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Les coopératives: Des racines pour développer "des forêts pour les gens"

Richard Lacasse, Richard Trudel, Jocelyn Lessard


Résumé

Plusieurs pays n'ont pas su tirer avantage de leur forêt comme levier économique pour le développement de leur pays et pour fournir des bénéfices à leurs populations. Trop souvent, le secteur forestier n'a pas été considéré prioritaire ou encore la gestion a été confiée à des entités externes sans un cadre et des objectifs préalablement définis. La question pertinente est de savoir comment s'assurer que les efforts investis en aménagement forestier vont profiter aux populations actuelles et futures.

Le présent mémoire s'attarde à l'apport potentiel de la formule coopérative pour favoriser et structurer l'intégration des populations à des modèles de mise en valeur des forêts. Cette conviction que la formule coopérative peut être un apport important repose à la fois sur l'expérience québécoise de coopératives de travailleurs forestiers et une expertise de 15 années développée à l'étranger conjointement par la Société de Développement pour le Développement International (SOCODEVI) et son réseau de coopératives forestières regroupé au sein de la Conférence des Coopératives Forestières du Québec (CCFQ).

Le modèle coopératif est une formule qui a fait ses preuves à l'échelle de la planète, près de 800 millions de femmes et d'hommes sont membres de coopératives ou mutuelles dans le monde.

Le développement d'un réseau de coopératives forestières constitue un défi de taille car il exige la combinaison de plusieurs conditions pour y parvenir, à la fois dans son environnement interne et externe, tant politique, financier, organisationnel et humain. Il sera crucial de concevoir les programmes d'accompagnement nécessaires pour construire des bases solides au développement des coopératives.

Mots clés: coopératives, populations, organisation, participation, coopération, expertise, transfert, réseau.


1. Introduction

La forêt source de vie, quel thème de congrès approprié pour rejoindre l'ensemble des préoccupations et des bénéfices entourant cette ressource indispensable! Le présent mémoire se veut d'ailleurs un prolongement de ce thème puisqu'il s'attarde à un aspect bien particulier, soit l'apport potentiel de la formule coopérative pour favoriser et structurer l'intégration des populations à des modèles de mise en valeur des forêts.

La mise en valeur de la ressource forestière constitue pour plusieurs pays un outil de création de richesse qui a engendré un progrès socio-économique important pour leurs populations. Invariablement, ces pays ont adopté, à un rythme différent, des politiques forestières qui ont contribué au développement de ce patrimoine forestier et qui cherchent aussi de plus en plus à consulter et associer les populations au développement et à la mise en valeur de cette ressource.

La situation est toutefois différente pour plusieurs pays du Sud qui n'ont pas su tirer avantage de leur forêt comme levier économique pour le développement de leur pays et pour fournir des bénéfices à leurs populations. Trop souvent, le secteur forestier n'a pas été considéré prioritaire ou encore la gestion a été confiée à des entités externes sans un cadre et des objectifs préalablement définis.

La question pertinente est de savoir comment s'assurer que les efforts investis en aménagement forestier vont profiter aux populations actuelles et futures. Avec une volonté politique, il faudra associer les populations à l'aménagement de la ressource et au développement de la filière. La formule coopérative, couplée à des politiques forestières dynamiques et efficaces, peut à cet égard jouer un rôle significatif.

Cette conviction que la formule coopérative peut être un apport important repose à la fois sur l'expérience québécoise de coopératives de travailleurs forestiers et une expertise de 15 années développée à l'étranger conjointement par la Société de Développement pour le Développement International (SOCODEVI) et son réseau de coopératives forestières regroupé au sein de la Conférence des Coopératives forestières du Québec (CCFQ).

Les coopératives de travailleurs forestiers trouvent leur origine au Québec, il y a près de 65 ans maintenant, et sont devenues des acteurs clés de la filière forestière. Dans plusieurs communautés au Québec, les coopératives comptent parmi les principaux employeurs et investisseurs et constituent des catalyseurs dynamiques du développement de leur milieu.

Différentes initiatives de coopératives forestières au Sud ou de coopératives agricoles ayant diversifié leurs activités économiques en priorisant la filière forestière sont prometteuses. Cette promotion de la formule coopérative devra être accélérée et davantage appuyée pour accroître sa réplication et son impact. Les programmes de coopération technique et d'accompagnement devront être encouragés, en s'assurant aussi de la mise en place des cadres propices nécessaires au développement forestier par des politiques et des financements appropriés et nécessaires au développement coopératif par des législations, programmes et incitatifs correspondants.

Le mémoire présente d'abord un état de la situation et ce qu'est la formule coopérative, pour ensuite préciser les conditions requises à son développement ainsi que les résultats atteints jusqu'à présent pour enfin introduire une proposition de promotion de ce modèle d'organisation.

2. État de situation

À l'échelle de la planète, la production de biens provenant de la fibre représente une valeur économique considérable. Malheureusement, les populations riveraines directement reliées à la ressource forestière sont souvent exclues du processus de mise en valeur de cette ressource et de la richesse générée par celle-ci.

La répartition de cette richesse entraîne des inégalités entre les différentes régions du monde et entre les groupes socioculturels et socioéconomiques. Dans une entrevue récente, Hosny El-Lakany, sous-directeur général chargé du département des forêts à la FAO, soulignait justement que: "depuis quelques années, on assiste à une démarche qui mène à la privatisation des ressources et des services forestiers."[1]

Ce processus risque à terme d'engendrer une exclusion encore plus grande des populations liées à la forêt, pouvant entraîner des tensions sociales très grandes entre les populations et les pouvoirs politiques et économiques.

La mise en place d'entreprises collectives structurées devient indispensable afin que les populations riveraines puissent participer efficacement à la mise en valeur de la ressource et devenir des acteurs économiques importants dans la filière.

Le modèle coopératif est une formule qui a fait ses preuves à l'échelle de la planète dans plusieurs domaines d'activités socio-économiques. Soulignons à cet effet que près de 800 millions de femmes et d'hommes sont membres de coopératives ou mutuelles dans le monde.

L'essence de la formule coopérative

Définissons d'abord clairement ce qu'est une coopérative en reprenant la définition qu'en donne l'Alliance Coopérative Internationale:

"Une coopérative est une association autonome de personnes volontairement réunies pour satisfaire leurs aspirations et besoins économiques, sociaux et culturels communs au moyen d'une entreprise dont la propriété est collective et où le pouvoir est exercé démocratiquement. Les valeurs fondamentales des coopératives sont la prise en charge et la responsabilité personnelle et mutuelle, la démocratie, l'égalité, l'équité et la solidarité".[2]

Les coopératives fonctionnent selon des principes adoptés par l'Alliance coopérative internationale et universellement reconnus et repris dans les législations coopératives tant des pays du Nord comme du Sud, ces principes étant: adhésion libre et volontaire, contrôle démocratique des membres, participation économique des membres, autonomie et indépendance, éducation coopérative, inter-coopération, engagement envers la communauté. Les coopératives partagent aussi les mêmes valeurs. Près de 800 000 entreprises dans le monde agissent dans ce cadre.

Des études récentes au Canada et au Québec ont démontré que les entreprises coopératives ont un taux de survie supérieur aux autres formes d'entreprises après cinq ans et qu'elles sont aussi plus durables dans le temps.[3] Les coopératives forestières du Québec font partie de cette tradition, ayant su résister aux épreuves du temps en s'adaptant constamment et en développant leur expertise tout en améliorant leur situation économique.

Il est important de souligner que la coopération forestière emprunte deux formes. La première, connue sous le vocable de coopération du travail, regroupe des travailleurs qui assument alors la double fonction de propriétaires et d'employés de la coopérative. Cette forme de coopération prévaut généralement quand les membres travailleurs ne sont pas propriétaires de la terre sur laquelle ils travaillent. C'est le cas des coopératives québécoises oeuvrant sur terres publiques dans le cadre d'ententes contractuelles avec les industriels forestiers qui possèdent des droits sur la ressource.

La seconde forme réfère à la coopérative de producteurs. Concrètement, elle offre un soutien à ses membres propriétaires de terrains à vocation forestière et ces derniers se regroupent pour se donner des services de soutien technique, de production de plants, de travaux sylvicoles, de récolte, de transport ou de mise en marché de la production.

L'intercoopération et le partenariat

Depuis une quinzaine d'années, la Société de Coopération pour le Développement International (SOCODEVI) a mis en place des partenariats structurants pour favoriser le développement de coopératives dans les pays du Sud. SOCODEVI regroupe la grande majorité des acteurs coopératifs du Québec, dans le secteur agroalimentaire et industriel avec la Coopérative Fédérée et Agropur, dans l'assurance et les services financiers, les services funéraires, et bien sûr les coopératives forestières.

Guidée par sa mission et l'engagement de ses institutions membres, SOCODEVI participe à la mise en valeur de la formule coopérative ou d'autres formes associatives et contribue au développement durable des pays où elle intervient tout en maintenant son objectif que les populations se prennent en charge. Les actions de coopération et l'expertise offerte par SOCODEVI et ses institutions membres visent principalement à appuyer le développement d'organisations autonomes au bénéfice des membres qui les composent et à renforcer la capacité des personnes à gérer leur propre développement.

La Conférence des coopératives forestières du Québec est partie prenante à la définition et à la mise en place d'une approche d'intervention pour établir les bases d'un modèle de développement forestier au moyen de la formule coopérative et adapté aux réalités des pays du Sud. Elle fournit aussi son expertise par l'envoi de spécialistes volontaires pour participer au développement des projets. Ce soutien permet le transfert de connaissances techniques très pointues et génèrent des échanges culturels importants et essentiels à la création de partenariats sérieux et durables. Les actions de coopération privilégient également les échanges Sud-Sud dans le but de décupler les impacts des actions de formation et d'assistance technique.

Le modèle coopératif forestier a fait ses preuves au Québec et sa trajectoire historique peut être une inspiration pour les populations aux prises avec des situations similaires. Les exemples en ce sens se multiplient et les initiatives actuelles sont porteuses de promesses, tel que mentionné plus loin.

Les conditions à réunir

Le développement d'un réseau de coopératives forestières offre un potentiel de développement extraordinaire. Il constitue également un défi de taille, car il faut réunir plusieurs conditions pour y parvenir, à la fois dans l'environnement interne et externe. Voici quelques éléments essentiels:

Environnement externe:

Environnement interne:

3. Résultats

La formule coopérative pour favoriser l'aménagement forestier durable a prouvé à maintes reprises son efficacité dans les pays du Nord, mentionnons à titre d'exemple le Japon, la Corée, l'Espagne et la France. Au Sud, plusieurs coopératives sont en émergence et quelques-unes ont déjà fourni des preuves de la nécessité d'étendre ces initiatives à plus vaste échelle.

Les résultats atteints par les coopératives québécoises deviennent une source d'inspiration et de motivation pour les partenaires du Sud. Soulignons quelques chiffres sur les coopératives québécoises:

Les partenariats développés avec l'appui technique de SOCODEVI ont amené la formation de plusieurs coopératives forestières au Sud, ou la création de départements forestiers à l'intérieur de coopératives agricoles et les opportunités de croissance et de multiplication de ces initiatives sont nécessaires. Des ressources financières accrues de coopération et d'accompagnement seront requises.

Quelques exemples. Au Guatemala, une fédération de coopératives agricoles (FEDECOVERA) a créé un département forestier et maintient aujourd'hui un niveau annuel de reboisement de plus de 1 400 hectares et utilise la géomatique pour planifier l'utilisation de son territoire. Cette fédération a produit également un volume de 9 millions de plants depuis le début des activités de sa pépinière. Mais probablement plus important est l'introduction d'une culture forestière pour des populations autochtones qui percevaient cette ressource plutôt comme une nuisance à leurs activités agricoles qui leur empêchaient d'augmenter leurs revenus. Tous s'entendent aujourd'hui pour reconnaître l'impact socio-économique considérable de la mise en valeur de la ressource forestière en termes d'emplois et de diversification des sources de revenus.

De plus, la FEDECOVERA de concert avec une coopérative forestière du Québec ont investi pécule et efforts dans l'installation d'une unité de transformation de bois et la création d'un consortium. Cette nouvelle association stimule le partage des connaissances et des expériences, en plus de favoriser le développement forestier de la zone.

Toujours au Guatemala, la coopérative caféière Chanmagua a initié des activités forestières depuis moins de 3 ans. Aujourd'hui les activités forestières de plantation, d'exploitation et de transformation ont permis de générer des emplois dans la communauté et des revenus additionnels pour la coopérative, revenus devenus cruciaux pour faire face aux chutes de prix dans le café. L'intégration des activités forestières à l'activité principale de café s'observe également par l'utilisation du bran de scie comme combustible pour les séchoirs de café. Un partenariat sud-sud a été également créé entre cette coopérative et la FEDECOVERA pour la production en pépinière d'espèces feuillues adaptées à la zone.

Au Nicaragua, une coopérative de travailleurs forestiers gère une pépinière qui a produit plus de 560,000 plants d'espèces forestières et 15,000 d'espèces fruitières durant les deux dernières années. Elle maîtrise maintenant une technologie de production de plants et de reboisement moderne qui facilite le transport et permet ainsi de reboiser de plus grandes superficies à moindre coût.

En Uruguay avec l'appui de SOCODEVI, des propriétaires de boisés et des coopératives de travailleurs ont mis au point un modèle de développement forestier basé sur la gestion en commun de 30 000 hectares de plantations d'eucalyptus dans le but d'obtenir la qualité de matière première nécessaire à l'industrialisation et de regrouper l'offre de bois pour organiser la commercialisation et favoriser la venue de partenaires investisseurs. Les services techniques, indispensables pour l'atteinte de la qualité désirée, sont dispensés par deux coopératives de travailleurs maîtrisant bien les méthodes de sylviculture de cette espèce. Les objectifs de développement forestier sont définis conjointement entre les deux groupes qui deviennent interdépendants, ce qui apporte un nouveau dynamisme et une synergie au sein du secteur forestier de la zone. Une coopérative forestière du Québec étudie présentement la possibilité de former un partenariat pour participer à la composante industrielle de ce modèle.

Au début des années 90, un réseau de quatre coopératives de travailleurs forestiers a été mis en place en Côte d'Ivoire pour l'exécution des travaux de reboisement et d'entretien de plantations sur les terres forestières de l'État. L'objectif visé par cette initiative était de développer une professionnalisation dans le secteur forestier pour agir comme partenaire privé de l'État et de créer des opportunités d'emploi pour les jeunes ivoiriens dans un esprit de promotion de l'entrepreneuriat. Les coopératives ont progressé très rapidement en devenant en quelques années des partenaires fiables mais le réseau n'a cependant pu se développer, le cadre macroéconomique et administratif de la Côte d'Ivoire ne pouvant suivre la cadence.

Un réseau pour la foresterie durable dans les Amériques a été créé suite à l'initiative de diverses coopératives intéressées au développement de ce secteur, appuyées par l'Alliance Coopérative Internationale et SOCODEVI. Ce réseau, encore très jeune, regroupe des représentants du Guatemala, de la Bolivie, de l'Uruguay, du Canada, du Costa Rica, de Cuba et du Honduras, avec aussi une participation ponctuelle d'autres pays, comme le Brésil, le Paraguay et l'Équateur.

4. Proposition pour la promotion de la formule coopérative

Pour que la formule coopérative prenne la place qui lui revient dans le développement forestier des pays, il est important de l'appuyer avec un programme de promotion bien structuré. Le manque de connaissances et d'application des fondements d'une coopérative a souvent eu des résultats malheureux. La promotion doit donc être jumelée à la formation et à l'assistance technique pour construire des bases solides au développement des coopératives. Les mouvements coopératifs du Nord, avec leur expertise et expérience, pourront fournir l'assistance technique et organisationnelle nécessaire au développement des organisations du Sud, avec le support des agences de coopération et de financement.

Les organismes multilatéraux devraient également intégrer la formule coopérative à leurs politiques de développement, en sus des programmes d'appui institutionnels aux gouvernements nationaux..

La coopération a des impacts reconnus internationalement. Dans son rapport de 2001, le Bureau International du Travail présente la coopération socioéconomique de la façon suivante: Ce type de coopération est un facteur de cohésion sociale qui permet de renforcer le pouvoir de négociation des catégories qui sont à la racine du sous-développement - par exemple, en milieu rural, en brisant le monopole des élites, des intermédiaires, des usuriers, etc.

5. Conclusion

Dans le contexte actuel où la mondialisation des marchés impose la domination du capital et de la compétitivité, le modèle coopératif constitue une réponse novatrice et performante afin de mitiger les effets pervers que sont l'exclusion sociale et la concentration de la richesse. Il est non seulement nécessaire mais obligatoire de faire une place aux populations pour qu'elles participent au développement de leurs forêts et qu'elles s'approprient peu à peu la filière forestière.

La planète est à l'heure des choix et doit se doter d'une stratégie proactive et concrète afin de solutionner les problèmes très graves qui affectent l'humanité. L'aménagement forestier durable couplé à une organisation performante comme le modèle coopératif constitue un outil novateur et réaliste afin que se réalise pleinement "Des Forêts pour les Gens".

Bibliographie

Conférence CONFLAT 2002, Camino de, R., Amiguetti, A. et Brenes, A.C.,. Tendencias y perspectivas del sector forestal latinoamericano en materia de producción y conservación de bienes y servicios ambientales, s.p.

Conférence internationale du travail, Rapport V, 2001. Promotion des coopératives, cinquième question de l'ordre du jour.

FAO. 2001. Situation des forêts du monde. 173 p.

Journal Le Soleil, 2 octobre 2002. Reportage pour le Congrès forestier mondial.

MacPherson, I. 1996. Les principes coopératifs vers le 21e siècle, Alliance coopérative internationale.

Ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec. 1999. Étude sur taux de survie des coopératives.

Rodriguez, R., 2001. La seconde vague coopérative. Alliance Coopérative Internationale, 84 p.


[1] Article paru dans le Journal Le Soleil, 2 octobre 2002
[2] MacPherson, I. 1996. Les principes coopératifs vers le 21e siècle, Alliance coopérative internationale, page 1.
[3] Ministère de l'Industrie et du Commerce du Québec. 1999. Étude sur taux de survie des coopératives.