0363-B1
NYIMI MBUMBA
La République Démocratique du Congo, avec une superficie de 234.500.000 hectares et ses 128 millions dhectares de forêts, est sans conteste le plus grand pays forestier du bassin du Congo. Elle possède 47% des forêts africaines et 6% des forêts tropicales du monde. Mais la mise en valeur de ces forêts est encore modeste; la production commerciale de bois duvre ne dépasse guère 500.000 m3 par an.
A cause des facilités daccès aux ports maritimes de Boma et de Matadi, la majeure partie de cette production provenait, jusquil y a une vingtaine dannées, de la forêt du Mayombe. Sa superficie est de 800.000 hectares répartis sur un territoire de 1.454.829 hectares, soit 0,6% du territoire national. Depuis 1930, cette région connaît une intense exploitation forestière conjuguée à des activités agricoles industrielles et artisanales itinérantes.
Mais pour navoir pas, dune part, continué à assurer la bonne gestion héritée de ladministration forestière coloniale, et dautre part appliqué les prescriptions du plan daménagement de 1980 en matière de reboisement et de limitation de volume de bois duvre à prélever, la production actuelle nest plus que de 50.000 m3 par an, au lieu de 200.000 à 250.000 m3 par an antérieurement. Comme on le voit, la forêt est en voie de disparition.
Devant léchec manifeste de lEtat, les ONG locales ont pris conscience des graves menaces de dégradations irréversibles qui pèsent sur la forêt du Mayombe et sont décidées à apporter leur contribution dans sa restauration. Elles lancent donc un S.O.S vers les institutions internationales et les ONG de développement.
La République Démocratique du Congo est un immense territoire au sein du «bassin du Congo» dune superficie de 2.345.000 km², traversée par lEquateur et située en plein cur du continent africain. Son relief ressemble à une large cuvette bordée de part et dautre par une série de massifs montagneux et de hauts plateaux. Le fleuve Congo y décrit un vaste arc de cercle de plus de 4.300 km et traverse ainsi le pays de la source à lembouchure.
Létendue du territoire couplée aux conditions climatiques font de la République Démocratique du Congo le pays africain le plus riche en forêts tropicales denses humides.
En effet, avec ses 128 millions dhectares, la forêt congolaise représente 47% du massif forestier tropical du continent soit 6% des forêts tropicales du monde.
La Cuvette Centrale forme un bloc compact de 100 millions dhectares de forêts dont la moitié a un fort potentiel de développement. Toutefois, la mise en valeur de cette ressource demeure insignifiante car actuellement la production commerciale annuelle de bois duvre ne dépasse guère les 500.000 m3 déclarés.
Cela résulte du fait que lEtat congolais a jusquici concentré ses efforts sur le développement des secteurs minier et agro-industriel.
Enfin il est évident que laccroissement de la mise en valeur du potentiel forestier, en participant à la diversification dune économie trop axée sur le marché du cuivre notamment qui à lui seul représentait jadis plus de 70% des revenus de lEtat aurait un effet bénéfique sur la balance de paiement.
La région du Mayombe dont il sagit ici constitue la partie sud-ouest de la Province Administrative du Bas-Congo donnant accès à la mer. Elle représente une unité phyto-géographique typique qui est la pointe extrême sud de la forêt guinéenne. Sa situation géographique se définit par les coordonnées ci-après:
- 4°5 et 5°5 de latitude Sud
- 12° et 13°3 de longitude Est
Elle est limitée au Nord par la République du Congo et lEnclave de Cabinda, à lOuest par lOcéan Atlantique et le Cabinda, au Sud par la République dAngola et à lEst par le District des Cataractes. Il couvre une superficie totale de 1.454.829 ha représentant 27% de la superficie totale de la Province du Bas-Congo soit 0,6% à peine du territoire national.
Cette partie du pays connaît depuis 1930 une exploitation forestière intense conjuguée à des activités dagriculture industrielle et artisanale, à cause des facilités daccès que présentent les ports maritimes de Boma et de Matadi ainsi quà la proximité de Kinshasa, grand centre de consommation du bois et des produits agricoles.
En 1946, on estimait que le domaine boisé couvrait environ 500.000 ha. Or, des prospections ultérieures découvriront encore au Sud de la rivière Lukula lexistence dune superficie boisée de lordre de 140.000 ha constituée essentiellement des peuplements exploitables de Terminalia superba (Limba) essence de prédilection en ce moment là et qui intervenait à 80% dans les exportations des produits forestiers.
Par ailleurs, la richesse de ces peuplements était de 15 à 20 m3/ha. Elle atteignait même 42,374 m3/ha dans la réserve de MAB/Luki. Un délai de 20 ans était estimé pour que cette forêt sépuise.
Dès lors, la région connaîtra une exploitation axée surtout sur lécrémage de cette essence se justifiant par la volonté de réaliser le plus rapidement possible un bénéfice maximum tout en réduisant au minimum les investissements.
Pendant ce temps, chaque exploitant essayait de prospecter dans la plus grande discrétion afin de ne pas éveiller lattention de concurrents éventuels sur un bloc forestier convoité.
Et, il en est résulté que de grandes étendues forestières se sont transformées progressivement, sous laction déléments incidents principalement anthropiques, en des formations secondaires de natures diverses.
En mai 1947, devant cette situation, le gouvernement colonial décide de baser sa gestion forestière sur la nécessité de maintenir lexploitabilité de lessence Limba au Mayombe pendant 50 ans au moins. Deux principes fondamentaux en découlaient: limitation de la délivrance annuelle de permis de coupe du bois (en loccurrence, 1/50ème du capital forestier) et interdiction du gaspillage de bois. Dès lors, lobtention dune coupe de bois était subordonnée à la mise en uvre dune scierie mécanique et la superficie à accorder était proportionnelle au potentiel de sciage de lentreprise.
En 1956, un programme de reboisement de 900-1200 ha/an basé sur lagro-foresterie (sylvo-bananier) et lenrichissement de la forêt naturelle par layons fut arrêté. Cette planification était jugée suffisante pour assurer la pérennité et le développement de léconomie forestière de la région. Des travaux similaires effectués simultanément par lInstitut National dEtudes Agronomiques au Congo (INEAC) et certaines sociétés privées apportaient une chance supplémentaire de réussite à ce projet.
A cet effet, les zones forestières suivantes ont été affectées à ce programme.
1. Réserve intégrale de Luki |
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32.714 ha dont 3.450 ha reboisés |
2. Réserve domaniale de Theye |
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11.163 ha dont 4.201 ha reboisés |
3. Réserve domaniale de Mao |
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6.726 ha dont 4.133 ha reboisés |
4. Réserve domaniale du Km 28 |
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3.920 ha dont 3.446 ha reboisés |
5. Réserve domaniale de Kiemi |
: |
22.149 ha dont 2.137 ha reboisés |
Total |
: |
76.672 ha dont 17.367 ha reboisés |
Parallèlement, la rotation des permis de coupe à attribuer faisait lobjet dune étude approfondie en vue dassurer à lindustrie un approvisionnement soutenu en matière première pendant la durée estimée de la régénération, soit 30 à 35 ans.
Le 30 juin 1960 jour de laccession du pays à la souveraineté internationale, la méfiance sur lavenir du congo sest installée dans lesprit des expatriés opérant dans beaucoup de secteurs, dont lindustrie forestière. En outre, quel que fût leur souci du bien public et de la dignité nationale, les nouveaux dirigeants politico-administratifs ne possédaient aucune expérience de gestion dans un domaine aussi complexe que lindustrie forestière. Ceci était dautant plus vrai quau lieu de consolider les acquis hérités de ladministration forestière coloniale, une politique démagogique et des intérêts proprement égoïstes sen mêlaient.
Pour satisfaire leur «base» électorale, ils ont largement ouvert ce secteur à des nationaux, tous néophytes en ce domaine. La délivrance anarchique des permis de coupe de bois et lexportation inconsidérée des grumes furent encouragées.
Ce qui donna lieu à plusieurs initiatives congolaises fort discutables en matière dexploitation et dexportation du bois. Au Nord du Mayombe cinq petites unités furent installées; au Centre simplantait une coopérative dexploitants forestiers, tandis qu au Sud un comité de vendeurs de permis de coupe de bois fut organisé.
Dans cet imbroglio le coefficient de gaspillage de bois devint très élevé: gaspillage de bois sur pied (prélèvement de tiges export), gaspillage de bois abattu (abandon de grumes de gros diamètre, à cause de lutilisation dun matériel rudimentaire ou dun relief très accidenté).
Plus que jamais, les exploitants forestiers réalisaient que leurs investissements nétaient plus garantis et quil fallait profiter au maximum de la confusion et du désordre ainsi créés pour écrémer davantage la forêt. Ils pensaient moins que jamais au renouvellement de loutil de production. Et ainsi le Mayombe senlisait définitivement et irréversiblement dans un marécage sans fond.
Aucune action courageuse ne fut entreprise pour sauver la région du bouleversement mortel dont elle était menacée. Ainsi la forêt du passé, du présent et de lavenir ne pouvait que difficilement échapper au désastre. Elle sépuise et lon doit aller de plus en plus loin pour trouver une coupe à Limba comptant une moyenne de 10m3/ha, minimum considéré dans certains cas comme limite dexploitabilité. Aussi les peuplements riches en Limba situés à 50 km du port dexportation sont-ils considérés comme plus avantageux que ceux qui se trouvent à 100 km.
La méfiance qui demeure, entre les expatriés responsables dentreprises et lEtat, atteindra son paroxysme en 1973 par les regrettables mesures de zaïrianisation, décision politique confiant aux nationaux toutes les affaires appartenant jusque-là aux étrangers. Par voie de conséquence, léconomie de la région, fondée sur sa forêt et son agriculture, sera fortement affectée.
Le Mayombe devenant ainsi une boîte à peau de chagrin et sa richesse forestière de plus en plus imaginaire, le gouvernement, soucieux de réunir les données chiffrées pour lélaboration dun plan daménagement a décidé, en 1980 de procéder à un inventaire sétendant sur lensemble de sa superficie.
A lissue de cette opération 875.164,420 ha soit 60,16% furent retenus comme terrain de production forestière avec un volume global disponible exploitable de 8.000.000 m3 se répartissant de la manière suivante: 2.600.000 m3; 1.200.000 m3; 3.200.000 m3 et 1.000.000 m3 respectivement dans les essences de première, deuxième, troisième et quatrième classe. En considérant une rotation de 40 ans, ce volume devrait permettre une production annuelle de 200.000 m3.
Mais en prenant uniquement en compte les essences exploitées par lindustrie forestière, le plan daménagement a trouvé un volume marchand exploitable de 4.053.000 m3 dont 1.222.000 m3 pour les essences de classe 1, 631.000 m3 pour les essences de classe 2 et 2.200.000 m3 pour celles des classes 3 et 4. Sur une rotation de 40 ans le volume marchand exploitable nest plus que de 101.300 m3 par an.
Les chiffres avancés se passent de tout commentaire; les données sont trop diverses, trop complexes et trop mobiles pour quon puisse fixer à lavance les détails et le rythme de lexploitation. On a pu rêver en pensant trouver le remède en attribuant cette superficie productrice, en garantie dapprovisionnement, à la quinzaine dexploitants y opérant et en appliquant, dautre part, le plan daménagement élaboré après linventaire daménagement de 1980 qui a recommandé le reboisement dune superficie de 1.000 hectares par an sur une période de 40 ans. Le financement de ces travaux de reboisement devait être assuré par le Fonds de Reconstitution du Capital Forestier (FRCF) créé en 1985. Depuis lors, on na reboisé quune moyenne de 35 ha par an, soit 0,35% de la superficie prévue initialement.
Par ailleurs le niveau technologique des sociétés forestières du Mayombe et les méthodes dexploitation utilisées ne permettent pas datteindre le plus grand massif forestier de Madia-Koko situé à lextrême Nord de la région, à cause principalement de son relief très accidenté.
En outre, la prolifération des scieurs de long, la fabrication de charbon de bois et les activités agricoles qui se développent dans cette contrée font baisser de plus en plus la production industrielle à une moyenne annuelle de 50.000 m3 ces vingt dernières années. Lannée dernière la région na exporté que 3.000 m3 grumes et dont la qualité laisse à désirer.
La politique et léconomie sont très liées, comme le sont laction et la vie. Et, il est cruel de devenir le maître duvre de sa propre destruction. On prétend que lEtat a toujours raison; mais, dans le cas précis de la gestion forestière du Mayombe, il faut avouer quil a lamentablement échoué et sest plutôt illustré par un immobilisme stérile. Aucune des recommandations pertinentes du plan daménagement, en matière de reboisement et de limitation de volume de bois à couper par classe de qualité des essences, na été rigoureusement respectée.
Il y a lieu de tenir actuellement pour évident que la situation, à mesure quelle se prolonge, ne peut plus offrir à la nation que des déboires et des malheurs. Bref il est urgent d en finir et de trouver une solution durable.
Il faut prioritairement soulager la charge de la région en réduisant le nombre de scieurs de long et de producteurs de charbon de bois dont les activités causent dénormes pertes de bois duvre. Sinon le poids de ces activités ira toujours croissant tandis que les avantages quon en tire ne sont plus quapparents.
Il est également urgent de doter ladministration forestière des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires à lapplication du plan daménagement de 1980.
Enfin, au moment où lon parle du développement durable et eu égard à ce qui précède, il n y a plus dissue en dehors des ONG. Il faut impérativement faire appel aux ONG locales crédibles, puissamment aidées par les institutions et les ONG internationales de développement. Et, avec le concours dynamique aussi de la population quelles encadrent déjà sur le terrain, le résultat escompté parait réalisable rapidement.
Pour les ONG locales, la relance de lagro-foresterie et lenrichissement de certains blocs en essences de valeur, formule expérimentée et ayant montré de bons résultats (voir photo), apporte une solution très heureuse aux problèmes posés à très grande échelle et abordés aujourdhui avec des moyens très réduits. Les ONG sont prêtes à passer à laction (voir photo pépinière) et nattendent que les moyens financiers pour pérenniser la biodiversité de cette région fortement menacée.
Un appel est ainsi lancé aux bailleurs de fonds de bonne volonté pour contribuer à la sauvegarde de la forêt du Mayombe.
1. Donis, c, 1948. Essai déconomie forestière au Mayombe, Institut National dEtudes Agronomiques au Congo (INEAC). Bruxelles, série scientifique n°39, 92 p.
2. COUTEAUX, G, 1957-1952-1953. Extraits journaux de route, Province de Léopoldville;
3. DUCHESNE, Fl, 1938. Fl-Les essences forestières du Congo belge. Leurs dénominations indigènes-Ministère des Colonies-Bruxelles, 265 p.
4. DRACHOUSSOF, V,1947. Essai sur lAgriculture indigène au Bas-Congo. Bulletin agricole au Congo. Ministère des Colonies, Bruxelles, Vol. XXXVII4, n°3 pp471-582 et n°4 pp783-880
5. HALUT, Pol, 1950. Rapport de lAgronome de District du Bas-Congo (Boma)
6. HECKETSWELLER, 1989. La conservation des écosystèmes forestières du Congo, UICN, Gland, Suisse
7. HUMBLET, P, 1944. la régénération par le reboisement des terres épuisées du Bas-Congo, Bulletin agricole du Congo belge, Ministère des Colonies Bruxelles, vol. XXXV, n°1-4, pp137-165
8. LEBRUN, J, 1936. Répartition de la forêt équatoriale et des formations végétales limitrophes, Ministère des Colonies, Bruxelles, 195 p.
9. KABALA, M, 1976. Aspects de la conservation de la nature au Zaïre (Congo), Edition Lokole, Institut Zaïrois (Congolais) pour la Conservation de la Nature, Kinshasa 312 p.
10. MALDAGUE, M.; MANKOTO, S. et RAKOTO, T, 1997. Notions daménagement et de développement intégrés des forêts tropicales, (Ecole Régionale, Am. Im. Trop.(ERAIFT, UNESCO)378 p.
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