0216-B1

Utilisation et gestion des produits forestiers - Non ligneux au Congo

MADINGOU Jean Simplice


RESUME

La forêt congolaise compte plus de 20 millions d’hectares repartis en trois massifs:

- Mayombe: 1,5 million d’hectares
- Chaillu: 3,5 millions d’hectares
- Nord-Congo: 15,5 millions d’hectares

En effet, la forêt regorge non seulement de bois d’œuvre de très haute valeur (Okoumé, Limba, sapelli,bilinga, etc) mais également de produits forestiers non ligneux indispensables à l’économie de ménage, à la sécurité alimentaire, à la pharmacopée et à l’artisanat.

Les enquêtes menées pendant trois mois par trois équipes de cinq personnes sur les marchés de Pointe-Noire ont eu pour but de:

A l’issue de ces enquêtes, sur un échantillon de 60%, les conclusions suivantes ont été tirées:

A. Plantes médicinales: sur 40 plantes recensées, 60,7% sont d’origine forestière. Il ressort que les écorces, les racines et les feuilles sont les parties les plus utilisées de l’arbre dans la pharmacopée traditionnelle.

B. Plantes comestibles: des 18 plantes recensées, dont certaines peuvent aussi servir à la pharmacopée, il ressort que les fruits sont les plus consommés.

C. Les plantes à usage artisanal sont essentiellement représentées par les rotins et les lianes employés en vannerie et en fabrication des meubles.

Les résultats des enquêtes permettent de constater que la demande croissante des produits forestiers non ligneux par les populations expose les plantes à la destruction, provoquant ainsi un déséquilibre de l’écosystème. C’est pourquoi une gestion rationnelle des forêts s’impose. Il serait souhaitable de protéger et de domestiquer les plantes en voie de disparition les plus sollicitées.


I- Introduction

Avec plus de 20 millions d’hectares, la forêt congolaise est constituée d’un potentiel très important de bois d’œuvre, en particulier de bois rouge de haute valeur commerciale. Elle représente respectivement 60% du territoire national et 10% des forêts denses du continent africain. On y distingue trois grands massifs:

- Le massif du Mayombe, situé à l’extrême sud du pays et couvrant environ 1,5 millions d’hectares;

- Le massif du chaillu, localisé au sud-ouest, couvrant 3,5 millions d’hectares;

- Le massif du Nord-Congo, le plus important en terme de superficie avec environ 15,5 millions d’hectares.

Les massifs du Mayombe et du Chaillu, facilement accessibles par route et par chemin de fer et très riches en deux essences Aucoumea klaineana (Okoumé) et Terminalia superba (Limba) possèderaient encore environ 20 millions de m3 de bois commercialisables sur pied.

Du fait de la proximité du port de Pointe Noire et de la facilité d’accès ces deux massifs subissent une exploitation intense depuis une cinquantaine d’années, entraînant ainsi un épuisement relatif des essences de valeur commerciale.

Sur les 15,5 millions d’hectares du massif du Nord-Congo, les forêts sur terres fermes couvrent près de 9 millions d’hectares avec un potentiel exploitable de 130 millions de m3, dont les essences rencontrées sont le Sipo, le Sapelli, le Tiama, etc. Les forêts sur terres périodiquement inondées occupent environ 6,5 millions d’hectares.

Outre la ressource ligneuse, les forêts congolaises regorgent d’immenses produits forestiers non ligneux d’origine végétale et animale.

Dans le cadre de la présente contribution volontaire au XII Congrès Forestier Mondial, nous allons nous intéresser particulièrement aux produits forestiers non ligneux d’origine végétale.

Depuis quelques années, l’intérêt de ces produits, en termes de pharmacopée, sécurité alimentaire et artisanat, est croissant dans l’économie des ménages tant en campagne que dans les villes.

Les Produits Forestiers Non Ligneux relèvent principalement du secteur informel; ils sont généralement prélevés, utilisés ou commercialisés directement par les populations.

Dans le cadre du Programme d’Aménagement Forestier National (PAFN), une nouvelle politique forestière visant la gestion durable de toutes les ressources forestières et la conservation de la diversité biologique est en vigueur depuis 1995.

De façon plus spécifique, la présente étude s’articule autour de l’importance socio-économique et culturelle des produits forestiers non ligneux dans la vie des Congolais, suite à une enquête menée sur les marchés de la ville de Pointe Noire.

II. OBJET ET ORGANISATION DE L’ENQUETE:

II-1 Objet de L’enquête

L’enquête vise à inventorier les produits forestiers non ligneux les plus consommés, connaître leur utilisation et leur importance dans la vie socio économique, afin d’envisager des solutions.

II-1-1 Organisation de L’enquête

Les enquêteurs, sélectionnés sous la base d’un diplôme de brevet d’études du premier cycle ont suivi un séminaire d’informations, sur les produits forestiers non ligneux et la collecte des données sur la base d’un questionnaire préalablement établi.

Ensuite les enquêteurs ont été repartis en 3 équipes de 5 personnes. Ils se déplaçaient soit en taxi, soit en bus, selon le lieu de l’enquête

II-2-1- MATERIEL

Deux types de balances ont été utilisés

- Une balance EXCEL d’une capacité de 10 kg avec une précision de 1%;
- Un peson SCALE d’une capacité de 22 kg.

II-2-2 Méthode d’étude

Les enquêteurs se rendaient sur les marchés et points de vente déjà retenus (marché central, liberté, Mpaka, Tietié), avec l’aide des fiches questionnaires, les enquêteurs interrogeaient au hasard les revendeurs des différents produits. L’identification botanique des échantillons des produits se faisait sur le terrain à partir de leur nom local et de la connaissance empirique des plantes. Cependant, quand l’identification des produits posait problème, les enquêteurs l’achetaient après l’avoir pesé pour en déterminer le poids et le prix. A la fin de la journée, la plénière des enquêteurs procédaient au dépouillement des résultats.

L’enquête a duré 3 mois sur un échantillon de 60%. Elle s’est déroulée dans des bonnes conditions.

Un ensemble des documents traitant des produits forestiers non ligneux à été regroupé pour constituer le fond documentaire du groupe.

III- Les principaux résultats

Les résultats des différents échantillons des plantes représentés dans les tableaux ci-dessous ont été obtenus soit à partir: de l’élimination de la plante, de la cueillette, de l’abattage de l’arbre.

Ils ont été classés selon leur utilisation en; plantes médicinales, plantes comestibles et plantes à usage artisanal.

III-1 Les plantes médicinales

Sur les 40 plantes médicinales recensées sur les étalages des marchés, 60,7% sont d’origine forestière et 46,3% récoltées en savanes, ce qui montre aisément que la forêt demeure la grande source d’approvisionnement.des produits forestiers non ligneux.

Répartition des plantes médicinales:

La figure 1 montre la répartition des plantes médicinales suivant leur type morphologique.

Fig. n° 1: Types morphologiques des plantes médicinales

Il apparaît dans cette figure que les produits médicinaux issus des arbres sont les mieux représentés.

Différentes parties de la plante utilisée

Dans la médecine traditionnelle, on utilise généralement certaines parties bien distinctes de la plante: racines, écorces, feuilles, fleurs, cendre, sève ou rameaux etc. pour traiter des affections.

La figure 2 ci-dessous montre que les écorces, les racines et les feuilles sont les plus couramment utilisées dans la pharmacopée traditionnelle.

Figure 2: Répartition d’espèces végétales médicinales suivant les parties de la plante utilisée.

Différentes affections traitées par type d’essence

Tableau 1: Plantes médicinales et affections traitées

Nom Scientifique

Nom Local (Lari)

Partie Utilisée

Affection traitée

Comportement

01

Pentaclethra macrophylla

Mpanzu

Fruits et Ecorces

*Rhumatisme
*Antibactérien

Demandé

02

Ongokea gore

Muhumi wa sangui

Ecorce

*Constipation

Très demandé

03

Acridocarpus sp

Mugomboro

Racine

*Anemie
*Aphrodisiaque
*Lombago

Demandé

04

Raphia hookeri

PIKI

Fruit

Plante Médico Magique

Demandé

05

Morinda lucida

Mussiki

Racine

*Paludisme
*Hernie
*Dermatose

T.demandé

06

Heinsia crinita

Munkombo

Racine

Asthémie sexuelle +miel = trouble de mémoire fièvre Typhoïde

demandé

07

Pausynistalia johimbe

Mu Nkuontolo

Ecorce

Asthénie sexuelle

Très demandé

08

Hua gaboonii

Mumpipi

Ecorce

Plante magique

Très demandé

09

Petersianthus macrocarpus

Minzu

Ecorce

Rhumatisme

Demandé

10

Buccholzia macrocarpus

Nsongo nkama

Fruit (amende)

Douleur abdominale

Peu demandé

11

Quassia africana

Mumpessi

Racine

Paludisme

Très demandé

12

Alchornea cordifolia

Mu bunzila

feuille racine

*Toux
*Bain intime

Demandé

13

Markhmia sessilis

Ngoma lobota

Racine

Douleur abdominale

Demandé

14

Anchomanes difformis

Tchikua tchiaarapluie

Tubercule

*Hernie
*Stérilité secondaire

Demandé

Peu demandé

15

Pentaclethra eetveldeana

Kibozi

Ecorce

Carie dentaire

Peu demandé

16

Croton haumanianus

Nsansaku

Ecorce

Asthénies sexuelles

Demandé

17

Symphonia globulifera

Nsongoti

Ecorce

Hémorroïdes

Demandé

18

Ficus sp

Mussanda

Racine

Constipation

Peu Demandé

19

Pentadiplandra brazzae

Nti Ngunza

Racine

Asthénies sexuelles

Demandé

20

Selaginella myosorus

Singa-Ntsambi

Plante entière

Douleur abdominale

Demandé

21

Morinda morindoides

kongo bololo

Rameau feuillé

*Paludisme
*Bain intime

Très demandé

22

sapium cornutum

Ntiiti

Feuille

Diabète

Demandé

23

Hymenocardia ulmoides

Nsangani

Feuille

Anémie

Demandé

24

Chaetocarpus africanus

lubundu

Feuille

Toux

Peu demandé

25

Trema guineensis

Mu yayaka

feuille

Gastrite

Très demandé

26

Aframomum stipulatum

Ntundu za makanga

Rhizome

*Hyperthermie
*Maux de tête

Demandé

27

Bridelia ferruginée

kikolokoto

ecorce

Bain interne Hémorroïde Anémie Blennorragie

Très demandé

28

Nauclea latifolia

Tsienga

racines

Fièvres Typhoïde maladie vénérienne diabète

Très demandé

29

Clerodendron spenesceurs

Nkassa ya makanga

Plante entière

dermatose

Peu demande

30

Cassia alata

Lukaya lua nzazi

Familles fraîches

dermatose

Peu demandé

31

Momordica charantia

lumbizi

Plante entière

Douleurs abdominales

Demandé

32

Dichrostachys glomerata

Nsendé mpanga

Ecorces racines

courbature

Demandé

33

Gordenia tenuifolia

Kilembé nzaou

Rameaux

fortifiant asthmie sexuelle

demandé

34

Vitex madiensis

mfilu

Rameaux feuille

courbatures

Demandé

35

cymbopogon

lualuango

feuilles

toux

Demandé

36

Strychnos coculoïdes

Kinkouki

rameaux

Carie dentaire

Peu demandé

37

Snisophyllea guangensis

mbalango

racines

polymenorrhée

Demandé

38

Anoma senegalensis

mulolo

Rameaux feuille

asthemie sexuelle

Demandé

39

Cassytha filiformis

yelenguengue

Plante entière

Plante médico-magique

Demandé

40

Canavalia sp

kikumbi

graines

Plantes médico-magiques

demandé

Au vu du tableau ci-dessus, il ressort que la demande en plante médicinale est plus forte, pour les maladies des appareils digestifs, génitaux et cardio-vasculaire. Il montre le besoin ardent de ces différentes plantes dans la pharmacopée et implique une ruée de la population dans la forêt.

Cependant le prélèvement anarchique des racines et des écorces constitue une menace pour la survie de la plante.

III-2 Les plantes comestibles spontanées:

En ce qui concerne les plantes comestibles, on distingue les parties appartenant à l’appareil végétatif (38,8%) et celles appartenant à l’appareil reproducteur (62,2%).

Le tableau 2 montre la liste de quelques plantes alimentaires rencontrées sur les marchés.

Tableau 2: plantes comestibles spontanées

Noms scientifiques

Nom local

Parties utilisées

Comportement

1, Gambeya africana

Baamu

Fruits

Très demandé

2. Gambeya lacourtiana

Baamu

Fruits

Demandé

3. Grewia coriacea

Ntsui téké

Fruits

Très demandé

4. Dioscorea liebrechtsiana

Ntinia

Jeunes tiges

Très demandé

5. Landolphia owariensis

lombo dia nziéta

Fruits

Demandé

6. Landolphia sp.

Mangankata

Fruits

Très demandé

7. Aframomum giganteum

Ntundu za mamba

Fruits

Très demande

8. Aframomum stipulatum

Ntunndu za makanga

Fruits

Très demandé

9. Dialium corbisieri

ki mée

Fruits

Très demandé

10. Anisophyllea quangensis

Mbalango

Fruits

Très demandé

11. Landolphia jumellei%

Tsiya

Fruits

Très demandé

12. Hippocratea micrantha

Mbondi

feuilles

Très demandé

13. Ancystrophyllum secundiflorum

Mu kawa

Jeune tige

Très demandé

14. Garcinia kola%l

Ngaradia

Fruits

Très demandé

15. Trilepisium madagascariensis

Musekeni

Feuilles

Très demandé

16. Gnetum africanum

Mfumbu za bikenengue

Feuilles

Très demandé

17. Gnetum buchholzianum

mfumu za bissaka

Feuilles

Très demandé

18. Psophocarpus scandens = P. palustris

Mundina

feuilles

Très demandé

Dans ce tableau les fruits sont les plus consommés. Cette liste n’est cependant pas exhaustive à cause des variations saisonnières.

III-3 Les plantes à usage artisanal

Les plantes artisanales sont essentiellement représentées par les rotins et les lianes. Ils sont largement utilisé en vannerie et dans la fabrication des meubles, et sont repartis en quatre genres:

a) Ancistrophyllum ou laccosperma
b) Eremospatha
c) Oncocalamus
d) Calamus

Figure 3: Proportion du nombre d’espèces par genre de rotins rencontrés au Congo (sources Moussala 2001)

Le genre Eremospatha est le plus représenté comparativement aux trois autres.

Le devenir des produits forestiers non ligneux revêt un caractère stratégique.

Les produits forestiers non ligneux sont très recherchés dans la Pharmacopée, dans la consommation et dans la fabrication des meubles.

IV- DISCUSSION

Au regard des résultats de l’enquête, il est établi que l’Homme détruit la forêt.

En effet, plusieurs questions peuvent être posées sur la récolte des produits forestiers non ligneux. Elle peut s’effectuer soit par l’élimination de la plante, soit par la cueillette, soit par l’abattage partiel de la plante sans la détruire.

De ces modes de récolte le 2e est préférable. Avec la cueillette, la plante n’est pas détruite par exemple le gnetum et bien d’autres très consommés. Malheureusement, quel que soit le mode de récolte la plante finit par être détruite.

En fait, il est question de concilier une alternative:

Il faut protéger les produits forestiers non ligneux, mais aussi l’Homme doit se nourrir, se protéger, se soigner. La question qu’on est tenté de se poser: «comment faire»?

Plusieurs solutions peuvent alors être envisagées.

- Une gestion rationnelle et durable de forêts
- La domestication des plantes les plus consommées.
- La conservation de la biodiversité
- La gestion participative des forêts avec les populations.

V- Conclusion

Après analyse des résultats, il a été constaté que la forêt demeure une source de vie non négligeable pour les populations congolaises.

En effet, sur les 40 plantes à usage médical recensées, près de 61% sont d’origine forestière et 40% proviennent de la savane.

Elle montre que les arbres et les arbustes occupent une place importante dans la pharmacopée. Ainsi, la forêt apparaît comme le secteur le plus exploité et donc le plus détruit.

L’utilisation abusive des parties vitales de la plante (écorces, racines et feuilles) occasionne la destruction totale de celle-ci ou son élimination définitive. Très nombreuses sont les plantes qui ont disparu avec pour conséquence le déséquilibre de l’écosystème.

Les plantes comestibles contribuent à la sécurité alimentaire des populations. La demande pour certaines d’entre elles, devient de plus en plus croissante. Ce sont les fruits qui sont les plus consommés; la plante n’est donc pas détruite au cours de son exploitation. Toutefois, il arrive que l’appareil végétatif de la plante (38,8%) et son appareil reproducteur (62,2%) font partie des éléments comestibles.

De manière générale, qu’il s’agisse des plantes médicinales, alimentaires spontanées ou artisanales, les récoltes sont effectuées de façon anarchique, occasionnant, malheureusement, la perte de plusieurs espèces.

Ainsi les plans d’aménagement actuels et futurs des ressources forestières devraient désormais prendre en compte à la fois les ressources ligneuses et non ligneuses en vue d’une gestion équilibrée de toute la diversité biologique en zones forestières.

Il serait aussi souhaitable de protéger et d’envisager la domestication de certaines plantes dont les produits sont très sollicités tant en pharmacopée qu’en produits alimentaires ou artisanaux.

VI- BIBLIOGRAPHIE