Produits forestiers non ligneux (PFNL) ou produits de subsistance? Leçons a tirer de la République Démocratique du Congo

0275-A2

David MINGA MINGA


RESUME

Les recherches forestières s’accordent aujourd’hui sur l’importance sociale, économique, culturelle et écologique que jouent les produits forestiers non ligneux (PFNL). La valorisation de l’utilisation soutenable de ces derniers s’avère indispensable.

La République Démocratique du Congo, un des grands pays subtropical qui détient près de 40% des zones forestières d’Afrique, avec 125.000.000 ha sur 341.000.000 ha, n’a pas de politique de promotion et d’exploitation des produits forestiers non ligneux.

Cette étude fait l’état des lieux des produits forestiers non ligneux en République Démocratique Congo. Elle se veut être une référence sur laquelle les scientifiques peuvent se baser pour étudier les PFNL.

La réflexion révèle que les statistiques officielles sur l’exportation des menus produits forestiers ou produits forestiers non ligneux en République Démocratique du Congo ne se limitent qu’à cinq (5) ressources, à savoir: racines décoratives de Milltia drastica, de rawolfia, des plantes aquatiques, des feuilles brindelles Ancistociadus, Futumia et Fèves de calador.

Les exportations des PFNL sont chiffrées à 1.120,98 $ US en 2000 contre 3.432,94 $ US en 1992 alors que l’Indonésie avait exporté en 1982 le rotin et les autres huiles essentielles pour 200.000.000 $ US.

Ces données officielles ne peuvent qu’interpeller le scientifique, le politique et l’exploitant forestier car la forêt n’est pas seulement le bois d’œuvre mais plutôt cet ensemble complexe composé des produits ligneux et non ligneux.

Mots clés: RD Congo, PFNL, Menus produits forestiers, promotion et valorisation.


I. INTRODUCTION.

Les études de beaucoup de chercheurs sont aujourd’hui unanimes sur l’importance écologique, culturelle, sociale et économique que jouent les produits forestiers non ligneux (FAO, 1991; ROS - TONEM, M, 1999; SUNDERLAND, T et al, 1999 ...)

En République Démocratique du Congo, les forêts occupent près de 52% du territoire national. Et, l’on estimerait aujourd’hui à près de 125.000.000 hectares des zones forestières sur près de 341.000.000 hectares de distribution des zones forestières d’Afrique (BIRD, 1971). Mais, l’agriculture itinérante sur brûlis, l’exploitation du bois d’œuvre et de construction, la coupe du bois de chauffage et du charbon de bois par les populations et les commerçants causent de fortes dégradations forestières du pays.

En réalité, la cause principale de la déforestation et de la dégradation de forêts dans ce grand pays d’Afrique centrale réside essentiellement dans la difficulté qu’éprouvent les décideurs à concevoir et mettre en œuvre des politiques de développement rural, non seulement cohérentes, c’est-à-dire destinée à satisfaire les besoins humains actuels et futur, mais aussi compatibles avec les capacités de production et de régénération des ressources forestières (KOYO, J.P., 1999).

Cette étude veut vérifier si les produits forestiers non ligneux ont une valeur économique c’est-à-dire c’est une source des revenues pour les congolais et peuvent-ils être des alternatifs à la reforestation ?

Et, s’ils sont une source de vie pour les populations, comment sont-ils exploités (politique d’exploitation des produit forestiers non ligneux) ?

Les réponses à ces questions permettront de connaître les valeurs économiques des PFNL ainsi que leur importance sociale, culturelle et écologique.

II. PROMOTION DES PRODUITS FORESTIERS NON LIGNEUX (PFNL) EN RD CONGO: MYTHE OU REALITE ?

La République Démocratique du Congo a une superficie de 2.345.000 km2 dont 2.260.000 km2 sont couverts par des surfaces forestières. Elle regorge plusieurs ressources ligneuses et non ligneuses.

Malgré l’abondance de ces ressources, les produits forestiers ligneux et non ligneux ne contribuent qu’à concurrence de 1% dans le produit intérieur brut, PIB (Forum sur la politique forestière nationale, 2000).

Ce constat m’a amené à me poser la question suivante: «est-ce la promotion des produits forestiers non ligneux serait un mythe ou une réalité ?».

Les statistiques officielles sur l’exportation de menus produits forestiers:

DESIGNATION DU PRODUIT

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

2000

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Q.enT

Racines décoratives de Milletia drastica

478

490,7

113

194

220

138

272

112

157

Rauwolfia

7

5,25

0,2

20

-

-

-

9

-

Plantes aquatiques

-

-

-

-

-

-

-

-

-

Feuilles Brindelles Ancistociadus

-

-

-

-

0,012

-

0,04

-

-

Futumia

-

-

-

-

-

-

66

-

-

Fèves de calador

-

-

-

-

-

-

20

-

-

TOTAL

485

495,95

113,2

214

220,012

138

358,04

121

157

Source: Ministère de l’Environnement, Conservation de la Nature et Développement Touristique, DGFC, 2000.

Légende:

Q = Quantité
T = Tonne

Les taxes forestières suivant l'arrêté du Ministre n° 113/CAB/MIN/ECNT/95 du 30/12/1995 modifiant l'arrêté n° 066/CAB/MIN/ECNT/93 du 22 juillet 1993 sont fixées à la récolte et à l'exportation comme suit:

- Rauwolfia

: 2,86 $/tonne

- Voaconga et digitalia

: 2,86 $/tonne

- Racines décoratives

: 7,14 $/tonne

- Gommes, laques, résines, copal et autres menus produits forestiers

: 2,86 $/tonne.

En 1992, les exportations de la RD Congo représentaient:

[478 T × 7,14 $] + [7 T × 2,86 $] = 3432,94 $ et en 2000, elles ont été évaluées à: 157 T × 7,14 $ = 1.120,98 $ US.

Il suffit de lire ces données, la réponse à ma question sera hâtivement que la promotion des PFNL serait un mythe.

Mais les recherches forestières s'accordent aujourd'hui sur l'importance sociale, économique, culturelle et écologique que jouent les produits forestiers non ligneux (FAO, 1991; MINGA Minga, D, 2000; Ros-Tonen,,M 1999; SUNDERLAND et al, 1999...)

Malgré leur abondance, les produits forestiers non ligneux (PFNL) sont peu étudiés dans le monde. Dans la plupart de cas, les statistiques de production et d'exportation ne sont pas connues. En RD Congo, les statistiques disponibles sont celles d'exportations. C'est comme qui dirait aucun produit forestier non ligneux n'est vendu localement alors qu’il y a sur le marché beaucoup de PFNL.

Par contre, dans les pays d'Asie du Sud et quelques pays d'Amérique, un effort considérable est en train d'être fait. Les statistiques officielles révèlent par exemple que l'Indonésie a exporté en 1982 du rotin et autres huiles essentielles pour une valeur de 200.000.000 $ US, et que le Brésil, la Bolivie et le Pérou ont exporté respectivement en 1990 des PFNL pour 52.000.000 $ US, 22.000.000 $ US et 11.000.000 $ US.

Si ces statistiques peuvent être comparées à celles de la RD Congo, l'on penserait qu'il n'existe pas de PFNL dans ce pays alors que certains produits, en l'occurrence le Rotin qui constitue le plus grand produit exporté par l'Indonésie n'est pas repris sur la liste des PFNL quand bien même il existe en RD Congo et est même exporté à l'étranger (MINGA Minga, D, 2000).

Il en est de même des produits raphia textilis qui sont achetés chez les Kuba par des commerçants et particuliers sont exportés depuis des années vers l’étranger. (VANSINA, 1964).

Cet état de chose est la conséquence de manque de politique sur les produits forestiers non ligneux. En effet, la RD Congo n'a pas de lois sur les PFNL (Forum sur la Politique Forestière, 2000). Les services spécialisés qui ont les forêts dans leur attribution se réfèrent aux normes, procédures et règlements sur la gestion des ressources forestières qui sont en soit une collection des décrets, des arrêtés et autres actes administratifs contenus dans un document dénommé le guide d'exploitant forestier. Ce guide consacre le terme de menus produits forestiers aux PFNL alors que les spécialistes disent qu'il n'existe pas de petits et grands produits forestiers. Cela est confirmé par un article de Peters, Gentry et Mendelsohn (1989) dans Nature qui dit que les fruits et latex dans les forêts péruviennes représentent 90% de la valeur totale du marché.

Les dispositions du guide forestier en RD Congo sur les PFNL disent: " la récolte à caractère commercial des menus produits forestiers est assujettie à l'obtention d'un permis de récolte des menus produits forestiers. La délivrance du permis de récolte des menus produits forestiers est soumise au paiement d'une taxe au niveau de la Coordination Provinciale de l'Environnement Conservation de la Nature et Tourisme (MECNT, 1986). Ces dispositions montrent que l'exploitation pour besoins de subsistance ne sont pas conditionnées par l'obtention d'une quelconque autorisation de l'Etat. Tout le monde peut disposer de ce qu'il veut à tout moment et en tout lieu. La réalité est que les autorités coutumières s'interposent quelque part, surtout dans les Zones périurbaines.

La récolte pour des raisons commerciales demande beaucoup de patience. La procédure est presqu' inaccessible aux exploitants qui sont des villageois qui commencent leurs activités sans fonds ou capital. Un villageois qui récolte les PFNL les déclarerait difficilement à l'administration provinciale. D'où le recours à l'autorité coutumière qui semble être une solution immédiate en dépit de la loi n° 66-343 du 7 juin 1966, la loi n° 73-021 du 20 juillet 1973 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier et régime des sûretés et la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980 modifiant et complétant la loi précédente qui stipule que toutes les terres appartiennent à l'Etat.

Quand les menus produits forestiers sont destinés à l'exportation, les dispositions légales disent: "la délivrance du permis de récolte des menus produits forestiers est subordonnée à l'obtention d'un permis d'exportation délivré par le Ministre à l'Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme. L’exportateur doit préalablement adresser au Ministre de l’Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme une demande de permis d'exportation spécifiant la nature des produits à exporter ainsi que leurs poids spécifiques. Cette demande doit être accompagnée des copies de la déclaration d'engagement de change " Modèle E" pour visa du Ministre.

La délivrance du permis d'exportation des menus produits forestiers est soumise au paiement d'une taxe fixée". (MECNT, 1986). La lecture de ce texte montre la longue procédure administrative que requiert l'autorisation d'exporter des PFNL en RD Congo. Or, nul n'est ignorant que les PFNL sont exploités par des gens qui ne sont pas financièrement forts. Une très longue procédure serait une des causes des statistiques moins fiables et très faibles en RD Congo.

Si les dispositions légales ci-haut montrent que la promotion des PFNL en RD Congo serait un mythe, une hypothèse commune semble être dégagée par les chercheurs qui s'intéressent aux PFNL, " l'exploitation commerciale des PFNL augmente la valeur économique des forêts et incite à la gestion soutenable des forêts et à leur conservation".

Que ça soit au niveau des Villes, des Zones périurbaines, ou au niveau des communautés locales, l'augmentation des opportunités de commercialisation des PFNL serait un stimulus à la conservation et à la gestion durable des écosystèmes. Car la plupart de PFNL sont récoltés sans destruction substantielle des forêts en maintenant l'essentiel des fonctions environnementales et en préservant la diversité biologique (MINGA Minga, D, 2000; Ros-Tonen,M. et al, 1995).

L'exploitation des PFNL a un impact réel sur le social et l'économique des populations et joue un rôle incommensurable sur l'environnement en tant que système complexe et global.

Par exemple, le travail que j'ai réalisé sur le Rotin à Kinshasa a révélé que ce dernier était une activité socio-économique et écologique. Il a été admis que l'exploitation forestière peut être une nécessité économique. C'est le cas de la commercialisation du rotin qui crée l'emploi et qui est une source des revenus pour les artisans. Du point de vue social, l'exploitation du rotin m'a semblé à une activité d'intégration, d'accueil et même de réinsertion. En effet, la vannerie étant bien maîtrisée par les migrants de la ville de Kinshasa, ils s'intègrent facilement dans le secteur des meubles en rotin. Mes analyses ont aussi démontré qu'une des valeurs culturelles du rotin est qu'il fait partie du patrimoine culturelle Congolais. Du point de vue écologique, la coupe du rotin se fait sans forte destruction de la forêt et son prélèvement est souvent sélectif.

A Kinshasa, le gnetum africanuum est très consommé. Il est exploité pour besoins de subsistance et des raisons commerciales.

Il joue donc un rôle socio-économique important. De même, les objets d'art à base du bois ilwootsh et autres qui sont fabriqués par les artistes Kuba, Kongo, etc.. Ces ressources constituent une source des revenus pour les artisans.

Cette argumentation montre que la promotion des PFNL serait une réalité si la RD Congo peut se doter des lois incitatives sur les PFNL.

III. UNE REFORME NECESSAIRE.

Les PFNL sont aujourd'hui une préoccupation des Nations du monde, mais la RD Congo semble marquer les pas en la matière.

Au Ministère de l'Environnement, Conservation de la Nature et Tourisme, on n'évolue pas en terminologie. Les rapports officiels désignent toujours les PFNL par les menus produits forestiers. Il n'existe pas de service ou de direction des PFNL.

A l'instar des pays de l'Asie du Sud et quelques pays africains dont le Cameroun, le Gabon, il est souhaitable que la RD Congo soit dotée des lois claires, impersonnelles et réalistes qui allégeront la procédure administrative pour exploiter les PFNL. Et que le Ministère de l'Environnement, Conservation de la Nature et Développement touristique mette en application une des recommandations du Forum National sur la politique forestière de créer une direction qui présidera aux destinées des PFNL.

REFERENCES

1. CEFDHAC. 2001. Plan d’Action stratégique régional pour les ressources de l’environnement et de la diversité biologique des écosystèmes du Bassin du Congo. Limbe: PNUD, UICN, FEM. 133 p.

2. INBAR. 2001. Socio-economic Issues and constraints in the Bamboo and rattan sectors:INBAR’S assessment. Beïjing: INBAR. Working paper N° 23. 28 p.

3. KOYO,J-P. Bases pour la mise en cohérence des politiques et lois forestières des pays d’Afrique Centrale. UICN. 67P.

4. M.A.F.E.C.N.P.F. 2000. Rapport Général du Forum sur la politique forestière nationale. Kinshasa: MAFECNPF. 37 p + Annexes.

5. MECNT. Arrêté N° 113/CAB/MIN/ECNT/95 du 30 Décembre 1995 Modifiant l’arrêté n° 066/CAB/MIN/ECNT/95 du 22 juillet 1993 portant modification des taux des taxes forestières. 3 p.

6. MECNT. 1986. Guide de l’exploitant forestier: Normes, procédures et règlements sur la gestion des ressources Forestières. Kinshasa: St Paul. 129 p.

7. MECNT. Rapport d’activités 2000 de la Direction de gestion Forestière. 13 p.

8. MINGA Minga, D. 2000. Impact de l’exploitation du Rotang sur la préservation des Forêts périphériques de Kinshasa. Kinshasa: UNIKIN. 71 P.

9. POLET, G. 1991. Rattan and bamboo utilization in Sierra Madrae Community. Leiden: Environment and Development Student. Report N° 3. 99 p.

10. RIJSOORT, J. 2000. Non - timber forest produits (NTF Ps). Netherlands: NRCNM.52 P.

11. ROS - TONEN, M et al. 1995. Commercial and sustainable extraction of Non - Timber Forest products: Towards a policy and Management oriented research strategy. Wageningen: Tropenbos Foundation. 32 p.

12. ROS - TONEN, M. 1999. Research in the Tropenbos programme: Results and perspective. Wageningen: Tropenbos Foudation. 203 p.

13. SUNDERLAND, T et al. 1999. Current research issues and prospects for conservation and development: based on the outcome of the Internationa Meeting on Non - Wood Forest products in Central Africa. Rome: FAO. 288 P.

14. VANSINA. 1964. le Royaume Kuba. Bruxelles: Tervuren. 196 p.