0251-C2

Déforestation, concessions agricoles et conflits potentiels: Province de Ouest-Kalimantan, Indonésie

Eric Penot et Cathy Geissler


Résumé

L’occupation des sols dans la province de Kalimantan Ouest (île de Bornéo), et en particulier dans le district de Sanggau, notre zone d’étude, a subi de considérables modifications: agriculture sur brûlis Dayak, puis introduction de l’hévéa en agroforêts au début du siècle, plantations de palmier à huile ou d’Acacia mangium (privées, puis petits planteurs), une tendance en nette accélération pendant la dernière décennie. Ce cas d’étude est particulièrement explicatif des conflits fonciers potentiels qui découlent des stratégies d’acteurs aux logiques différentes et, souvent antinomiques.

A partir des années 1980, différents acteurs: Etat, sociétés privées, communautés locales dayaks et populations transmigrées javanaises, développent des stratégies foncières qui induisent une re-définition de l’utilisation des sols, dont la tenure et les règles d’utilisation étaient initialement basée sur la loi coutumière (Adat). La politique gouvernementale de développement des concessions à des sociétés privées ou semi-publiques pour plantations de palmier à huile et d’Acacia mangium aboutit à une redistribution juridique des terres au détriment des populations locales sans pour autant que ces dernières en soient clairement informées. Cette situation génére une source potentielle de conflit dans un futur proche entre les sociétés privées ou semi-publiques qui exploitent ces concessions et les communautés locales dans un contexte de raréfaction des terres et de développement effréné des grandes plantations.

L’objectif de ce mémoire est de présenter la situation actuelle en terme d’occupation des sols sur le plan juridique, puis dans la réalité. Trois scénarios d’évolution à 10 ans sont proposés afin d’estimer l’impact de ces changements sur l’allocation des terres.


1 La zone d’étude: le district de Sanggau dans la province de Kalimantan-ouest

La province de Ouest-Kalimantan sur l’île de Bornéo est représentative des «iles extérieures», zones à évolution foncière et agricole rapide que l ‘on peut trouver en Indonésie. Le secteur sélectionné pour cette étude est le district de Sanggau dans la province de Kalimantan-Ouest (carte 1) situé au centre du bassin du fleuve Kapuas qui affiche le plus fort taux de déforestation et de terres dégradées de la province. Il est représentatif des dynamiques récentes observées dans la province. Au début du siècle, la forêt recouvrait la quasi totalité de cette région comme l’atteste les nombreux récits publiés de voyageurs. Actuellement, il ne reste plus que quelques vestiges de cette forêt primaire (environ 7.5 % du district), traditionnellement exploitée par les communautés dayaks du groupe des bidayuh, ou land-dayaks (King Victor T, 1993).

Les sociétés forestières ont obtenu depuis les années 1960 des concessions dites «forestières» permettant une exploitation par coupe sélective pour la production de bois d’œuvre (carte 3). Un cahier des charges officiel (TGHK) permet théoriquement une exploitation soutenable de la forêt (avec un statut de forêt dite “ de production “). Le non-respect des règles, d’ou une large sur-exploitation de la forêt, rend ces sociétés forestières responsables en grande partie de la déforestation initiale (Gouyon 1999) et non l’agriculture sur brûlis qui a été longtemps considérée comme le bouc émissaire idéal. Le processus de déforestation a ensuite été amplifié par les sociétés de plantations (Potter 1998) et en particulier lors de l’année 1997 puis des années «El Nino» très sèches (Laumonier Y. 1998). A partir de 1985, le phénomène de déforestation et de développement des grandes plantations s’accélère.

L’agriculture paysanne locale a rapidement intégré l’hévéa sous la forme de système de culture agroforestiers lors de son introduction en Indonésie au début du siècle. A partir des années 1970 de nombreux projets gouvernementaux ont été mis en place, basés sur la replantation avec des clones d’hévéa plus productifs selon un modèle de monoculture. Parallèlement, des centres de transmigration ont été établis afin de permettre l’établissement de populations javanaises dans l’île de Kalimantan, basés soit sur les cultures vivrières (ce fut un échec flagrant) soit pérennes (un succès relatif avec les NES hévéa puis palmier à huile) (Levang 1995). La présence de ces populations javanaises transmigrées officielles n’a pratiquement jamais entraîné de conflits sociaux ni fonciers avec les populations locales Dayaks. Les conflits enregistrés en 1998, puis 2001 dans la province concerne les rapports conflictuels depuis des années entre les Dayaks et les migrants spontanés d’origine Maduraise. L’occupation illégale et non négociée du foncier dans certains cas a pu effectivement être une des sources de conflit mais non la seule.

2 Une multiplication des acteurs présents

Différents acteurs: l’Etat, les sociétés privées et semi publiques, et les communautés locales agissent par leurs modes d’exploitation sur le paysage et l’utilisation des sols à travers de nombreux programmes de mise en valeur.

L’Etat

L’Indonésie a officiellement classé 75 % de son territoire en zone forestière pour des raison de législation. En réalité, le potentiel forestier du pays est de 66 millions d’hectares en 1998 (Durand 1999), soit 35 % de la superficie totale du pays.. L’Etat agit d’abord par les projets de développements sectoriels orientés vers les producteurs locaux (hévéa, cocotier), puis par les projets de transmigration, basés sur une population transmigrée javanaise (hévéa, palmier à huile, cultures vivrières) et enfin il possède des plantations gouvernementales (PTP) autour desquels sont greffées des plantations paysannes «NES». L’Etat agit aussi par une politique de distribution de concessions forestières, de concessions forestières industrielles (HTI ou «Hutan Tanaman Industri») et de concessions pour plantations pérennes à des sociétés privées (palmier à huile). Par le biais des autorisations données aux concessionnaires, l’Etat devient le principal acteur, indirect, responsable des tendances en cours.

Les sociétés forestières.

Ce sont des acteurs classiques qui exploitent les zones classées en forêt dites productives sur la base de concessions accordées pour 30 années.

Les HTI sont des sociétés mixtes de plantations forestières (en général A mangium) ayant des concessions de 30 ans. Ces concessions font l’objet d’une législation spéciale et peuvent être partiellement financées par le fonds de replantation gouvernemental. Elles ont débutées en 1990. Dans la province de Ouest-Kalimantan, en 1998, il existait 36 HTI sur 5 millions ha. La distribution des HTI est montrée sur la carte n° 5. La législation impose aux HTI de consacrer 10 % de leur superficie à des plantations agroforestière pour les populations locales (incluant l’hévéa clonal). Pour un hectare récupéré par la HTI, le paysan reçoit 0,25 hectare planté. Les HTI fournissent effectivement une opportunité de revenu pour les paysans pauvres des projets de transmigration. On peut aussi considérer ces projets comme une source de main d’oeuvre captive peu onéreuse pour les HTI.

Les sociétés privées de plantations.

De nombreuses sociétés indonésiennes se sont rapidement implantées en obtenant ces concessions, principalement pour le développement du palmier à huile qui a explosé dans les années 1990. En 15 ans, les surfaces plantées en palmier à huile ont considérablement augmenté: passant de 500 000 à 2500 000 ha de 1984 à 1998. La distribution des concessions est montrée sur la carte n° 4.

Les communautés paysannes

Les paysans ont des systèmes traditionnels de production basés sur les agroforêts à hévéa (Jungle Rubber), (soit 43 % de la zone d’activité agricole paysanne (BPS 1997) et les agroforêts à fruit et à bois («Tembawang» en indonésien), les cultures sur brûlis (riz pluvial) et le riz de bas-fonds, voire la riziculture irriguée pour les transmigrants javanais quand le terrain le permet. La forêt fut longtemps une ressource importante pour les populations paysannes dayaks (chasse, cueillette, bois, pharmacopée, etc.). Cette ressource a considérablement chuté du fait de l’introduction de cultures pérennes. Les plantations paysannes hévéicoles couvre au total 463 000 ha dans la province dont 97,2 % en agroforêt à hévéa (jungle rubber) (DGE 1998). Les petits planteurs ont donc été, eux aussi, un facteur de déforestation, mais cette dernière a été progressive, étalée sur un siècle et surtout relativement limitée. Cependant, les jungle rubber sont des agroforêt complexes dont la biodiversité en fin de cycle est comparable à celle des forêts secondaires (De Foresta 1997) et renferme l’essentiel de la biodiversité forestière restante dans les zones de plaines.

L’ensemble des activités agricoles, en concessions ou petits planteurs, est montrée sur la carte n° 6.

On peut globalement opposer deux logiques apparemment contradictoires mais qui pourraient être complémentaires. L’Etat et les sociétés de plantations d’un côté sont censés représenter la modernité, le productivisme et un mode de développement offrant des débouchés en terme d’offre de travail aux populations locales (off-farm) et d’offre de «plantations clés en main». De l’autre côté, les populations locales font évoluer leurs systèmes de cultures vers la diversification (hévéa, palmier à huile, poivre...) et abandonnent progressivement l’agriculture itinérante.

3 Les différents type d’exploitation forestières et agricoles en fonction des droits coutumiers et légaux

L’extension des plantations d’hévéa, dans un contexte de front pionnier et de terres abondantes, s’est accompagnée d’un passage progressif à une “ propriété foncière selon le droit local “ (Mary 1993). Le droit foncier traditionnel en indivision affecte une tenure individuelle temporaire à toute parcelle qui fait l’objet d’une véritable “ exploitation “ agricole. La plantation d’arbres apparaît comme un moyen direct d’acquisition du foncier dont le régime de droit d’usufruit s’apparente de fait sur le long terme à un régime de propriété de type privé (droit romain) (Penot, 1007).

Parallèlement, cette période 1985-2002 se caractérise par une évolution très rapide de l’occupation des sols par une politique gouvernementale de concessions à des sociétés de plantations. Après une exploitation forestière classique, les forêts qui si elles étaient restées sous le statut de “ forêt de production “ auraient été maintenues en l’état pendant 30 ans pour la régénération des arbres, ont souvent été brûlées, accidentellement ou intentionnellement, dans le but de demander leur rattachement en forêt de conversion, ce qui laisse la porte ouverte à leur mise en exploitation sous forme de plantations. De telles pratiquent sont apparues à chaque sécheresse importante (1983, 1987, 1991, 1994 et surtout en 1997) avec une proportion de feux incontrôlés sur plusieurs centaines de milliers d’hectares

Les différents statuts des zones de forêts sont indiquées dans le tableau 1.

Tableau 1: La classification forestière TGHK et ses caractéristiques

CLASSE

OBJECTIF PRINCIPAL

UTILISATIONS

Conservation
(HSA: Hutan Suaka Alam dan Wisata)

- Conservation de la nature
- Conservation des ressources

Activité extractive et agricole interdite

Protection
(HL: Hutan Lindung)

- Protection des sols
- Conservation des eaux

Activité extractive et agricole interdite

Production limitée
(HPT: Hutan Produksi Terbatas)

- Production de bois et contrôle de l’érosion

Exploitation par coupe sélective

Production normale
(HPB: Hutan Produksi Biasa)

- Production de bois

Exploitation par coupe sélective ou coupe rase

Conversion
(HPK/HK: Hutan Produksi Konversi)

- Conversion pour les productions agricoles ou autres usages

Exploitation par coupe rase

Source: Cossalter, 1992

Les zones, types de forêts et types de concessions et leurs acteurs respectifs sont présentées dans le tableau 2 suivant:

Tableau 2

LES ZONES, TYPES DE FORETS ET TYPES DE CONCESSIONS

LES ACTEURS

Forêt


Forêt de production

Concessions forestières

Forêt protégée

Etat

Forêt de conversion

Etat distributeur de concessions, puis sociétés privées ou mixtes

Activité agricole

Multiacteurs

Projet de transmigration

Etat (ministère de la Transmigration)

Concessions pour plantations



Concessions récentes pour plantations pérennes plantées

Sociétés concessionnées privées

Concessions récentes pour plantations pérennes non plantées

Sociétés concessionnées privées

Concessions anciennes pour plantations pérennes plantées

Sociétés concessionnées privées

Concessions pour plantations forestières industrielles privées

Sociétés semi-publiques

Concessions pour plantations forestières industrielles transmigration

Etat (ministère de la Transmigration)

Projet PTP/NES

Etat et communautés paysannes

Cultures paysannes et terres inoccupées (savanes, montagne)

Communautés paysannes (Adat)

4 De la déforestation à la plantation: les conséquences d’une politique de concessions

4.1 Une déforestation importante

Les résultats présentés dans ce chapitre proviennent d’une analyse des cartes existantes, reconstruites au sein d’un système d’information géographique (SIG), effectué en 1999. La déforestation massive découle des facteurs économiques et politiques suivants:

- une sur-exploitation des forêts aboutissant à la “ conversion “ des zones exploitées en plantations.

- une importante conversion des forêts exploitées (statut de “ forêt de production “) en plantations dites «forestières» (Acacia mangium) ou «pérennes» (hévéa et palmier à huile) liée à une politique de redistribution des terres par le gouvernement. Le statut de “ forêt de conversion “ entraîne généralement la destruction totale de la forêt sur ces zones.

- une forte augmentation de la pression démographique, d’une part par la croissance naturelle (supérieur à 2 % par an) et d’autre part par des migrations spontanées ou organisées (transmigration) qui alimentent un front pionnier permanent.

- le développement de plantations pérennes, soit paysannes, soit en grandes plantations (Estates).

Les secteurs des petits planteurs et des plantations industrielles (estates) sont maintenant clairement en concurrence pour l’occupation et l’utilisation des terres.

4.2 Une situation juridique de l’utilisation des sols en 1998 au détriment des populations locales Dayaks

On distingue trois grands types d’utilisation des sols: la forêt, l’activité agricole paysanne et les concessions pour plantations (carte 1). Les superficies recalculées, effectuées pour chaque couche recomposée, sont présentées dans le tableau 3.

Tableau 3: Superficies et proportions des différents types d’occupation des sols en 1995 après traitement SIG

Les différentes zones

Surface en ha

Part des zones en %

Couche «forêt»


Forêt de production réelle

268 455

14,6%

Forêt protégée

137 118

7,4%

Forêt de conversion

5 498

0,3%

Couche d’activité agricole paysanne

261 500

14,2%

Couche de projet de transmigration

51 829

2,8%

Couche «concessions pour plantations»


Concessions récentes pour plantations pérennes plantées

404 997

21,9%

Concessions récentes pour plantations pérennes non plantées

236 841

12,8%

Concessions anciennes pour plantations pérennes plantées

71 682

3,9%

Concessions pour plantations forestières industrielles privées

361 578

19,6%

Concessions pour plantations forestières industrielles transmigration

45 255

2,5%

Total

1 844 756

100%

Les zones de forêts de production représentent seulement 14 % du territoire (contre plus de 40 % avant 1980) et sont situées en périphérie du district. Les zones d’activité agricole paysanne sous loi coutumière «adat» ne représentent plus que 14 % du district au lieu de 52 % avant la politique de concession. Les projets de transmigration couvrent seulement 2.8 % du district.

Cependant, depuis 15 ans, des conflits croissants entre les communautés locales dayaks et les migrants spontanés madurais peu intégrés ont abouti à des massacres en février 1998 et avril 1999. Ces migrants spontanés s’étaient installés sur les territoires contrôlés par les dayaks dans les zones plutôt fortement peuplées. Il ne faut donc pas faire d’amalgame sur les problèmes de transmigration de population en général et clairement distinguer les types de transmigration: spontanée (non contrôlée) et officielle (par le biais des programmes de transmigration du ministère concerné).

Les concessions pour plantations pérennes et forestières industrielles couvrent maintenant 60 % du district de Sanggau (carte 4). Ces concessions sont en grande partie établies sur les zones d’activités agricoles paysannes traditionnelles anciennes, à proximité d’une source de main d’œuvre abondante et des axes de communications. La dynamique de l’occupation des sols, en particulier dans la période 1990-1999, se fait clairement au détriment des terres disponibles pour les communautés locales.

4.3 Une dynamique source de conflits potentiels

Les sociétés de plantations doivent négocier avec les populations locales pour disposer effectivement de la terre. Certaines sociétés, comme les HTI, négocient financièrement, telle la société PT Finnantara qui propose 10 000 roupies/ha (4,2 US $ en 1997). D’autres sociétés de plantation proposent aux agriculteurs d’échanger une parcelle de 7,5 hectares de forêt secondaire ou de vieux jungle rubber contre une parcelle de deux hectares plantés en palmier à huile (cas de PT Sime Indo-Agro). Ces propositions sont attractives mais les modalités de crédit sont floues et le paysan finalement paie deux fois (le remboursement du crédit et la perte de terres: 5,5 hectares).

Juridiquement, 71 % du territoire n’est plus sous le contrôle traditionnel des populations locales dayaks, sans que celles-ci aient conscience de cet état de fait juridique (carte 1). Cette situation est potentiellement source de conflits. Les stratégies d’amélioration du revenu à court terme avec le offfarm et le blocage du foncier entraîne un mécanisme potentiel d’exode rural à la seconde génération et, à terme, une possible déstabilisation des populations locales.

4.4 Une situation réelle moins alarmante sur le terrain pour les communautés locales

Cependant dans la pratique, sur le terrain, la situation est moins alarmante pour les communautés locales car certaines concessions (12 % de superficie du district sur les 60 % au total) sont accordées mais non encore plantées. D’autres (45 % du district) ne sont que partiellement plantées: seul 20 % en moyenne du terrain alloué a été effectivement utilisé pour celles plantées en palmier à huile (10 % pour les concessions HTI). La disponibilité “ réelle “ de l’espace, et non plus seulement vu sous l’angle juridique, pour les populations locales a été recalculée (carte 7) en tenant compte de la part effectivement plantée dans les concessions: elle est alors de 54 % alors que, juridiquement, les communautés locales ne «possèdent» plus que 29 % (forêts dite «de production» comprises, déjà exploitées).

Il y a donc un nette différence entre une situation juridique très alarmante et la réalité de terrain, ou les populations sont toujours présentes avec leur “ territoire villageois “, au sens géographique du terme.

5 Les réformes envisagées et les scénarios possibles

La crise économique indonésienne de 1997/98 a limité, voire momentanément arrêté, cette dynamique de plantations. Elle n’a que partiellement repris en 1999 avec un climat politique et économique plus favorable (nouveau gouvernement en octobre 1999 et stabilisation de la roupie en 2002). Depuis mai 1998, on observe un début de révision de cette politique de plantation à outrance par la diminution des concessions accordées, et en particulier la révision, voire la suppression, de certaines concessions non encore plantées.

Dans cette optique, trois scénarios d’évolution de l’occupation des sols pour l’horizon 2010 sont envisagés. Le premier scénario est basé sur le gel de la politique de plantation impliquant la révocation de certaines concessions et le gel” des plantations débutées avec la crise de 1997. La disponibilité réelle des terres pour les communautés locales serait alors de l’ordre de 54 %. Le deuxième scénario implique une politique de continuation de la tendance observée avant 1998 avec un très fort développement des plantations. C’est un scénario sans la crise de 1997/2001. Il se traduit alors un doublement des surfaces plantées en Acacia mangium et en palmier à huile par rapport aux surfaces déjà plantées en 1995. La disponibilité réelle des terres pour les populations locales chuteraient à 37 % environ (au lieu de 54 %). Le troisième scénario est un scénario intermédiaire entre les deux précédents évoquant une politique de développement “ moyen “des plantations. La disponibilité des terres pour les populations locales serait alors de l’ordre de 50 % (carte 7).

6 Conclusion

Ce troisième scénario semble être le plus probable car un certain nombre de réformes ont été engagées à partir de mai 1998 montrant que les gouvernements respectifs indonésiens (Habibie 1998-2000, puis Wahid 2000-2001 et enfin Megawati 2001...) reconnaissaient la non-viabilité à moyen terme d’une politique de distribution de concession tout azimuts. Par ailleurs, la nouvelle politique de décentralisation qui donne un pouvoir accru aux «Bupati», responsables locaux aux niveaux des districts (Kabupaten) peut aussi changer considérablement la donne.

A travers le développement des plantations pérennes et forestières industrielles, les communautés paysannes locales entrevoient des opportunités d’emploi, la mise en place ou la restauration de voies d’accès ou de routes meilleures, et donc un meilleur accès au marché, ainsi que, pour ceux qui y ont accès, la possibilité de développer des plantations hautement productives reprenant le rôle initial tenu par les projets gouvernementaux (qui se sont terminés fin 2000). Cependant les conditions d’accès à ces projets «privés «sont nettement plus défavorables pour les planteurs. Les communautés n’ont pas d’information sur la réelle menace qui pèse au plan juridique sur leur espace.

Il existe une voie possible pour un développement entre les différents acteurs qui devrait intégrer la reconnaissance officielle de la déforestation par l’exploitation forestière mal gérée et l’application de la législation en cours, la réalisation d’un inventaire sérieux du couvert forestier et la mise au point de systèmes de gestion viables de la forêt (planification réaliste et précise de l’usage des forêts), la réactivation des droits traditionnels des populations locales, la valorisation de la recherche en foresterie communautaire (incluant les pratiques agroforestières) et la réduction des superficies concédées (gestion raisonnée des forêts de conversion qui ouvrent la porte aux sociétés de plantations).

Le problème principal de l’usage rationnel et équitable des zones forestières (couverte de forêt ou non) en Indonésie ne vient pas du manque de législation, mais plutôt de la non-application de cette dernière et de l’absence de moyens ou de volonté de l’Etat pour contrôler les activités des sociétés forestières et de plantations. L’Etat par une politique de développement tout azimuth de sociétés de plantations a largement contribué a cette déforestation et à une redistribution des terres au détriment des populations locales. L’Etat devrait jouer un rôle régulateur entre les nécessités du développement d’une économie de plantation source de devises par le secteur privé, les divers projets de développement agricole et les aspirations des populations locales.

L’intérêt des populations locales pour les systèmes agroforestiers est important, en particulier pour les systèmes maintenant un environnement forestier et une certaine biodiversité. En terme foncier, la logique de développement des sociétés privées de plantation va à l’encontre de celles des populations locales. Le rôle de l’état serait donc un rôle de “ répartiteur “, créant un d’équilibre entre les acteurs du développement et garant de l’application des droits et devoirs de chacun.

Bibliographie

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Notes

1 Par opposition à l’île de Java, 120 millions d’habitant, 60 % de la populations totale et 7 % de la superficie totale

2 Avec également des plaines naturelles à Imperata cylindrica.

3 En juin 1998, le nouveau Ministre de l’Environnement du premier gouvernement indonésien post-Suharto (le gouvernement Habibie) a officiellement reconnu la situation concernant la gestion des forêts comme comparable à celle du far West Américain du XIXe) siècle, sans lois.

4 La politique de transmigration des populations excédentaires de l’ile de java vers les iles extérieures a débuté en 1905. avec pour objectif relocaliser des populations de transmigrants javanais dans le cadre d’une politique de décongestion de l’île de Java vers les îles extérieures moins peuplées. Relancée en 1950 après l’indépendance, elle a culminée dans les années 1980. Le ministère de la transmigration a été crée en 1984.

5 NES = Nucleus Estates Smallholder Scheme (PIR en indonésien)

6 Plus de 2000 morts et prés de 12 000 réfugiés pour les deux dates. La presque totalité de la population maduraise a quittée les campagnes de la province et sont restés à la capitale provinciale, Pontianak, dans l’attente d’une solution de relocalisation, toujours à l’étude en 2002.

7 HTI = Hutan Tanaman Industri. Une partie de ces HTI ont d’ailleurs été mises en place dans le but d’avoir accès a ce mode de financement via le «fond de replantation», ce qui a abouti à des abus ou à des plantations de très mauvaises qualité dont l’objectif principal n’étaient apparemment pas la production.

8 La forêt initialement concédée doit être exploitée en coupe sélective ou rase. La taille maximale des concessions HTI autorisée est de 300 000 ha s’il s’agit d’une production destinée à la fabrication de pâte à papier et de 60 000 ha s’il s’agit d’essences destinées à la construction ou aux autres industries du bois

9 Les paysans locaux sont engagés pour planter ces arbres (100 à 200 plants/jour) pour un salaire journalier de 5100 Rp en 1997 soit 2,1 US $/jour (7 000 Rp en 1999 soit 1 US $/jour)

10 Aucune usine de pâte à papier n’a été construite quoique celle ci ait été planifiée depuis 1996. Le contexte politique indonésien trouble et la crise économique depuis 1997 engendre une situation de statut quo quand à l’investissement sur cette usine dont le coût global d’investissement est de 900 millions US $, soit un enjeu économique extrêmement important dans un contexte politique troublé. L’absence d’usine, donc de marché potentiel, et la faible surface allouée à chaque planteur (0,25 ha) se sont guère motivantes pour les populations locales. Les productions actuelles sont exportées par barge puis traitées sur la province de Riau.

11 Plus de 5 millions d’hectares de terres, dont une faible partie en forêt naturelle, ont ainsi brûlé en 1997, favorisé par le phénomène climatique “ El Nino ” (Laumonier Y. 1998)

12 Plus de mille morts en 1998 et, finalement le départ de la quasi totalité de la population maduraise de la province en 1999.

13 Il n’a pas été possible de connaître en détail les superficies effectivement plantées par rapport à la taille des concessions, mais nous connaissons la superficie totale des concession et des superficies plantées ce qui a permis de dégager une moyenne, avec, il est vrai, des disparités locales.

14 En effet, quelques réformes dans le secteur forestier ont été mises en place: i) les concessions forestières obtenues par collusion, corruption ou népotisme seront annulées et leur gestion sera transférée à une coopérative: de fait les concessions sont pour l’instant gelées mais non transférées, ii) la taille maximum des unités de gestion en concessions d’exploitation forestière sera de 39 000 hectares, alors qu’à l’heure actuelle elle varie entre 22 000 et 560 000 hectares, iii) aucune concession agricole ne sera attribuée en zone avec le statut de forêt productive, afin d’éviter aux forêts indonésiennes des dégradations irréversibles, iv) le gouvernement tentera une meilleure valorisation de l’utilisation du fonds de replantation.

15 Une révision des concessions autorisées est en cours: plus 50 concessions étaient refusées en juillet 1999 sur tout le territoire (et en particulier celles contrôlées par la famille Suharto: 33 concessions pour un total de 303,000 hectares dans 7 provinces)