0230-B1
Dominique Louppe et Michelle Pain-Orcet
Pour établir un état mondial des forêts, la FAO sappuie sur des définitions qui permettent des comparaisons dinventaires entre pays. Or, il existe une ressource ligneuse non négligeable en dehors des forêts. Ces arbres hors forêt nont fait lobjet dune première définition quen 1996. Cette définition est une définition par défaut, par rapport à la définition des forêts et autres terres boisées.
La récente synthèse Les arbres hors forêt, vers une meilleure prise en compte, co-éditée par la FAO et le Cirad, a été loccasion de mieux préciser leur définition. Celle-ci reste néanmoins à perfectionner. Les auteurs proposent que le facteur anthropisation et les usages des terres soient pris en compte dans lamélioration de la définition des arbres hors forêt. Des recommandations pour une meilleure prise en compte des arbres hors forêts sont présentées en fin de communication. Elle traitent des points suivants: définition, prise en compte et diversité, politiques nationales, concertation et conventions internationales, apport social, économique et environnemental, meilleure connaissance, vulgarisation et formation et, enfin, de lévaluation de la ressource.
Mots clés: Arbres hors forêt, définition, ressource.
Pour établir tous les dix ans un état mondial des forêts, la FAO sappuie sur des définitions précises, reconnues et acceptées par lensemble des pays de la planète. Ces définitions sont la base sur laquelle sont établis les divers inventaires et statistiques. Cette base universelle doit permettre des comparaisons fiables des statistiques, à la fois dans lespace et dans le temps. La FAO propose ainsi des définitions normalisées pour «dégradation des terres», «déforestation», «terres agricoles», «terres boisées», «forêts» et pour bien dautres termes.
Ainsi, la «forêt», selon la définition de la FAO, correspond à un peuplement darbustes, darbrisseaux et darbres dépassant cinq mètres de haut et présentant un couvert (projection des houppiers) de plus de 10% sur une superficie minimale de 0,5 hectare.
Depuis quelques décennies, les forestiers, les environnementalistes et aménagistes de lespace se sont rendu compte que les ressources ligneuses (et celles autres que le bois provenant des arbres) nétaient pas exclusivement extraites des forêts. Cest ainsi quest apparue lexpression «arbres hors forêts». Cette périphrase fait naître une multitude dimages darbres «non forestiers» dans les esprits. La grande variété des perceptions de cette expression oblige donc à lui donner une définition précise qui permettra lévaluation de cette ressource «nouvelle» et son intégration dans les statistiques «forestières» ou «agricoles».
Une première définition des arbres hors forêts a été proposée à la réunion de Kotka en Finlande (Nyyssonen et Ahti, 1996).
Pour attirer lattention des décideurs et planificateurs du monde entier sur cette ressource sous-estimée, la FAO a pris deux initiatives:
latelier du 21 au 23 septembre 1998 à Orléans (France) organisé par lIRD (Institut de recherche pour le développement) qui a réuni une quarantaine de spécialistes de nationalités et dinstitutions diverses (IRD-FAO, 1999);
la synthèse des connaissances actuelles sur les arbres hors forêt réalisée par le Cirad-forêt: «Les arbres hors forêt. Vers une meilleure prise en compte». Cette synthèse est co-publiée par la FAO et le Cirad en novembre 2001. Elle a permis de préciser la définition darbres hors forêt (Bellefontaine et al., 2001).
Rappelons ici quelques définitions qui permettront de bien cadrer le concept d «arbres hors forêts».
Les «terres émergées» regroupent lensemble des «terres boisées», des «autres terres» et des «eaux continentales» (figure 1).
Les «terres boisées» se divisent en «terres forestières» (synonyme de «forêts») et en «autres terres boisées» (figure 2). Les «autres terres boisées» concernent des superficies de plus dun demi hectare où le couvert, constitué darbustes de moins de cinq mètres de haut dépasse 10% ou où le couvert darbrisseaux et darbres de plus de 5 m de haut est de 5 à 10%.
Sont exclues des forêts les terres utilisées principalement à des fins agricoles.
Par défaut, les «arbres hors forêt» se retrouvent donc dans les «autres terres», cest à dire celles qui ne sont ni des «forêts», ni des «autres terres boisées». Autrement dit ils sont sur les terres où le couvert ligneux fait moins de 10% pour une hauteur de moins de 5 m ou moins de 5% pour une hauteur de plus de 5 m et aussi sur toutes les terres avec un couvert de plus de 10% mais sur des surfaces de moins dun demi hectare dans lesquelles sont incluses les formations linéaires telles les rideaux-abris et les ripisylves. On les retrouve également dans les terres dont lusage principal est agricole, qui sont par définition exclues des «forêts», mais pas obligatoirement des «autres terres boisées».
Cette définition par défaut a le mérite de préciser ce que peuvent être les arbres hors forêt. Elle apparaît très satisfaisante dans les milieux naturels ou relativement peu modifiés par lhomme. Elle permet aussi de prendre en compte, dans le phénomène de déforestation, les arbres épars conservés lors des défrichements agricoles ainsi que les petits bosquets conservés ou plantés. Cependant, elle ne correspond pas toujours à limage que lon peut se faire des arbres hors forêts, et notamment dans les paysages fortement modifiés par lhomme.
Ainsi, on peut se poser la question de la classification des formations arborées dans les exemples suivants:
Où doit-on classer les oasis et leurs palmiers dattiers; les ligneux des jachères agricoles qui sont sur des terres tantôt agricoles, tantôt forestières; les prés-vergers en France dont le produit principal est lherbe pour le bétail et non les fruits ou le bois duvre; les bandes boisées (brise-vent, les plantations dalignement le long des cours deau ou des routes, etc.); les parcs et systèmes agroforestiers où arbres dombrage et cultures vivrières ou produits industriels (café, cacao, thé, etc.) co-existent; etc.? Daprès la définition de la FAO, toutes ces formations pourraient être considérées comme forestières, mais le sont-elles vraiment? Ne sont-ce pas plutôt, daprès leurs usages, des arbres hors-forêts?
La question est la même pour les agro-forêts dAsie qui sembleraient, de par leur dénomination, se classer dans les «forêts» quand bien même leurs productions (et les statistiques nationales de production) relèvent du domaine agricole. Pourtant, du fait de leur forte anthropisation et de leur vocation à produire dautres produits que le bois, beaucoup estiment que ces «jardins-forêts» ne font pas plus partie des forêts que les vergers fruitiers.
A lopposé les systèmes sylvo-pastoraux dAmérique latine (pâturage et parcours en ranching, «espinal» au Chili, «matorral» mexicain, plaines dArgentine, etc.) ou dEurope (les chênes plus ou moins denses des «dehesa» espagnoles et des «montado» portugais, etc.) pourraient avoir leur place dans le domaine forestier car le pacage en forêt est une pratique ancienne répandue de par le monde.
Enfin, étant peu anthropisées, certaines «forêts» à très faible densité ligneuse des zones de haute montagne ou de zones arides ou encore certaines formations lâches de miombo dAfrique de lEst, se classent naturellement dans les «forêts» ou, si trop lâches, dans les «autres terres forestières».
Ces questions montrent que la définition actuelle des arbres hors forêts, quoique très bien circonscrite, ne donne pas entière satisfaction. Nous pensons que le taux de couverture arborée, la hauteur des arbres et la taille des parcelles ne sont pas des critères suffisants pour définir les arbres hors forêt.
Cest pour cette raison que les catégories suivantes darbres en milieu ouvert ont été inclues dans la définition des arbres hors forêts à loccasion de la rédaction du document FAO-Cirad:
Arbres disséminés dans des prairies et des pâturages permanents.
Cultures arborées permanentes, vergers et prés-vergers comme les arbres fruitiers industriels, les cocotiers, les palmiers-dattiers.
Arbres des systèmes arborés agroforestiers comme le café, le cacao, les arbres des jardins de case.
Arbres des environnements urbains et autour des infrastructures, comme les parcs et les jardins, autour de bâtiments et en bordure de rues, de routes, de cours deau et de canaux
Malgré ces précisions complémentaires, il subsiste encore des questions. Donnons un exemple. Dans la définition des «forêts» sont considérés comme forestiers les brise-vents et rideaux-abris de plus de 20 m de large et de plus dun demi hectare. Dans la définition des «arbres hors forêt», seuls sont pris en compte les rideaux abris de moins dun demi-hectare et de moins de 20 m de large. Pour être cohérent avec la définition donnée dans les forêts, il conviendrait de dire de moins dun demi-hectare ou de moins de 20m de large.
Le travail de définition des arbres hors forêts doit donc encore être précisé. Le séminaire qui se tient actuellement (26-28 novembre 2001) et le Comité des Forêts (COFO) qui se réunit tous les deux ans peuvent être la tribune de la FAO pour traiter des arbres hors forêt. Cest à ces assemblées que revient la décision de conserver ou de faire évoluer la définition actuelle des «arbres hors forêt».
Néanmoins, nous voulons suggérer de prendre en compte un critère complémentaire bien quil apparaisse déjà dans la définition des forêts: lusage principal de la terre. La définition de «forêts» exclut des forêts les terres utilisées principalement à des fins agricoles. Cependant, cette définition ne précise pas à partir de quel seuil on peut considérer quune terre est à vocation agricole ou pastorale. Si la mise en valeur agricole est extensive et temporaire, par exemple lagriculture itinérante sur brûlis, faut-il considérer que la terre est à vocation agricole? Non, nous pensons que lagriculture doit être un tant soit peu intensifiée et sédentarisée pour que les terres soient considérées comme agricoles! Dans ces conditions, si les arbres font partie intégrante du système de cultures, nous pensons quils doivent être considérés comme des arbres hors forêt. Même les jachères ligneuses artificielles de courtes durées (5-7 ans) devraient pouvoir entrer dans cette catégorie si elles sont dans un système agricole intensif où la durée de cultures excède celle de la jachère. Il en est de même pour les pâturages, si ceux-ci ne sont gérés que par le feu pour un usage extensif, les arbres quils supportent rentreront dans la catégorie forestière ou dans celle hors forêt en fonction du couvert du peuplement: plus ou moins de 10%.
La définition de larbre hors forêt devrait donc prendre en compte lévolution de la végétation liée à lanthropisation et à la domestication du milieu. La conquête de terres neuves par défrichement entraîne une forte disparition du couvert ligneux. Après cette phase dappauvrissement du couvert forestier, on observe généralement que les populations le reconstituent partiellement. Ce nouveau couvert est souvent très structuré dans lespace. La forêt, en tant que telle napparaît, bien souvent, plus que sous forme de jachères de longue durée, de plantations à réelle vocation forestière ou de massifs forestiers naturels conservés. En dehors de ceci, les arbres sont au sein des terres de cultures ou des pâturages, donc dans des espaces fortement anthropisés où ils jouent de rôles diversifiés et multiples. Ce sont alors des arbres apprivoisés, voire domestiqués. Ces arbres des espaces agricoles et pastoraux sont généralement exclus des statistiques forestières, tout comme ceux des agglomérations urbaines. Quand bien même leur couvert est supérieur à 10%, ils restent des arbres hors forêt.
La difficulté de définir simplement larbre hors forêt découle de limportance quil revêt pour les diverses sociétés humaines et du rôle économique quil remplit. Cet arbre hors forêt ne peut donc plus être ignoré des politiques et des décideurs. Cest pourquoi nous proposons ci-après quelques recommandations, non exhaustives, pour quil soit pris en compte à tous les niveaux, surtout au niveau décisionnel.
Les évaluations nationales et mondiales des ressources arborées sont incomplètes car elles ne concernent, en général, que les espaces qualifiés de forestiers à lexclusion des «arbres hors forêt» des espaces ruraux et urbains. Lexpression actuelle «arbres hors forêt» nillustre pas suffisamment la très grande diversité de cette ressource, située à linterface de différents secteurs, domaines et disciplines. Ainsi, ce concept sera amené à évoluer au fur et à mesure de la prise en considération de cette ressource dans laménagement du territoire. Des propositions pour préciser la définition et mieux intégrer les particularités locales et faciliter les comparaisons entre pays ou écosystèmes ont été présentées ici.
Pour asseoir les planifications, il est recommandé dinclure systématiquement les arbres hors forêt dans les évaluations des ressources arborées. Il est nécessaire dentreprendre une réflexion, aux niveaux national et mondial pour intégrer les arbres hors forêt dans une classification sans équivoque des terres, à la fois pluridisciplinaire et multi-sectorielle. Dans ce contexte, il sera sans doute nécessaire de réviser la définition des «forêts». Il faut veiller à ce que la définition des arbres hors forêt résulte dune large concertation entre les acteurs et utilisateurs.
Dans de nombreux pays, les arbres hors forêt sont spontanément mis en valeur par les populations bien quil nexiste aucune politique nationale incitative. Le rôle de ces arbres nest pas formellement reconnu par rapport aux enjeux auxquels ils peuvent répondre. De plus, en comparaison avec dautres écosystèmes, il nen est pas fait mention dans les Conventions internationales.
Au niveau national, une politique claire, cohérente et incitative relative aux arbres hors forêt est recommandée en vue dun aménagement réellement intégré du territoire. Au niveau international, il est souhaitable dinclure les arbres hors forêt dans les principales préoccupations environnementales, les conventions et les politiques des bailleurs de fonds.
Les arbres hors forêt sont caractérisés par leurs relations avec lhomme et la société. Leur contribution aux besoins et revenus des ménages ruraux et urbains est souvent vitale. La pérennité de ces systèmes arborés est garantie par des pratiques de gestion diversifiées. Cependant, des lacunes subsistent dans la connaissance de la dynamique de cette ressource, en particulier les relations «arbres hors forêt, hommes et sociétés, agriculture, environnement». Lapport économique, social et environnemental de ces systèmes arborés est insuffisamment apprécié. Pour de nombreux pays, des informations dispersées, fragmentaires et empiriques, sont déjà disponibles. Une synthèse, faisant le diagnostic de lapport réel des arbres hors forêt dans loffre globale des services et des produits, fait souvent défaut.
Dans le cadre des programmes pour la sécurité alimentaire et le bien-être des populations, on ne peut plus «ignorer» la ressource que représentent les arbres hors forêt. Vis à vis de ces arbres, les politiques nationales se doivent de conserver une souplesse de gestion et une variété de pratiques adaptées aux différentes situations locales daménagement intégré des terres et du territoire, lesquelles devront évoluer avec les changements sociaux et culturels. Des outils économiques nouveaux sont à tester. Une synthèse et une analyse des connaissances existantes sont indispensables à lébauche dune politique en faveur des «arbres hors forêt».
Le rôle et le fonctionnement des arbres hors forêt sont insuffisamment connus pour améliorer leurs modes de gestion. Cest pourquoi, les formations qui existent restent très ciblées et disciplinaires (par exemple la taille de formation de certains arbres fruitiers). De même, les programmes de vulgarisation ne traitent que de quelques problématiques, souvent très sectorielles ou thématiques, et sont loin de couvrir toutes les attentes des utilisateurs.
La compréhension du fonctionnement des arbres hors forêt dans les systèmes de production est à développer. Pour cela il est nécessaire de fournir un appui à la formulation de programmes de recherche en fonction des besoins nationaux. Il est souhaitable délargir les programmes de formation et de vulgarisation par une approche plus systémique, tenant compte des préoccupations des populations et correspondant à leurs besoins.
Les données actuelles (qualitatives et quantitatives) sur les arbres hors forêt sont très fragmentaires et ne sont souvent représentatives quà une échelle locale et rarement régionale. A ce jour, la majorité des évaluations ont été réalisées sur des espaces anthropisés et agroforestiers. Les produits, caractérisés par une grande diversité, sont évalués avec beaucoup dincertitudes quant à la précision. Les comparaisons dinventaires sont donc délicates.
Les méthodes utilisées pour linventaire des forêts ne semblent pas adaptées à ce type de ressources dispersées. Lévaluation des arbres hors forêt est complexe car elle requiert une quantité importante dinformations.
Il est fondamental de bien définir les objectifs de lévaluation. Ceux-ci doivent répondre parfaitement aux besoins et aux intérêts des acteurs concernés et doivent être gardés à lesprit pour toute utilisation ultérieure des résultats obtenus. Les nouvelles méthodologies dinventaire, et notamment les dispositifs déchantillonnage, devront être testées, sur différents types darbres hors forêts et sur des surfaces significatives, pour confirmation avant toute application à grande échelle. Les aspects socio-culturaux et économiques ne peuvent être dissociés de ce type dévaluation et sont indispensables pour le maintien de la ressource et pour sa bonne gestion.
Les arbres hors forêt représentent, au niveau mondial, une part non négligeable de la production de bois et des autres produits non ligneux fournis par les arbres. Ni cette ressource ni sa productivité ne sont quantifiées en raison, dune part, de labsence dune définition suffisamment précise de ce quil convient de recenser et, dautre part, de la difficulté dinventorier une ressource très diversifiée et très largement dispersée.
Cette ressource, que lon a longtemps ignorée, a fait mentir de nombreux discours alarmistes de désertification accélérée et de disparition programmée du bois énergie. Il est nécessaire de la connaître et de la faire connaître. Il est aussi indispensable que les politiques en tiennent compte pour une meilleure gestion de lenvironnement au profit des populations.