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Changement climatique et gestion forestière en Wallonie

LAURENT Christian


Résumé.

Les mesures développées en Wallonie, visant une gestion forestière multifonctionnelle adaptée à une région densément peuplée, comprennent des mesures d'adaptation à l'évolution du climat. L'objet de ce document est de montrer les convergences entre ces mesures et les différents aspects de la gestion multifonctionnelle.

La difficulté de prévoir l'ampleur locale du changement climatique impose le maintien ou l'amélioration du potentiel d'adaptation de l'écosystème forestier, selon deux axes complémentaires.

Il est primordial de développer au sein des peuplements une diversité biologique plus large, grâce à une diversification des essences principales et d'accompagnement, mais aussi par la diversification génétique et des mesures sylvicoles adaptées.

Il faut également installer les essences et les provenances les mieux adaptées aux conditions stationnelles actuelles, afin qu'elles supportent les modifications de leur environnement tant abiotique que biotique.

Le choix des essences et des techniques sylvicoles prend spécifiquement en compte la prévention des risques accrus de tempêtes et de développement de déprédateurs, les stress climatiques résultant d'épisodes extrêmes, l'augmentation globale des températures.

Une sylviculture dynamique, caractérisée par des écartements plus larges et des éclaircies précoces et fortes, permet d'atténuer les chablis et améliore le bilan hydrique et donc la résistance aux épisodes de sécheresse; elle contribue, par la présence d'une végétation de sous-bois, à la biodiversité et à la protection du sol; elle favorise le recyclage régulier des éléments minéraux et prévient leur lessivage.

Les mesures de protection de l'eau et des sols améliorent la régulation des cycles hydrologiques par les écosystèmes forestiers.

Le traitement en futaie jardinée accroît la résistance de l'écosystème aux stress climatiques et aux déprédateurs.

Ces choix sylvicoles répondent à divers objectifs écologiques, économiques et sociaux, et contribuent à stocker davantage de carbone, en forêt par augmentation de la biomasse, et en aval en favorisant les produits ligneux aptes aux emplois de longue durée.

Mots clés:Changement climatique, mesures d'adaptation, gestion multifonctionnelle, sylviculture, diversité biologique, protection de l'eau.


Introduction.

La Région wallonne, partie sud de la Belgique, est une petite région de 16.844 km², densément peuplée, dont le taux de boisement est de 32,3%: la densité de population est de 199 habitants par km², chacun d'eux disposant de 0,16 hectares de zones forestières.

Dans ce contexte général d'intense pression foncière, la gestion multifonctionnelle ne peut se concevoir que par une zonation multifonctionnelle des forêts: chaque unité sera gérée pour assurer de manière optimale les fonctions de production, écologiques et sociales de la forêt.

Concrètement, pour les 48% que représentent les forêts de propriétaires publics, une définition des vocations prioritaires est effectuée dans les plans d'aménagement: si des objectifs de protection des sols ou des eaux ou de conservation de la biodiversité sont identifiés comme prioritaires, les fonctions économique et sociale resteront assurées, mais seront assorties de contraintes garantissant les objectifs prioritaires; dans le même esprit, dans les zones de production, des mesures générales seront appliquées pour assurer les fonctions écologiques. La production sera orientée vers des produits de qualité élevée, aptes à des emplois à haute valeur ajoutée, et non à une production de masse.

Pour les forêts de propriétaires privés, des mesures incitatives et des activités de sensibilisation sont appliquées, afin d'assurer l'équilibre entre les fonctions de la forêt.

Cet article vise à décrire les mesures de gestion forestière qui intègrent les effets du changement climatique et comment ces mesures convergent vers les différents aspects de la gestion multifonctionnelle.

Les mesures de gestion.

L'évolution probable du climat est intégrée dans les choix sylvicoles, selon deux axes.

Le premier axe est le maintien ou de préférence l'amélioration de la capacité d'adaptation des écosystèmes forestiers à tout changement environnemental, qu'il soit climatique ou lié à l'apparition d'autres contraintes physiques ou biotiques.

Le second axe consiste à anticiper, par des techniques sylvicoles adéquates, les dangers spécifiques du changement climatique pour la forêt, et plus spécialement l'accroissement de la fréquence des tempêtes, les risques accrus de stress dus à des épisodes climatiques extrêmes, alternant des périodes de sécheresse et de pluviosité excessives, l'augmentation des températures et les risques accrus d'extension de déprédateurs.

L'amélioration des capacités d'adaptation des écosystèmes forestiers.

Deux voies sont indispensables pour améliorer les capacités d'adaptation des écosystèmes forestiers: la diversification et l'adaptation des essences aux conditions locales.

La diversification vise à assurer au sein de nos forêts une diversité très large a tous les niveaux.

Au niveau génétique, on recherche une diversité maximale de provenances locales, performantes et plus apte à l'adaptation, qu'il s'agisse d'essences indigènes ou acclimatées telles que le douglas ou les mélèzes; on proscrira le recours aux plantations mono ou oligoclonales

Au niveau des essences, on favorise les mélanges d'essences principales et on respecte les essences d'accompagnement.

Enfin, la diversité des écosystèmes est assurée par la conservation des écosystèmes naturels ou peu modifiés par l'homme, mais également des écosystèmes secondaires à haute valeur biologique.

Les principaux instruments de cette diversification sont le Centre de Recherches sur la Nature, la Forêt et le Bois, qui élabore d'une part pour les services de terrain des méthodes de conservation des écosystèmes, et réalise d'autre part l'identification des provenances et des peuplements à graines pour une gamme variée d'essences, dans un double objectif d'amélioration et de conservation; le Comptoir des Matériels Forestiers de Reproduction prend ensuite le relais par la gestion des peuplements à graines, la récolte, le traitement et la diffusion du matériel génétique vers les secteurs public et privé.

Cette diversification est également favorisée par des subventions à la régénération, qui sont conditionnées notamment à la présence de mélanges.

Les nouveaux aménagements, par la définition des vocations prioritaires, favorisent également la conservation des écosystèmes.

Enfin, la désignation de 150.000 hectares de forêts dans le réseau européen Natura 2000 va considérablement renforcer ce volet de la gestion.

La diversification, au-delà de ses effets sur la biodiversité, en ce compris l'équilibre faune-flore, et sur l'adaptation au changement climatique, a également des effets positifs sur la fonction économique, car elle offre un meilleur potentiel face aux fluctuations des marchés et ouvre l'accès à des niches spécifiques aux produits de qualité, ligneux ou non-ligneux. Elle améliore également les rôles paysagers et touristiques des forêts.

L'adaptation des essences aux conditions locales vise à régénérer ou installer les essences et les provenances les mieux adaptées aux conditions climatiques et stationnelles actuelles, car elles supporteront mieux les fluctuations de leur environnement tant abiotique que biotique.

Cette réflexion intègre par ailleurs les problèmes spécifiques de chablis et de sécheresse, en fonction d'éventuels facteurs de compensation. La prise en compte des caractéristiques d'enracinement des différentes essences permet également de profiter au mieux des facteurs de compensation et de mieux utiliser le milieu avec des mélanges complémentaires.

Les principaux instruments, outre ceux déjà cités, sont à la fois informatifs et incitatifs: le Fichier écologique des essences (Weissen et al., 1991) et le Guide de boisement (Weissen et al., 1994), établis par une équipe interuniversitaire pour le compte de la Région wallonne, présente une description précise des exigences écologiques des 14 essences résineuses et 30 essences feuillues les plus utilisées, y compris comme essences d'accompagnement, et des clés de choix des essences en fonction des niveaux trophiques et hydriques des stations, pour les 27 secteurs écologiques qui ont été distingués dans la région.

Les subventions à la régénération sont conditionnées à l'adaptation à la station des essences plantées ou régénérées naturellement, en référence au Fichier écologique.

Le choix optimal des essences converge avec les objectifs de production, par une productivité optimale et durable, et une meilleure qualité des produits. Et il prévient les effets négatifs de l'essence sur le milieu et sa stabilité, ce qui est indispensable à la protection des sols et des eaux.

Des techniques sylvicoles adaptées:

Diverses techniques sylvicoles, largement promues par la Région wallonne, permettent d'atténuer les dangers spécifiques du changement climatique pour la forêt.

La sylviculture dynamique.

La sylviculture dynamique (André P. et al., 1994) est définie par l'installation des peuplements à des écartements plus larges ou des dépressages vigoureux en cas de régénération naturelle, par des éclaircies précoces et fortes, et le maintien de densités (nombre de tige et surface terrière) relativement faibles.

Les objectifs relatifs au changement climatique sont:

- la réduction des risques de chablis, grâce à des plants mieux enracinés et équilibrés;

- l'amélioration du bilan hydrique en diminuant l'interception et l'évapotranspiration: la résistance aux sécheresses sera donc accrue, grâce à de meilleures réserves du sol en eau;

- grâce à une végétation de sous-bois plus abondante, l'amélioration de la biodiversité et une meilleure protection du sol;

- un recyclage plus régulier et progressif des éléments minéraux, ce qui améliore le fonctionnement de l'écosystème et prévient le lessivage d'éléments nutritifs lors de coupes.

Les instruments en sont principalement les subventions à la régénération, qui imposent une fourchette de densité à la plantation, les subventions à l'éclaircie précoce et des actions de vulgarisation, tels que des guides de bonne pratique pour le traitement des essences. S'y ajoutent pour la forêt publique, des circulaires spécifiques relatives à des normes sylvicoles.

Les convergences avec les fonctions économique et sociale sont encore plus nettes, puisque cette sylviculture améliore la rentabilité de la gestion forestière, en permettant une réduction des révolutions et une production plus rapide de bois de dimensions intéressantes pour une transformation à plus haute valeur ajoutée. Le maintien d'un matériel sur pied plus faible réduit également les risques. La fonction cynégétique est améliorée, par l'augmentation de la capacité biogénique du milieu et un meilleur équilibre forêt-gibier.

Les mesures de protection de l'eau.

Les mesures générales de protection de l'eau concernent notamment les essences utilisées, une réduction de la densité des peuplements et des limitations au drainage dans certaines situations, notamment le long des cours d'eau et sur les sols hydromorphes. Dans les sols à nappe permanente, le drainage sera même interdit, et l'abandon de la sylviculture est préconisé sur les sols tourbeux. (Anonyme, 1997 et 2002).

Ces mesures permettent d'améliorer le rôle régulateur de la forêt sur les cycles hydrologiques: l'écosystème forestier consommera moins d'eau et sera plus à même de supporter des épisodes de sécheresse. Dans les épisodes de pluviosité intense, la forêt libèrera progressivement l'excès d'eau.

La Circulaire relative à la protection des sols et de l'eau prévoit ces mesures pour les forêts publiques, les zones à vocation de protection étant par ailleurs identifiées et cartographiées dans les aménagements. Les subventions à la régénération, outre le choix des essences, prévoient dans les conditions d'attribution l'interdiction du drainage.

L'effet bénéfique sur la protection des eaux est non seulement quantitatif, mais est également qualitatif, car le choix des essences et l'absence de drainage favorisent l'effet de filtre de la forêt; les risques de libération de sédiments organiques ou minéraux dans les cours d'eau sont diminués. En outre, la prévention des inondations et des infrastructures est mieux assurée, par l'écrêtement et la temporisation des épisodes de crues.

Le traitement en futaie jardinée et mélangée.

Sans qu'il soit imposé, le traitement en futaie jardinée et mélangée est conseillé chaque fois que les essences en place et les conditions stationnelles le permettent.

Ses avantages relatifs au changement climatique sont le maintien d'une couverture forestière permanente, la meilleure stabilité des peuplements face aux tempêtes et la résistance accrue de l'écosystème aux stress climatiques et aux déprédateurs.

La circulaire relative à la protection des sols et de l'eau dans les forêts soumises et la circulaire relative aux aménagements accordent une grande importance à la recherche de ce type de structures, que ce soit au sein même des peuplements (mélanges pied par pied) ou à un niveau spatial plus élevé. Pour les essences ne permettant pas ce traitement, la régénération sous le couvert, qu'elle soit naturelle ou artificielle, est cependant conseillée, afin de maintenir au maximum l'ambiance forestière.

Pour la forêt privée, les mélanges sont imposés en présence de résineux dans les conditions d'attribution des subventions à la régénération. En forêt publique, ils s'imposent sauf dans les situations particulières où les conditions stationnelles ne les permettent pas.

A nouveau, ces mesures convergent avec les objectifs de protection et de conservation de la biodiversité, ainsi qu'avec les rôles paysagers et touristiques des forêts.

Contribution de la forêt au stockage du carbone.

La contribution de la forêt ne sera pas détaillée dans cet article, qui s'intéresse davantage aux mesures d'adaptation.

Citons cependant les valeurs relatives au stock en forêt, qui peut être chiffré, au départ des données de l'inventaire forestier régional, à 48 millions de tonnes de carbone (biomasse uniquement), soit près de quatre fois les émissions régionales annuelles. (Laitat et al. 2002) Les flux nets annuels (accroissements nets de la biomasse) correspondant à près de 500.000 tonnes. Cette valeur devrait diminuer à l'avenir, en raison des méthodes sylvicoles préconisées, tendant à réduire le capital ligneux à l'hectare. Compte-tenu de la pression foncière importante, la contribution des boisements, reboisements et déboisements peut être considérée comme négligeable.

L'apport le plus important de la gestion forestière à la réduction des émissions sera indirect, dans la mesure où la part de produits aptes à des emplois de longue durée, pouvant se substituer à d'autres matériaux plus coûteux en énergie, devrait augmenter à l'avenir.

Conclusions:

Des mesures existent, qui tiennent compte d'effets spécifiques du changement climatique sur la forêt.

Ces choix sylvicoles répondent de manière complémentaire à des objectifs écologiques, économiques et sociaux.

Ils contribuent également à renforcer le rôle positif du secteur forestier sur le changement climatique en fixant davantage de carbone, en forêt même par augmentation de la biomasse, mais surtout en aval par production d'une proportion plus élevée de produits ligneux aptes à des emplois de longue durée.

Références:

André P. et al., 1994. Eclaircie en futaie résineuse. Namur, Ministère de la Région wallonne. 48 p.

Anonyme, 1997. La forêt et la protection de l'eau. Namur, Ministère de la Région wallonne. 48 p.

Anonyme, 2002. La forêt et la protection du sol. Namur, Ministère de la Région wallonne. 55 p.

Laitat et al., 2002. Séquestration du carbone par les forêts selon l'affectation des terres. Gembloux, Faculté Universitaire des Sciences Agronomiques. 61 p. + annexes.

Weissen F. et al., 1991. Le fichier écologique des essences. Namur, Ministère de la Région wallonne. 2 vol 45 p., 190 p.

Weissen F., Bronchart L., Piret A., 1994.Guide de boisement des stations forestières de la Wallonie, Ministère de la Région wallonne. 173 p.

Références légales:

6 SEPTEMBRE 2001. - Arrêté du Gouvernement wallon relatif à l'octroi d'une subvention aux propriétaires particuliers pour la régénération d'espèces feuillues et résineuses.

14 NOVEMBRE 2001. - Arrêté du Gouvernement wallon relatif à l'octroi d'une subvention aux propriétaires particuliers pour l'éclaircie et le débardage au cheval en peuplements feuillus et résineux.

14 NOVEMBRE 2001. - Arrêté du Gouvernement wallon relatif à l'octroi d'une subvention aux propriétaires particuliers pour l'élagage à grande hauteur.

5 SEPTEMBRE 2002. - Arrêté du Gouvernement wallon relatif à l'octroi de subventions aux personnes de droit public, en matière forestière.

Circulaires disponibles à la Division de la Nature et des Forêts de la Région Wallonne:

Circulaire n° 2363 du 19/11/1981 relative au traitement de l'épicéa.

Circulaire n°2556 du 14/02/1995 relative à la vocation de protection de l'eau et des sols: drainage et coupes à blanc dans les bois soumis au régime forestier.

Circulaire n°2619 du 22/09/1997 relative aux aménagements dans les bois soumis au régime forestier.