0342-B5

Arbres hors forêt: extension et précision du concept.

Bellefontaine Ronald 1, Mhirit Omar 2, Et-tobi Mohamed 3


Résumé

Les arbres hors forêt forment un ensemble relativement méconnu des décideurs nationaux. Leur définition montre des faiblesses. Afin que toutes les Nations se sentent directement concernées, elle doit encore être affinée. La politique actuelle de la FAO vise à leur accorder enfin l'importance qu'ils méritent, mais paradoxalement les critères les définissant réduisent leur occurrence à très peu de cas. Ce mémoire met en exergue diverses imprécisions et propose des modifications. Ces ligneux pourraient être renommés, sans référence à la forêt, les "ligneux urbains et agrosylvopastoraux" (LUASP), d'autant plus qu'ils échappent généralement à la gestion forestière.


Trees outside forest: extension and precision of the concept.

Summary

The trees outside forest form a whole relatively underestimated of the national decision-makers. Their definition shows some weaknesses. It must be refined again so that all nations feel concerned directly. The present FAO's politics aims to grant finally them the importance that they deserve, but paradoxically the criteria defining them reduce their occurrence to very little case. This memory puts in inscription various imprecisions and propose some modifications. This woody could be renamed without reference to the forest, the " urban and agro-silvopasture woody " (UASW), especially as they generally escape the forest management.


1. Introduction et définitions

Les arbres hors forêt 4 (AHF) constituent une ressource oubliée des planificateurs. Les preuves s'accumulent pour affirmer que l'ensemble AHF pèse de plus en plus lourd dans l'économie et le bien-être des populations de diverses nations. Longtemps oubliés, ils ne figurent pas dans les évaluations mondiales des ressources forestières en 2000. Ils n'ont pratiquement pas fait l'objet de recherches. Il s'avère indispensable de mieux connaître leurs ressources en bois et autres co-produits 5, afin de les intégrer aux débats et faciliter les prises de décisions par les décideurs nationaux.

Les définitions de la FAO ci-dessous sont recopiées intégralement (Bellefontaine et al. 2001, p. 201).

"Terres forestièresou forêts ": terres portant un couvert arboré (ou un niveau équivalent de matériel sur pied) supérieur à 10% et une superficie de plus de 0,5 hectare (ha). Les arbres devraient pouvoir atteindre une hauteur minimale de 5 mètres (m) à maturité in situ.

"Terres boisées": elles comprennent les "terres forestières" et les "autres terres boisées".

"Autres terres boisées": (a) les terrains arborés ouverts (ou d'un niveau équivalent de matériel sur pied) de 5-10% d'arbres atteignant 5 m de hauteur à maturité in situ; (b) ou un couvert arboré (ou niveau de matériel sur pied équivalent) de plus de 10% d'arbres qui n'atteignent pas 5 m à maturité in situ (arbres nains ou chétifs); (c) ou ayant un couvert arbustif ou formé de broussailles de plus de 10%.

"Autres terres"(fig. 1): terres non classées comme forêts ou autres terres boisées telles que définies ci-dessus. Elles comprennent les terres agricoles (incluant prairies et pâturages), les terrains construits (établissements humains), les terrains dénudés, les glaciers et neiges.

A partir de ces définitions, la FAO a déduit par défaut la définition des AHF:

"Arbres hors forêt": arbres sur des terres n'appartenant pas à la catégorie des forêts et des autres terres boisées. Ils comprennent de manière non exclusive:

Il existe cependant de légères différences lorsque l'on compare l'encadré 2 (Bellefontaine et al. 2001, p.14) et cette définition 6. De plus, on constate que la définition de l'annexe est plus détaillée que celle de l'encadré. Elle cite des cas particuliers comme les prés-vergers, les arbres des jardins privés ou des parcs urbains.

2. Paradoxe

Les seuils adoptés pour chaque critère les définissant sont peu élevés. A force de réduire l'occurrence des AHF a peu de cas (chapitre 5) du fait de la faiblesse de certains seuils, leur importance est minimisée, ce qui nous semble paradoxal et contradictoire avec l'objectif avoué de leur promotion mondiale. Or ces AHF sont omniprésents, en ville ou à la campagne. Certains critères sont inamovibles, d'autres pourraient être rediscutés. C'est l'objet principal de cette communication.

3. Les principaux critères

Les critères utilisés sont le couvert arboré (CA) (encore appelé "niveau équivalent de matériel sur pied"7), la superficie, la hauteur, la largeur. Il n'est pas dit clairement si tous les critères doivent être respectés simultanément ou si le dépassement de l'un d'entre eux suffit pour les faire passer de la catégorie AHF à celle de forêt. Exemple: une garrigue méditerranéenne avec un CA de 70% et une hauteur de 2m, est-elle classée en forêt (CA) ou en AHF (hauteur)?

3.1. Couvert arboré ou couverture arborée (CA)

L'évaluation des ressources forestières 2000 utilise dorénavant un taux de CA unique de 10% pour estimer les superficies couvertes par les forêts mondiales, dont celles des pays industrialisés: "...la FAO a adopté le seuil de 10% de couverture arborée. Ce seuil, recommandé dans l'étude de référence portant sur la classification des végétations à l'échelle mondiale effectuée par l'UNESCO (1973), a été utilisé pour les pays en développement dans le cadre des évaluations des ressources forestières de 1980 à 1990" (FAO 2001, p. 31).

On remarquera immédiatement dans les définitions ci-avant que le seuil varie entre 5-10% ! Il faudrait également opter pour un CA unique de 10%. Remarquons que ce seuil est faible. Pour l'atteindre, il suffit d'un seul arbre adulte par hectare (pour certaines espèces), à condition que le diamètre de sa couronne soit de 35,7 mètres. En effet si son rayon est de 17,8m, la surface couverte est d'1/10ème d' hectare. Il est vrai qu' un arbre de cette dimension est peu fréquent. D'autres cas sont indiqués dans le tableau 1.

Tableau 1: diamètre de couronne et nombre de ligneux nécessaires pour atteindre un CA de 10%

Nombre "n" de ligneux

Rayon d'une couronne (m)

Diamètre d'une couronne (m)

Superficie "S" par arbre (m²)

Couvert arboré (n x S , en m² )

3

10,3

20,6

333,29

999,87

10

5,64

11, 28

99,93

999,33

30

3,25

6,50

33,18

995,49

80

2,00

4,00

12,57

1005,28

141

1,50

3,00

7,07

996,87

3. 2. Superficie

Dès que la superficie couvre plus de 0,5 ha, on quitte le domaine des AHF. Cette limite, fixée de manière arbitraire, n'est pas intangible. Or elle exclut d'office une grande partie des brise-vent mondiaux, des bois sacrés, des micro-parcelles de théiers, d'arbres fruitiers, des jachères, etc.

3.3. Largeur

Le long des canaux ou de routes, si les brise-vent ont deux, voire trois rangées de ligneux, ils dépassent alors souvent la largeur maximale (20m; et le seuil de CA). Il en va de même pour certains brise-vent de pâturages et pour les ligneux des ripisylves naturelles pour lesquelles la largeur varie selon la topographie.

Si le long d'un canal, on plante des platanes tous les 10m, il faudra dix arbres pour couvrir un des quatre côtés du carré de référence d'un ha. Si le diamètre de leur couronne à l'âge adulte excède 11,28m (tableau 1), ce brise-vent monolinéaire de 100m sera classé parmi les forêts et non parmi les AHF; il en va de même s'il est constitué d'une double ligne sur une seule berge ou d'une ligne sur chaque berge.

Ce seuil est cependant valable pour les vergers modernes dont les arbres à port très fastigié ont un diamètre de 3m (tableau 1); leur CA est de 3%. Si on n'a qu'une seule rangée d'arbres moyennement fastigiés (couronne de 4 à 5m de diamètre, CA = 400-500 m²/ha) espacés d'1m, le taux est de 4 à 5%. Il s'agit alors bien d'AHF si l'on ne prend en compte que le critère CA. Par contre, s'ils s'étendent en continu sur plus de 12,5 km, le seuil maximal de superficie (0,5ha) est dépassé (400 m²/ha x 13 km = 5200m²).

3.4. Autres

La définition FAO d'un "arbre", liée à sa hauteur (5m) est ambiguë et n'intègre pas toujours les arbustes, arbrisseaux, buissons, suffrutex. Les maquis, mattoral, garrigue, etc, dont le CA est très élevé, sont difficiles à classer. Il conviendrait donc de ne plus parler d'arbres, mais bien de ligneux 8 sans préciser leur hauteur, et pour mieux cerner leur réalité, de parler de "ligneux urbains et agrosylvopastoraux"(LUASP), d'autant plus qu'ils échappent généralement à la gestion forestière. Suivant cette logique, on parlerait dès lors de "couvert ligneux" (CL) et non de CA.

La hauteur ne nous semble pas un critère important dans ce débat, de même que la mono- ou multi-caulie. Un ligneux peut avoir naturellement plusieurs tiges sans que ce caractère provienne d'un traitement en taillis (les buissons p.ex.).

Définir une forêt dans le temps est un exercice périlleux.: "Afin de déterminer si l'élimination des arbres d'un secteur donné constitue un déboisement, il convient de tenir compte de l'évolution probable de ce secteur. Les terres restent classées comme forêts si le reboisement doit se produire dans un avenir prochain ou est déjà entrepris, même si le seuil de 10% de CA n'a pas encore été atteint. En revanche, s'il est peu probable que l'on atteindra dans un proche avenir une densité de peuplement suffisante, ou si la terre est convertie à un autre usage, le secteur doit être considéré comme déboisé. On voit donc que l'aspect chronologique est déterminant pour les définitions applicables à l'évolution des forêts. La période-seuil suggérée est de 10 ans; dans ce contexte, les termes "temporaires" et "proche avenir" se rapportent à une période de moins de dix ans, alors que l'expression "long terme" couvre une période d'au moins dix ans" (FAO 2001, p. 43).

4. Simplifications et modifications proposées

Les "terres boisées" comprennent les "terres forestières (ou forêts)" et les "autres terres boisées"-(figure 1). L'existence de ce dernier groupe est à discutercar l'ensemble de ligneux qui y est inclus crée une confusion par chevauchement des classes (avec les "terres forestières" et avec les "autres terres"). Puisque le seuil de CA a été récemment uniformisé à 10% (il est donc utopique de le modifier), la définition FAO des terres boisées pourraient être simplifiée en supprimant la catégorie "autres terres boisées"? On aurait alors d'une part des terres forestières (forêts) et d'autre part les autres terres (avec les LUASP).

Une autre simplification consisterait, pour les très longs brise-vent, ripisylves et galeries forestières étroites, à ne pas prendre en considération le CA et la notion de surface (0,5 ha), mais de ne garder pour seule limite qu'une largeur inférieure à 30m. Ainsi, un brise-vent de 25m de largeur mais de 10km de longueur (ou une plantation unilinéaire sur les deux berges d'un canal) serait classé dans les LUASP, ce qui augmenterait leur part mondiale.

Pour affirmer l'importance des LUASP et pour qu'ils soient intégrés dans les inventaires nationaux, la FAO pourrait opter pour une superficie minimale d'1 ha pour intégrer plus de micro-boisements.

Il est indispensable de définir précisément l'arbre d'ombrage et d'affirmer que dans certaines cultures industrielles (p.ex. cacao, thé), l'ensemble "plante industrielle + ligneux d'ombrage" ne peut être assimilé aux LUASP, puisque par leur couvert ligneux et leur superficie, ils sont classés parmi les "terres forestières".

Un glossaire spécifique à l'ensemble des termes doit être poursuivi. Les expressions à définir (liste non exhaustive: voir définitions au chapitre 1) pourrait comprendre les termes suivants: couvert arboré, couvert arbustif, couverture arborée, niveau équivalent de matériel sur pied, arbre, arbre fruitier industriel, arbre nain, arbre chétif, broussaille, prairie, pâturage permanent, terrain arboré ouvert, verger, pré-verger, rideau-abri, parc, etc. Afin de pouvoir effectuer un classement cohérent pour différentes aires phytogéographiques, ces termes doivent être précisés, voire chiffrés par les paramètres de CL, surface, largeur (éventuellement hauteur?) à des fins de normalisation et de standardisation.

5. Cas particuliers

Les AHF, définis comme étant les arbres, les arbustes et leurs systèmes situés sur des terres autres que celles définies comme "forêt" ou "autres terres boisées", ont été classés dans la région d'Afrique du Nord en fonction de leur importance spatiale et socio-économique en sept types (Mhirit et Et-tobi 2000):

Chaque pays, et le Maroc en particulier, établit sa propre classification pour sa gestion interne. Or le but de la FAO est de suggérer une définition universelle, acceptable par l'ensemble des Nations afin de mieux cerner au niveau mondial les ressources en co-produits ligneux. Et d'être ainsi un des instruments d'une gestion durable des ressources forestières au niveau planétaire, régional et national.

Il suffit dès lors pour chaque pays d'analyser ses cas particuliers en fonction des trois principaux critères proposés (chapitre 4). Leur classement pour certains en "terres forestières" ou en LUASP ne signifie pas qu'ils doivent être gérés et contrôlés par l'Administration forestière locale.

Ainsi, on pourrait classer:

1° parmi les terres forestières(superficie égale ou supérieure à 1 ha et simultanément CL égal ou supérieur à 10%):

2° parmi les LUASP (superficie <1 ha et/ou CL <10%)

7. Conclusions

Si les agroforêts, les plantations industrielles non forestières (fruitiers, oliviers, théiers, cacaoyers, etc.), l'hévéaculture ou la populiculture peuvent à l'échelle mondiale être comptabilisées parmi les terres forestières, leur gestion sur le terrain, leurs revenus ou les statistiques nationales ne doivent pas nécessairement être gérés par les forestiers! Il est important d'insister sur le fait qu'une coopération entre tous les services impliqués (forestiers, agricoles, urbains) est une condition fondamentale pour la prise de conscience de l'importance des LUASP.

Par contre, si la définition mondiale actuelle des AHF reste trop étroite et si par rapport à la forêt elle les réduit à quelques rares exceptions, ils ne seront pas pris en compte à l'avenir, vu leurs caractères dispersés, éclatés ou morcelés.

Bibliographie

Alexandre D.Y, Lescure J.P., Bied-Charreton M., Fotsing J.M., 1999. Contribution à l'état des connaissances sur les arbres hors forêt (TOF), IRD-FAO, Orléans, 185 p.

Bellefontaine R., Petit S., Pain-Orcet M., Deleporte P., Bertault J.G., 2001. Les arbres hors forêt. Vers une meilleure prise en compte. Cahier FAO Conservation, 35, 214 p.,

FAO, 2001. La situation des forêts du monde - 2001. FAO, Rome, 181 p.

M'Hirit O. et Et-Tobi M., 2000. Evaluation des arbres hors forêt au Maroc. Une contribution au rapport sur l'évaluation des ressources forestières 2000. FAO, Rome et Ecole Nationale Forestière d'Ingénieurs, Rabat, 38 p.

Figure 1: forêts, autres terres boisées, autres terres en fonction du couvert arboré et de la hauteur


1 CIRAD-forêt, TA 10/D Campus Internl de Baillarguet, 34 398 Montpellier [email protected]

2 ENFI, Ecole Natle d'Ingénieurs Forestiers, Rabat (Maroc) [email protected]

3 ENFI, Ecole Natle d'Ingénieurs Forestiers, Rabat (Maroc) [email protected]

4 AHF = arbres hors forêt ou TOF en anglais "Trees outside forest"

5 Pour certains usagers, l'arbre ne produit pas principalement du bois (et des "sous"-produits), mais avant tout des produits intervenant directement ou non dans l'alimentation humaine ou animale, la pharmacopée, l'artisanat, etc. L'expression "sous-produit", souvent destinée aux utilisations "moins nobles" que le bois, devrait dorénavant être remplacée par l'expression "co-produit".

6 Le respect en 2001 des délais impartis pour la rédaction du livre précité n'a pas permis d'obtenir des modifications; il reviendra à la FAO de réunir les comités ad hoc pour affiner certaines définitions.

7 Il y aurait lieu d'homogénéiser les termes employés et d'en choisir certains plus spécifiques. Que veut dire exactement "un niveau équivalent de matériel sur pied"? Faut-il y lire une notion d'effectif (nombre d'arbres à l'ha), de volume (bois, biomasse), de surface (projection des cimes sur le sol rapportée à l'ha, surface terrière à l'ha) ? Ce CA est aussi mis en synonymie avec "densité de peuplement". Ne vaut-il pas mieux parler uniquement de couvert ligneux?

8 tout en maintenant comme le fait la FAO les palmiers et les bambous parmi les ligneux.

9 Les minuscules entre parenthèses (a, b, ...) font référence au classement proposé au chapitre 5.