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Le bois-énergie: Vers une diversification de la forêt?

Didier MARCHAL[1]


Résumé

En Région wallonne (Sud de la Belgique), le bois en tant que source d’énergie est bien connu. De nombreux ménages se chauffent, au moins partiellement, au bois (feux ouverts, poêles et inserts principalement). Les techniques modernes de chauffage au bois, par contre, sont bien moins connues (chaudières automatiques alimentées par des plaquettes, par exemple). Elles présentent néanmoins d’incontestables atouts tant du point de vue du confort que des aspects environnementaux. La filière bois-énergie en est à ses débuts en Wallonie. De nombreux projets sont menés pour aboutir à sa structuration. A titre d’exemple, le Plan Bois-Energie et le projet Biomass Logistics sont présentés.

En outre, le bois-énergie peut constituer une voie de diversification, aussi bien pour les propriétaires forestiers que pour les agriculteurs ou les exploitants forestiers. Tous les éléments sont en place pour que cette nouvelle filière démarre véritablement en Wallonie: la volonté politique existe, les techniques sont opérationnelles et les principaux obstacles logistiques sont résolus. Mais comme tout marché émergeant, il lui faut encore un peu de temps pour atteindre son développement complet.

Mots clés: Bois-énergie, forêt, industries du bois, bois de rebut, filière bois.


Introduction

Le bois, en tant que source d’énergie, est bien connu. En effet, c’est la première source d’énergie qui, après le soleil, a été utilisée par l’homme. C’est encore la première source d’énergie dans un grand nombre de pays.

Dans nos régions, et plus particulièrement dans le sud de la Belgique (Wallonie), le bois est encore utilisé comme bois de chauffage. La plupart du temps, il s’agit essentiellement de feux ouverts où la chaleur d’agrément est le premier objectif. Néanmoins, de nombreux ménages se chauffent au bois en utilisant surtout des poêles destinés à chauffer une ou plusieurs pièces d’habitation. A titre indicatif, en 1993, le bois de chauffage représentait en Wallonie la principale source d’énergie primaire non issue d’une récupération. Cela correspondait à environ 80 % de la production primaire wallonne, ou encore 103 600 tonnes équivalent pétrole (Marchal 2001a).

Le chauffage central au bois, quant à lui, est encore peu répandu chez le particulier. La technologie existe et est éprouvée dans de nombreux pays tels que la France, l’Allemagne ou l’Autriche, par exemple. Nous ne parlerons pas ici des Pays Nordiques où la tradition du bois-énergie est plus ancienne encore. Le prix de telles installations et des périphériques (silo d’alimentation, par exemple) est encore assez élevé pour une habitation particulière par rapport aux systèmes classiques fonctionnant aux combustibles fossiles.

L’objectif de cet article est de présenter quelques initiatives dans le domaine du bois-énergie en Wallonie et de montrer que le bois-énergie pourrait constituer une opportunité de diversification non seulement pour les propriétaires forestiers (qu’ils soient privés ou publics) mais également pour les agriculteurs ou les exploitants forestiers.

Quelques initiatives en Wallonie

Dans le but de promouvoir et d’élaborer des projets de valorisation énergétique de la biomasse en Wallonie, l’Equipe Régionale Biomasse Energie (ERBE) a été créée en 1995 grâce au soutien de la Région wallonne (Direction Générale des Technologies, de la Recherche et de l’Energie [DGTRE] et Direction Générale de l’Agriculture [DGA]), de la Commission Européenne (DG XVII, Programme PERU) et de l’Association Belge pour la Biomasse [BELBIOM]. Les activités de ERBE sont essentiellement orientées dans les domaines de la valorisation énergétique du bois (secteur industriel et collectivités) et de la biométhanisation. Depuis sa création, ERBE a d’ailleurs mené à bien de nombreuses études de faisabilité technico-économiques tant dans le milieu industriel (industries du bois, essentiellement) qu’au niveau de communes ou de collectivités.

En ce qui concerne les communes rurales plus précisément, un protocole d’accord a été signé en mai 2001 entre d’une part le Ministre wallon de l’Agriculture et de la Ruralité et d’autre part le Ministre wallon des Transports, de la Mobilité et de l’Energie. Ce protocole, relatif au Plan Bois-Energie et Développement Rural en Wallonie, a pour objectif principal de favoriser la mise en place d’une filière bois-énergie en Région wallonne. En pratique, ce plan vise à élaborer, sur une période de trois ans, une série de projets fonctionnels de chaufferies automatiques au bois (ou d’autres technologies de valorisation énergétique du bois) dans des communes wallonnes. Les objectifs de la démarche «bois-énergie» de ce Plan sont doubles (Flahaux 2001):

- à long terme, les initiateurs de ce Plan visent à favoriser l’émergence d’une filière «bois-énergie» de façon à rencontrer notamment des objectifs européens et wallons en matière énergétique et environnementale. Il s’agit donc de créer les conditions propices au fonctionnement, à la professionnalisation et au développement du secteur pour lui donner une place de choix parmi les énergies alternatives;

- à court terme (durant la période de trois ans), ce Plan constituera le moyen d’atteindre cet objectif en mettant notamment en place les premiers maillons technologiques de cette filière et en assurant la synergie nécessaire entre les différents partenaires institutionnels et professionnels du secteur.

Outre les administrations régionales, ERBE, l’Institut Wallon et la Fondation Rurale de Wallonie sont chargés de mener des actions concrètes sur le terrain. Sur la période de trois ans initialement prévue, dix projets devraient voir le jour en Wallonie.

Un autre projet, intitulé Biomass logistics (programme européen Altener), vise à développer des stratégies pour lever les barrières logistiques au développement de la valorisation énergétique de la biomasse. Signalons au passage que le programme Altener est le premier programme de la Commission Européenne spécifiquement consacré à la promotion des énergies renouvelables (Marchal 2001b). Ce projet est réalisé par un partenariat entre l’Allemagne (Fachagentur Nachwachsende Rohstoffe) et la Belgique (ERBE). Chacun de ces pays a sélectionné une région «cible» dans laquelle les activités sont développées. Pour la Région wallonne plus particulièrement, la région choisie se situe dans une province très boisée où il y a encore relativement peu de systèmes de chauffage au bois. La province de Luxembourg présente un taux de boisement d’environ 50 % (Lecomte et al. 2002). La région retenue (une commune centrale et 7 communes avoisinantes) présente une superficie totale d’environ 85 000 ha et un taux de boisement de 55 %. Sur base des informations fournies par l’Inventaire Forestier Wallon (IFW), une évaluation du potentiel bois-énergie de la région a été réalisée. Ce potentiel s’élève à l’équivalent d’environ 105 000 mètres cube apparents (map) et correspond à la consommation annuelle en chauffage d’environ 2 200 ménages (en faisant l’hypothèse d’une consommation moyenne de 3 000 litres de mazout par an et par ménage). Il ne s’agit bien entendu que d’un potentiel, mais il représente une valeur non négligeable. Si l’on considère que seuls 10 % en seraient valorisés de manière énergétique, cela permettrait d’assurer les besoins en chauffage de plus de 200 ménages.

Un obstacle de taille subsiste néanmoins. Actuellement, en effet, aucune aide régionale n’est prévue pour favoriser l’utilisation par les particuliers de systèmes modernes et performants de chauffage au bois (chaudières automatiques au bois, poêles performants, ...). La plupart de la population est donc intéressée, mais peu de personnes sont vraiment prêtes à «faire le pas» dans les circonstances actuelles.

Dans le but de mettre en place un véritable «réseau virtuel de la biomasse», tous les acteurs potentiels du secteur ont été identifiés: les propriétaires forestiers, les agriculteurs, les industries du bois, les exploitants forestiers, les sociétés de transport, les fournisseurs et installateurs de systèmes de chauffage au bois. Ce réseau virtuel devrait permettre de répondre à des questions du type:

- où est-il possible de s’approvisionner en combustible bois ?
- quelles sont les qualités de ce combustible ?
- quel type d’appareil de chauffage choisir en fonction du type de combustible disponible ?
- quelles sont les principaux types d’appareils de chauffage au bois performants actuellement sur le marché ?

Plusieurs autres initiatives existent en Wallonie, mais nous ne les détaillerons pas ici. Retenons simplement que toutes ces actions poursuivent le même objectif: mettre en place et structurer une véritable filière bois-énergie au niveau de la Région wallonne.

Bois-énergie et diversification

En Région wallonne, et a fortiori dans les régions agricoles et forestières, les sources potentielles en bois-énergie sont nombreuses et variées. En effet, si l’on considère la filière bois de manière schématique, les principaux produits qui pourraient constituer une ressource en bois-énergie sont les suivants (Marchal 2001a): bois de chauffage, résidus d’exploitation forestière, produits connexes de l’industrie du bois (première et deuxième transformation), bois de rebut, bois issus de l’entretien des haies et des arbres isolés, ... Les bois de rebut doivent cependant faire l’objet d’un tri sévère avant toute valorisation énergétique. Néanmoins, ils représentent un potentiel non négligeable. Ainsi, à titre d’illustration, environ 38 000 tonnes de bois ont été collectées dans le réseau de parcs à conteneurs de la Région wallonne en 2001 (Marchal 2002). Cette quantité est en constante augmentation depuis la mise en place des parcs à conteneurs en Wallonie. Rappelons que ceux-ci sont destinés exclusivement à recevoir les déchets générés par l’activité des ménages. D’autres circuits existent pour les déchets industriels.

En ce qui concerne l’évaluation des résidus d’exploitation forestière, une estimation précise est relativement délicate à réaliser. Les principales techniques d’inventaire qui existent s’adressent habituellement aux produits destinés à une utilisation industrielle (sciage, tranchage, industries du panneau, ...). Ces techniques sont choisies en fonction d’objectifs précis (Rondeux et al. 1998), tels que la connaissance rapide du matériel sur pied, la détermination d’un accroissement en volume, le suivi sylvicole d’une parcelle ou encore l’aménagement dans l’espace et dans le temps d’un massif forestier. Actuellement, il n’existe pratiquement pas de méthodologie dédiée exclusivement à l’appréciation du volume disponible pour une valorisation énergétique. Il importe donc de définir la part que pourrait représenter le bois-énergie par rapport au volume total estimé. A ce niveau, plusieurs études relatives à la biomasse forestière ont été réalisées dans divers pays.

Si l’on fait l’hypothèse que les quantités disponibles en bois-énergie sont correctement évaluées, on peut considérer qu’un propriétaire forestier pourrait valoriser certaines catégories de bois qui le sont peu ou mal actuellement. On pense notamment aux bois résineux des premières éclaircies qui trouvent difficilement acquéreur. Une filière bois-énergie bien organisée permettrait de les valoriser de façon énergétique. En effet, et c’est déjà le cas dans certains pays, la récolte de ces premières éclaircies pourrait être organisée avec des techniques telles que le produit final serait directement valorisable dans des unités de valorisation énergétique (par exemple des chaudières automatiques alimentées par des plaquettes forestières). Dans les pays où ces filières existent, un cours du combustible bois existe bel et bien.

Certains houppiers de feuillus restent parfois sur coupe et ne sont pas valorisés, même sous la forme de bois de chauffage. Leur récolte et leur transformation en plaquettes (bois déchiqueté) permettrait de les placer sur le marché du bois-énergie.

Enfin, il est également envisageable de valoriser les bois de moindre qualité (bois mal conformés, bois cassés, chablis, ...) sur ce marché émergeant. On peut également penser aux produits issus de l’entretien des haies et des arbres isolés.

Il semble évident qu’un propriétaire forestier puisse valoriser une certaine gamme de produits qui ne l’étaient pas correctement jusqu’à présent. Cette nouvelle valorisation lui permettrait de diversifier les produits classiquement issus de ses massifs forestiers. Ce nouveau débouché n’est envisageable qu’à la condition que les filières de valorisation soient opérationnelles. Ce qui n’est, malheureusement, pas encore le cas en Wallonie.

A l’autre extrémité de la filière, la valorisation énergétique du bois pourrait constituer un débouché intéressant pour les exploitants forestiers. En effet, certaines périodes de moindre activité pourraient être mises à profit pour collecter et transformer du bois en vue de sa valorisation énergétique. Ces opérations de collecte, de transport et de transformation nécessitent l’utilisation d’un matériel adapté. Ce type de matériel est déjà couramment utilisé dans les Pays Nordiques ou en Amérique du Nord. Quelques exploitants sont également actifs dans ce domaine en France, en Suisse ou en Autriche par exemple.

Conclusions et perspectives

En Région wallonne, il existe de nombreuses initiatives dont l’objectif principal est d’initier une véritable filière bois-énergie. Bien entendu, cette filière ne doit pas se mettre en place au détriment de la filière bois actuelle. Il n’est nullement question de «détourner» du bois de sa fonction première. Par ailleurs, les exigences de qualité des plaquettes sont différentes pour les papeteries et le bois-énergie par exemple. Le but est donc de faire en sorte que cette filière bois-énergie vienne compléter la filière bois classique en permettant de valoriser correctement des produits qui ne le sont pas actuellement.

Les propriétaires forestiers semblent marquer un intérêt grandissant pour cette nouvelle possibilité de valoriser leurs bois de moindre qualité. Il en va de même pour les exploitants forestiers qui pourraient trouver là une possibilité de diversifier leurs activités.

Le bois-énergie n’est pas neuf: le bois de chauffage est une activité traditionnelle bien connue depuis longtemps. Néanmoins, des possibilités de valorisation énergétique des produits qui ne sont pas classiquement connus comme bois de chauffage existent. De nombreuses initiatives ont vu le jour en Wallonie, mais une véritable filière bois-énergie n’existe pas encore. On pourrait presque considérer qu’elle est sur le point de se mettre en place. En effet, la volonté politique est là (par le biais du Plan Bois Energie, par exemple), les techniques de valorisation énergétique existent et divers opérateurs sont déjà actifs dans le domaine. Pour conclure dans le domaine énergétique, il manque «simplement» l’étincelle qui pourrait lancer le processus...

Ouvrages cités

Flahaux, F., 2001. Bois-énergie, une solution qui vous concerne ! Le Plan Bois-Energie et Développement Rural, un plan pour les communes wallonnes. Silva Belgica, 108(3), 26-29.

Lecomte, H., Florkin, P., Morimont, J.-P., Thirion, M., 2002. La forêt wallonne: état de la ressource à la fin du 20ème siècle. Namur, Ministère de la Région wallonne, Direction Générale des Ressources naturelles et de l’Environnement, sous presse.

Marchal, D., 2001a. Le bois-énergie, éternel recommencement ? Silva Belgica, 108(3), 20-25.

Marchal, D., 2001b. Bois-énergie et logistique forestière. Silva Belgica, 108(6), 24-25.

Marchal, D., 2002. Les déchets de bois issus des parcs à conteneurs en Wallonie: une ressource potentielle intéressante pour une valorisation énergétique. In Colloque «New Life for Waste». Mons (Belgique), 19-20 septembre 2002, 109-114.

Rondeux, J., Hébert, J., Marchal, D., 1998. Les inventaires forestiers de gestion: quels objectifs et quelles méthodes? Schweiz. Z. Forstwes., 149(6), 463-473.


[1] Equipe Régionale Biomasse Energie (Gembloux, Belgique)