0245-C4

Recherche et développement pour les opérations forestières de demain

Daniel Guimier 1, ing.


Résumé

Le présent rapport est une réflexion prospective sur les opérations forestières du futur et, par voie de conséquence, sur les orientations de la recherche, du développement et de l'innovation dans le secteur forestier. Il définit en premier lieu les contraintes et les forces motrices qui seront à l'œuvre dans le secteur, pour ensuite formuler des objectifs qui semblent incontournables pour les gestionnaires forestiers de l'avenir. Ces objectifs touchent divers plans: économique, qualité des produits, environnement, aspect social et facteur humain. Ces cinq grandes orientations déterminent les grandes lignes d'un plan d'action pour les activités de recherche et développement (R&D) du futur. Huit axes de recherche sont identifiés dans les domaines de la réduction des coûts à tous les niveaux, de la foresterie de précision, de la mécanisation, de la robotisation, de la formation, des systèmes de communication, de l'optimisation de la valeur et de l'efficacité énergétique. Le rapport conclut en particulier que le gestionnaire forestier du futur devra de plus en plus composer avec des impératifs qui dépassent largement le cadre strict de la foresterie. Il en sera de même des activités de R&D qui concernent les opérations forestières.


Introduction

La recherche, le développement et l'innovation pour les opérations forestières de demain continueront d'aider le secteur à faire face aux contraintes auxquelles il sera confronté; ces activités de R et D sont donc des outils qui permettront d'atteindre les objectifs que le secteur des opérations forestières voudra se fixer. Il s'agit par conséquent de bien examiner les forces motrices qui sont et seront à l'œuvre dans le secteur forestier et d'en dégager les facteurs de changement afin de planifier de façon appropriée les efforts de recherche et les buts qui devront être atteints. L'environnement forestier des 25 prochaines années dicte donc dans une grande mesure la direction de la R et D. Les exceptions seront bien sûr les technologies novatrices, souvent issues d'autres secteurs, qui viendront s'imposer et seront adoptées parce qu'elles deviendront disponibles et qu'elles permettront d'améliorer des processus forestiers existants.

Quelles seront les grandes contraintes et objectifs des gestionnaires forestiers dans l'avenir?

La plupart des grandes orientations définies dans la Carte routière technologique pour les opérations forestières, élaborée par FERIC en 1996, restent valides aujourd'hui (FERIC, 1996). Plus récemment, le Conseil de la recherche forestière du Québec publiait un document sur les Priorités de recherche pour le secteur forestier québécois (Côté, 2002a). Parmi les douze enjeux jugés prioritaires par le Conseil de la recherche forestière du Québec, sept interpellent le secteur des opérations forestières, dans les domaines économique, de la valorisation des produits, de l'environnement, des aspects sociaux et des facteurs humains.

Il se dégage de cette analyse que la recherche et le développement pour les opérations forestières de demain doivent se concentrer sur cinq objectifs majeurs:

1) Réduire les coûts de production

Le coût du bois livré à l'usine représente à lui seul la portion la plus importante des coûts totaux de fabrication des sciages, des panneaux, de la pâte et du papier. Pour le sciage, par exemple, le coût du bois peut représenter jusqu'à 60% des coûts totaux. La réduction des coûts du bois est rendue d'autant plus importante que certains facteurs hors du contrôle de l'industrie, comme les codes de pratiques forestières et les règlements, les dimensions moyennes plus petites des arbres et l'augmentation graduelle des distances de transport, imposent de nouvelles contraintes financières. Un défi réel et continu est donc de réduire les coûts de production grâce à l'innovation et aux améliorations d'efficacité à tous les niveaux. Il s'agit là de l'une des forces motrices importantes de tout programme de R et D dans le domaine des opérations forestières.

2) Optimiser la valeur des produits à chaque étape de la chaîne de production

Bien que nécessaire, la stratégie de réduction de coût définie ci-dessus est une stratégie défensive qui à elle seule ne peut garantir le succès à long terme d'une entreprise. En effet, même si des progrès significatifs de réduction de coûts sont réalisés par une compagnie, cet avantage économique est généralement de courte durée car très vite la concurrence s'ajuste. Il faut constamment compresser les dépenses. Une stratégie complémentaire pour augmenter les profits consiste à accroître les revenus en offrant des produits de plus grande valeur. L'approche est de maximiser la qualité, et donc la valeur du produit, à chaque étape du processus de production. Cette approche est d'autant plus nécessaire que la disponibilité de la fibre est limitée et qu'il faut apprendre à faire plus avec moins. L'optimisation de la chaîne de valeur des produits est une voie nouvelle de recherche et de développement qui verra tout son essor dans les années qui viennent.

3) Protéger l'environnement et les valeurs autres que la fibre

Les enjeux environnementaux liés aux opérations forestières sont très nombreux. Ils couvrent les gaz à effet de serre, la biodiversité, la protection des habitats fauniques, la protection des sols et la qualité de l'eau. Ces facteurs environnementaux imposent et imposeront dans l'avenir des changements majeurs au niveau des pratiques forestières. Ils sont souvent controversés et complexes et demandent, et continueront de demander, un niveau élevé de recherche scientifique, de développement technologique et d'innovation.

4) Travailler en harmonie avec le public

En anglais on parle de « social licence», qui peut se traduire par une acceptation de la part du public des interventions effectuées en forêt publique ou même privée. Quatre-vingt-dix pour cent de la forêt québécoise appartient à l'état et donc à la population, ce qui implique que celle-ci a son mot à dire dans la gestion et la conduite des opérations forestières. Cette acceptation sociale est bien évidemment essentielle aux gestionnaires forestiers puisque sans elle ils perdraient l'accès à leur matière première. Les modes d'opération en forêt ainsi que la communication avec le public doivent s'adapter à cette nécessité d'acceptation sociale; les progrès restant à faire dans ce domaine nécessiteront des développements auxquels la recherche devra contribuer.

5) Miser sur le capital humain

Les travailleurs et les entrepreneurs sont deux groupes critiques pour le succès des opérations forestières et l'application de nouvelles technologies. Sans eux les défis à relever en forêt au cours des années à venir ne pourront être rencontrés. Pourtant il existe encore de sérieux défis au niveau de la formation des gens sur le terrain, de la santé et de la sécurité, de la disponibilité de main-d'œuvre qualifiée, et de la relève des travailleurs dont l'âge moyen augmente. La R et D n'apportera pas de réponse à toutes ces questions mais certaines solutions sur le plan technologique et sur celui de la formation contribueront à résoudre en partie ces défis et à valoriser le travail d'un opérateur forestier afin que cette profession présente un intérêt pour la nouvelle génération.

Quelles sont les pistes de recherche et d'innovation qui permettront de répondre à ces objectifs?

1) Réduction continue des coûts à tous les niveaux

Les sauts technologiques qui, du jour au lendemain, entraînent des réductions extraordinaires de coût (par exemple plus de 10%) existent et sont souhaitables. Toutefois, dans le domaine des opérations forestières où la technologie a atteint une maturité au cours des années, il est peu probable que l'on assiste à des sauts technologiques importants, plus caractéristiques de l'industrie de l'électronique ou des communications. En toute probabilité, les réductions de coûts continueront à se réaliser principalement par le biais d'une amélioration graduelle et continue des procédés existants. Cette amélioration constante peut se produire à deux niveaux, soit technique et organisationnel.

Au plan technique, le génie créateur des opérateurs forestiers, des équipementiers et d'organismes tels que FERIC amènera sur le marché des technologies plus performantes et plus sécuritaires. Cette approche a porté fruit dans le passé et continuera dans l'avenir. La liste de ces innovations technologiques est longue mais il suffit d'en citer quelques-unes pour illustrer le point: la tête d'abattage à scie circulaire, les pneus à haute flottation, le système de gonflement central des pneus, les flèches d'abatteuses allongées, le système antichute pour camionneur, les camions allégés, les remorques multi-usage, etc....

Au plan des améliorations organisationnelles, on cherchera constamment à éliminer toute activité non productive qui engendre des coûts sans créer de valeur. Les principes de gestion de la production à valeur ajoutée et des techniques telles que le Kaïzen gagneront en popularité pour éliminer toutes sources de gaspillage en temps, énergie et argent. La R et D a une contribution importante à faire dans l'approche de gestion par valeur ajoutée; une analyse des opérations par le biais d'études de temps et mouvement, par exemple, permet d'identifier l'amplitude ainsi que les causes des temps non productifs et donc d'y remédier.

2) Foresterie de précision

Le terme «foresterie de précision» est relativement récent et englobe une série de technologies existantes ou futures visant une meilleure connaissance et une gestion plus fine des ressources forestières. La foresterie de précision répond aux exigences accrues au niveau du contrôle des opérations forestières et de l'impact que celles-ci pourraient avoir sur l'ensemble des valeurs forestières, ainsi qu'au besoin d'optimiser la valeur et la récupération de la matière ligneuse, et enfin à la nécessité de documenter les activités. Ces développements présents et futurs peuvent être classés sous trois thèmes:

Connaissance du territoire:

Des progrès énormes ont été réalisés pour automatiser et améliorer la précision des inventaires forestiers, mais il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, la télédétection appliquée aux inventaires de bois sur pied, aux inventaires de coupe ou de régénération, est un développement qui devrait éventuellement fournir aux gestionnaires des données précises et utilisables en continu. D'autres technologies comme la numérisation au laser 3-D et la numérisation par caméra numérique au sol offrent également un potentiel très intéressant.

Planification

La gestion des valeurs multiples de la forêt pose d'immenses défis puisque les stratégies d'aménagement utilisées actuellement ne peuvent que très rarement satisfaire toutes les exigences multiples simultanément. Le choix de compromis impose une connaissance complexe des interrelations entre les différentes constituantes de la forêt. La recherche devra continuer à définir ces mécanismes d'interrelation entre les systèmes et produire des outils d'aide à la décision, à la fois simples mais polyvalents, qui permettront aux gestionnaires de prendre des décisions éclairées et de planifier leurs opérations en conséquence.

Suivi et contrôle des activités

Les mêmes défis se posent au niveau des opérations sur le terrain; les contraintes volontaires ou imposées par le biais de normes demanderont une complexité et une précision de contrôle de plus en plus poussées. Des outils tels que les GPS déjà couramment utilisés pour les relevés topographiques et la navigation verront leurs fonctions améliorées et leur application généralisée. D'énormes progrès restent à faire cependant au niveau de la précision de la cartographie existante et de celle des équipements GPS particulièrement sous couvert forestier. Le suivi deviendra particulièrement important au fur et à mesure que davantage d'entreprises verront leurs opérations forestières accréditées sous les différents programmes de certification environnementale.

3) Méchanisation

Les opérations forestières au Canada sont très mécanisées et des réductions de coût importantes ont été réalisées au cours des trente dernières années grâce à la mécanisation. Bien que le potentiel soit limité, il reste encore quelques activités forestières manuelles qui pourraient être améliorées grâce à une mécanisation appropriée. Les plus prometteuses comprennent l'éclaircie pre-commerciale semi ou complètement mécanisée, le reboisement mécanique, et les coupes de jardinage en forêt feuillue. Bien que des réductions de coûts soient réalisables, le grand défi que présente la mécanisation de ces travaux demeure le maintien de la qualité des interventions sur le plan sylvicole comparativement aux résultats obtenus avec les travailleurs manuels. Ce défi reste donc entier pour les chercheurs et développeurs de l'avenir.

4) Robotisation

L'opérateur de machinerie forestière d'aujourd'hui doit exécuter des milliers d'actions routinières et répétitives durant chaque quart de travail pour contrôler les fonctions de base de la machine (Skogforsk, 2001). Ceci lui demande souvent de prendre plusieurs dizaines de décisions à la minute et mobilise entièrement son attention. Grâce à l'automatisation, ces fonctions répétitives pourront être en grande partie contrôlées par des robots intelligents et l'opérateur de demain pourra se concentrer sur des décisions stratégiques d'opération. Cela améliorera la qualité du travail et la productivité tout en réduisant la fatigue et le stress pour l'opérateur. L'automation permettra aussi le contrôle à distance, sortant ainsi l'opérateur d'environnements non sécuritaires ou inconfortables.

Pour la R et D, ceci implique le développement de systèmes de contrôle mais aussi de capteurs de toutes sortes capables de mesurer, de voir ou de tester l'environnement dans lequel la machine travaille.

5) Formation

Les compétences nécessaires pour utiliser des équipements de plus en plus sophistiqués et pour travailler dans un environnement où les normes et contraintes se complexifient sont absolument essentielles. La formation des opérateurs prendra donc de plus en plus d'importance. Or, le transfert de connaissances est un maillon faible de notre système de recherche forestière. Une étude récente du Conseil de la recherche forestière du Québec (Côté, 2002b) nous indique que la moitié des intervenants consultés déclaraient manquer de connaissances techniques pour prendre leurs décisions; soixante-dix-sept pour cent de ce même groupe s'entendaient pour dire que l'information dont ils avaient besoin existait mais qu'elle était peu accessible en raison d'un manque de diffusion. La formation est un des moyens de transfert de connaissance et des efforts importants doivent y être consacrés dans les années à venir.

6) Systèmes de communication

On peut aisément affirmer que des systèmes de communication efficaces sont un prérequis pour le succès présent et futur d'une entreprise. L'accès quasi instantané à l'information et sa diffusion rapide sont nécessaires à une relation harmonieuse avec le public, à des prises de décisions branchées en direct sur le marché et à une gestion efficace des opérations.

Le maintien de la « social licence» d'une compagnie repose avant tout sur une communication efficace et ouverte avec le public. On voit d'ores et déjà des compagnies forestières qui affichent leurs activités et leurs plans forestiers directement sur Internet et qui invitent le public à soumettre leurs suggestions. Il est probable que cet échange d'information entre l'industrie, le public et les agences gouvernementales n'ira qu'en augmentant dans l'avenir. Ceci interpelle le monde de la R et D pour développer des outils appropriés afin de faciliter cette communication.

La commande d'un produit du bois par le client pour aboutir presque instantanément sur l'ordinateur de bord d'une machine en forêt est tout près d'être une réalité même aujourd'hui. La production à flux tiré est une tendance vers laquelle l'industrie s'oriente et la gestion de la chaîne d'approvisionnement est un domaine sur lequel des recherches sont d'ailleurs déjà en cours (Consortium de recherche sur les affaires électroniques, 2002).

7) Optimisation de la valeur

On reconnaissait plus tôt que la réduction des coûts est un mal nécessaire, alors que miser sur l'accroissement de la valeur des produits semble être une stratégie plus prometteuse à long terme. Miser sur la valeur implique que chaque activité dans la chaîne de production doit contribuer à augmenter la valeur du produit ou à faciliter les processus de fabrication subséquents. Cette approche est relativement nouvelle pour les opérations forestières qui ont longtemps eu pour seule mission de livrer la fibre aux usines au moindre coût et en quantité suffisante. Pour la recherche et le développement en opérations forestières, ceci implique aussi un changement de paradigme puisque le champ des aspects à considérer s'ouvre considérablement pour englober des aspects de qualité et de valeur du produit fini livré au client. Des études économiques précises devront permettre de définir les meilleurs compromis entre les coûts de production en forêt, les coûts à l'usine et la valeur des produits en bout de ligne. La solution optimale ne sera pas nécessairement de fournir la fibre au moindre coût aux usines, mais bien de générer le profit maximum sur le produit fini.

8) Efficacité énergétique

Les opérations forestières sont dépendantes du pétrole, une source d'énergie non renouvelable qui est vulnérable aux événements politiques à l'échelle mondiale. Au prix actuel du carburant, les coûts d'énergie représentent de 10 à 15% des coûts de récolte, et jusqu'à 25 à 30% des coûts de transport par camion.

De plus, d'importantes pressions risquent de s'exercer dans l'avenir pour rencontrer les objectifs établis dans le protocole de Kyoto visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. La réduction de la consommation d'énergie a donc un effet double, soit de diminuer les coûts et d'avoir un impact positif sur l'environnement.

Les efforts de R et D devraient être orientés vers deux axes principaux: Premièrement, en axant nos actions vers la conscientisation des opérateurs par l'information, la formation et l'utilisation de systèmes électroniques mettant en évidence des techniques de conduite particulièrement énergivores, il est déjà possible de faire de grands progrès. Deuxièmement, la recherche devrait s'orienter vers le développement de moteurs plus efficaces.

Conclusion

Devant la complexité des défis et la multitude des possibilités technologiques s'offrant à elles, les opérations forestières vont continuer à se transformer à un rythme rapide dans les années 2000. Le gestionnaire forestier devra composer avec des impératifs qui dépassent largement le cadre strict de la foresterie. Les opérations forestières continueront d'être un champ d'application privilégié des technologies de pointe. En outre, elles seront de plus en plus liées aux autres composantes de l'ensemble plus large qui part de la génétique et qui aboutit au produit fini. La recherche et le développement qui sont associés aux opérations forestières devront être exécutés dans ce même cadre de référence. Enfin, les facteurs humains, que ce soit au niveau des opérateurs sur le terrain ou du public en général, demanderont une attention toute particulière.

Références bibliographiques

Consortium de recherche sur les affaires électroniques dans l'industrie des produits forestiers. 2002. FOR@C de la forêt au client. FORAC. Pamphlet. 5 volets.

Côté, Marc-André. 2002. Besoins en transfert de connaissances dans le secteur forestier québécois. Conseil de la recherche forestière du Québec. Version du 23 octobre 2002. 35 p.

Côté, Marc-André. 2002. Priorités de recherche pour le secteur forestier québécois. Conseil de la recherche forestière du Québec. 46 p.

FERIC. 1996. Carte routière technologique pour les opérations forestières du Canada. Institut canadien de recherches en génie forestier. RS-117. 15 p.

Skogforsk. 2001. Efficient Systems for Sustainable Forestry. Profitability and Flexibility in CTL-technology. International Forestry Trade Fair (6-9 juin 2001).


1 Institut canadien de recherches en génie forestier (FERIC), 580, boul. St-Jean, Pointe-Claire (QC) H9R 3J9 www.feric.ca
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V.-p., Région de l'est de FERIC