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L'aménagement concerte: Une nouvelle approche pour la gestion des forêts Sud-Méditérrannéens

BENZYANE Mohamed, NAGGAR Mustapha, LAHLOU Bouchra


RESUME

L’aménagement forestier a connu une évolution différentielle entre le nord et le sud de la Méditerranée. Dans la rive nord de la Méditerranée, l’évolution du concept d’aménagement accompagne le développement socio-économique, qui s’est traduit par un déplacement des besoins tirés de la forêt: bois de qualité, paysagisme, accueil du public, amélioration du patrimoine biologique... etc. Ainsi, les aménagements s’efforcent d’améliorer simultanément les potentialités et les fonctions de la forêt.

Cependant, au Sud de la Méditerranée, l’exécution des plans d’aménagement type-forêt tempérée, n’a pas permis, non seulement, d’atteindre l’objectif primordial sur lequel ils ont mis l’accent à savoir; la régénération des ressources forestières, mais la dégradation de ces écosystèmes a continué avec un rythme important. En effet, élaborés selon le principe du rendement soutenu, ces aménagements ne prenaient pas suffisamment en considération la dimension socio-économique des zones forestières et péri-forestières. Tenant compte de ce constat, de nouvelles approches d’aménagement basées sur la participation et la concertation avec les populations riveraines sont développées.

Mots clés: Forêt; Méditerranée; Aménagement; Partenariat; Participation; Concerté.


1. CARACTERISTIQUES DES FORETS MEDITERRANEENNES

La forêt méditerranéenne s’étend sur près de 81 millions d’hectares, soit 1,5% de l’ensemble des surfaces boisées de la planète; elle est caractérisée par une grande hétérogénéité qui a favorisé l’apparition de nombreuses espèces forestières et a permis la constitution de multiples écosystèmes. Cependant, celle-ci reste soumise à un climat irrégulier et des perturbations fréquentes qui amplifient sa diversité et entraînent une certaine fragilité. Cette situation se complique davantage par l’extension des activités humaines en forêt telles que l’agriculture, l’élevage, l’urbanisation, qui se traduisent impérativement par le recul du couvert forestier et une diminution de la biodiversité initiale.

En effet, la forêt méditerranéenne constitue une richesse économique et un bien social par les multiples services qu’elles offre au profit des populations riveraines: bois de chauffe, bois de service, glands, noix, champignons, plantes aromatiques et médicinales. Egalement, la forêt par ses ressources pastorales vertes constitue un espace pastoral par excellence et demeure le seul refuge pour le bétail en période de sécheresse.

De part et d’autre de la Méditerranée, les conséquences environnementales préoccupent aujourd’hui les pouvoirs publics, qui en Europe méditerranéenne, redoutent les incendies de forêts favorisées par l’abandon des activités agro-pastorales et qui au Maghreb s’inquiètent de la dégradation du milieu marquée par le recul des forêts et l’ampleur des problèmes d’érosion.

2. EVOLUTION DU CONCEPT D’AMENAGEMENT DES FORETS SUD MEDITERRANEENNES

Au Maghreb, les règles d’aménagement ont suivi l'évolution de la politique forestière. L'aménagiste, ayant acquis de nouvelles expériences, forge de nouveaux instruments pour faire face aux contraintes sociales et améliorer la production des essences forestières.

L’évolution de l'aménagement forestier a connu cinq phases principales:

Avant 1914:

Durant cette période, la forêt faisait parti des bien collectifs des tribus usagers. La notion d'aménagement de forêts ou de règlement d'exploitation était quasiment absente. L'exploitation forestière avait pour but la satisfaction des besoins en bois et en charbon des grandes agglomérations urbaines.

Période 1914-1939:

Avec l’avènement du protectorat, la forêt a été domanialisée et la gestion des forêts a été confié à l’Administration Forestière qui venait d’être crée. Cette période a connu un vaste programme de recépage pour mettre de l'ordre dans les forêts feuillues notamment, celles du chêne-vert et du chêne liège. Certaines mesures ont été prises afin de restaurer la forêt et contrôler les exploitations (règlement d’exploitation, organisation de la profession) qui portent préjudice à la régénération. Désormais, cette phase de reconstitution fut perturbée par la deuxième guerre mondiale qui a bouleversé l’équilibre difficilement obtenu.

Période 1940-1970:

Les premiers plans d'aménagement ont vu le jour, les buts recherchés ont été la remise en état des peuplements, la régénération assistée et la reconstitution des forêts naturelles, et enfin l'établissement d'un plan d’aménagement des forêts particulièrement du chêne liège, du cèdre et du chêne-vert. Les aménagements visaient principalement la production du bois d'œuvre et d'industrie et la production du liège.

Période 1970-1990:

Après la mise en application de la première génération des aménagements, les forestiers constateront que la régénération naturelle notamment du cèdre et du chêne-liège, les pins et le thuya, ne s’installait pas comme prévu et décidait alors de revoir les méthodes d’aménagement de ces essences avec recours à la régénération artificielle

Pour répondre à cet objectif, l’aménagiste a adopté des modes de traitement et des règles de culture en fonction des types de peuplements et des conditions stationnelles. La régénération artificielle était réservée aux sites où le renouvellement naturel est capricieux.

Cette phase a connu aussi l’apparition des aménagements sylvo-pastoraux notamment dans les formations à chêne-vert par la formation de série traitée en futaie pastorale à longue révolution.

Période 1990-2001:

Depuis les années 90, la nouvelle philosophie d'aménagement repose sur les principes de développement durable en se referant aux initiatives des instances internationales. A ce propos, l'aménagiste a adopté une conception nouvelle par l’adaptation de l’aménagement aux principales vocations et à la multi-fonctionalité des formations forestières avec l'implication des populations usagères. Egalement, cette nouvelle vision intègre la dimension environnementale et la conservation de la biodiversité et tend vers une gestion informatisée des forêts.

3. L’AMENAGEMENT DES FORETS TEMPEREES PRIS COMME BASE POUR L’AMENAGEMENT DES FORETS AU MAGHREB: LIMITES DE LA DEMARCHE

A quelques modalités d’application, tenant aux conditions climatiques, les principes directeurs servant de base à la philosophie des aménagements des forêts en Europe ont été appliqués au Maghreb pour l’aménagement, de plus de 3 millions d’ha (2 millions d’ha au Maroc; 600.000 ha en Algérie; et 400.000 ha en Tunisie), soit 30% des forêts naturelles de la région. En effet, le Maghreb est une région de vieilles traditions sylvicoles, et la première génération des aménagements remonte déjà aux années 30. Certaines forêts sont à leur troisième plan d’aménagement.

En Europe, l’évolution du concept d’aménagement forestier avait accompagné le développement socio-économique; qui s’est traduit par un déplacement des besoins tirés de la forêt: bois de qualité, paysagisme, accueil du public, amélioration du patrimoine biologique etc... Ainsi, les aménagements forestiers s’efforcent d’améliorer simultanément les potentialités et les fonctions de la forêt.

Dans les pays Sud-Méditérrannéens, où la forêt continue à jouer un rôle de premier ordre sur le plan social et pastoral, et malgré l’effort consenti pour l’élaboration fastidieuse des plans d’aménagement, l’objectif primordial sur lequel ils ont mis l’accent - régénération et pérennité de la forêt- non seulement n’a pas été atteint, mais la dégradation des écosystèmes forestiers continue avec un rythme inquiétant en terme de dédensification et de défrichement.

Pour illustrer les limites de cette démarche, on étudiera l’évaluation de l’application de deux plans d’aménagement (1951-72 et 1972-92) dans une suberaie de plaine au Maroc, celle de la Maamora, considérée comme la plus vaste suberaie de plaine au monde, qui occupe actuellement 70.000ha.

· Premier aménagement (1951-1972)

Elaboré selon les normes des forêts tempérées, cet aménagement s’est fixé comme objectifs, la production maximale de liège de reproduction, la mise en valeur des vides par des reboisements (Eucalyptus, Pins, Acacia,) et le maintien de chêne-liège là où la régénération est possible.

L’évaluation de l’application de l’aménagement a montré l’absence de la régénération naturelle, la perte d’ensouchement après recépage, suite à l’accroissement de la pression sur la suberaie essentiellement, le parcours, les prélèvements de bois de feu, l’écimage et l’ébranchage. Durant cette période, la superficie de chêne liège est passé de 102.000 ha à 87.000 ha soit une régression de près de 15%.

· Deuxième aménagement (1972-1992)

Elaboré selon le principe de la rentabilité économique, ce deuxième aménagement s’était fixé comme objectifs: (i) le maintien du chêne-liège dans les zones où il est économiquement rentable avec une densité supérieure à 100 souches/ha; (ii) la substitution de chêne-liège par des essences introduites dans les zones où la suberaie est souffrante où le périmètre terrier est inférieur à 80 ml.

Cette nouvelle vision orientée sur les bénéfices financiers réalisables, a permis l’extension des plantations d’eucalyptus sur 38.000 ha. Cette option a été encouragée par la mise en place d’une usine de production de pâte à papier à base d’eucalyptus. Au terme de cet aménagement, la superficie de chêne liège a continué à régresser pour atteindre 67.000 ha soit une régression de près de 23% par rapport à 1972.

L’évaluation de l’application des deux plans d’aménagement a fait ressortir une perturbation de l’écosystème chêne-liège en Maâmora à travers deux indicateurs pertinents à savoir l’occupation des sols et la densité de chêne-liège. En effet, la suberaie a connu une nette régression de 38% en l’espace de 40 ans au profit des plantations artificielles d’Eucalyptus et de pins. En terme de densité, on assiste à une forte dédensification, la classe de densité inférieure à 100 souches/ha est passée de 11.600 ha en 1951 à 57.000 ha soit 75% de la superficie de la suberaie en 1992.

4. PROBLEMATIQUE DE LA MISE EN ŒUVRE DES AMENAGEMENTS FORESTIERS: TYPES FORETS TEMPEREES

De la mise en œuvre de ces aménagement qui ont négligé la dimension sociale et écologique, sont nés de sérieux conflits sociaux avec l’amplification du poids des droits d’usage compromettant ainsi, le devenir de la forêt au Maghreb par l’absence de régénération naturelle, l’accentuation du parcours et les ébranchages des peuplements.

Ce constat démontre clairement la limite de l'approche de l'aménagement des forêts Sud-Méditerranéenne, jusqu’à lors basée, sur les modèles des forêts du Nord de la Méditerranée, dont les fonctions sociales diffèrent de loin des demandes quotidiennes auxquelles nos forêts sont assujetties. En effet, en l’absence d’alternatives économiques, les populations des zones forestières et péri-forestières se rabattent sur les ressources forestières pour en tirer leurs moyens de subsistance.

Tenant compte des principaux problèmes identifiés dans ces zones à savoir: la faiblesse des revenus en milieu rural, la dégradation des ressources naturelles, l’isolement et le manque d’accès à l’information, et l’insuffisance des infrastructures de base, la mise en œuvre de l’approche classique d’aménagement demeure contraignante.

Face à l’échec de l’approche classique et des résultats modestes obtenus et compte tenu de l’évolution de la question forestière depuis le sommet de Rio (1992) par l’adoption par la commission des nations unies pour l’environnement et le développement (CNUED) des principes forestiers non contraignants, la tendance actuelle privilégie l’approche d’aménagement concerté qui accorde une attention particulière aux concepts de partenariat et de la participation.

5. L’AMENAGEMENT CONCERTE

L’aménagement concerté repose sur l’association des usagers à l’ensemble des étapes de l’étude: conception, identification des unités socio-territoriales, négociation, planification, dimensionnement, réalisation, gestion, suivi et évaluation des actions.

5.1. Principes de base de l’approche.

L’approche est basée sur la recherche d’un aménagement concerté et pluri-objectifs par massif forestier qui tient compte des objectifs de préservation des formations naturelles et de conservation de la biodiversité, des besoins des populations riveraines et des objectifs de développement socio-économique en périphérie de ces massifs.

Il s’agit d’identifier les vocations des différents espaces forestiers et les formes de gestion les plus appropriées pour préserver et valoriser les ressources de façon durable au bénéfice commun des populations riveraines et de l’intérêt collectif.

5.2. Schéma d’aménagement concerté.

La démarche retenue pour l’élaboration de l’aménagement concerté consiste en:

- La définition des unités socio-territoriales qui serviront de base pour l’aménagement et la gestion des ressources (commissions locales des forêts et comités massif),

- L’identification des usagers et des usages pratiquées, ainsi que leur impact sur les ressources naturelles disponibles.

- La définition des différentes vocations forestières, agricoles, et pastorales...etc, pratiquées à l’échelle des terroirs de la zone d’étude.

- La définition consensuelle des objectifs d’aménagement et des programmes d’action proposés pour chaque terroir avec respect du schéma d’aménagement du territoire au niveau régional.

- La définition des mesures d’accompagnement et les moyens de mise en œuvre du projet.

Par ailleurs, le schéma d’aménagement concerté est élaboré selon les étapes suivantes:

5.2.1. Identification des vocations de l’espace

L’analyse de la situation actuelle de l’espace forestier et péri-forestier permet, à travers les contraintes et potentialités relevées, d’établir des cartes de vocations des espaces qui intègrent la typologie des peuplements, les faciès pastoraux, les données éco-physiographiques du milieu et l’aptitude des terres et l’utilisation actuelle des sols.

Ces cartes de vocation indiquent l’affectation optimale qui peut être assignée à chaque espace afin qu’il puisse assurer une fonction économiquement viable, socialement acceptable et écologiquement faisable.

5.2.2. Diagnostic participatif et concertation

Sur la base de la carte des vocations des espaces forestiers, des entretiens et des réunions d’animation sont tenus avec les différents acteurs locaux. Ces discussions portent sur les besoins des populations riveraines (bois-énergie, parcours, apiculture autres.....) et les différentes façons de les satisfaire pour être en conformité avec la vocation de l’espace.

Le diagnostic participatif est basé sur le principe de concertation avec les deux types de structures à mettre en place:

5.2.3. Plans de développement: Propositions d’aménagement et plan de gestion

Les directives d’aménagement de l’espace forestier et péri-forestier sont élaborés Sur la base du diagnostic de la situation actuelle et de la concertation avec les commissions locales des forêts. Par ailleurs, le plan de gestion traduit les directives en actions programmées dans le temps et dans l’espace. La programmation est faite sur la base de «paquets d’actions» identifiés à partir du diagnostic participatif dans un cadre cohérent qui prend en compte les zones forestières et péri-forestières. Les actions rurales sont négociées dans le souci de faire aboutir les programmes de reforestation, de sylviculture et de préservation de la biodiversité.

5.3. Evaluation préliminaire et résultats.

L’aménagement concerté a été initié depuis 1998 dans une région forestière au Nord du Maroc, soit la région du Rif connue par son relief accidenté, son agressivité pluviométrique (1200 à 2000 mm/an), l’ampleur des phénomènes d’érosion et particulièrement par la forte densité des populations avec plus de 100 habitants/km². Les écosystèmes forestiers du Rif sont soumis à de multiples contraintes d’ordre socio-économique et juridique qui pèsent lourdement sur la gestion des ressources naturelles. Les deux principales causes de dégradation directe du capital forestier dans cette région sont le défrichement pour la mise en culture et la coupe de bois de chauffage et de feu avec une moyenne de 12 tonnes/ménage/an, qui contribuent pour près de 90 % au processus de déforestation.

L’évaluation préliminaire de cette expérience d’aménagement concerté, fait ressortir les principaux résultats suivants:

i) Sur le plan social:

Ces mesures sociales ont permis l’allègement de la pénibilité de la femme rurale en la libérant de ses charges quotidiennes notamment, le ramassage et le colportage du bois de feu, lui permettant de profiter des programmes d’alphabétisation avec l’appui des ONG locales;

ii) Sur le plan des infrastructures socio-économiques:

Ces actions ont permis le désenclavement des communautés rurales en améliorant les possibilités d’accès aux services sociaux et à l’information, d’acquisition d’intrants et de commercialisation des productions locales.

iii) Sur le plan écologique

Ces résultats préliminaires révèlent l’opportunité qu’offre l’aménagement concerté pour la consolidation des compétences, des intérêts et des capacités locales pour une gestion durable des ressources naturelles. Cependant certains préalables restent indispensable à la réussite de cette expérience à savoir:

6. CONCLUSION

Fort des expériences et des leçons tirées sur un siècle de gestion forestière et en s'inspirant des recommandations de la CNUED (Rio 1992) et du PAF-Méditérranéen, les pays du Maghreb ont pris conscience de la dimension sociale et de la nécessité de lutte contre la pauvreté rurale dans l’élaboration des stratégie à moyen et à long terme de développement durable des zones forestières et péri-forestières.

Dans cette logique, la stratégie forestière maghrébine doit s’appuyer, désormais, sur la politique nationale d’aménagement du territoire et doit répondre aux besoins prioritaires des populations des zones forestières et péri-forestières. Ainsi, le modèle d’aménagement concerté doit être entrepris et suivi en partenariat avec les principaux groupes d’intérêt dans le cadre d’une politique de développement rural intégré.