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Modèle de gestion durable des ressources forestières: Cas de la localité de Gande au Sénégal

Djibril CISSE


Résumé

Cette présente étude résulte en grande partie des enseignements tirés des visites de terrain durant l'année 2002 dans les campagnes de la partie Nord du Sénégal, et aussi de l'analyse organisationnelle du schéma d'aménagement de l'espace sur la base d'entités territoriales appelées «unités agrosylvopastorales (UASP)» inspiré du guide méthodologique de la phase préparatoire du Programme Intégré de Conservation et de Gestion des Ressources Naturelles «PICOGERNA» mise en œuvre dans les régions du Centre-Est et Est du Sénégal durant la période 1990 - 1993.

La finalité de cette étude est de contribuer à rendre plus opérationnelle et plus efficace une initiative paysanne visant à lutter contre la déforestation et à promouvoir le développement durable de son terroir.

Il s'agit de répondre à un besoin de perfectionnement du schéma organisationnel de ce groupe de paysans aspirant à l'auto promotion en développant à leur endroit des paquets techniques assez performants qu'ils peuvent s'approprier pour la préservation et la gestion du capital forestier qui constitue une composante essentielle de l'autosuffisance alimentaire et un support important de la lutte contre la pauvreté.

La zone intéressée par cette étude se trouve dans le département de Bakel proche du Fleuve Sénégal en sa partie Nord-Est et aux alentours du village de GANDE dont les populations ont eu cette initiative.

En effet, la partie Nord du Sénégal est particulièrement affectée sur les plans écologique et économique par une sécheresse persistante qui aggrave le processus de désertification et rend difficile tout effort de développement.

La dégradation du milieu naturel a conscientisé les populations de cette contrée sur l'urgence des mesures à prendre pour conserver leurs ressources forestières d'autant plus que la forêt constitue potentiellement des réserves importantes en produits forestiers de cueillette, de bois de service et de bois mort.


Introduction

Les ressources forestières du Sénégal représentent une richesse naturelle renouvelable contribuant à la satisfaction des besoins des populations. C'est pourquoi, l'Etat Sénégalais s'est attelé à encourager toutes les initiatives en matière de sauvegarde des ressources naturelles.

Ainsi, le Plan d'Action Forestier du Sénégal (PAFS, 1992) qui vise d'une part, la conservation du potentiel forestier et des équilibres socio-écologiques et, d'autre part, la satisfaction des besoins des populations en produits forestiers ligneux et non ligneux, a retenu les principes directeurs suivants :

Les orientations du développement économique et social du Sénégal sont fortement déterminées par les possibilités de ses ressources naturelles. C'est dans ce sens que l'Etat inscrit son action avec la volonté d'apporter des réponses appropriées aux préoccupations des populations défavorisées par la mise en œuvre des projets et programmes.

Les populations ont compris qu'en s'investissant dans la conservation et l'utilisation durable des ressources forestières, elles pourront compter sur ces potentialités pour les besoins présents et futurs. Les relations entre l'homme et la forêt sont étroites et aucune autre forme d'utilisation des terres ne pourrait offrir nombre d'avantages que fournissent les biens et services des forêts.

Cette présente note porte donc sur une initiative paysanne pour lutter contre la déforestation dans le but de promouvoir le développement durable de son terroir.

La zone concernée par cette étude se trouve dans la région naturelle du fleuve Sénégal où sont implantés de grands barrages et aménagement hydro-agricoles.

En effet, l'implantation accélérée de périmètres à la suite de la régulation du fleuve Sénégal par la construction de deux barrages dans le but de production agricole sous irrigation, s'est faite au détriment des formations végétales.

Les aménagements, en effet, font table rase de toute végétation arbustive sur des sites s'étendant souvent sur des rares zones encore boisées.

Compte tenu de la précarité de la plupart de ces aménagements hydro-agricoles, les phénomènes d'érosion conduisent souvent à un abandon de l'exploitation des périmètres.

La mobilité induite par le «processus d'irrigation itinérante» conduit les exploitants à déplacer leurs cultures au bout de deux à trois campagnes pour exploiter de nouveaux périmètres.

Cette note contributive au XIIe congrès forestier mondial se propose d'aborder la problématique de l'intégration effective de la population locale dans la planification et la mise en œuvre des mesures visant une gestion durable des ressources naturelles en référence à un cas vécu dans le village de GANDE du département de Bakel au Sénégal pour inviter à une réflexion globale sur une gestion permanente participative et populaire de notre patrimoine forestier mondial.

La préservation du capital forestier constitue une composante importante pouvant améliorer le paysage rural, contribuer à la diversification alimentaire et apporter des compléments indispensables au potentiel fourrager tout en améliorant la productivité de ces mêmes pâturages.

Ainsi, la dégradation du milieu naturel a conscientisé les populations du village de GANDE sur l'urgence des mesures à prendre pour conserver ces ressources forestières d'autant plus que la forêt constitue potentiellement des réserves importantes en produits forestiers de cueillette, de bois de service et de bois mort.

I / Les actions entreprises

Les populations du village de GANDE situé sur le bord du fleuve Sénégal ont entamé une opération de mise en défens du terroir villageois sur environ 300ha depuis 1996. En effet, les populations organisées en comités de vigilance villageois procèdent à une surveillance soutenue du domaine avec à la clé, un code de conduite accepté de tous.

Ce bel exemple de réussite d'actions de réhabilitation du couvert végétal à partir d'initiatives locales paysannes a eu des résultats probants avec notamment une bonne régénération naturelle d'espèces telles que Zizyphus mauritania, Balanites aegyptiaca, Acacia tortilis, Acacia senegal etc....

Ce succès relève d'une bonne organisation des populations en comité de vigilance chargé de l'application des mesures d'interdiction des cultures et de stationnement du bétail au niveau de la bande mise en défens.

L'instauration d'un code de conduite accepté de tous en matière de gestion des ressources naturelles a facilité la tâche au comité de vigilance ; d'autant plus que des couloirs de passage du bétail pour l'accès au point d'eau ont été aménagés.

D'autre part, des opérations d'enrichissement avec des espèces locales y compris l'ensemencement de graines d'espèces herbacées fourragères ont été programmées avec le service forestier du département de Bakel qui joue un rôle d'appui conseil.

L'exploitation rationnelle des produits forestiers alimentaires a été également entreprise par les populations pour des revenus subsidiaires.

Ainsi, des galettes à base de fruits de jujubier (zizyphus mauritania) ont été préparées suivant des techniques très simples mais permettant leur conservation de longue durée.

Les fruits de Balanites aegyptiaca ainsi que les gousses et gommes de certains acacias sont commercialisés.

Ainsi, les formations forestières aux alentours de la localité de GANDE et également de Yelingara et Tuabou autres villages de ce département situés dans la même zone, offrent des opportunités réelles en produits de cueillette, de fourrage et de combustibles ligneux aux ménages.

La valorisation des produits forestiers alimentaires peut contribuer à la lutte contre la malnutrition et la pauvreté par l'accroissement des revenus des populations locales.

Cet apport de la forêt est donc fort appréciable surtout en période de sécheresse ou de crise lorsque les produits cultivés font défaut.

II / Démarche méthodologique

Il s'agit de définir le cadre pour une gestion intégrée et rationnelle de l'espace agrosylvopastoral par les collectivités locales.

La démarche consistera à amener les populations à prendre davantage conscience des changements négatifs intervenus dans leur environnement, et qui sont liés à leur façon traditionnelle de cultiver, d'élever le bétail et d'exploiter les forêts.

Les populations seront donc amenées à réfléchir avec l'encadrement sur des techniques de sauvegarde du milieu et de gestion de l'espace dans le souci de pérenniser notre patrimoine forestier, et de développer une stratégie de mise en valeur des ressources forestières locales.

Ainsi, au niveau de chaque communauté rurale, il s'agira d'étudier et de relever toutes les données utiles pour la mise en place d'un plan local de développement intégré dans lequel toutes les activités de développement rural (agricole, forestière, pastorale, halieutique, cynégétique etc) seront prises en compte.

Cette approche requiert une étude globale d'aménagement de l'espace axée sur une mise en valeur rationnelle des potentialités agricoles, pastorales et forestières.

III / Stratégie de mise en valeur

La stratégie sera fonction des objectifs définis et qui ne sont que la traduction en termes opérationnels de ce que veulent les populations locales riveraines des formations forestières.

L'aménagement de l'espace rural en vue d'une bonne gestion des ressources naturelles commande de prendre appui sur les populations locales et de promouvoir au préalable des actions de démonstration nécessaire pour leur adhésion.

A cet égard, il sera utile d'engager un processus de réflexion en rapport avec les populations pour décider de la combinaison d'utilisation agricole et des mesures de conservation du patrimoine forestier.

Ainsi, les activités seront orientées principalement sur le développement des productions agricole, sylvicole et pastorale grâce à une approche intégrée.

Il faudra donc évaluer globalement les capacités organisationnelles et de gestion des populations locales et identifier les forces et les faiblesses des comités chargés de la mise en œuvre.

Il serait aussi opportun d'identifier les éléments ou facteurs internes et externes susceptibles de limiter ou d'entraver la performance optimale des groupements paysans et de partir de leur initiative locale pour proposer un nombre d'actions diverses ayant des chances sérieuses de réussite ou de proposer des alternatives de développement organisationnel y compris un schéma cohérent de gestion.

Toujours dans la recherche de solutions en vue de la réhabilitation de ces milieux, l'adoption d'une démarche participative avec notamment l'instauration de modèles d'intervention reproductibles par les populations s'avère indispensable.

IV / Schéma directeur d'aménagement

Il s'agira à partir du diagnostic des potentialités des sols et des ressources forestières existantes, de l'analyse du mode actuel d'exploitation des ressources naturelles et d'occupation des terres, de définir les contraintes physiques de la zone pour aboutir aux possibilités d'aménagement et de gestion.

L'unité de base de l'aménagement sera l'unité agrosylvopastorale (UASP) qui est «une entité territoriale créée à partir d'enquêtes socio-économiques et qui comprend des producteurs ruraux résidant dans des villages appartenant au même terroir, unis par une solidarité résultant du voisinage, possédant des intérêts communs, exploitant les mêmes parcours pastoraux, les mêmes zones de culture et les mêmes forêts et surtout ayant opté librement de s'unir pour une gestion communautaire des ressources naturelles».

Chaque UASP contient un volume déterminé de ressources naturelles que la communauté doit exploiter rationnellement.

Les limites de UASP ne constituent pas de barrières infranchissables mais définissent plutôt un territoire sur lequel une communauté déterminée a des droits prioritaires d'exploitation et des responsabilités à l'égard de la gestion des ressources naturelles qui y sont disponibles.

L'aménagement de l'espace pourrait porter sur :

La mise en œuvre de ce modèle d'aménagement participatif nécessite d'une part l'application au niveau de ces UASP de règles d'exploitation rationnelle des ressources naturelles et d'autre part l'élaboration d'un programme d'investissement à financer avec l'appui de l'Etat, des collectivités locales, des ONG et autres partenaires au développement.

Ces programmes d'investissement seront destinés à améliorer la gestion du patrimoine naturel et à l'intensification des productions.

Conclusion

Le cadre organisationnel qui est entrain de s'élaborer dans cette localité a besoin pour être efficient d'être appuyé par une formation appropriée à l'intention des populations locales.

Un second préalable, cette fois-ci, politique consisterait à une plus grande responsabilisation des populations locales dans la gestion des forêts du domaine de l'Etat.

Il serait opportun de renforcer les capacités techniques des populations locales en matière de gestion des ressources naturelles et de les soutenir dans leur volonté de traduire dans le réel les objectifs de leur ambition.

La préservation du patrimoine forestier nécessitera la mise en place de système de gestion à la hauteur du niveau de technicité des populations des localités environnantes des forêts.

La pratique des mesures de protection de l'environnement contre les différentes formes de dégradation est à lier à une utilisation appropriée des facteurs de production en veillant à l'adaptabilité des instruments aux conditions du terroir.

En effet, les attitudes et comportements ont évolué en raison de la sécheresse implacable qui a sévi ; et le système agricole tel que pratiqué est un facteur puissant de dégradation de notre environnement.

L'intérêt à cet égard de cette étude est de partir de cette initiative locale pour proposer un nombre d'actions diverses ayant des chances sérieuses de réussite et d'intégrer ces actions aux autres actions de développement déjà entreprises qui sont liées à l'aménagement du fleuve Sénégal en privilégiant les actions forestières.

Bibliographie

· Plan d'Action Forestier du Sénégal (PAFS, 1992)

· Méthodologie pour la mise en œuvre d'un Programme Intégré de Conservation et de Gestion des Ressources Naturelles (Y. AW, B. BATHILY, D. CISSE; Mai 1991)

· Compte rendu de Tournée dans le département de Bakel (A. BODIAN, D. CISSE, B. SOUGOUFARA; Juin 2002)