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Gestion décentralisée des revenus forestiers et développement local durable: le cas de la commune de Yokadouma est - Cameroun

GERVAIS NZOA


RESUME

L’une des innovations majeures de la réforme forestière entreprise par le Cameroun lors de la décennie 90 a été la consécration formelle de la décentralisation de la gestion des ressources forestières, fondée sur une double dynamique de la décentralisation politique et fiscale. La décentralisation politique consacre la possibilité pour les populations organisées en entités juridiques de solliciter et d’obtenir des forêts communautaires; et les communes d’acquérir et de gérer des forêts communales.

La décentralisation fiscale, quant à elle, repose sur la décentralisation de la gestion des taxes fiscales et des redevances sur les forêts.

Les taxes fiscales sont réparties entre l’Etat, les collectivités territoriales décentralisées et les populations riveraines.

Les fonds transférés aux communes et aux populations riveraines sont gérés par des comités de gestion.

La gestion locale des revenus forestiers est encore loin de satisfaire aux exigences de développement local, c’est-à-dire de contribuer de manière significative à l’amélioration des conditions générales de vie des populations locales par l’instauration d’une dynamique de débat, de discussion et de délibération autour de la gestion des revenus forestiers, la réalisation des œuvres économiques et sociales.

Les pratiques actuelles de gestion locale des revenus forestiers ne sont pas de nature à garantir leur utilisation optimale pour le développement local. Plusieurs problèmes techniques, relationnels, de communication, et opérationnels se posent sur le terrain.

La prise effective et efficace des acteurs locaux dans la gestion des revenus forestiers en vue du développement local est liée à leur capacité à jouer leurs rôles dans le processus et exige de nouvelles approches de gestion des affaires locales basées sur le dialogue, la transparence, la participation, la démocratie, la gouvernance, et le partenariat.


I - CONTEXTE ET JUSTIFICATION

a) La fiscalité forestière décentralisée au Cameroun

La reforme forestière de 1994 et les lois de finance consacrent la répartition des redevances entre l’Etat, les communes et les communautés villageoises riveraines (50% et 50%; soit 40% et 10%)

La finalité de la fiscalité forestière décentralisée se situe sur un triple plan: politique, socio-économique et écologique.

* Finalité politique:

- Contribuer à la construction de la démocratie locale dans la gestion des revenus forestiers et accroître la participation des populations à la prise des décisions sur la gestion des revenus forestiers;

- Asseoir une dynamique des débats, de discussions et de dialogue autour de la gestion des revenus forestiers

* Finalité économique et sociale:

- Contribuer à l’amélioration des conditions de vie des communautés villageoises (réalisation des œuvres sociales: adduction d’eau, construction et entretien des routes, écoles, cases de santé, médicaments, projets, etc.).

* Finalité écologique:

- Accroître et garantir une gestion rationnelle et durable des ressources forestières

La finalité de la fiscalité forestière décentralisée est le développement local. Le développement local est envisagé comme un processus dynamique de construction du mieux être des populations basée sur la gestion des ressources locales dans un démarche où les différents acteurs se rencontrent, échangent, développent et mettent en œuvre un projet de société.

b) l’étude vise les objectifs suivants:

1) Analyser les pratiques locales de la gestion décentralisée des revenus forestiers et de développement dans l’arrondissement de Yokadouma,

2) Déterminer les modes de participation des communautés à la gestion décentralisée des revenus forestiers et au développement durable,

3) proposer des axes d’actions de développement local et de gestion durable des Ressources Naturelles.

II - METHODOLOGIE

Nous avons construit un échantillon représentatif de 100 unités statistiques (commune rurale, comités de gestion des redevances forestières, représentants des populations riveraines, populations locales, sous-préfecture, service forestier de Yokadouma).

Nous avons utilisé une approche participative et itérative pour recueillir et vérifier les informations recherchées.

La collecte des données s’est faite à travers l’analyse documentaire, l’enquête, les entretiens formels et informels, l’observation participante, l’expérimentation.

III - ZONE D’ETUDE: ARRONDISSEMENT DE YOKODOUMA

Yokadouma se trouve dans le département de Boumba et Ngoko, province de l’EST Cameroun.

L’Arrondissement couvre une superficie de 10.100 Km2. Il est limité:

- au Nord arrondissement de Gari-Gombo (département Boumba et Ngoko),

- à l’ouest, arrondissement de Lomié (département du Haut - Nyong),

- au Sud arrondissement de Moloundou (Département de Boumba et --Ngoko).

- A l’Est, Nola (Republique Centrafricaine),

La ville de Yokodouma se trouve à 300 Km de Bertoua, 650 Km de Yaoundé, et environ 900 Km du port de Douala.

Le relief a une altitude moyenne de 700 m. le climat de cette localité est équatorial chaud et humide avec quatre saisons (Grande saison des pluies, petite saison de pluies, grande saison sèche, petite saison sèche). La pluviométrie annuelle oscille entre 23° et 25° avec de faibles amplitudes de 2° à 4° C.

Les sols sont de nature ferralitique. La végétation est celle de forêt dense et humide. L’hydrographie est constituée du cours d’eau Boumba avec ses nombreux affluents Bangué, Landjoué, Bikéa, Moabal, Medoum, Mpandja, Lokomo,...etc.

La faune est très riche et variée (espèces animales de forêt équatoriale: reptiles -grands mammifères: éléphant, gorille, chimpanze ...etc).

Sur le plan socio-culturel, Zok-A-DOUMA (Yokadouma) en langue locale «l’éléphant ne tombe jamais». L’Arrondissement à une population de 74 390 habitants. Les principales activités socio-économiques sont l’agriculture, la chasse, la pêche, la cueillette, l’élevage, l’industrie forestière, le commerce, etc.

IV - ETAT DES LIEUX

L’objectif de la nouvelle loi forestière est de « pérenniser et développer les fonctions économiques, écologiques et sociales des forêts dans le cadre d’une gestion intégrée et participative qui assure de façon soutenue et durable la conservation et l’utilisation des ressources et des écosystèmes forestiers»;

En matière de fiscalité forestière décentralisée, l’article 68 de la nouvelle loi forestière stipule:

Þ Alinéa 2: «En vue du développement des communautés villageoises riveraines de certaines forêts du domaine national mises sous exploitation, une partie des revenus tirés de la vente des produits forestiers doit être reversée au profit des dites communautés selon des modalités fixées par décret»

Þ Alinéa 3: «la contribution à la réalisation des œuvres sociales est reversée en totalité aux communes concernées. Elle ne peut recevoir aucune autre affectation».

A - Cadre général de la Fiscalité décentralisée

Les supports juridiques des pouvoirs transférés aux acteurs locaux sur la gestion des ressources forestières sont:

Þ La loi n°94/01 du 20 Janvier 1994 portant régime des forêts, de la faune et de la pêche, son décret d’application n°95/531/PM du 23/08/95 fixant modalités d’application du régime des forêts;

Þ Le décret n°98/009 du 23 janvier 1998 fixant les modalités de recouvrement des droits, redevances et taxes relatifs à l’activité forestière;

Þ L’arrêté conjoint MINAT - MINEFI n° 000122 du 29 Avril 1998 fixant les modalités d’ emploi des revenus de l’exploitation forestière et destinés aux communautés villageoises riveraines;

Þ La lette circulaire n°370/LC/MINEF/CAB du 22 Février 1996 instituant les 1000 FCFA /m3 de bois exploité à verser aux populations riveraines;

Þ La loi des finances (2000/2001).

Ces textes reconnaissent aux communes et communautés villageoises le droit d’accès aux revenus forestiers une certaine autonomie de gestion des revenus.

B - Partage des bénéfices de l’Exploitation Forestière

1- LA PART DE L’ETAT

a) La redevance forestière annuelle: Elle est fonction de la superficie connue à l’exploitation, et dont le taux est fixé par la loi de finances. L’Etat perçoit cinquante pour cent.

b) La taxe d’abattage: Elle représente le montant que l’Etat perçoit sur chaque mètre cube de bois abattu.

c) La surface à l’exportation des produits non transformés: Les grumes doivent être transformées par essence à hauteur de 70% de leur production par l’industrie locale. Toute exportation de grumes au delà de ce seuil est soumis à une surtaxe progressive.

d) Autres droits et taxes

2 - LA PART DE LA COMMUNE

La commune perçoit 40% de la redevance forestière

3 - LA PART DES POPULATION RIVERAINES

Les populations locales perçoivent:

La loi n°94/01 du 20 Janvier 1994 portant régime des forêts de la faune et de la pêche a prévu des dispositions précises afin de favoriser la protection de la faune, la flore et les habitants. Dans notre cas, nous nous sommes limités au secteur bois.

C - Pratiques de gestion locale

Une analyse des pratiques observées sur le fonctionnement des comités de gestion de la redevance forestière nous a permis d’établir:

a) Acquis appréciables:

Au niveau institutionnel:

- Réglementation en la matière
- Mise en place des comités de gestion des redevances
- Début de fonctionnement des comités
- Amorce des échanges et du dialogue avec les populations

Au niveau opérationnel:

- Réalisation des infrastructures et œuvres sociales: construction ou réfection des salles de classe, des cases de santé, des cases communautaires, réfection des églises, payement des enseignants, forage des puits, équipements scolaires et hospitaliers, acquisition de tronçonneuses, des téléviseurs avec antennes paraboliques, des presses à briques, aides universitaires, etc.

b) Foisonnement des problèmes

Techniques:

Faiblesse des connaissances partagées des acteurs locaux (élus, administrations et populations, etc.) sur les aspects fondamentaux de la gestion locale des revenus forestiers (législation réglementation sur la fiscalité forestière décentralisée, les procédures de recouvrement, de distribution, d’affectation, d’utilisation et de gestion des revenus forestiers, etc.)

Relationnels et communicationnels:

- Multiplicité et diversité des conflits latents et apparents entre les familles au sein des communautés, entre les populations villageoises et les mairies, entre les mairies les préfectures ou sous- préfectures et les postes forestiers, et parfois encore avec les exploitants forestiers.

- Faiblesse de concertation, de discussion et de dialogue entre toutes les parties prenantes (populations, collectivités territoriales décentralisées, exploitants et ONGs; crise de confiance et suspicion entre les populations, les mairies, administrations locales.

- Déficit d’informations et de communications entre les acteurs centraux du processus; les informations sur les sommes financières versées et effectivement perçues par les mairies ne circulent pas; les représentants des populations au sein des comités n’informent pas la base; les réunions des comités ne sont pas tenues régulièrement.

Opérationnels:

Faible lisibilité et divergence des statistiques au niveau des administrations centrales entre elles et les acteurs locaux, difficultés de spécification des fonds forestiers à l’intérieur des comptes communaux, faiblesse de transparence dans la gestion des fonds; les comptabilités communales non outillées; déficit de fonctionnement régulier et démocratique des comités de gestion des redevances, les infrastructures et les œuvres sociales réalisées sont insuffisantes par rapport aux attentes et au fonds versés et parfois inachevées, les populations et leurs représentants ne participent pas suffisamment à la prise de décision sur les réalisations à effectuer, etc.

Toutes ces situation sont dues à une insuffisance on faible organisation des acteurs locaux et au manque d’un plan de développement local. Ceci nécessite un programme de renforcement des capacités et d’appui accompagnement de la commune rurale de Yokadouma, des administrations publiques locales et des communautés villageoises riveraines dans la gestion des ressources naturelles en vue du développement local.

V - PROPOSITIONS D’ACTIONS

- Mise en place d’une structure pour assurer l’appui accompagnement des acteurs locaux et cadre de concertation;

- Programme sensibilisation et information des parties prenantes;

- Programme / Plan de formation des acteurs locaux

- Plan Aménagement de l’espace rural et urbain;

- Création structure d’épargne et crédit;

- construction et entretien infrastructures sociales et de communication;

- recrutement cadres développement;

- mise en place d’un système d’information sur le marketing des produits forestiers et fauniques;

- promotion voyage d’échange d’expériences entre populations riveraines;

- développement écotourisme;

- ouverture d’un centre de documentation;

- mise en place d’une unité d’appui et de suivi des actions de foresterie communautaire animée par des facilitateurs en gestion des ressources forestières et fauniques;

- appui technique et institutionnel des institutions locales.