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Impacts des projets d'équipement d'Hydro-Québec sur la forêt québécoise et mesures d'atténuation

Gérard Slupik 1


Résumé

Hydro-Québec a pour mandat de produire, de transporter et de distribuer l'électricité nécessaire à la population et à l'industrie du Québec. L'entreprise exploite actuellement 80 centrales, 32 000 kilomètres de lignes de transport d'énergie et 106 000 kilomètres de lignes de distribution. La puissance installée des équipements de production est de 34 600 mégawatts, et plus de 96% de la production est d'origine hydroélectrique.

Pour être en mesure de répondre à la demande, elle doit prévoir les besoins et planifier son parc d'installations. À cet effet, la compagnie compte un important programme d'équipements de centrales et de lignes de transmission, à réaliser dans les années à venir.

Dans la réalisation de ses projets, Hydro-Québec veille à en obtenir l'acceptation préalable par la population locale, et accorde une importance essentielle à la protection de l'environnement, au respect des activités existantes, industrielles et de villégiature, et aux pratiques traditionnelles autochtones.

À ce titre, elle prépare des études environnementales détaillées sur les impacts d'un projet et détermine les mesures d'atténuations appropriées, en consultation avec les différents organismes impliqués. En outre, elle encourage l'appropriation d'un projet par les populations locales notamment par l'octroi des emplois reliés à la construction des projets, le transfert des connaissances techniques et la sensibilisation aux critères environnementaux.

Parmi les disciplines environnementales mobilisées pour les projets d'équipement, la foresterie occupe une place charnière, car les enjeux auxquels elle est confrontée concernent à la fois la protection du milieu naturel et les usages de la forêt.

Depuis les 5 dernières années, les projets d'HQ ont nécessité le déboisement de plus de 10 000 hectares et permis la récupération de près de 600 000 m3 de bois marchand.


1. La foresterie et les projets d'équipement: une préoccupation

Territoire de 1,6 million de kilomètres carrés, le Québec compte près de 760 000 kilomètres carrés de forêts, appartenant aux zones bioclimatiques boréale et tempérée. Ces forêts jouent un rôle de tout premier plan dans l'économie de la province.

Les projets d'aménagements hydroélectriques et de lignes de transport d'énergie nécessitent souvent la réquisition de grandes superficies de milieux boisés, pouvant atteindre jusqu'à 1 000 km 2 . Ils ont donc des répercussions sur la forêt, et ce, tant sur le plan économique que sur le plan écologique.

Soucieuse de minimiser ces répercussions, et en accord avec la législation forestière en vigueur au Québec, Hydro-Québec intègre systématiquement depuis plus de cinquante ans son expertise en foresterie à ses activités de conception, de construction et d'exploitation. Bien avant qu'il soit question de développement durable et de protection de la biodiversité, Hydro-Québec cultivait déjà une tradition de respect des valeurs forestières et de l'environnement.

L'une des premières préoccupations de l'ingénieur forestier est de voir à la récupération du bois de valeur marchande situé dans les futures emprises. Cette préoccupation est d'ailleurs inscrite dans la loi sur les Forêts en vigueur au Québec, et gérée par le ministère des Ressources naturelles (MRN). En effet, le ministère priorise la récupération des bois dans les futurs réservoirs et emprises de ligne au même titre que les catastrophes naturelles telles que les feux de forêt ou les épidémies d'insectes. Cette priorisation se répercute sur les programmes annuels de coupe accordés aux industriels forestiers. Ceux-ci déplacent alors leurs activités d'exploitation dans les zones dévastées ou dans les terrains forestiers mobilisés par Hydro-Québec.

En ce sens, la démarche forestière s'inscrit bien dans une volonté de traiter les forêts selon des principes de saine pratique, en évitant tout gaspillage de ressources et en regard des populations locales, qui dépendent bien souvent de ces dernières, tant sur le plan de l'emploi que de la subsistance. Indépendamment des régions où ces projets se réalisent, la préoccupation forestière à Hydro-Québec reste une constante. Ainsi, certains projets dans des secteurs tout à fait désertiques, en toundra forestière ou en taïga, font l'objet du même souci de récupérer la matière ligneuse affectée et d'encourager le développement local des connaissances afin de préserver et de développer de façon durable le patrimoine forestier du Québec.

Mais la récupération des bois de valeur marchande ne représente pas la seule mesure d'atténuation envisageable, bien d'autres aspects doivent être regardés, notamment l'utilisation des bois non commerciaux, ou à défaut leur élimination, la pertinence de dégager les futurs plans d'eau des débris ligneux flottants, le réaménagement des accès au territoire, les conséquences sur la perte de productivité du territoire touché, l'aménagement de nouveaux habitats fauniques, la sensibilisation des travailleurs aux lois et règlements en vigueur, etc.

L'approche d'un dossier de projet se veut systématique et la méthode appliquée se répète d'un projet à l'autre.

2. Les activités forestières aux étapes de réalisation d'un projet

2.1 À l'étape de la conception

À l'étape de la conception des ouvrages, les études forestières ont pour but de prévoir l'impact des projets sur la forêt, d'en mesurer l'ampleur et d'élaborer des mesures correctives. Ces études se font selon les normes d'inventaire du MRN et en conformité avec la Loi sur les forêts du Québec. On distingue, à ce stade, deux types d'impact, ceux concernant le milieu industriel forestier et ceux se rattachant à l'environnement forestier.

Les impacts sur le milieu forestier sont décrits dans des rapports distincts qui seront par la suite déposés au MRN. Ces rapports couvrent les analyses suivantes:

Inventaire forestier et cartographie

L'inventaire forestier détermine les superficies et les volumes touchés par un projet ainsi que la qualité de la ressource. Cet inventaire repose à la fois sur les données cartographiques et dendrométriques du ministère des Ressources naturelles et sur un échantillonnage statistique réalisé sur le terrain permettant d'accroître la précision des informations. Les résultats de l'inventaire forestier, tout en respectant les normes d'inventaire et la nomenclature du MRN, sont présentés sous forme de tables et transposés sur des cartes forestières.

 Établissement d'un plan de récupération du bois marchand

En fonction des données acquises à l'étape d'inventaire, un plan détaillé de récupération du bois marchand est dressé. Ce plan localise les peuplements récupérables, prévoit la construction de voies de circulation et d'ouvrages de génie, recommande une méthode d'exploitation et propose une destination pour le bois récolté, généralement une ou plusieurs usines locales. La détermination des bois marchands se fait selon des critères d'exploitabilité (volume récupérable >50 m3 /hectare, pente < 40%, essences en exploitation dans la région) et le coût de récolte. Ce dernier dépend en grande partie des distances de transport et de la méthode de récolte.

Au Québec, où la forêt nordique est souvent peu accessible, ces facteurs sont déterminants dans la notion de récupération. Au même titre que les exploitations d'urgence, résultantes de cataclysmes naturels tels que les feux de forêt, l'exploitation forestière d'emprises de réservoir ou de ligne de transport est toujours plus coûteuse qu'une exploitation normale et des choix logiques s'imposent parfois selon les circonstances du milieu, telles que les distances de transport, la situation du marché, les spécifications et les besoins locaux de l'industrie forestière ou la distribution des classes d'âge des peuplements présents dans les unités d'aménagement concernées.

Hydro-Québec (HQ) défraie généralement le coût additionnel à la récupération basé sur la différence entre le coût normal de l'exploitation en conditions similaires et le coût des opérations en réservoir.

 Détermination de la valeur des biens forestiers touchés

Les zones touchées par un projet d'équipement peuvent renfermer des biens forestiers de diverses natures: voies de circulation, travaux sylvicoles, plantations, parcelles expérimentales, etc. La valeur de ces biens est estimée et des compensations, la plupart du temps monétaires, sont proposées.

 Calcul de la perte de possibilité forestière

Par territoire d'aménagement commun intitulé « aire commune » dans lequel un ou plusieurs industriels forestiers ont des contrats de récolte, le ministère des Ressources naturelles fixe un volume annuel de coupe qui doit garantir la pérennité de la ressource. Ce volume est fonction de l'état de la forêt, de la croissance des espèces, des perturbations et de la distribution des âges. La création d'un réservoir ou d'une ligne de transport a une répercussion sur la possibilité forestière de cette aire commune, variable en fonction des superficies soustraites à la vocation forestière. À partir de ces données et au moyen d'outils informatiques de simulation tels que le logiciel SYLVA II, la perte de productivité forestière du territoire touché par le projet est calculée et des mesures en vue de compenser cette perte,principalement des travaux sylvicoles, sont déterminées.

Les impacts sur l'environnement forestier font également l'objet de rapports. Ils touchent les champs d'analyse suivants:

 L'évaluation de la biomasse résiduelle

Un certain volume de biomasse forestière subsiste après la récolte du bois marchand. Il provient des résidus de coupe et des peuplements non exploitables. Les études sur la biomasse des réservoirs analysent non seulement la quantité de biomasse en cause, mais le comportement des débris ligneux, ses zones de concentration, son évolution dans le temps. Elles préconisent également les mesures à prendre en vue de son élimination ou son contrôle.

Dans un projet de réservoir, les facteurs intervenant dans la décision d'enlever la biomasse sont l'accès au plan d'eau et la navigation, la protection des berges, la protection des habitats fauniques, la sécurité de la population, le bon fonctionnement des ouvrages et l'intégration de ceux-ci dans les paysages.

Dans un projet de ligne de transport, la biomasse doit obligatoirement être enlevée afin de garantir l'accessibilité de l'emprise, la protection contre l'incendie et la sécurité du public.

Un projet de centrale hydroélectrique peut générer des quantités considérables de biomasse. Si aucun industriel forestier n'est intéressé à son acquisition, cette dernière est offerte aux populations locales qui peuvent en disposer gratuitement, notamment pour des besoins en bois de chauffage. Là encore, les distances de transport sont un frein important à son usage. Généralement, faute d'utilisateurs, la biomasse est brûlée sur place ou transformée en copeaux. La façon la moins coûteuse d'éliminer les débris est en général le brûlage sur place et avant la mise en eau. Le nettoyage ultérieur, par voie maritime, à l'aide de bateaux, représente un coût réellement excessif pour être envisagé.

De plus, l'intervention est en général un compromis entre la volonté d'en arriver à la création d'un plan d'eau propre et l'acceptation de certaines nuisances temporaires. Ainsi, les aires non exploitables situées en zone profonde sont généralement laissées à elles-mêmes. Seule une couronne de zone littorale correspondant à une profondeur équivalente à la hauteur maximale des arbres est habituellement déboisée. Pour des réservoirs très éloignés des zones habitées, où la présence de débris ligneux flottants ne représente pas une nuisance importante, les agents naturels tels que la glace jouent un grand rôle dans le déboisement en couronne. En condition hivernale, le couvert de glace allié à la fluctuation interannuelle du niveau d'eau (marnage) est généralement suffisant pour briser les arbres semi-submergés et créer au bout de quelques années des zones littorales dégagées d'arbres morts apparents.

 L'étude de la navigabilité

L'analyse de la biomasse résiduelle combinée aux études sur la caractérisation des sols, la topographie, la gestion des réservoirs et le déboisement, permet de dresser une carte de navigabilité. Cette carte illustre notamment la présence des hauts-fonds et des débris ligneux ainsi que l'accessibilité au plan d'eau créé. Elle permet, entre autres, de prévoir des mesures préventives de déboisement dans des secteurs non soumis à la récupération commerciale en vue de faciliter l'accès au réservoir, la navigation et la pêche.

L'étude des habitats fauniques

En collaboration avec nos biologistes, des études sur l'état des habitats fauniques peuvent être entreprises, en vue de rétablir ou de recréer des peuplements forestiers pouvant servir de zones refuge ou d'alimentation pour la faune.

 L'estimation des coûts forestiers

Dans ses projets, Hydro-Québec privilégie généralement la variante qui entraîne le moins d'impact sur l'environnement et le moindre coût de réalisation. Les dépenses forestières représentant souvent une part très importante du coût global d'un projet, cet élément joue un rôle essentiel dans le choix de la variante la plus appropriée.

Pour des projets de centrale de superficie affectée moyenne (environ 2 000 hectares), le coût global forestier varie entre 4 et 8 millions de dollars; pour les lignes de transport, les récentes réalisations ont coûté entre 2 et 5 millions de dollars.

2.2 À l'étape de la construction

Pendant la réalisation du projet, les activités suivantes sont assurées:

Dans le cas des réservoirs, par exemple, les travaux de reboisement se déroulent généralement à la fin de la construction des ouvrages. Ils ont notamment pour but de reconstituer des espaces forestiers ou de stabiliser certains sols riverains.

2.3 Pendant l'exploitation

Les activités de l'ingénieur forestier se poursuivent pendant toute la durée de vie des équipements de production.

Les plans d'eau font l'objet d'un suivi régulier destiné à vérifier:

Récupération du bois marchand

Des mesures peuvent être préconisées en vue de stabiliser des endroits fragilisés ou d'intervenir par voie maritime afin d'éliminer les débris flottants si ceux-ci s'avèrent nuisibles à la navigation ou au bon fonctionnement des ouvrages.

3. Un exemple d'application: le projet Sainte-Marguerite-3 (SM-3)

3.1 Description

Parmi toutes les réalisations récentes, celle du projet Sainte-Marguerite-3 est la plus imposante et aussi la plus détaillée (voir la figure 1). Elle concerne un projet de centrale dont la phase de construction a débuté en 1995 et qui est en voie d'achèvement. Le plan d'eau créé est en phase terminale de remplissage. Sur le plan forestier, entre 1984 et 2002, le projet a connu toutes les étapes et activités énumérées précédemment.

Situé sur la Côte Nord, à 100 km des villes côtières de Sept-Îles et de Port-Cartier, le projet SM-3 est réalisé dans un territoire inhabité, montagneux, et difficilement accessible. Le réseau routier pour permettre sa réalisation a d'ailleurs du être entièrement construit.

Le projet de barrage SM-3 se trouve dans la zone de la forêt boréale, dans le domaine écologique de l'épinette noire (Picea mariana). Ce territoire correspond à l'extrémité nord de la forêt publique commerciale.

Figure 1: Aménagement hydroélectrique de la Sainte-Marguerite-3

3.2 Synthèse des informations forestières du projet

Superficie totale affectée: 26 745 ha
Superficie inondée: 26 204 ha
Superficie inondée exploitable: 16 663 ha
Superficie économiquement récupérable (secteur 1): 8 390 ha
Volume total: 1 250 000 m 3 toutes essences
Volume résineux récolté: 550 000 m 3
Volume moyen à l'hectare: 81 m 3
Volume moyen à la tige : 83 dm 3
Distance moyenne de transport : 180 km
Exécuteur: La compagnie Uniforêt-Port-Cartier Inc.
Nombre de travailleurs (durant 3 ans): 100 personnes

Cadre législatif:

Principales caractéristiques du plan spécial:

Détail des activités et des coûts:

Coûts des études: 2 600 000 $
Coût de la récupération pour HQ: 9 500 000 $
Fourniture par HQ du campement forestier et ponts: ± 500 000 $
Implantation du périmètre extérieur incluant les îles: 530 000 $
Droits de coupe: 100 000 $
Reboisement des sites désaffectés: 600 000 $
Compensation pour la perte de possibilité (versée au MRN) 500 000 $
Brûlage des débris (< 500 000 m3) 1 900 000 $
Total des coûts assumés par HQ ±16 200 000 $

Autres interventions

Aménagements d'habitats fauniques terrestres: en collaboration avec la nation autochtone Innu, réalisation de quelques déboisements sélectifs (une centaine d'hectares) en vue de favoriser la régénération des essences feuillues propices à l'orignal et à la petite faune.

3.3 Conclusion

Au terme des activités de construction de l'aménagement SM-3, les impacts du projet sur la forêt auront été minimisés par la récupération des bois marchands économiquement exploitables, la gestion des débris ligneux, les aménagements fauniques et le reboisement progressif des lieux désaffectés.

La somme versée au MRN pour la compensation de la perte de possibilité a servi à améliorer de façon significative le niveau des connaissances sur la forêt boréale.

Enfin, il ne faudrait pas passer sous silence que ce projet situé en milieu très peu développé et dépourvu d'accès, a permis l'ouverture du territoire à l'aménagement forestier et au développement des activités récréatives tout en préservant les usages traditionnels autochtones.


1 Ingénieur Forestier
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