0240-C1
Dr Amadou Chérif BAH
Le secteur forestier guinéen a été caractérisé au cours de la période coloniale, et même après l'accession du pays à l'indépendance, par une gestion répressive de ses ressources, impliquant peu ou pas les populations riveraines.
Cette approche a eu pour conséquence, l'exploitation anarchique desdites ressources à des fins diverses.
Prenant conscience de cette situation préoccupante, l'Administration forestière a opéré à partir de 1987, à des changements radicaux:
- la révision fondamentale de la législation forestière en 1989 et 1990;
- l'élaboration et l'adoption d'une Politique forestière nationale en 1990.
Tous ces outils de planification et de gestion du secteur, basés sur le souci d'une implication effective des bénéficiaires, ont permis d'initier des actions concrètes qui prennent suffisamment en compte cette préoccupation, seul garant d'une utilisation durable.
C'est dans ce cadre que s'est inscrite la formule "groupements forestiers", une approche pragmatique donnant la possibilité aux communautés villageoises de gérer librement les ressources forestières de leurs terroirs.
Cette démarche a pour fondement la prise de conscience des populations rurales, vis-à-vis de la conservation et de la valorisation du potentiel disponible, tout en répondant aux besoins vitaux qui se posent à elles. Mais les principaux enjeux de l'approche "groupements forestiers" procèdent de logiques différentes selon la région naturelle considérée du pays.
A cet effet, elle requiert certaines exigences en temps et en moyens humains convenablement formés, dans la mesure où l'objectif est de constituer des groupements viables et durables.
Grâce à l'engouement des populations pour cette initiative, les résultats atteints à ce jour par l'Administration forestière sont de 85 groupements reconnus et qui gèrent, de façon concertée avec les populations, une superficie d'environ 8 035 hectares de forêts. Plusieurs autres sont actuellement en voie de constitution à travers le pays.
La République de Guinée est un pays de la zone tropicale sub-humide, situé dans la sous région ouest africaine où elle occupe une position édapho-climatique particulière. Cette position lui dotait, il n'y a pas très longtemps, des ressources naturelles renouvelables très importantes. Mais au cours des 3 dernières décennies, ces ressources ont subi une dégradation préoccupante, conséquence d'une gestion répressive et centralisée.
Face à cette situation, une évaluation de l'état des ressources forestières a été faite, dans le cadre du processus Plan d'action forestier tropical. L'aboutissement de cet exercice s'est traduit par:
- l'adoption d'une Politique forestière nationale en 1990, assortie d'une stratégie de 25 ans et d'un plan d'urgence de six (6) ans (achevé en 1995);
- la révision de la législation forestière pour adopter deux nouveaux textes de loi portant respectivement Code de protection de la faune sauvage et réglementation de la Chasse et Code forestier. Ces deux nouveaux outils législatifs et réglementaires sont caractérisés par des innovations importantes dont entre autres, la reconnaissance de la chasse de subsistance aux populations et de la foresterie communautaire et privée.
Conformément à ce changement de stratégie de gestion des ressources naturelles renouvelables qui privilégient désormais la participation réelle des populations, l'Administration forestière a initié une approche dans le cadre d'un Programme régional d'aménagement des Bassins versants, avec l'appui de l'Union européenne. Il s'agit de donner la possibilité aux populations des communautés villageoises, de constituer des groupements forestiers en charge de la gestion des ressources forestières de leurs terroirs.
Testée dans deux régions naturelles du pays, cette approche a donné des résultats très encourageants, qui ont conduit le Gouvernement à l'adopter par la loi L/99/AN du 30 mai 1999, qui stipule en son article 19: Les forêts peuvent être classées dans le domaine forestier des collectivités décentralisées, au bénéfice des groupements forestiers reconnus par l'Etat.
Les principaux enjeux de l'approche de groupements forestiers, qui induisent également en partie la motivation des populations, procèdent de logiques différentes selon la région naturelle considérée-haute Guinée ou la moyenne Guinée.
En Moyenne Guinée ou Fouta Djallon, l'approche est sous-tendue par les éléments suivants:
La croissance démographique et les besoins en terre correspondants, conduisent à une diminution régulière des surfaces boisées, alors que s'accroissent parallèlement les besoins en produits forestiers de toutes natures.
La prise de conscience patrimoniale constatée sur le terrain s'exprime, par des réflexes d'affectations des terres et de l'espace, ainsi que la redécouverte de l'intérêt à moyen terme de conserver, voire de restaurer des surfaces forestières. De tels réflexes, compatibles avec des objectifs nationaux, méritent d'être fortement appuyés et encouragés.
La législation foncière reste encore peu incitatrice pour la conservation forestière. L'acte de mise en valeur, fondement de la propriété foncière et de la prescription, reste limité à la mise en valeur agricole ou aux plantations d'arbres.
La pérennisation d'une mosaïque régionale ou sous-régionale forestière associant reliques, galerie forestière et zones en régénération, permettent de répondre aussi bien aux besoins économiques vitaux des populations, qu'aux préoccupations de conservation du patrimoine génétique régional et continental.
En Haute Guinée, l'approche s'appuie sur les constats suivants:
Traditionnellement, les villages des hautes savanes de transition sont presque systématiquement entourés d'écosystèmes forestiers, dont la genèse et le maintien sont d'origine anthropique et ancienne. Généralement conformés à partir d'un élargissement de forêts galeries par des mises en défens, ces agro-forêts qui entourent les villages ont des fonctions multiples.
Ces agr-forêts constituant de plus en plus les seules formations boisées survivantes dans un paysage essentiellement savanisé et pauvre en ressources ligneuses de toute nature, sont le résultat d'un travail de gestion des habitants et de protection contre les feux.
Des ressources en bois d'uvre importantes ont souvent été exploitées dans le passé et parfois encore aujourd'hui, sans que les propriétaires coutumiers de ces agro-forêts et les villages retirent tous les bénéfices légitimes des ressources qu'ils ont contribué à maintenir et parfois même à replanter.
Le désir d'une meilleure maîtrise de ces forêts et de leur richesse, ainsi que les actions de sensibilisation/information conduites dans le cadre du projet des bassins versants du Haut Niger, incitent aujourd'hui l'ensemble des populations villageoises à rechercher un statut de leurs agro-forêts qui en conforte leur maîtrise et à formaliser l'organisation de leur gestion et leur extension.
Par ailleurs, le caractère extrêmement dynamique des mosaïques végétales de la région, ainsi que les tendances actuelles liées à l'intensification agricole et à une meilleure affectation des espaces au sein des terroirs, débouchent sur la notion d'espace à vocation forestière incluant non seulement les forêts existantes, mais aussi des zones à placer en régénération naturelle.
Il impose toutefois, que les travaux de protection et de sylviculture en milieu naturel, puissent être considérés comme un acte de mise en valeur impliquant reconnaissance foncière au même titre que la mise en valeur agricole ou le reboisement en plantation artificielle d'essences exotiques.
En résumé, si dans les deux cas, on retrouve la même préoccupation liée à la conservation des diversités de patrimoines biologiques et culturels, la problématique forêts villageoises est fortement contrastée d'une région naturelle à l'autre du pays.
Dans l'ensemble de ce document, les termes sites et domaines sont employés indifféremment pour désigner les espaces forestiers ou à vocation forestière gérés par les groupements.
Ce guide rassemble l'expérience acquise lors de la constitution de groupements forestiers en Haute et Moyenne Guinée, travaux entrepris pour l'essentiel de 1995 à mi 1999 dans le cadre du Programme Bassins Versants Haute Gambie et Haut Niger.
L'un des objectifs de ce projet a été centré sur la mise au point d'une formule permettant aux populations rurales de gérer elles-mêmes leurs espaces forestiers avec l'appui de l'administration forestière déconcentrée.
Il a semblé toutefois utile, compte tenu des enjeux de la foresterie rurale et de l'accueil très favorable réservé par les populations à cette formule de groupement forestier testée sur une cinquantaine de domaines, de rassembler déjà l'expérience acquise sous la forme d'un guide, conçu en deux parties:
- L'exposé de la démarche et de ses différentes phases, étapes et tâches à conduire;
- Une série de 10 fiches techniques;
Le document, tel qu'il est rédigé, fournit une base pour la formation des partenaires intervenant pour la constitution de groupements.
Une démarche nécessairement novatrice
Les tentatives de reboisements "villageois" voire de délimitation de forêts naturelles "paysannales" ou communautaires ne sont pas nouvelles. En dernière analyse, elles restent néanmoins généralement controversées. Une lecture pragmatique de ces expériences conduit en effet à l'identification de certains écueils:
Elles sont souvent basées sur les circuits de décisions villageois, alors que celles-ci, pour qu'elles soient effectives et suivies d'effets, sont étroitement tributaires du consensus social. Sans ce support consensuel des populations, les décisions prises par des conseils de notables ou de village (gardiens du "consensus") risquent fort de n'être qu'un épiphénomène à la fois décrédibilisant pour ces structures traditionnelles, qui auraient outrepassé leur rôle. Ceci implique la mise en place d'un processus de reconnaissance et d'identification des équilibres existants dans les différents domaines interférant avec l'activité forestière, débouchant sur un engagement durable des populations.
Bien souvent, la réflexion reste insuffisante quant aux règles à établir pour la gestion et l'affectation des futurs produits issus des investissements forestiers de plantations et plus encore de protection. Néanmoins, un appui doit être donné aux populations pour envisager dès le début, cette question fondamentale qui rejoint directement la gestion des investissements consentis. Les décisions prises sur les modalités de partage et d'accès aux produits forestiers, constituent par ailleurs une importante opportunité de renforcer à la fois la cohésion sociale, mais aussi la capacité d'initiative et de décision des structures.
Les stratégies environnementales peuvent être aussi mal comprises ou donner lieu à des équivoques.
La nécessaire reproductibilité de la démarche adoptée, impose que celle-ci soit correctement structurée et systématisée.
Il se compose de cinq (5) phases, comprenant chacune des étapes successives, assorties des fiches techniques:
PHASE A: DE L'IDENTIFICATION DE LA DEMANDE AU DIAGNOSTIC PRELINIMAIRE
Etape A 1: Organisation de la sensibilisation des populations
Etape A 2: Formulation, transmission et examen de la demande de constitution
de groupement
Etape A 3: Diagnostic préliminaire concerté sur le terrain
Etape A 4: Prise de décision sur l'appui à la constitution du
groupement
PHASE B: ETUDES DE BASE
Etape B1: préparation du fond de plan d'un domaine de groupement
Etape B2: Restitution du diagnostic et lancement des études de base
Etape B3: Délimitation du périmètre du domaine du groupement
Etape B4: Clarification de la situation foncière
Etape B5: Inventaire de reconnaissance du patrimoine du domaine
B 5.4 Identification des sites d'intérêts particuliers
Etape B 6: Investigation socio-économique
Etape B 7: Synthèse des études de base
PHASE C: RESTITUTION DES ETUDES DE BASE ET ELABORATION DU PLAN DE GESTION CONCERTE
Etape C 1: préparation d'une proposition de plan de gestion
Etape C 2: Restitution des études de bases et discussion de la proposition
Etape C 3: Finalisation du plan de gestion concerté à long terme
Etape C 4: Identification d'interventions envisageables à court terme
PHASE C: FORMALISATION DU GROUPEMENT
Etape D1: Rassemblement des documents produits en phase A,B et C
Etape D2: Constitution formelle du Groupement en assemblée générale
Etape D3: Examen du dossier d'agrément par la commission préfectoral
de classement
Etape D4: Procédure d'agrément par la Direction nationale des
Eaux et forêts
Etape D2: Edition définitive du dossier et transmission
PHASE E: FINALISATION ET MISE EN UVRE D'UN PROGRAMME D'INTERVENTIONS A COURT TERME
Etape E1: Préparation et organisation du programme
Etape E2: Mise en uvre du programme et organisation de l'appui conseil
Etape E3: Evaluation des réalisations et préparation d'un nouveau
programme
La prise en compte des différentes difficultés rencontrées dans ce processus, a conduit les Projets initiateurs à aborder la question des groupements forestiers sur les bases suivantes:
Le respect du lien social à l'espace qui, est bien sûr susceptible d'évoluer, mais tout projet qui ne respecterait pas au stade de sa formulation villageoise ce lien social et sa traduction foncière, même non formelle ou officielle, doit être considéré comme peu viable.
Une structure de gestion efficace: qui s'appuie bien sûr sur les circuits de décision villageois, reflets de l'organisation sociale, mais qui ait aussi l'assentiment des propriétaires.
Une conception régionalisée de la formule du groupement forestier et de la démarche, pour s'adapter et tenir compte des spécificités et situations locales;
Une démarche progressive: organisée en séquences qui va de la sensibilisation/information, jusqu'à l'agrément, la démarche actuellement arrêtée pour la constitution des groupements forestiers présente trois caractéristiques principales:
- La démarche est structurée en une série d'étapes sanctionnées par des actes officiels, ce qui la rend ainsi plus facilement reproductible.
- La démarche constitue le lancement d'un processus destiné à se poursuivre au-delà même de l'obtention de l'agrément du groupement, au travers des actes de gestion du massif forestier considéré.
- Ce processus implique tous les acteurs (villageois et politiques) et débouche sur la reconstitution d'un pacte de confiance entre l'administration et les collectivités locales. Du rôle essentiellement répressif tel que perçu par les populations, l'administration forestière préfectorale et déconcentrée accèdent à une fonction d'appui conseil plus valorisante.
Parallèlement et de façon plus globale, le processus de montage d'un groupement forestier révèle à différents niveaux et chez différents acteurs de la vie locale impliqués, des carences auxquelles peuvent répondre de manière pertinente les actions de développement en finançant l'appui à la création de capacités.
La démarche requiert bien sûr certaines exigences en temps et en moyens humains convenablement formés, dans la mesure où l'objectif est des constituer des groupements viables et durables. Elle privilégie dans ce sens l'assimilation des techniques par les opérateurs locaux au détriment du respect d'un calendrier de montage du groupement qui ne présente aucune pertinence dans ce contexte. C'est en effet, par une implication directe des populations concernées dans des opérations comme l'inventaire du patrimoine naturel et culturel, qui garantit l'adhésion et "l'internationalisation" par les populations des objectifs de gestion. Cette même prise de conscience va également fortifier le contrôle social qui constitue un élément majeur pour atteindre durablement les objectifs fixés.
Par ailleurs, le projet forestier formulé par le groupement doit être "ouvert", c'est à dire répondant à la fois aux besoins à long terme du groupement du milieu, et s'efforçant d'atteindre aux mieux des objectifs de conservation des écosystèmes naturels et de la biodiversité.
Si la production du bois d'uvre et de service sont présents dans ces projets, le reboisement de production ne deviendra qu'une des solutions possibles et beaucoup doit être également fait, pour guider une régénération naturelle productive. Toutefois, le projet d'un groupement est avant tout celui d'une gestion de l'espace forestier à usages multiples où les ressources naturelles de toute nature et de tous usages doivent être valorisés de façon durable.
Dans ce projet forestier, la conservation d'écosystèmes représentatifs des diversités régionales est un volet essentiel qui justifie aussi l'appui extérieur et du Gouvernement pouvant être fourni à ces groupements.
Enfin, la formule de mise en uvre des groupements forestiers villageois est aussi et surtout l'occasion d'un partenariat nouveau avec l'Administration forestière. Cependant l'ambition va bien au-delà, pour déboucher sur leur suivi, notamment quant aux appuis techniques qui leur seront offerts dans le futur.
La mise en uvre de la formule de groupements forestiers et la démarche correspondante sont en cours depuis 1994. Toutefois cette démarche repose sur un travail conduit depuis 1990, dont le point de départ a été la formalisation d'engagements de mise en défens par les populations.
Face à l'engouement des populations pour cette initiative, le Gouvernement guinéen est venu à la rencontre, en autorisant officiellement l'application de la procédure retenue. Ainsi de mars 1997 en avril 2002, on comptait dans les seules zones d'intervention du Programme, 85 groupements agréés, pour une superficie d'environ 8.035 hectares de forêts qu'ils gèrent de façon concertée avec les populations de leurs localités.
Par ailleurs, des projets appuyés par d'autres partenaires au développement kfw et GTZ notamment se sont appropriés de cette démarche, comme porte d'entrée à la gestion participative des ressources forestières. Ainsi, plusieurs autres groupements sont de nos jours en voie de constitution à travers le pays.
A terme, les perspectives de développement de cette formule, qui va parfaitement dans le sens des orientations de politique forestière et de décentralisation adoptées par le Gouvernement guinéen, apparaissent considérables. Dans l'ensemble, les espaces potentiellement concernés par cette formule en Moyenne et Haute Guinée, sont évalués à 45.000 ha.
Il est important de souligner que si l'on considère que le rôle des Programmes comme le Programme régional d'Aménagement des Bassins versants du Haut Niger et de la Haute Gambie est d'appuyer l'Etat dans ses réformes et les ajustements en cours, cette interaction s'est avérée satisfaisante et équilibrée aussi bien dans le cadre des forêts villageoises, que dans le cadre de la gestion intégrée des ressources naturelles. Elle débouche aujourd'hui sur des éléments concrets de progrès normatif et politique pour la gestion participative et durable des écosystèmes naturels.
- Guide de constitution des Groupements forestiers;
- Politique forestière nationale
- Code forestier