0353-A2
Hamed Daly-Hassen, Ameur Ben Mansoura, Foued MHadhbi
Malgré limportance des ressources en plantes aromatiques et médicinales dont recèlent les forêts tunisiennes, le mode de leur exploitation actuelle par un nombre réduit dentreprises engagées dans cette filière entrave les opportunités de son développement. En effet, les nappes de romarin et de myrte qui constituent la source de production dhuiles essentielles, en Tunisie, restent soient sous-exploitées, soient surexploitées par rapport à leur potentiel de production, et suivant la disponibilité de la main-duvre parmi la population locale pour la coupe. Quant aux exportations dhuiles essentielles, elles ont été marquées par une baisse substantielle au cours des dernières décennies, alors que la demande mondiale, notamment pour lhuile de romarin, na cessé de croître.
La nouvelle orientation de ladministration forestière vers une participation des groupements forestiers dintérêt collectif (GFIC) dans la filière montre des faiblesses dans lécoulement de la production, la maîtrise technologique et la capacité financière requise. Promouvoir le partenariat entre les différents intervenants (Etat, GFIC locaux, et entreprises) permettrait de développer la filière afin daccroître la production dhuiles, tout en garantissant la régénération des nappes de romarin et de myrte. LEtat pourrait procéder à des concessions dexploitation à moyen terme pour ces formes de partenariat, selon des plans de gestion concertés.
Mots clés: Huiles essentielles, romarin, myrte, partenariat, entreprise, population locale.
Les plantes forestières aromatiques et médicinales les plus exploitées en Tunisie sont le romarin et le myrte, qui présentent un intérêt socio-économique certain pour les communautés locales et les entreprises de distillation. La superficie exploitable de ces espèces a été évaluée en 1991 à 346000 ha pour le romarin et à 80000 ha pour le myrte. Les nappes sont proposées à lexploitation une fois tous les trois ans en moyenne selon létat de dégradation, la sensibilité à lexploitation, laptitude à la régénération et limportance des autres usages et services, avec une mise au repos des nappes dégradées. Il convient de signaler que les nappes ont aussi des fonctions de production fourragère, de protection des sols contre lérosion, de production de nectar pour lapiculture et de protection de la faune sauvage.
En ce qui concerne les bénéfices directs, la location des droits dexploitation rapporte à lEtat une recette de 288.102 DT[2]/an (moyenne 1995/2001) et permet de créer un revenu moyen de 270 DT par an pour 2300 familles (Ministère de lAgriculture, 1999).
Au niveau de léconomie nationale, lexportation des huiles essentielles représente 1,29% des exportations des produits agricoles et alimentaires de base en 2001.
Lextraction des huiles essentielles, à partir des brindilles de myrte et de romarin, est destinée à lexportation à létat brut. Les quantités exportées des huiles de romarin et de myrte ont subit des fluctuations importantes au cours des trois dernières décennies (cf. figure n°1).
Figure n°1: Evolution des exportations des huiles essentielles
Source: I.N.S, C.E.P.EX
Par ailleurs, le Ministère de lAgriculture essaie dorienter et de former certains Groupements Forestiers d'ntérêt Collectif (G.F.I.C) à effectuer à titre expérimental, lexploitation, la distillation et la commercialisation de faibles quantités.
Ainsi, ce travail essaiera de répondre aux questions suivantes:
- Quelle est lorganisation actuelle de la filière?
- Quels sont les apports de cette activité pour les usagers[3] en termes demploi et de revenu?
- Quelles sont les potentialités des groupements: disponibilité du matériel et capacités financières?
- Les groupements pourraient-ils assurer à la fois lexploitation, la distillation et la distribution?
- Est-ce que les G.F.I.C peuvent aider au développement de la filière, et comment?
Les réponses à ces questions aideraient à la prise de décision concernant une éventuelle implication des G.F.I.C dans la filière des huiles essentielles.
Par filière des plantes médicinales, on désigne lensemble des stades de gestion, dexploitation et de transformation des plantes, et de distribution des huiles extraites.
Les acteurs de cette filière peuvent être distingués en quatre classes:
Le gestionnaire; lEtat par le biais de la Direction Générale des Forêts, gère les nappes des plantes médicinales, et la Régie dExploitation Forestière cède les droits dexploitation aux entreprises en contrepartie du meilleur prix offert au cours de ladjudication annuelle.
Les exploitants qui font partie des communautés locales. Lexploitation est réglementée par un cahier de charges.
Les intervenants dans la distillation qui sont les entreprises et les distillateurs indépendants.
Les distributeurs sont les entreprises qui assurent la présentation et la commercialisation des huiles essentielles à létranger, et lorganisation des diverses opérations.
La première étape du travail consiste à étudier lorganisation actuelle de la filière et le partage de profits entre les différents acteurs. Ainsi, lenquête réalisée auprès des entreprises des plantes médicinales cherche à clarifier les éléments suivants:
Connaître lorganisation et lutilisation de la main duvre;
Identifier les circuits de commercialisation;
Etablir un constat sur les contraintes (disponibilité des ressources, écoulement des produits, accès au marché) et dégager des orientations pour la promotion de la filière des huiles essentielles;
Etudier la répartition des revenus et le partage des profits entre les différents acteurs.
La seconde étape consiste à étudier limplication des G.F.I.C dans lactivité de distillation des plantes. Pour cela, lanalyse de leur fonctionnement a été effectuée à travers deux études de cas (G.F.I.C de Oued Abid, G.F.I.C de Rhim-Chhaied).
Les entretiens semi-structurés ont abordé les aspects économiques et sociaux, les revenus procurés par cette activité et leur durabilité, la dynamique de lutilisation des ressources, le savoir-faire de la population et laccès au marché.
La figure n°2 présente les intervenants dans toutes les opérations dexploitation, de distillation et de distribution.
Pour l´année 2001, il y a eu seulement 7 entreprises qui ont exploité le romarin et le myrte parmi les 20 entreprises dhuiles essentielles. Lenquête a permis de recueillir les informations auprès de quatre dentre elles.
Cette organisation montre la nécessité de la réunion de plusieurs facteurs de production et de marché pour bien valoriser cette matière première:
- Présence de nappes denses;
- Présence de main duvre pour lexploitation, et de personnel qualifié pour la distillation;
- Disponibilité de capacité de financement;
- Accès au marché international. Cet accès nécessite davoir des avantages comparatifs au niveau de la qualité, des prix, des coûts et de la quantité.
Figure n°2: Les différents intervenants dans la filière des plantes médicinales: Romarin (R) et Myrte (M)- Valeurs moyennes (1995/2001)
Lenquête réalisée nous a permis de dégager la répartition des revenus pour les différents intervenants: entreprises, ouvriers spécialisés dans la distillation et les usagers (cf. Tableau n°1). La marge brute est calculée sur la base des superficies exploitées et des rendements moyens. Ces derniers se refèrent aux quantités exportées et aux superficies exploitées, soit de 1,4 Kg dhuile/ha pour le romarin et le myrte en 2001.
Tableau n°1: Répartition des revenus bruts
Société |
Marge brute dexploitation par (DT/an) |
Revenu brut par chef de station (DT/saison*) |
Revenu par ouvrier spécialisé (DT/saison) |
Revenu/usager (DT/mois) |
|
Romarin |
Myrte |
Romarin |
|||
(1) |
31998 |
1395 |
840 |
525 |
180 |
(2) |
141527 |
1230 |
1080 |
675 |
180 |
(3) |
208036 |
1871 |
720 |
450 |
180 |
(4) |
319129 |
1335 |
1080 |
675 |
180 |
* La saison de distillation est de 120j pour le romarin et de 75j pour le myrte.
Ce tableau met en exergue limportance socio-économique élevée de la distillation de myrte et romarin, qui permet de dégager des revenus pour un nombre important dexploitants et de distillateurs, et qui fait bénéficier les sept entreprises du secteur dune marge assez élevée.
Le partage des bénéfices entre les différents intervenants, pour les quatre entreprises enquêtées, varie en fonction de lintervenant et aussi de la plante exploitée.
La figure n°3 montre que les communautés locales bénéficient de 20 à 33% des recettes en huiles essentielles. La formation et la spécialisation dans la distillation leur permettrait de bénéficier en plus de 18 à 20% de cette valeur. Lorganisation des GFIC et leur acquisition de parts de marché pourraient encore accroître leurs revenus.
Figure n°3: Estimation du partage des profits en 2001
Le calcul de certains indicateurs économiques montre la rentabilité élevée de ce type dactivité. En effet, les taux de valeur ajoutée[4] moyens sont respectivement de 52,8% pour lextraction de lhuile de myrte et de 37,5% pour celle de lhuile de romarin en 2001. Le taux de marge brute dexploitation[5] moyen des quatre entreprises est de 77%, et le taux de rentabilité brute des équipements[6] moyen est de 243%. Ainsi, les nouveaux entrants pourront rembourser les frais déquipement dès la première année dactivité, sils ne seront pas confrontés à des problèmes découlement de leur production.
Les entreprises installées bénéficient dune clientèle fidèle dimportateurs de huiles essentielles. Pour ces importateurs, le facteur qualité est plus important que le facteur prix.
Durant ces dernières années, la polique forestière sest orientée vers la gestion durable de la forêt avec la participation des communautés locales. Dans ce cadre, il y a eu la création des G.F.I.C en 1999, qui peuvent être chargés de lexécution de certaines activités forestières dans le cadre dun programme annuel des travaux forestiers. Actuellement, lexploitation des produits forestiers est encore soumise aux adjudications publiques. Le décret relatif aux offres publiques est actuellement en cours détude pour envisager éventuellement la participation des G.F.I.C à cette exploitation.
Nous présenterons ci-dessous deux groupements ayant effectué des essais de distillation.
a) G.F.I.C de Oued Laabid
Lactivité principale de ce groupement est la distillation du romarin, mais hors saison, ce groupement distille dautres plantes tels que la menthe et leucalyptus.
Ce micro-projet a eu lieu avec laide dune ONG, il a pu mettre à la disposition des femmes (50) un soutien logistique en termes de distillation et de vente des extraits des plantes.
Les membres de ce groupement sont répartis en équipe de 5 femmes ou plus, et chaque équipe a la possibilité dutilisation du matériel durant une semaine.
On en déduit que cette activité peut dégager un revenu moyen maximal par personne très satisfaisant, de 10,4 DT/j pour un groupe de 8 femmes et de 14,9 DT/j pour un groupe de 5 femmes, si toute la production serait vendue.
b) G.F.I.C de Rhim et chaîed
Ce GFIC a conduit un micro-projet de distillation aqueuse des plantes, avec laide dune ONG. Au total, 160 femmes et jeunes filles ont été formées. Parmi lesquelles, 105 femmes participent aux opérations dexploitation et de distillation.
Le groupement dispose dun seul distillateur dune capacité de 25 Kg, sa durée dutilisation est planifiée pour satisfaire lensemble des équipes de deux douars, entre 15 juin et fin août. Chaque équipe est formée de 5 à 8 femmes qui se répartissent les tâches dexploitation et de collecte de brindilles, de mise à feu, de distillation, et dextraction des produits.
Dans ce cas, la marge brute maximale est aussi importante, et peut constituer une part importante du revenu annuel. Elle est de 10,4 D/j/personne (équipe de 8 femmes) et de 16,6 D/j/personne (équipe de 5 femmes).
Toutefois, les prix pratiqués sont élevés et la qualité des produits nest pas garantie; les seules possibilités découlement restent au niveau des marchés dartisanat, des marchés locaux et des foires.
En effet, une comparaison des prix montre les résultats suivants:
Pour le premier groupement, le prix de vente, 5DT pour une bouteille dune contenance de 3cl correspond à un prix de 166 DT/l, soit 8 fois supérieur au prix à lexportation de lhuile de romarin.
Au niveau du deuxième groupement, le prix de vente est de 5DT pour une quantité de 4cl, soit 166DT/l, ce qui représente 2,5 fois le prix à lexportation de lhuile de myrte.
On peut conclure que la vente des huiles par les GFIC aux entreprises ou à lexportation est impossible avec les prix actuellement pratiqués.
Lactivité de distillation crée des opportunités très importantes, mais plusieurs contraintes sopposent à sa réalisation par les GFIC.
Les opportunités sont surtout la création demploi et lamélioration des revenus pour les habitants de la forêt, avec leur appropriation de la gestion des nappes des plantes aromatiques et médicinales. Mais, les expériences réalisées dans la distillation des plantes médicinales ont soulevé plusieurs difficultés auxquelles saffrontent les groupements concernés, les plus importantes sont les suivantes:
- Difficulté découlement des huiles essentielles produites,
- Manque de matériel adapté,
- Difficulté dassurer une bonne qualité dhuile, à cause du manque dexpérience,
- Absence de contact entre les entreprises et les groupements,
- Refus des entreprises de toute sorte de concurrence par les groupements au niveau de lexploitation des nappes, et manque de confiance entre les entreprises et les groupements (exigences sur la qualité).
Lexploitation actuelle des nappes de romarin et de myrte par un nombre très réduit dentreprises montre certaines limites:
- Exploitation excessive de certaines nappes de romarin et de myrte ayant une densité élevée et caractérisée par une forte présence de main duvre locale;
- Sous-exploitation dautres nappes, prés du tiers de la superficie proposée à la vente ne trouve pas dacquéreur;
- La stagnation des exportations de lhuile de myrte et la régression de celles de lhuile de romarin.
La distillation des plantes forestières permet dobtenir une valorisation élevée de la matière première, avec un taux de valeur ajoutée moyen de 52,8% pour le myrte et de 37,5% pour le romarin en 2001.
Le partage des profits entre les intervenants dans la valorisation du romarin et du myrte donne une grande importance aux usagers des forêts (exploitation) avec une part de 33% des recettes brutes, puis aux entreprises (commercialisation) avec une part de 25% des recettes.
Le marché des huiles essentielles est «conservateur», cest à dire que lon évite de prendre des risques en achetant de nouvelles qualités ou en prenant de nouveaux fournisseurs. Les fabricants de produits finis exigent de leurs fournisseurs habituels des produits stables en qualité et en quantité.
Les essais réalisés au niveau de certains groupements nous ont permis de tirer les conclusions suivantes:
La quantité dhuile produite, avec les équipements disponibles actuellement, est négligeable.
Ces groupements trouvent une grande difficulté découlement de leur production, que ce soit sur le marché local ou à lexportation, due surtout à leur manque dinformation.
- Les faibles capacités financières des GFIC ne leur permettent pas de couvrir les coûts déquipement ou de prospection de marché.
Les potentialités tunisiennes au niveau de la filière des plantes aromatiques et médicinales sont importantes, mais les nappes de romarin et de myrte sont sous-exploitées, alors que la demande de lhuile de romarin continue de progresser sur le marché international.
Il est ainsi nécessaire délaborer un certain partenariat entre lEtat (gestionnaire), les entreprises (distribution et contrôle de qualité) et les GFIC (exploitation et conservation des ressources), pour assurer une meilleure valorisation de ces plantes.
La complémentarité entre les différents intervenants permettrait de mieux organiser la filière des huiles essentielles, daccroître ainsi la production et de développer les ressources des plantes médicinales:
- LEtat, en tant que gestionnaire et responsable de la conservation des nappes, sera chargé de soutenir et dencadrer les GFIC pour lamélioration de la gestion et le respect des règles dexploitation; loffre doit aussi sadapter à la demande du marché par la cession des droits dexploitation dautres plantes.
- Les GFIC, en tant quexploitants de lespace forestier et potentiels de main duvre, pourront établir un partenariat avec les entreprises pour leur assurer une garantie dapprovisionnement avec une prestation de services de qualité; ce partenariat permettrait la formation des GFIC aux activités de distillation et linformation sur les marchés.
- Les entreprises en tant quagent de distribution des huiles assureront la prospection des marchés et lorganisation des activités en amont en association avec les GFIC. La certification biologique pourrait accroître la demande de certains marchés étrangers.
LEtat pourrait procéder à des concessions dexploitation à moyen terme pour ces formes de partenariat, réalisés en conformité avec des plans de gestion concertés.
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[1] Les données
utilisées dans cette communication proviennent du mémoire de fin
détude de lESA Mograne élaboré par Foued
Mhadhbi et encadré par lauteur. [2] 1 DT = 0,69 $ E.U. en 2001. [3] Les usagers désignent les habitants de la forêt qui ont un droit dusage des produits forestiers. [4] Le taux de valeur ajoutée indique la valorisation de la matière première, il est égal au ratio: Valeur ajoutée/Production. [5] Le taux de marge brute dexploitation (MBE) indique le partage salaire-profits. Il est égal au ratio: MBE/VA. [6] Le taux de rentabilité brute des équipements mesure la rentabilité des équipements. Il correspond au ratio MBE/valeur des équipements. |