récréatifs.

1.4 Communication du risque au public

Au delà du nécessaire partage de l'estimation du risque avec l'ensemble des acteurs, le législateur a également prévu l'obligation pour l'Etat d'informer la population sur les dangers auxquels elle est exposée, ainsi que sur les mesures de prévention, de protection et de secours dont elle est susceptible de bénéficier.

Cette information est délivrée au niveau de la commune, collectivité locale la plus proche du citoyen.

L'objectif de l'ensemble de ces mesures d'affichage du risque est de développer une logique de responsabilité, d'ouverture de débat public, pour que chacun à son niveau se sente concerné par la prévention des incendies de forêts.

C'est l'un des défis majeurs à relever pour les années à venir.

2. Réduction des causes d'éclosion de feu

La réduction du nombre de feux est une condition majeure d'évolution en matière de protection des forêts contre les incendies; c'est le moyen le plus efficace pour limiter le nombre de grands feux (qui détruisent plus de 90 % des surfaces) en accroissant l'efficacité de la lutte à moyens constants.

Des conséquences concrètes sont tirées de l'identification des principales causes, notamment en mettant l'accent sur la résorption de celles sur lesquelles il est possible d'agir:

Ces actions s'adressent aux hommes, dont elles tentent d'infléchir le comportement; elles sont conduites en s'appuyant sur des supports adaptés aux groupes sociaux que l'on veut convaincre.

2.1 Mise en sécurité des infrastructures publiques

La collectivité se doit d'être exemplaire dans la gestion et la mise en sécurité de ses infrastructures.

Les principales actions portent sur:

2.2 Sensibilisation des travailleurs agricoles et forestiers

Beaucoup a déjà été fait, mais reste à faire, pour réduire le nombre d'incendies accidentels dus à des acteurs du monde rural (près d'un tiers des causes connues).

La difficulté réside dans le fait que chaque travailleur agricole ou forestier est persuadé qu'il est à l'abri d'une erreur provoquant une mise à feu.

Leur sensibilisation n'est réellement efficace qu'au travers du relais de leurs instances socio professionnelles. Une attention toute particulière est portée aux brûlages de végétaux sur pied (écobuages) incontrôlés, généralement à objectif pastoral.

En complément des limitations réglementaires et des actions d'information, se développent depuis quelques années avec un certain succès des cellules publiques de conseil aux agriculteurs, de formation, mais aussi d'appui ou de substitution à la conduite des chantiers les plus complexes, les plus difficiles à maîtriser.

La technique, validée par les instituts de recherche agronomique et mise en œuvre de façon planifiée par des personnels compétents, est alors qualifiée de brûlage dirigé.

Au delà d'outil de limitation des débordements de brûlages pastoraux, le brûlage dirigé est aussi utilisé pour l'entretien des coupures de combustibles ou le maintien de milieux ouverts à des coûts modérés.

2.3 Limitation des effets des imprudences et négligences liées aux loisirs

Il s'agit d'informer et de sensibiliser les usagers occasionnels de l'espace agricole et forestier, les touristes, mais aussi les résidents des habitations au contact d'espaces naturels.

Cette information prend aujourd'hui des formes multiples:

Illustration 1: Panneau d'information du public 1973; une thématique toujours d'actualité..

2.4 Dissuasion

Tous les comportements potentiellement générateurs d'imprudence ou de négligence sont encadrés par un certain nombre de réglementations tendant à les faire disparaître ou à en réduire les effets.

En sus de la nécessaire adhésion du public à ces mesures, qui passe par l'information et la sensibilisation, sont mises en œuvre des actions de dissuasion (patrouilles identifiables dans les massifs les plus à risque) et de répression des cas de manquements les plus flagrants ou dangereux. Le recours à des personnels assermentés revêtus d'uniforme est alors le plus pertinent (forces de police, agents de l'Office National des Forêts...)

3. Equipement et aménagement de l'espace

L'Etat est responsable de la doctrine de prévention et de lutte contre les feux de forêts.

Elle s'exprime par des documents de planification à l'échelle de territoires administratifs suffisamment vastes pour recouvrir un ou plusieurs massifs forestiers, ainsi que les espaces les environnant (groupements de communes, départements, ou régions)

Ces documents sont établis de manière concertée avec les collectivités territoriales, d'autant plus que celles ci assument une responsabilité croissante dans le domaine de l'aménagement du territoire, qui est sûrement le domaine dans lequel la prise en compte du risque d'incendie peut conduire aux progrès les plus significatifs.

Ces documents doivent intégrer les interactions de la forêt, de l'agriculture, de l'urbanisme et des autres usages du sol dans le cadre de l'aménagement de l'espace, et mobiliser tous les outils juridiques et financiers qui s'y rapportent .

Ils doivent aussi définir les actions prioritaires permettant de mener à bien les stratégies de lutte contre les feux de forêts.

La plupart d'entre elles n'atteignent leur objectif que si:

Pour répondre à ces besoins, les actions majeures développées par la collectivité publique sont les suivantes:

En plus des dispositions préparatoires à la lutte, des actions complémentaires à plus long terme sont menées:

4. Surveillance et intervention rapide

L'objectif est de repérer et de signaler au plutôt les départs de feu de façon à pouvoir intervenir le plus rapidement possible sur les feux naissants, pendant qu'ils sont encore maîtrisables.

Dans les secteurs à plus haut niveau de risques, la stratégie vise à intervenir sur tout départ de feu moins de 10 minutes après sa détection.

Le système repose sur des dispositifs de surveillance modulables en fonction du niveau de risque quotidien.

4.1. Evaluation du risque

Les services de la météorologie émettent chaque jour des prévisions pour le lendemain en 5 niveaux de risque (faible à très sévère) qui s'appuient sur l'introduction de plusieurs paramètres climatiques (telles réserves en eau du sol, vent, température, hygrométrie de l'air...) dans le calcul d'indices.

Ces prévisions reflètent à la fois une probabilité d'éclosion et une vitesse de propagation.

Elles sont déterminantes pour moduler les dispositifs de surveillance et de lutte.

4.2. Réseau d'alerte et de première intervention

En fonction du risque intrinsèque d'un massif forestier et du niveau de risque journalier prévu, des dispositifs de surveillance, d'alerte et de première intervention sont mobilisés.

Ils peuvent mobiliser plusieurs services et un grand nombre d'intervenants.

Ils combinent du guet terrestre fixe (tours de guet ou parfois dispositifs automatiques de détection), des patrouilles de surveillance automobiles, dont certaines disposent de groupes hydrauliques de première intervention, et en fonction du niveau de risque des patrouilles d'avion bombardier d'eau.

Conclusion

Lorsque la politique de protection des forêts contre l'incendie porte ses fruits, la pérennité des massifs forestiers méditerranéens n'est plus menacée, et la " source de vie " peut s'écouler, sans menacer d'être tarie.

Parfois même, elle " déborde ", par une extension non maîtrisée des superficies forestières, qui éliminent des espaces ouverts, lieux de survie pour de nombreuses espèces animales et végétales caractéristiques de la zone méditerranéenne.

Le recours raisonné au feu, par le brûlage dirigé, permet alors de reconstituer certains d'entre eux et de ramener la source dans sa vasque.