Potentialités forestières et organisationnelles pour réduire la pauvreté

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Gérald Beaulieu


Résumé

Le Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques est une initiative de la Société de coopération pour le développement international (SOCODEVI) et de l’Alliance coopérative internationale des Amériques. L’objectif de ce Réseau est de faire la promotion de l’aménagement forestier durable et de la formule coopérative pour améliorer les conditions de vie des populations riveraines des forêts.

L’Amérique latine détient 25% des superficies forestières de la planète. Malgré cette importance relative, sa quote-part de la valeur mondiale des produits forestiers ne dépasse pas 5%. Dans cette région, plus de 310 millions de personnes, soit plus de 78%, vivent en-dessous du seuil de la pauvreté. Le développement forestier durable dans cette région représente une opportunité pour réduire la pauvreté et le Réseau croit qu’il est très important d’y associer les populations à travers la formule coopérative afin qu’elles puissent bénéficier de la richesse générée par cette activité. En Amérique latine, la formule coopérative peut se traduire par des coopératives de producteurs et par des coopératives de travailleurs forestiers.

Les limitations pour le développement forestier durable dans cette région sont d’ordre politique, financier et organisationnel. Afin de contrer ces limitations, il est important que les pays de la zone se donnent une vision de développement à long terme qui repose sur des politiques forestières novatrices et des programmes d’incitatifs forestiers. De plus, il est essentiel de prévoir des programmes d’assistance technique et de transfert d’expertise orientés vers les populations afin de favoriser leur organisation dans des entreprises associatives performantes.

Mots clés: Coopérative, pauvreté, populations, organisations, incitatifs forestiers, assistance technique, expertise, Amérique latine


1. Introduction

Le sous-thème du Congrès forestier mondial 2003 Des Forêts pour les gens nous incite à analyser les différentes alternatives possibles afin de maximiser les bénéfices de l’aménagement forestier durable pour les populations riveraines. En Amérique Latine, ce thème prend toute son importance, ce continent étant aux prises avec un problème alarmant de pauvreté dont les conséquences se font sentir dans la gestion des ressources forestières.

Cette même préoccupation est à l’origine du Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques. Ce Réseau est une initiative conjointe de la Société de Coopération pour le développement international (SOCODEVI) et de l’Alliance coopérative internationale des Amériques (ACI - Amériques) et regroupe des coopératives et associations du continent intéressées au développement forestier.

SOCODEVI est une organisation de coopération à but non lucratif, regroupant les plus grandes coopératives québécoises et qui fournit une expertise technique dans les domaines de la foresterie, de l’agro-industrie, de la micro finance et du développement local en Amérique Latine, en Afrique et en Asie. L’ACI - Amériques est le chapitre continental de l’Alliance coopérative internationale, organisme d’intégration des coopératives à l’échelle de la planète.

L’objectif du Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques est de favoriser le renforcement d’une économie forestière durable en Amérique Latine contribuant ainsi à l’amélioration des conditions de vie des populations locales et ce, grâce à la formule coopérative et associative. La stratégie du Réseau est donc de faire la promotion du secteur forestier et de la formule coopérative en supportant la réalisation d’activités forestières productives. Le Réseau a initié ses activités à la fin de l’an 2000 suite à une tournée de promotion du secteur forestier et de la formule coopérative en Amérique Latine. Le Réseau a organisé des ateliers thématiques de formation afin de supporter ses membres dans l’élaboration de projets forestiers structurants.

Le Réseau et ses partenaires croient fermement que l’on doit mettre en place des systèmes efficaces de gestion des ressources forestières en s’assurant a priori d’une participation active des populations riveraines des forêts afin qu’elles puissent bénéficier des retombées de l’aménagement forestier durable. Pour le Réseau, jumeler le potentiel forestier de ce continent avec le potentiel humain à travers des organisations coopératives performantes constitue le défi à relever afin que se matérialise le thème Des Forêts pour les gens!

Le mémoire du Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques présente le contexte forestier en Amérique latine, les opportunités pour améliorer les conditions de vie des gens et fait aussi la promotion de la formule coopérative comme outil pour associer les populations à la gestion durable des forêts.

2. Les constats

La situation forestière en Amérique latine

En Amérique Latine, la forêt couvre plus de 964 millions d’hectares soit environ 25 % des forêts de la planète, selon le rapport 2001 de la FAO sur la situation forestière mondiale. La couverture forestière représente 47% de son territoire. On estime la croissance annuelle à presque 4 milliards de mètres cubes dont la valeur estimée pourrait atteindre plus de 46 milliards de dollars US. La récolte annuelle atteint environ 370 millions de mètres cubes dont 61% est constituée de bois de chauffe et charbon. Cette récolte annuelle représente environ 11% de la croissance annuelle.

Les plantations forestières couvrent une superficie de 11,7 millions d’hectares, soit 6,3% de toutes les plantations forestières du monde. La production industrielle forestière, quant à elle, s’établit à 145 millions de mètres cubes soit moins de 10% de la production mondiale. En transposant cette production en dollars US, on constate qu’elle se chiffre à moins de 5% de la valeur mondiale.

La majeure partie des forêts d’Amérique Latine se concentrent à 88% dans les pays suivants: Brésil, Chili. Mexico, Argentine et Équateur. Pour illustrer la participation au PIB, prenons l’exemple du Brésil à 2,5% et le Chili à 2,7% de son PIB. Il s’agit d’indicateurs très importants pour attirer l’attention des gouvernements à mettre en place des politiques et programmes de mise en valeur du secteur forestier. D’ailleurs, au niveau mondial, il est reconnu que les pays qui ont appliqué des politiques forestières à long terme ont réussi à augmenter la participation du secteur forestier dans le PIB national et à consolider des programmes d’aménagement forestier durable.

Ceci nous indique clairement que le secteur forestier constitue une avenue de solution très intéressante qui, jumelée avec l’organisation des populations, pourrait contribuer significativement à la réduction de la pauvreté.

Les limitations du secteur forestier dans le développement rural

Les limitations au développement du potentiel forestier en Amérique Latine sont de trois ordres: politique, financier et organisationnel.

Au plan politique, le compromis doit reposer sur une politique forestière moderne et incitative à l’aménagement forestier durable comportant une vision claire du développement forestier durable favorisant un équilibre entre production et conservation. De plus, il doit garantir une sécurité à long terme sur l’usufruit de l’aménagement forestier durable et s’assurer d’une participation démocratique des populations. Ce compromis politique doit donc se matérialiser par des lois forestières, des politiques et des programmes d’aménagement forestier à l’échelle nationale. En Amérique Latine, la gestion forestière est en pleine évolution. Par exemple, afin de contrer le phénomène de déforestation, plusieurs pays ont amendé voire renouvelé leurs lois et leurs politiques forestières. Certains pays ont même mis en place des programmes incitatifs forestiers pour assurer l’aménagement des forêts naturelles et pour reconstituer des stocks forestiers grâce à des plantations.

Au chapitre financier, ceci implique une mise de fonds initiale de la part de chaque État pour amorcer le processus. Peu de pays en Amérique Latine ont réussi à convaincre les politiciens de faire ce choix probablement dû au fait que le secteur forestier n’offre pas beaucoup d’attrait politique. Selon plusieurs conférenciers du Congrès forestier latino-américain, tenu au Guatemala en juillet 2002, ceci pourrait s’expliquer par la dimension long terme de l’investissement, la faible participation dans le PIB et par le fait qu’il n’existe pas encore de marché défini pour les services environnementaux. Par ailleurs, les programmes de financement international ne sont pas suffisamment dirigés vers les communautés pour la réalisation d’activités productives durables. Donc, faute de crédit, il est donc difficile pour ces populations de prendre part activement aux programmes de développement forestier et de bénéficier des retombées de l’aménagement durable des forêts.

Sur le plan organisationnel, il faut aussi reconnaître que les populations rurales sont absentes de la gestion des forêts et ne sont pas toutes dotées d’organisations structurées avec du personnel technique ayant les compétences requises pour réaliser des projets d’envergure d’aménagement forestier durable. Ceci entrave la planification, la réalisation et le suivi de projets productifs forestiers et soulève des interrogations sur le caractère durable de l’opération.

3. Le concept

Associer les populations rurales à la gestion des forêts grâce à la formule coopérative

Le Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques est une initiative supportée par l’Alliance coopérative internationale et par SOCODEVI. Ces deux organisations croient profondément au système coopératif pour organiser les populations riveraines des forêts afin qu’elle bénéficient de la richesse générée par la ressource forestière. En Amérique Latine, le concept coopératif peut prendre la forme de coopératives de producteurs forestiers et de coopératives de travailleurs forestiers.

La formule coopérative représente un outil de développement très structurant d’une part pour ses valeurs (responsabilité, équité, démocratie, solidarité, honnêteté) que pour ses principes (libre adhésion, contrôle démocratique, participation économique, autonomie, éducation coopérative, intercoopération et engagement envers la communauté) universellement reconnus.

En s’associant dans une coopérative de producteurs ou de travailleurs, les populations rurales se donnent une entreprise associative capable de:

Dans le même rapport de la FAO cité précédemment, on souligne que les populations rurales s’impliquent et veulent s’impliquer encore plus dans la gestion des ressources forestières. Aussi, ces populations sont davantage sensibilisées et disposées à respecter les règles comme en fait foi la diminution des coupes illégales. Ce large consensus constitue une plate-forme enthousiasmante pour lancer de vastes programmes nationaux d’aménagement forestier en collaboration avec les gouvernements et en associant les populations à ces programmes. Il sera important de mettre en place un volet majeur pour la structuration d’entreprises associatives et coopératives pour favoriser la participation et la responsabilisation des populations face au développement durable de la ressource et à la prise en charge de leur développement socio-économique.

La Conférence des coopératives forestières du Québec est également membre du Réseau et fournit une expertise aux autres membres par le biais des programmes d’appui de SOCODEVI. Les coopératives de travailleurs forestiers ont plus de 60 ans d’histoire et jouent un rôle majeur dans toute la filière forestière québécoise. Ce contact privilégié avec la Conférence et ses coopératives affiliées donne accès aux membres du Réseau à une intercoopération riche en expertise, en transfert de technologie et en modèle organisationnel.

Les opportunités du secteur forestier dans le développement rural

La population en Amérique Latine totalise plus de 386 millions de personnes. L’indice de pauvreté nous indique que 221 millions sont considérés comme pauvres, soit 55% et que 89 millions de personnes soit 23% sont des indigents. 78% de la population d’Amérique Latine vit donc sous le seuil de la pauvreté.

Tel que mentionné auparavant, la croissance annuelle forestière représente 46 milliards de dollars de revenus potentiels. En réalisant ce potentiel de richesse, on pourrait sortir plus de 20 millions de personnes de la pauvreté avec des revenus similaires à la moyenne observée au Costa Rica.

En Amérique Latine, la génération de richesse dans le secteur forestier peut se matérialiser à partir de:

Pour concrétiser cette opportunité, les gouvernements nationaux doivent se donner une vision de développement forestier durable qui repose sur des valeurs éthiques, sociales et économiques. Les valeurs éthiques nous amènent à constater que tout le monde s’intéresse à la forêt et veut collaborer mais peu savent comment s’y prendre. A preuve, combien de programmes d’appui dans le secteur forestier ne se limitent qu’à des appuis institutionnels sans incidence directe dans le milieu rural où vit la population la plus pauvre. Aussi, l’éthique nous oblige à intégrer un élément fondamental qui est le respect des besoins des générations actuelles et futures.

Les valeurs sociales de la forêt font davantage référence à la nécessité de créer des emplois dans la zone rurale sans pour autant contribuer à la dégradation des écosystèmes. De plus, il est important de considérer les besoins de produits forestiers et non forestiers au niveau local qu’il s’agisse de bois de chauffe, de bois de construction ou d’autres produits d’utilité courante. La génération de services environnementaux d’ordre collectif constitue aussi une valeur essentielle afin de maximiser les retombées au niveau local. Ne pensons qu’à la protection des sols pour l’agriculture, la conservation du cycle hydrologique, la protection de la biodiversité, la mitigation des changements climatiques et les paysages.

Au chapitre des valeurs économiques, les opportunités liées à l’aménagement forestier durable se traduisent par l’augmentation des revenus dans les zones rurales, la création et la valorisation de la richesse pour le présent et pour le futur et par des investissements à long terme. En Amérique Latine, ceci prend toute son importance par ses effets bénéfiques et directs sur la réduction de la pauvreté. Pour les membres du Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques, cela signifie concrètement la création d’emplois spécialisés par la réalisation d’activités productives et par l’introduction de technologies adaptées.

A titre d’exemple, au Guatemala une fédération maya de coopératives agricoles, Fedecovera, a réussi à diversifier sa base économique en mettant en place un département forestier doté de technologies modernes de gestion forestière. Après seulement 5 ans, ce département forestier appuie le développement forestier de ses coopératives, gère deux pépinières modernes pour une production de plus de 3 millions d’arbres annuellement. En Bolivie, la Fondation Natura Bolivia gère un projet expérimental de paiements des services environnementaux entre communautés. Au Costa Rica, des organisations coopératives sont à expérimenter des projets agroforestiers afin de diminuer leur dépendance d’un produit unique comme le café. En Uruguay, SOCODEVI appuie un projet dont la résultante est la création de deux associations de producteurs forestiers et le renforcement de 2 coopératives de travailleurs forestiers pour la mise en valeur de plantations forestières avec une perspective d’industrialisation. Ces initiatives des membres du Réseau démontrent bien le potentiel du secteur forestier à créer des emplois locaux durables au moyen d’organisations coopératives ou associatives.

4. Les conditions à réunir

La mise en œuvre d’une stratégie de développement forestier en Amérique Latine qui associe les populations rurales repose sur un certain nombre de conditions de base dont les suivantes.

Réunir ces conditions est d’abord un défi et un appel lancé aux gouvernements d’Amérique Latine afin qu’ils priorisent le secteur forestier dans leurs stratégies de développement économique et en s’assurant que ces stratégies privilégient la responsabilisation des populations et les retombées économiques pour ces populations. C’est aussi un appel aux gouvernements du Nord pour soutenir des programmes qui pourront mettre en place des cadres plus propices au développement forestier, en s’assurant aussi de volets majeurs visant à générer des bénéfices directs pour les populations pour contribuer ainsi à la réduction de la pauvreté.

5. Conclusion

L’Amérique Latine détient une importance stratégique au niveau mondial avec son poids de 25% de tous les boisés du monde. En effet, que ce soit pour des considérations commerciales environnementales et stratégiques en regard des traités internationaux, l’Amérique Latine devrait constituer une préoccupation de premier plan pour l’aménagement durable des forêts. Il est évident que les populations riveraines des forêts continuent de perdre des opportunités de développement socio-économique durable en ne mettant pas en valeur leurs ressources forestières.

Le développement forestier durable en Amérique Latine repose sur deux éléments fondamentaux, soit la participation des populations à travers la formule coopérative et sur une vision à long terme du développement forestier. Cette vision de développement doit reposer sur un cadre juridique stable et novateur et bénéficier de l’appui de la société civile. Pour associer les populations riveraines à la gestion des forêts, il est primordial de prévoir des programmes d’accompagnement et d’assistance technique favorisant l’accès à des connaissances techniques, à des technologies et aussi à des formules performantes en matière d’organisation des populations.

Pour réussir ces changements, il est impératif de mobiliser les acteurs en fonction de cette vision de développement forestier durable afin que les gouvernements locaux et les organismes internationaux de financement y consacrent plus de ressources financières. Le Réseau pour le développement forestier durable dans les Amériques entend capitaliser sur l’émergence d’une sensibilisation accrue des populations vis-à-vis le secteur forestier afin de faire la promotion de projets forestiers durables en Amérique Latine.