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Le forestier au service de la biodiversité

Bernard Rey et Jean-Marc Brézard


Résumé

Conformément aux engagements de la France en matière de conservation de la biodiversité (Convention sur la diversité biologique, Rio), le forestier public doit intégrer dans son travail tout ce qui concourt à ne pas éroder la biodiversité. Ce rôle doit se combiner avec d’autres fonctions plus classiques comme celles d’agent économique offrant à la collectivité une ressource naturelle - le bois - en s’assurant de son renouvellement, d’acteur social prenant en compte les aspirations de ses concitoyens (accueil du public en forêt) mais aussi leurs dégradations (prévention incendie, lutte contre l’érosion). Ainsi un certain nombre d’outils ont été développés pour aider le forestier dans ces actions quotidiennes. Une instruction prise en 1993 donne un certain nombre de précautions et règles générales formant ainsi un véritable guide de gestion (guidelines des anglo-saxons) . Une gestion spécifique s’est développée sur des milieux remarquables ou fréquentés par des espèces remarquables. On cite à ce titre les réserves forestières biologiques et les séries d’intérêt écologique. Le forestier doit aussi utiliser la diversité de la palette des techniques sylvicoles pour les adapter aux problématiques locales avec une action plus fine et plus réfléchie, moins dogmatique qu’elle l’était il y a encore quelques décennies. Le guide de reconstitution des forêts après tempêtes (Frédéric Mortier, Paris, juillet 2001) est le témoignage d’une telle volonté. Enfin, le forestier doit être un acteur des programmes de conservation et de restauration de milieux naturels et ceci en fort partenariat avec les milieux scientifiques et les associations de protection de la nature.


1. INTEGRATION DE L’ENJEU BIODIVERSITE DANS LA GESTION DES MILIEUX NATURELS

1.1 PRINCIPES

En forêt publique, la politique en matière d'habitats naturels et d'espèces de faune et de flore vise l'objectif: “PAS DE PERTE DE DIVERSITé BIOLOGIQUE”.

Sa mise en œuvre dans le cadre d'une gestion globale des milieux - précisée pour chaque forêt dans le document d’aménagement élaboré pour une période de 15 à 25 ans - suit deux modalités :

1.2 LA DIVERSITÉ AU QUOTIDIEN

La conservation de la diversité biologique ne doit pas être considérée uniquement sous l'angle des espaces protégés, réserves naturelles ou autres "sanctuaires de nature". Les efforts du gestionnaire doivent impérativement porter sur l'ensemble des milieux naturels dont il a la responsabilité, "nature ordinaire" dont il convient de garantir l'intégrité et la diversité.

L’instruction ONF de 1993 “prise en compte de la diversité biologique dans l’aménagement et la gestion forestière” donne des directives et des recommandations techniques à mettre en œuvre pour la gestion des forêts et des milieux naturels en général ; cette instruction est appliquée au travers des aménagements forestiers, plans de gestion des forêts à moyen terme.

Des précautions et règles générales en faveur du maintien de la diversité biologique sont couramment appliquées dans la gestion :

1.3 RÉSERVES BIOLOGIQUES ET ESPACES PROTÉGÉS

La présence de milieux ou d'espèces remarquables peut conduire à appliquer sur certaines zones une gestion spéciale qui se traduit dans l’aménagement par:

Certaines séries d’intérêt écologique particulier sont érigées en réserves biologiques.

Ces réserves bénéficient d’une protection foncière (forêts domaniales) et réglementaire (arrêté ministériel de création). Elles sont dotées d'un plan de gestion spécifique et bénéficient des conseils d'un Comité scientifique consultatif qui associe scientifiques, naturalistes et gestionnaires.

Le réseau était constitué fin 2001 de 182 réserves biologiques se répartissant comme suit :

En forêts des collectivités on comptait à la fin de l’année 2001 un total de 20 réserves biologiques forestières pour 1942 hectares dont 2 petites réserves intégrales pour 10 hectares.

Hormis les réserves biologiques, il faut signaler la forte implication de l'ONF dans la gestion d'autres espaces protégés. Ainsi, l'ONF assure la gestion ou la cogestion d’une douzaine de réserves naturelles (Val d'Allier - 03; Cerisy - 14; La Trinité- Guyane...) sur des terrains bénéficiant ou non du régime forestier.

Par ailleurs, la part importante de forêts publiques dans les Parcs Naturels Régionaux (plus de 270000 ha de forêt domaniale, 314000 ha de forêt communale) fait de l'ONF un interlocuteur privilégié des Parcs. Ainsi, le 23 juin 2000 a été signée une convention cadre de coopération entre la Fédération des Parcs Naturels Régionaux et l’ONF. Cet accord national est généralement décliné localement par des conventions de partenariat PNR/ONF visant des actions variées d'accueil du public et de sauvegarde du patrimoine naturel.

1.4 LES ACTIONS DE PROTECTION ET RESTAURATION DU PATRIMOINE NATUREL ET DES PAYSAGES

L'ONF a lancé d'ambitieux programmes de conservation et de restauration des milieux naturels et d'habitats d'espèces.

Plusieurs programmes ont bénéficié de financements communautaires (LIFE), par exemple:

L’ONF est un partenaire naturel des programmes nationaux ou locaux de protection et de conservation de la diversité biologique et des paysages (Plan d'actions national Balbuzard pêcheur...).

Concernant la flore, l’ONF développe des partenariats avec la plupart des Conservatoires botaniques nationaux.

L’ONF participe activement à la conservation des zones humides dans le cadre du plan gouvernemental pour les zones humides. Il a collaboré avec Espaces Naturels de France pour la conservation des tourbières. Les actions ont porté sur la restauration de milieux (étrépage de tourbières, lutte contre l’embroussaillement, restauration de l’engorgement en eau...) et la sauvegarde d’espèces végétales et animales.

Des efforts constants sont réalisés en faveur de la connaissance des habitats naturels et des espèces. L'adhésion au Groupement d'Intérêt Public (GIP) ECOFOR et sa contribution à la publication des 2 guides ayant pour objet «identification et gestion intégrée des habitats et espèces d’intérêt communautaire» témoignent de l'implication de l'ONF dans la recherche sur les écosystèmes forestiers.

La collaboration avec les autres gestionnaires de milieux naturels (Réserves Naturelles de France, Espaces Naturels de France...) permet d'échanger expériences et informations.

Des guides spécifiques de gestion résultent de ce partenariat (directives Grand Tétras et Gypaète barbu).

La formation continue des personnels de l'ONF est essentielle à la mise en œuvre de la politique environnementale de l'Etablissement:

Enfin, l'ONF développe les partenariats pour mettre en place des outils d'évaluation de la gestion:

Plus généralement, dans le cadre de ses activités traditionnelles de préservation de la nature et des paysages, l’ONF dispose d’une expérience dans le domaine du génie écologique :

La prise en compte de la diversité biologique dans la gestion forestière n’est pas exclusive du rôle social dévolu à la forêt : l’accueil du public à des fins récréatives et pédagogiques (aires de repos, sentiers d’interprétation ou botaniques) est assuré par l’ONF avec l'aide des collectivités locales, à la condition impérative du respect de l’objectif de protection biologique assigné à la forêt.

LOCALISATION DES RESERVES BIOLOGIQUES

2. APPORTS DE LA GESTION DES MILIEUX A LA BIODIVERSITE

2.1 SUR LES 3 TYPES DE BIODIVERSITE.

La diversité intraspécifique est favorisée par le recours autant que faire se peut à la régénération naturelle; en cas d’impossibilité d’avoir des graines viables ou lorsque l’essence présente est inadaptée, les plantations sont effectuées à partir de plants provenant de peuplements classés de la même région et d’une surface suffisante pour avoir un bon mélange de gènes.

La diversité des espèces est favorisée par le mélange des essences dans les peuplements. En plus de l’intérêt paysager et sanitaire de cette pratique les espèces animales et végétales peuvent y trouver les conditions de vie qui leur conviennent.

La cartographie des stations forestières et des habitats forestiers ou associés à la forêt permet de donner des règles de gestion adaptées aux écosystèmes présents voire de prévoir les travaux de restauration de ceux qui sont dégradés.

2.2 DIVERSITE DES MODES DE GESTION ET BIODIVERSITE.

La structure et le mode de gestion de la propriété forestière française (imbrication de parcelles gérées de manière très variable en intensité: de l’absence de gestion à la gestion spéculative), l’histoire du sol (il y a deux siècles la moitié de la forêt actuelle était utilisée par l’agriculture ou l’élevage!), l’utilisation du territoire rural (l’agriculture se réservant les terrains les plus accessibles et les plus faciles à travailler) sont à l’origine d’une mosaïque d’écosystèmes permettant l’expression de la diversité biologique.

L’abandon de la gestion entraîne la fermeture du paysage et du milieu et la prédominance des dryades (essences d’ombre comme le hêtre, le sapin) qui font disparaître les essences pionnières et de lumière comme les chênes, le mélèze,...

2.3 EXEMPLES DE TECHNIQUES SYLVICOLES.

Au moment de la recherche du renouvellement des arbres adultes:

Règles d’exploitation limitant l’impact sur le milieu: cloisonnements d’exploitation permettant de limiter les effets de tassement des sols, pas de brûlage des résidus d’exploitation (dispersion ou mise en andains, respect des mares et autres milieux biologiquement importants); conservation de bouquets d’arbres pouvant encore vieillir pour éviter des sacrifices d’exploitabilité ou pour constituer des îlots de vieillissement et dans un but paysager et biologique.

Au stade des jeunes peuplements:

Interventions dosées pour concilier la conservation d’un mélange d’essences et un bon élagage des tiges d’avenir; cloisonnements sylvicoles facilitant l’accès des ouvriers, une meilleure visibilité du chantier et donc des interventions mieux ciblées;

Tout au long de la croissance en hauteur du peuplement:

Suivi de la croissance des tiges par un diagnostic sylvicole de la densité des tiges, de la hauteur dominante permettant le calcul du rapport hauteur/diamêtre et la surface terrière et leur comparaison à des normes théoriques (protocole Sylvie) Ceci permet de doser les éclaircies afin d’avoir une bonne croissance des tiges d’avenir tant au niveau de leur stabilité que de la qualité du bois (il s’agit d’éviter d’avoir des tiges filiformes à houppier étriqué, instables et empêchant l’arrivée de la lumière au sol donnant à l’âge adulte des futaies «cathédrales» fragiles en terme de stabilité et de résistance aux agents pathogènes).

2.4 L’AVENIR: VERS UNE INTEGRATION PLUS FORTE DE LA BIODIVERSITE DANS LES ACTIONS DE GESTION.

L’homme accompagne la nature même si - sous nos latitudes - les paysages et les formations végétales sont souvent le résultat d’une interaction forte entre les activités humaines et les conditions de milieu. Dans notre gestion, cet accompagnement recherche un bon équilibre des efforts en vue de favoriser activement la multifonctionnaltité des espaces. Ainsi dans ses dernières recommandations techniques, l’ONF a tenu à reformuler et préciser les principes fondamentaux de sa gestion:

Ces principes valables pour le long terme se déclineront de manière opérationnelle en respectant les dispositions pratiques suivantes:

Bibliographie

· Ministère de l’agriculture et du développement rural, direction de l’espace rural et de la forêt: Définition d’une politique nationale de prise en compte de la biodiversité dans la gestion forestière. Paris, circulaire DERF/SDEF/n° 3002 du 28 janvier1993, 4p. + 6 annexes.

· Office national des forêts: prise en compte de la diversité biologique dans l’aménagement et la gestion forestière; instruction et guide; Paris, novembre 1993, 18 et 32 p.

· Office national des forêts: Réserves biologiques dirigées et séries d’intérêt écologique particulier; instruction; Paris, mai 1995, 7 p.+ annexes.

· Office national des forêts: Réserves biologiques intégrales; instruction; Paris, décembre 1998, 15 p.+ annexes.

· Office national des forêts: guide de reconstitution des forêts après tempêtes, Paris, juillet 2001 78 p. +fiches, lexique et annexes.