0284-A1

L’importance des produits forestiers non ligneux dans l’économie des ménages agricoles de la région de Thiès, au Sénégal

Frédéric Lebel[1], Guy Debailleul[2] et Alain Olivier[3]


Résumé

La place des produits forestiers non ligneux (PFNL) dans l’économie des ménages agricoles a fait l’objet d’une étude dans trois villages de la région de Thiès, au Sénégal. Au total, 101 ménages ont été interrogés dans trois villages et 10 groupes de discussion ont été organisés pour approfondir les données recueillies auprès de ces ménages. Trente-sept consommateurs et 54 commerçants des quatre plus grandes villes du Sénégal ont également été interrogés. Les résultats démontrent que les PFNL sont loin d’être des produits marginaux dans la consommation des ménages. Les produits de plusieurs espèces ligneuses sont utilisées tant dans l’alimentation humaine et animale que dans la pharmacopée. La commercialisation des PFNL peut par ailleurs apporter des revenus substantiels. Les PFNL occupent donc une place importante dans l’économie des ménages, alors même que l’arbre est à la source d’externalités positives pour l’environnement.

Mots-clefs: Commercialisation, consommation, économie des ménages, filière, produits forestiers non-ligneux, Sénégal


Introduction

Les PFNL (produits forestiers non ligneux) représentent souvent une part importante de la production des forêts, des parcelles agroforestières ou des arbres hors forêt (Bellafontaine et al. 2001). Leurs rôles sont diversifiés. Ils peuvent constituer des compléments alimentaires essentiels (Bergeret 1990; F.A.O. 1991; Arnold et Dewees 1995), par exemple, ou être utilisés en médecine traditionnelle. Mais ils jouent également divers rôles au plan socio-économique. Ainsi, ils peuvent favoriser la diversité et la stabilité de la production (F.A.O. 1989), diminuant par le fait même les risques courus par l’exploitation agricole. De nombreux facteurs socio-économiques peuvent en retour influencer le développement d’initiatives visant à exploiter des PFNL. La commercialisation de plusieurs PFNL, notamment, fait face à des contraintes importantes. Pour bien saisir ces contraintes, on peut utiliser l’approche filière, qui permet de comprendre la suite d’opérations nécessaires pour que le produit soit disponible aux consommateurs dans les différents marchés.

L’objectif général de la présente étude était d’analyser l’importance des PFNL dans l’économie des ménages agricoles de la région de Thiès, au Sénégal, et d’entrevoir les possibilités d’amélioration de la filière de commercialisation de ces produits. L’examen de la documentation existante indique en effet que les PFNL peuvent contribuer de manière significative aux revenus des ménages ruraux, mais que des obstacles à une meilleure valorisation de ces produits peuvent se présenter dans des filières de commercialisation insuffisamment structurées.

Méthodologie

Deux méthodes de collecte de données ont été utilisées pour appréhender la consommation des PFNL, leur commercialisation et les activités des différents agents de la filière. La première, la plus importante, est celle du sondage. Les intervenants de la filière n’ayant pas tous les mêmes activités ni les même contraintes, nous avons créé trois questionnaires: un pour les exploitants, un pour les commerçants et un pour les consommateurs. La deuxième méthode de collecte de données utilisée est celle du «focus group», dont nous nous sommes servis auprès des exploitants. Cette méthode de collecte de données qualitatives a permis d’enrichir les informations recueillies au moyen du sondage. Il s'agissait de réunir un groupe de personnes (entre 6 et 12) concernées par le thème de l’étude et d'amorcer avec elles une discussion semi-dirigée sur un nombre variable de sujets. En raison de conditions particulières aux sites d’étude, l’utilisation de matériel audio-visuel, habituellement recommandée, a été remplacée par la présence d’observateurs.

La recherche s’est déroulée au Sénégal, du début juin 2001 à la fin janvier 2002. Elle comprenait deux grandes étapes. La première, la plus importante, concernait l’enquête sur la production en milieu rural. Elle s’est effectuée dans la région de Thiès, qui est située dans le Centre-Ouest du Sénégal. Les sols y sont en majorité ferrugineux et la pluviométrie y oscille entre 450 et 550 mm par année (Diatta 1991). La durée de la saison des pluies y est inférieure à 60 jours (Blanc-Pamard 1994). Cette région a été ciblée par l’ISRA (Institut Sénégalais de Recherches Agricoles) parce que la commercialisation des PFNL y est déjà active, particulièrement avec les produits dérivés du rônier (Borassus aethiopum). On y retrouve également des baobabs (Adansonia digitata), des kads (Faidherbia albida), du kinkeliba (Combretum micranthum) et bien d’autres espèces ligneuses utiles (Diatta 1991). Les producteurs agricoles de la région se concentrent surtout sur la production du mil et de l’arachide. Certains cultivent un peu de manioc et les rares producteurs pouvant irriguer font habituellement un peu de maraîchage. Les villages ont été choisis avec la participation du service des Eaux et Forêts afin d’avoir des villages aussi représentatifs que possible de la région, tout en étant relativement accessibles. Nous avons donc interrogé des ménages dans les villages de Fandène (n=34), Palo (n=31), Pir Gourèy (n=18), Dogonon (n=9) et Darou Cissé (n=9).

La seconde étape de la recherche s’est déroulée dans les principaux marchés des quatre plus grandes villes du Sénégal, soit Dakar, Thiès, Kaolack et Saint-Louis. Le choix des marchés de Dakar s’est fait à l’aide des connaissances acquises lors de la recherche bibliographique, alors que tous les grands marchés des autres villes ont été visités, leur nombre étant réduit.

Nos enquêtes nous ont permis de cumuler des données sur les quantités consommées, les quantités vendues et les prix de ventes des produits. Les espèces ligneuses mentionnées dans l’étude, de même que les parties de celles-ci qui sont habituellement utilisées, sont présentées au Tableau 1.

Tableau 1: Espèces les plus fréquemment mentionnées dans nos enquêtes, de même que les principales utilisations qu’on en fait au Sénégal

Nom scientifique

Nom commun (français ou wolof)

Parties de l'arbre utilisées

Usages

Adansonia digitata

Baobab (f)

Feuilles et fruits

Feuilles: sauces, liant dans couscous et fourrage; fruits: alimentation

Anacardium occidentale

Pomme d'acajou (f), darkasu (w)

Fruits frais

Alimentation

Azadirachta indica

Neem (fw), dimi buki (w)

Feuilles

Fourrage

Balanites aegyptiaca

Dattier du désert (f), sump (w)

Fruits frais

Alimentation

Bauhinia rufescens

Rand (w)

Feuilles

Fourrage et pharmacopée

Borassus aethiopum

Rônier (f), ron (w)

Feuilles, fruits, fanes

Fruits: alimentation; feuilles: construction et artisanat; fanes: construction et combustible

Casuarina equisetifolia

Filao (f)

Bois

Construction

Celtis integrifolia

Mbul (w)

Feuilles fraîches

Fourrage

Combretum micranthum

Kinkeliba (f,w)

Feuilles

Infusions

Diospyros mespiliformis

Alom (w)

Fruits frais

Alimentation

Faidherbia albida

Kad (f,w)

Fruits et feuilles

Fourrage

Grewia bicolor

Kel (w)

Bois des branches

Pharmacopée

Mangifera indica

Manguier (f), mâgo (w)

Fruits frais

Alimentation

Parkia biglobosa

Néré (f), ul (w)

Fruits frais

Alimentation

Sesbania sesban

Sap sap (w)

Feuilles

Alimentation (sauces)

Tamarindus indica

Tamarinier (f), dakkar (w)

Fruits

Alimentation

Ziziphus mauritiana

Jujubier (f), sedem (w)

Fruits

Alimentation

Résultats et discussion

1- La consommation des PFNL

La consommation de PFNL dans les villages revêt une importance indéniable. Le rônier est très apprécié pour ses multiples fonctions. Ses fruits sont utilisés en alimentation humaine (Figure 1) ou, comme c’est le cas à Palo, en alimentation animale. Ses fanes peuvent être brûlées pour la cuisson des aliments (Figure 2) ou encore transformées en différents biens artisanaux. Les feuilles de l’arbre servent à la construction de cases chez un grand nombre de ménages (Figure 3).

Figure 1: Pourcentage des ménages consommant des fruits frais du rônier

Figure 2: Pourcentage des ménages brûlant des fanes de rônier pour la cuisson des aliments

Figure 3: Poucentage de ménages possédant des cases en rônier

Le baobab est pour sa part utilisé en grande quantité par la majorité des ménages (Figure 4). L’apport nutritif de l’espèce est significatif quand on connaît l’ensemble des qualités que recèlent les feuilles et les fruits de l’arbre. Cependant, un bon nombre de ménages doivent recourir à l’achat pour subvenir à leurs besoins.

Figure 4: Pourcentage des ménages consommant des feuilles ou des fruits de baobab

Les autres espèces utilisées sont nombreuses (35) (Tableau 2) et elles font partie intégrante de l’alimentation des familles. Le Sesbania sesban est l’espèce la plus utilisée après le rônier et le baobab. En général, les villages sérères de l’étude consomment plus de PFNL que les villages wolofs.

Tableau 2: Nombre de ménages consommant des PFNL pour chacune des espèces mentionnées (n=101)

Espèce

Nombre de ménages consommateurs

Sesbania sesban

75

Combretum micranthum

68

Mangifera indica

57

Ziziphus mauritiana

31

Faidherbia albida

28

Tamarindus indica

21

Combretum aculeatum

12

Parinari macrophylla

12

Celtis integrifolia

10

Ficus thonnigii

8

Boscia senegalensis

8

Bauhinia rufescens

8

Anacardium occidentale

7

Ficus platyphylla

5

Balanites aegyptiaca

5

Ficus gnafalocarpa

3

Autres espèces (19)

31

Certains PFNL sont également utilisés comme fourrage pour les animaux, particulièrement en fin de saison sèche. Nous avons répertorié 22 espèces ligneuses servant de fourrage. Les quantités mentionnées peuvent parfois dépasser 15 charges de charrette par ménage. Les PFNL ont aussi une importance majeure en pharmacopée. Ces produits sont généralement les premiers utilisés, avant d’aller consulter un médecin. Les PFNL occupent donc une grande importance dans la consommation des ménages des villages de l’étude.

2- La commercialisation des PFNL

Lorsque commercialisés, ce sont les produits du rônier et du manguier qui rapportent le plus de bénéfices (Tableau 3). Le rônier, en raison de la multitude de ses produits pouvant être vendus, est très apprécié des exploitants. Les revenus provenant du rônier peuvent être augmentés en pratiquant l’artisanat. La filière des produits artisanaux pourrait cependant faire l’objet d’améliorations.

Tableau 3: Recettes brutes totales (Fcfa) provenant de la commercialisation des PFNL de l’ensemble des ménages interrogés (n=101)

Espèce

Total des recettes des produits bruts

Borassus aethiopum

5 826 050

Mangifera indica

5 178 770

Combretum micranthum

559 450

Adansonia digitata

507 875

Ziziphus mauritiana

359 500

Grewia bicolor

230 350

Sesbania sesban

134 827

Tamarindus indica

83 750

Boscia senegalensis

77 647

Faidherbia albida

58 900

Acacia ataxacantha

37 500

Balanites aegyptiaca

37 500

Oranger

30 000

Mandarinier

30 000

Citronnier

25 500

Acacia nilotica

13 400

Combretum aculeatum

12 000

Le cas du manguier est assez particulier en ce sens que de nombreux producteurs ont mentionné avoir planté récemment un grand nombre d’arbres. La production étant déjà importante, il faudrait dès maintenant penser aux futurs débouchés des mangues à venir. Les produits du baobab sont pour leur part peu commercialisés dans les villages de l’étude. Il est possible que la grande exploitation des feuilles diminue la production de fruits. Non seulement les ménages ne peuvent pas les commercialiser, mais ils doivent même les acheter. Plusieurs autres espèces sont commercialisées, comme le kinkéliba. En général, les paysans sérères des villages de l’étude font beaucoup plus de commerce de PFNL que les paysans wolofs (Tableau 4).

Tableau 4: Recettes obtenues, pour l’ensemble des paysans interrogés (n = 101) de chacun des villages, par la vente de PFNL non transformés

Village

Recettes totales issues de PFNL (Fcfa)

Moyenne/exploitant (Fcfa)

Fandène (Sérère)

10 217 828

300 524

Palo (Sérère)

2 452 668

79 118

Pir centre (Wolof)

84 000

4 667

Dogonon (Pir) (Wolof)

448 525

49 836

Darou Cissé (Pir) (Wolof)

0

0

Chaque exploitant commercialise cependant un nombre restreint d’espèces. La diversification des espèces exploitées constituerait un atout pour les paysans de la région de Thiès. Les espèces les plus intéressantes pour la région sont, selon nous, le Tamarindus indica, l’Anacardium occidentale et le Ziziphus mauritiana. Le fruit du Tamarindus indica est consommé par de nombreuses familles au Sénégal et d’importantes quantités en sont importées du Mali. Le marché local est donc une cible de choix pour ce PFNL.

Nos observations nous permettent d’affirmer que la plus grande lacune dans la filière de commercialisation des PFNL est peut-être le transport. L’amélioration de ce secteur implique cependant de s’investir dans diverses activités, notamment le stockage au village, la réception des produits en ville et le commerce au détail. Notons enfin que la moitié des exploitants affirment obtenir plus du quart de leurs revenus de la vente de PFNL (Tableau 5).

Tableau 5: Estimation, de la part des paysans (n = 101), de la proportion de leur revenu provenant de la vente de PFNL

Proportion du revenu provenant des PFNL

Nombre d'exploitants

Moins de 25 %

45

25%

6

Entre 25 et 50 %

12

50%

17

Entre 50 et 75 %

13

75%

7

Plus de 75 %

1

Conclusion

De l’ensemble des constats précédents, il est possible d’affirmer que les PFNL ont une grande importance pour les ménages agricoles de la région de Thiès. Ils comblent une grande partie de leurs besoins nutritifs, sont souvent commercialisés et font partie intégrante de la pharmacopée. Tous ces facteurs sont tangibles et faciles à mesurer. Il ne faut cependant pas oublier non plus l’ensemble des externalités positives qu’entraîne la présence des arbres dans les champs. Il est difficile de quantifier la valeur de ces externalités, mais il est possible que ce soit là un des plus grands avantages pour les paysans de conserver des arbres. Les améliorations environnementales seront en effet bénéfiques aux exploitants à moyen terme, mais les générations futures en bénéficieront tout particulièrement.

Bibliographie

Arnold, J.E.M. et P.A. Dewees. 1995. Tree management in farmers strategies: Responses to agricultural intensification. Oxford University Press, États-Unis, 292 p.

Bellafontaine, R., S. Petit, M. Pain-Orcet, P. Deleporte et J.-P. Bertault. 2001. Les arbres hors forêt; vers une meilleure prise en compte. Cahier FAO Conservation 35. FAO, Rome, 214 p.

Bergeret, A. 1990. L'arbre nourricier en pays sahélien. Éditions de la maison des sciences de l'Homme, France, 237 p.

Blanc-Pamard, C. 1994. Dynamique des systèmes agraires: à la croisée des parcours, pasteurs, éleveurs et cultivateurs. ORSTOM, Paris, pp. 165-195

Diatta, M. 1991. Quelques approches et priorités pour le développement de l’agroforesterie au Sénégal. Ministère du développement rural et de l’hydrolique, Institut Sénégalais de Recherches Agricoles, Dakar, 50 p.

F.A.O. 1989. Forestry and food security. FAO, Rome, 128 p.

F.A.O. 1991. Non-wood forest products: the way ahead. FAO, Rome, 37 p.


[1] Département d’économie agroalimentaire et sciences de la consommation, Université Laval, Québec (Québec), G1K 7P4, Canada. Téléphone: 1.418.656.2131 poste 3310. Courriel: [email protected], [email protected]
[2] Département d’économie agroalimentaire et sciences de la consommation, Université Laval, Québec (Québec), G1K 7P4, Canada. Téléphone: 1.418.656.2131 poste 3310. Courriel: [email protected], [email protected]
[3] Département de phytologie, Université Laval, Québec (Québec), G1K 7P4, Canada. Téléphone: 1.418.656.2131 poste 3601. Courriel: [email protected]