0089-C1
BENZYANE Mohamed, NAGGAR Mustapha, LAHLOU Bouchra
Laménagement forestier a connu une évolution différentielle entre le nord et le sud de la Méditerranée. Dans la rive nord de la Méditerranée, lévolution du concept daménagement accompagne le développement socio-économique, qui sest traduit par un déplacement des besoins tirés de la forêt: bois de qualité, paysagisme, accueil du public, amélioration du patrimoine biologique... etc. Ainsi, les aménagements sefforcent daméliorer simultanément les potentialités et les fonctions de la forêt.
Cependant, au Sud de la Méditerranée, lexécution des plans daménagement type-forêt tempérée, na pas permis, non seulement, datteindre lobjectif primordial sur lequel ils ont mis laccent à savoir; la régénération des ressources forestières, mais la dégradation de ces écosystèmes a continué avec un rythme important. En effet, élaborés selon le principe du rendement soutenu, ces aménagements ne prenaient pas suffisamment en considération la dimension socio-économique des zones forestières et péri-forestières. Tenant compte de ce constat, de nouvelles approches daménagement basées sur la participation et la concertation avec les populations riveraines sont développées.
Mots clés: Forêt; Méditerranée; Aménagement; Partenariat; Participation; Concerté.
La forêt méditerranéenne sétend sur près de 81 millions dhectares, soit 1,5% de lensemble des surfaces boisées de la planète; elle est caractérisée par une grande hétérogénéité qui a favorisé lapparition de nombreuses espèces forestières et a permis la constitution de multiples écosystèmes. Cependant, celle-ci reste soumise à un climat irrégulier et des perturbations fréquentes qui amplifient sa diversité et entraînent une certaine fragilité. Cette situation se complique davantage par lextension des activités humaines en forêt telles que lagriculture, lélevage, lurbanisation, qui se traduisent impérativement par le recul du couvert forestier et une diminution de la biodiversité initiale.
En effet, la forêt méditerranéenne constitue une richesse économique et un bien social par les multiples services quelles offre au profit des populations riveraines: bois de chauffe, bois de service, glands, noix, champignons, plantes aromatiques et médicinales. Egalement, la forêt par ses ressources pastorales vertes constitue un espace pastoral par excellence et demeure le seul refuge pour le bétail en période de sécheresse.
De part et dautre de la Méditerranée, les conséquences environnementales préoccupent aujourdhui les pouvoirs publics, qui en Europe méditerranéenne, redoutent les incendies de forêts favorisées par labandon des activités agro-pastorales et qui au Maghreb sinquiètent de la dégradation du milieu marquée par le recul des forêts et lampleur des problèmes dérosion.
Au Maghreb, les règles daménagement ont suivi l'évolution de la politique forestière. L'aménagiste, ayant acquis de nouvelles expériences, forge de nouveaux instruments pour faire face aux contraintes sociales et améliorer la production des essences forestières.
Lévolution de l'aménagement forestier a connu cinq phases principales:
Avant 1914:
Durant cette période, la forêt faisait parti des bien collectifs des tribus usagers. La notion d'aménagement de forêts ou de règlement d'exploitation était quasiment absente. L'exploitation forestière avait pour but la satisfaction des besoins en bois et en charbon des grandes agglomérations urbaines.
Période 1914-1939:
Avec lavènement du protectorat, la forêt a été domanialisée et la gestion des forêts a été confié à lAdministration Forestière qui venait dêtre crée. Cette période a connu un vaste programme de recépage pour mettre de l'ordre dans les forêts feuillues notamment, celles du chêne-vert et du chêne liège. Certaines mesures ont été prises afin de restaurer la forêt et contrôler les exploitations (règlement dexploitation, organisation de la profession) qui portent préjudice à la régénération. Désormais, cette phase de reconstitution fut perturbée par la deuxième guerre mondiale qui a bouleversé léquilibre difficilement obtenu.
Période 1940-1970:
Les premiers plans d'aménagement ont vu le jour, les buts recherchés ont été la remise en état des peuplements, la régénération assistée et la reconstitution des forêts naturelles, et enfin l'établissement d'un plan daménagement des forêts particulièrement du chêne liège, du cèdre et du chêne-vert. Les aménagements visaient principalement la production du bois d'uvre et d'industrie et la production du liège.
Période 1970-1990:
Après la mise en application de la première génération des aménagements, les forestiers constateront que la régénération naturelle notamment du cèdre et du chêne-liège, les pins et le thuya, ne sinstallait pas comme prévu et décidait alors de revoir les méthodes daménagement de ces essences avec recours à la régénération artificielle
Pour répondre à cet objectif, laménagiste a adopté des modes de traitement et des règles de culture en fonction des types de peuplements et des conditions stationnelles. La régénération artificielle était réservée aux sites où le renouvellement naturel est capricieux.
Cette phase a connu aussi lapparition des aménagements sylvo-pastoraux notamment dans les formations à chêne-vert par la formation de série traitée en futaie pastorale à longue révolution.
Période 1990-2001:
Depuis les années 90, la nouvelle philosophie d'aménagement repose sur les principes de développement durable en se referant aux initiatives des instances internationales. A ce propos, l'aménagiste a adopté une conception nouvelle par ladaptation de laménagement aux principales vocations et à la multi-fonctionalité des formations forestières avec l'implication des populations usagères. Egalement, cette nouvelle vision intègre la dimension environnementale et la conservation de la biodiversité et tend vers une gestion informatisée des forêts.
A quelques modalités dapplication, tenant aux conditions climatiques, les principes directeurs servant de base à la philosophie des aménagements des forêts en Europe ont été appliqués au Maghreb pour laménagement, de plus de 3 millions dha (2 millions dha au Maroc; 600.000 ha en Algérie; et 400.000 ha en Tunisie), soit 30% des forêts naturelles de la région. En effet, le Maghreb est une région de vieilles traditions sylvicoles, et la première génération des aménagements remonte déjà aux années 30. Certaines forêts sont à leur troisième plan daménagement.
En Europe, lévolution du concept daménagement forestier avait accompagné le développement socio-économique; qui sest traduit par un déplacement des besoins tirés de la forêt: bois de qualité, paysagisme, accueil du public, amélioration du patrimoine biologique etc... Ainsi, les aménagements forestiers sefforcent daméliorer simultanément les potentialités et les fonctions de la forêt.
Dans les pays Sud-Méditérrannéens, où la forêt continue à jouer un rôle de premier ordre sur le plan social et pastoral, et malgré leffort consenti pour lélaboration fastidieuse des plans daménagement, lobjectif primordial sur lequel ils ont mis laccent - régénération et pérennité de la forêt- non seulement na pas été atteint, mais la dégradation des écosystèmes forestiers continue avec un rythme inquiétant en terme de dédensification et de défrichement.
Pour illustrer les limites de cette démarche, on étudiera lévaluation de lapplication de deux plans daménagement (1951-72 et 1972-92) dans une suberaie de plaine au Maroc, celle de la Maamora, considérée comme la plus vaste suberaie de plaine au monde, qui occupe actuellement 70.000ha.
· Premier aménagement (1951-1972)
Elaboré selon les normes des forêts tempérées, cet aménagement sest fixé comme objectifs, la production maximale de liège de reproduction, la mise en valeur des vides par des reboisements (Eucalyptus, Pins, Acacia,) et le maintien de chêne-liège là où la régénération est possible.
Lévaluation de lapplication de laménagement a montré labsence de la régénération naturelle, la perte densouchement après recépage, suite à laccroissement de la pression sur la suberaie essentiellement, le parcours, les prélèvements de bois de feu, lécimage et lébranchage. Durant cette période, la superficie de chêne liège est passé de 102.000 ha à 87.000 ha soit une régression de près de 15%.
· Deuxième aménagement (1972-1992)
Elaboré selon le principe de la rentabilité économique, ce deuxième aménagement sétait fixé comme objectifs: (i) le maintien du chêne-liège dans les zones où il est économiquement rentable avec une densité supérieure à 100 souches/ha; (ii) la substitution de chêne-liège par des essences introduites dans les zones où la suberaie est souffrante où le périmètre terrier est inférieur à 80 ml.
Cette nouvelle vision orientée sur les bénéfices financiers réalisables, a permis lextension des plantations deucalyptus sur 38.000 ha. Cette option a été encouragée par la mise en place dune usine de production de pâte à papier à base deucalyptus. Au terme de cet aménagement, la superficie de chêne liège a continué à régresser pour atteindre 67.000 ha soit une régression de près de 23% par rapport à 1972.
Lévaluation de lapplication des deux plans daménagement a fait ressortir une perturbation de lécosystème chêne-liège en Maâmora à travers deux indicateurs pertinents à savoir loccupation des sols et la densité de chêne-liège. En effet, la suberaie a connu une nette régression de 38% en lespace de 40 ans au profit des plantations artificielles dEucalyptus et de pins. En terme de densité, on assiste à une forte dédensification, la classe de densité inférieure à 100 souches/ha est passée de 11.600 ha en 1951 à 57.000 ha soit 75% de la superficie de la suberaie en 1992.
De la mise en uvre de ces aménagement qui ont négligé la dimension sociale et écologique, sont nés de sérieux conflits sociaux avec lamplification du poids des droits dusage compromettant ainsi, le devenir de la forêt au Maghreb par labsence de régénération naturelle, laccentuation du parcours et les ébranchages des peuplements.
Ce constat démontre clairement la limite de l'approche de l'aménagement des forêts Sud-Méditerranéenne, jusquà lors basée, sur les modèles des forêts du Nord de la Méditerranée, dont les fonctions sociales diffèrent de loin des demandes quotidiennes auxquelles nos forêts sont assujetties. En effet, en labsence dalternatives économiques, les populations des zones forestières et péri-forestières se rabattent sur les ressources forestières pour en tirer leurs moyens de subsistance.
Tenant compte des principaux problèmes identifiés dans ces zones à savoir: la faiblesse des revenus en milieu rural, la dégradation des ressources naturelles, lisolement et le manque daccès à linformation, et linsuffisance des infrastructures de base, la mise en uvre de lapproche classique daménagement demeure contraignante.
Face à léchec de lapproche classique et des résultats modestes obtenus et compte tenu de lévolution de la question forestière depuis le sommet de Rio (1992) par ladoption par la commission des nations unies pour lenvironnement et le développement (CNUED) des principes forestiers non contraignants, la tendance actuelle privilégie lapproche daménagement concerté qui accorde une attention particulière aux concepts de partenariat et de la participation.
Laménagement concerté repose sur lassociation des usagers à lensemble des étapes de létude: conception, identification des unités socio-territoriales, négociation, planification, dimensionnement, réalisation, gestion, suivi et évaluation des actions.
5.1. Principes de base de lapproche.
Lapproche est basée sur la recherche dun aménagement concerté et pluri-objectifs par massif forestier qui tient compte des objectifs de préservation des formations naturelles et de conservation de la biodiversité, des besoins des populations riveraines et des objectifs de développement socio-économique en périphérie de ces massifs.
Il sagit didentifier les vocations des différents espaces forestiers et les formes de gestion les plus appropriées pour préserver et valoriser les ressources de façon durable au bénéfice commun des populations riveraines et de lintérêt collectif.
5.2. Schéma daménagement concerté.
La démarche retenue pour lélaboration de laménagement concerté consiste en:
- La définition des unités socio-territoriales qui serviront de base pour laménagement et la gestion des ressources (commissions locales des forêts et comités massif),
- Lidentification des usagers et des usages pratiquées, ainsi que leur impact sur les ressources naturelles disponibles.
- La définition des différentes vocations forestières, agricoles, et pastorales...etc, pratiquées à léchelle des terroirs de la zone détude.
- La définition consensuelle des objectifs daménagement et des programmes daction proposés pour chaque terroir avec respect du schéma daménagement du territoire au niveau régional.
- La définition des mesures daccompagnement et les moyens de mise en uvre du projet.
Par ailleurs, le schéma daménagement concerté est élaboré selon les étapes suivantes:
5.2.1. Identification des vocations de lespace
Lanalyse de la situation actuelle de lespace forestier et péri-forestier permet, à travers les contraintes et potentialités relevées, détablir des cartes de vocations des espaces qui intègrent la typologie des peuplements, les faciès pastoraux, les données éco-physiographiques du milieu et laptitude des terres et lutilisation actuelle des sols.
Ces cartes de vocation indiquent laffectation optimale qui peut être assignée à chaque espace afin quil puisse assurer une fonction économiquement viable, socialement acceptable et écologiquement faisable.
5.2.2. Diagnostic participatif et concertation
Sur la base de la carte des vocations des espaces forestiers, des entretiens et des réunions danimation sont tenus avec les différents acteurs locaux. Ces discussions portent sur les besoins des populations riveraines (bois-énergie, parcours, apiculture autres.....) et les différentes façons de les satisfaire pour être en conformité avec la vocation de lespace.
Le diagnostic participatif est basé sur le principe de concertation avec les deux types de structures à mettre en place:
Les commissions locales des forêts (CLF): elles regroupent des représentants des communautés utilisant un même espace forestier et agricole (terroir). Cest une instance de concertation et de résolution des problèmes plus ciblés dans lespace et constituent des relais locaux plus proches des douars que le comité massif.
Le comité de massif: est constitué, en plus des représentants des CLF, des représentants des différents acteurs concernés par le développement local. Cest une instance de concertation et de coordination pour lorganisation de lexercice des droits dusage au niveau dun massif forestier. Egalement, ce comité participe à lélaboration et à la mise en uvre du plan daménagement concerté et à la sensibilisation des populations et des communes concernées à la nécessité dune approche globale daménagement des zones forestières et péri-forestières.
5.2.3. Plans de développement: Propositions daménagement et plan de gestion
Les directives daménagement de lespace forestier et péri-forestier sont élaborés Sur la base du diagnostic de la situation actuelle et de la concertation avec les commissions locales des forêts. Par ailleurs, le plan de gestion traduit les directives en actions programmées dans le temps et dans lespace. La programmation est faite sur la base de «paquets dactions» identifiés à partir du diagnostic participatif dans un cadre cohérent qui prend en compte les zones forestières et péri-forestières. Les actions rurales sont négociées dans le souci de faire aboutir les programmes de reforestation, de sylviculture et de préservation de la biodiversité.
5.3. Evaluation préliminaire et résultats.
Laménagement concerté a été initié depuis 1998 dans une région forestière au Nord du Maroc, soit la région du Rif connue par son relief accidenté, son agressivité pluviométrique (1200 à 2000 mm/an), lampleur des phénomènes dérosion et particulièrement par la forte densité des populations avec plus de 100 habitants/km². Les écosystèmes forestiers du Rif sont soumis à de multiples contraintes dordre socio-économique et juridique qui pèsent lourdement sur la gestion des ressources naturelles. Les deux principales causes de dégradation directe du capital forestier dans cette région sont le défrichement pour la mise en culture et la coupe de bois de chauffage et de feu avec une moyenne de 12 tonnes/ménage/an, qui contribuent pour près de 90 % au processus de déforestation.
Lévaluation préliminaire de cette expérience daménagement concerté, fait ressortir les principaux résultats suivants:
i) Sur le plan social:
La mise en place dune quarantaine dassociations de développement local pour la gestion des infrastructures collectives;
Lorganisation des femmes rurales autour d activités génératrices de revenus: artisanat, couture, apiculture, huilerie collective et sériciculture....
la subvention des fours collectifs développés localement dont la gestion est assurée par des groupements féminins au niveau de la communauté villageoise.
Ces mesures sociales ont permis lallègement de la pénibilité de la femme rurale en la libérant de ses charges quotidiennes notamment, le ramassage et le colportage du bois de feu, lui permettant de profiter des programmes dalphabétisation avec lappui des ONG locales;
ii) Sur le plan des infrastructures socio-économiques:
La mise en place des infrastructures rurales: pistes (120 km), adduction deau potable au profit de 875 ménages;
La construction de salles de cours et de centres de santé;
La construction de centre dapprovisionnement en butane.
Ces actions ont permis le désenclavement des communautés rurales en améliorant les possibilités daccès aux services sociaux et à linformation, dacquisition dintrants et de commercialisation des productions locales.
iii) Sur le plan écologique
La reconstitution des écosystèmes forestiers à travers lintensification des programmes de reforestation: régénération, reboisement, et sylviculture;
La restauration des sols au niveau des terrains privés particulièrement par des actions de DRS fruitière;
La réduction des prélèvements en bois de feu de plus de 50 %.
Ces résultats préliminaires révèlent lopportunité quoffre laménagement concerté pour la consolidation des compétences, des intérêts et des capacités locales pour une gestion durable des ressources naturelles. Cependant certains préalables restent indispensable à la réussite de cette expérience à savoir:
Laffectation des ressources doit correspondre à une programmation flexible des activités;
La nécessité de lintégration des actions de développement et de gestion des ressources naturelles par zone homogène en vue de favoriser une synergie entre les différentes composantes du projet et lémergence de pôles de développement (forêt, élevage, irrigation, arboriculture fruitière...).
La concentration des actions dans le temps et dans lespace, de manière à assurer un impact direct et rapide sur les conditions de vie des populations.
Fort des expériences et des leçons tirées sur un siècle de gestion forestière et en s'inspirant des recommandations de la CNUED (Rio 1992) et du PAF-Méditérranéen, les pays du Maghreb ont pris conscience de la dimension sociale et de la nécessité de lutte contre la pauvreté rurale dans lélaboration des stratégie à moyen et à long terme de développement durable des zones forestières et péri-forestières.
Dans cette logique, la stratégie forestière maghrébine doit sappuyer, désormais, sur la politique nationale daménagement du territoire et doit répondre aux besoins prioritaires des populations des zones forestières et péri-forestières. Ainsi, le modèle daménagement concerté doit être entrepris et suivi en partenariat avec les principaux groupes dintérêt dans le cadre dune politique de développement rural intégré.