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Forêts sacrées et conservation de la biodiversité en Afrique Centrale: cas de la République Démocratique du Congo

LUKETA SHIMBI Henri


RESUME

La partie sud-ouest de la République Démocratique du Congo possède des «forêts sacrées», protégées jusque là par des lois coutumières et dont la protection par les lois forestières nationales s'avérait nécessaire. Leur accès est strictement interdit sans l'autorisation préalable des personnes initiées.

Ces forêts constituent la méthode traditionnelle de conservation de la biodiversité. Elles aident à protéger des écosystèmes ou les habitats particuliers et présentent ainsi des aspects positifs, susceptibles d'enrichir la politique nationale en la matière.

Vu leur importance dans le domaine de la conservation, elles ont été, sur le plan sous-régional, recommandées dans tout processus d'aménagement forestier.

Recommandées dans le projet de loi portant le code forestier en République Démocratique du Congo, les «forêts sacrées» ont été prises en compte par la loi ayant sanctionné ce code forestier, en tant que forêts appartenant aux populations locales, ayant pour vocation la conservation et la protection, et pouvant être attribuées à ces populations à titre gratuit.

Pour les populations concernées de la zone équatoriale, les «forêts sacrées» représentent des valeurs culturelles et spirituelles. Ceci contribue à de fortes motivations pour conserver la biodiversité.

Afin d'arrêter ou de maîtriser le taux actuel de perte de biodiversité, les «forêts sacrées» peuvent constituer un moyen pratique d'accomplir ce but.

Il apparaît donc nécessaire de respecter les croyances et pratiques traditionnelles incluant les «forêts sacrées», de multiplier les inventaires y relatifs pour évaluer leurs superficies, de développer de nouvelles combinaisons de méthodes traditionnelles et modernes de conservation, d'expliquer, par des campagnes d'information et de sensibilisation, les «forêts sacrées» dans leurs aspects positifs, d'impliquer les populations locales et autochtones et, enfin, d'attribuer, officiellement et à titre gratuit, les «forêts sacrées» aux populations locales pour qu'elles soient utilisées à des fins de conservation et de protection, tant pour les générations actuelles que futures.


INTRODUCTION

Le Sommet Mondial sur le Développement Durable, qui s'est tenu à Johannesburg (Afrique du Sud) du 26/08/2002 au 4/09/2002 et auquel nous avons pris part, a appelé à des mesures d'encouragement en faveur de la conservation, à une gestion responsable des ressources et à l'application des lois dans les pays en développement.

Il a souligné la nécessité de soutenir l'utilisation des forêts pour la croissance économique, tout en veillant à leur préservation en tant que ressource de base.

Il a traité de l'arrêt et de l'inversement de la tendance actuelle des pertes de ressources naturelles aux niveaux mondial et national. Il en a été de même, en ce qui concerne la biodiversité. La réduction des taux de perte actuelle est souhaitée d'ici 2015 pour les ressources naturelles et d'ici 2010 pour la biodiversité.

Enfin, le Sommet a insisté sur le fait qu'après Johannesburg, les choses devraient être faites autrement.

Devant se tenir après le Sommet précité, soit du 21 au 28/09/2003, le XIIème Congrès forestier mondial de Québec (Canada) arrive à point nommé. Car, il permettra à la communauté forestière internationale de se rassembler, pour analyser, discuter et participer à la plus importante rencontre forestière sur la scène mondiale.

Sous le thème «La forêt, source de la vie», le XIIème Congrès forestier mondial sera un vaste forum ouvert à tous et les forêts seront au centre de discussions.

Pour notre part, ce congrès sera une occasion de parler du rôle que jouent les forêts dites «sacrées» dans la conservation de la biodiversité en Afrique Centrale, plus spécialement en République Démocratique du Congo, et de faire des recommandations qui s'imposent pour répondre aux préoccupations du Sommet de Johannesburg.

LA ZONE CONCERNEE PAR NOTRE ENQUETE ET SA POPULATION

Se situant dans la partie sud-ouest de la Province de l'Equateur (RDC), elle couvre une superficie de 31.630 Km², soit 460 Km² pour Mbandaka et environs, 13.812 Km² pour le territoire de Bikoro et 17.328 Km² pour celui d'Ingende. Elle est délimitée comme suit:

Au Nord: Territoire de Bolomba (rivière Ruki et Busira);

Au Sud: Territoires d'Inongo et de Kiri (Bandundu) et de Monkoto (Equateur);

A l'Est: Territoires de Boende (rivière Salonga) et de Monkoto (rivières Bantona et Bomakilelo, affluent de Luilaka - Momboyo);

A l'Ouest: Territoire de Bomongo, le fleuve Congo et le Territoire de Lukolela.

La carte n°1 ci-jointe donne l'identification de cette zone en République Démocratique du Congo, tandis que celle portant le n°2, quant à elle, situe la même zone dans la Province de l'Equateur.

Son réseau hydrographique est décrit par la carte no3, alors que les tribus y rencontrées le sont par la carte n°4.

S'agissant de ces tribus, disons qu'elles appartiennent à l'ethnie «Mongo» qui comprend les Mongo, les Ntomba et les Ekonda. La population pygmée (Batswa) est aussi présente dans la zone, mais elle est cependant minoritaire.

L'enquête menée a utilisé la méthode dite «des quotas» et a concerné l'échantillon repris ci-après:

MILIEU SOCIAL

AGE

LIEU

TOTAL GÉNÉRAL

Mbandaka

Bikoro

Ingende

Total

M

F

M

F

M

F

M

F

Etudiants

20 - 34

20

20

-

-

-

-

20

20

40

Enseignants

35 - 49

4

4

3

3

3

3

10

10

20

Fonctionnaires

35 - 49

4

4

3

3

3

3

10

10

20

Missionnaires

35 - 49

4

4

3

3

3

3

10

10

20

Commerçants

35 - 49

4

4

3

3

3

3

10

10

20

Pêcheurs (1)

35 - 49

3

3

6

6

6

6

15

15

30

Pêcheurs (2)

50 - 64

10

10

-

-

-

-

10

10

20

Cultivateurs

50 - 64

13

13

6

6

6

6

25

25

50

Chasseurs

50 - 64

26

-

12

-

12

-

50

-

50

Personnes âgées

65 et plus

25

25

25

25

25

25

75

75

150

TOTAUX

-

113

87

61

49

61

49

235

185

420

RESULTATS DE L'ENQUETE ET LEURS CONSEQUENCES

L'enquête menée dans la zone précitée nous a permis de découvrir l'existence de 62 forêts dites «sacrées», dont l'accès est strictement interdit sans l'autorisation préalable des personnes initiées. Ces forêts sont reparties comme suit:

N° d'ordre

Territoire

Nombre

Pourcentage

1

Mbandaka et environs

5

8,1

2

Bikoro

40

64,5

3

Ingende

17

27,4

TOTAL


62

100

CARTE N°1 - IDENTIFICATION DE LA ZONE PROSPECTEE EN R.D.C

CARTE N°2 - ZONE D'ENQUETE DANS LA PROVINCE DE L'EQUATEUR

CARTE N°3 - RIVIERES NAVIGABLES DE LA ZONE PROSPECTEE

CARTE N°4 - TRIBUS RENCONTREES DANS LA ZONE PROSPECTEE

C'est dans le territoire de Bikoro, où la forêt est plus conservée par la pratique des «forêts sacrées», parce qu'il présente un pourcentage plus élevé par rapport à Mbandaka 8,1% et Ingende 27,4%.

Il faut cependant notre que les superficies des forêts concernées n'ont pas été évaluées.

Signalons que ces forêts étaient protégées jusque là par des lois coutumières et dont la protection par les lois forestières nationales s'avérait nécessaire, pour la bonne raison qu'elles aident à protéger les écosystèmes ou les habitats particuliers.

Constituant la méthode traditionnelle de conservation de la biodiversité, les «forêts sacrées» présentent des aspects positifs et sont susceptibles d'enrichir la politique nationale en la matière.

Lors de l'atelier sur l'opérationalisation du plan de convergence sous-régional, tenu à Brazzaville (Congo) du 20 au 23/09/2001, le problème des «forêts sacrées» a été soulevé.

A l'issue de l'atelier, il a été recommandé la prise en compte desdites forêts dans tout processus d'aménagement forestier.

Il en a été de même, en ce qui concerne la 4ème Session de la Conférence sur les Ecosystèmes de Forêts Denses et Humides d'Afrique Centrale, tenue à Kinshasa (République Démocratique du Congo) du 10 au 13/06/2002, dont une des commissions a eu à traiter de l'importance des «forêts sacrées» dans la conservation de la biodiversité.

En juillet et août 2002, il a été commandé les «forêts sacrées» dans le projet de loi portant code forestier en République Démocratique du Congo, plus particulièrement en tant que forêts appartenant aux populations locales, ayant pour vocation la conservation et la protection.

L'article 22 de la loi n° 011/2002 du 29/08/2002, portant code forestier en République Démocratique du Congo, stipule:

«Une communauté locale peut, à sa demande, obtenir à titre de concession forestière une

«partie ou la totalité des forêts protégées, parmi les forêts régulièrement possédées en vertu

«de la coutume. Les modalités d'attribution des concessions aux communautés locales sont «déterminées par un décret du Président de la République. L'attribution est à titre gratuit.

Les photos de la page suivante présentent la «forêt sacrée» de MOKOKO, au bord du lac Tomba à Bikoro, Province de l'Equateur, laquelle pourra, en vertu de l'article 22 de la loi précitée, être attribuée à la communauté locale.

VALEURS SOCIALES, CULTURELLES ET SPIRITUELLES

Les communautés locales enquêtées dépendent des forêts. Celles-ci prennent tour à tour l'aspect de: nourriture, matériel de construction, médicament, gagne-pain, etc. Les «forêts sacrées» représentent, pour ces populations, des valeurs culturelles et spirituelles, ce qui contribue à de fortes motivations pour conserver la biodiversité.

FORET SACREE DE MOKOKO AU LAC TOMBA, TERRITOIRE DE BIKORO, EQUATEUR (R.D.C)

En effet, les «forêts sacrées» inventoriées et certaines espèces d'animaux sauvages habitant ces forêts sont protégés, à cause des puissantes croyances traditionnelles et d'associations culturelles avec certains animaux et certaines plantes sauvages.

A l'Equateur, les Mongo, les Ntomba et les Ekonda considèrent les «forêts sacrées» comme étant:

a) l'habitat des esprits des ancêtres protecteurs du village;

b) le lieu d'invocation de ces esprits, pour prévenir les guerres ou les maladies graves;

c) le lieu où se fabriquaient des fétiches devant accompagner les combattants au front, pendant la période de guerres de conquête ...

Bien que nous soyons actuellement éloignés de cette période de guerres de conquête, les populations concernées font tout, pour que ces croyances héritées dans ce domaine de leurs ancêtres, ne puissent tomber dans les oubliettes.

En dehors des «forêts sacrées», la conservation de la biodiversité se fait à l'Equateur, plus précisément dans la zone prospectée, par le «folklore» et par la «petite semaine africaine de quatre jours», laquelle interdit toute entrée en forêt pendant deux jours de la semaine, pour permettre à cette dernière (forêt) de se reposer.

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

Les «forêts sacrées» constituent une méthode traditionnelle de conservation de la biodiversité. Elles présentent des aspects positifs, susceptibles d'enrichir la politique nationale en la matière.

Pour arrêter ou maîtriser le taux de perte de biodiversité actuel, les «forêts sacrées» peuvent constituer un moyen pratique d'accomplir ce but.

Dans ce sens, nous recommandons ce qui suit:

1) Respecter les croyances et pratiques traditionnelles incluant les «forêts sacrées»;

2) Multiplier les inventaires sur les «forêts sacrées» et évaluer leurs superficies;

3) Développer de nouvelles combinaisons de méthodes traditionnelles et modernes de conservation;

4) Expliquer suffisamment les «forêts sacrées» dans leurs aspects positifs (campagnes d'information et de sensibilisation);

5) Impliquer les populations locales et autochtones;

6) Prendre en compte les «forêts sacrées» dans tout processus d'aménagement forestier et, le cas échéant, les attribuer officiellement et à titre gratuit aux populations locales, pour que ces dernières puissent les utiliser à des fins de conservation et de protection, tant pour les générations actuelles que futures.

BIBLOGRAPHIE

1. B.S.P. (Programme d'Appui à la Biodiversité) 1993 - Biodiversité africaine: fondement pour l'avenir, p. 63-74; 115 - 123.

2. B.S.P. (Programme d'Appui à la Biodiversité) - principes en pratique: Observations du personnel des Projets de conservation en Afrique, p.30 - 39.

3. B.S.P. (Programme d'Appui à la Biodiversité) 2000- Compréhension et Influence des comportements:guide, p. 3 - 70.

4. Code forestier congolais 2002 - loi n° 011/2002 du 29/08/2002, p.1 - 59.

5. FAUNE ET VIE (ONG) 2001 - Atelier sur l'Opérationalisation du plan de Convergence sous-régionale, p.1-14.

6. FAUNE ET VIE (ONG) 2002 -Rapport Relatif au sommet Mondial sur le Développement Durable tenu à Johannesburg (Afrique du Sud) du 26 Août au 04 Septembre 2002, p. 1-11.

7. FAUNE ET VIE (ONG) 2000 - Etude pour la reconnaissance des croyances et pratiques traditionnelles qui favorisent la conservation de la biodiversité: cas de la Province de L'Equateur, p. 9 - 84 + annexes.

8. FAUNE ET VIE (ONG) 2000 - La Conservation de la biodiversité par les croyances et pratiques traditionnelles: une méthode aux aspects positifs, p. 1 - 2.

9. UNESCO 2002 - Diversité culturelle: Patrimoine commun - identités plurielles.