Reboiser au moindre coût les zones semi-arides par marcottage naturel

0693-B3

Karim Saley[1], Bationo Babou-André[2], Bellefontaine Ronald[3], Ichaou Aboubacar[4].


Résumé

Le mode de régénération de Guiera senegalensis et Combretum micranthum, espèces économiquement importantes et très répandues dans les brousses tigrées d'Afrique de l'Ouest, a été étudié. La production par semis naturels est le plus souvent compromise par les aléas climatiques. Le taux de marcottage varie suivant l'espèce et la topographie: C. micranthum marcotte plus sur les plateaux et G. senegalensis marcotte mieux dans les bas-fonds. Les branches plagiotropes accentuent ce phénomène. Divers traumatismes (bris de branches, arcures, etc.) peuvent le stimuler. Il serait intéressant d'expérimenter l'induction du marcottage chez ces espèces (et d'autres) avec les moyens rustiques utilisés et connus par les populations riveraines en vue d'augmenter la densité et la production ligneuse des formations forestières et des jachères, tout en luttant contre la dégradation de l'environnement. Cette revégétalisation d'espèces fourragères ou à usages multiples est très économique, comparée à d'autres techniques (semis artificiels, plantations) et permet de coloniser l'espace à peu de frais.

Mots clés: marcottage naturel, propagation végétative naturelle, multiplication végétative, gestion sylvopastorale, brousse tigrée.


1. Introduction

Les aléas climatiques en zones sèches condamnent souvent les semis et les plantations. Dans les écosystèmes contractés naturels ("brousses tigrées") du Niger et du Burkina Faso, Combretum nigricans, C. micranthum, Guiera senegalensis sont les trois principales espèces exploitées. La régénération notamment de cette dernière espèce a été étudiée par Bationo (1994), Ichaou (2000) et Karim (2001) plus spécialement. Par ailleurs, la propagation végétative naturelle (PVN)[5] a été mise en évidence pour beaucoup d'espèces des régions semi-arides (Bellefontaine 1997, 2002). Une connaissance plus fine des stratégies de régénération permet des applications directes dans le cadre d'une exploitation durable.

2. Dispositifs

2.1. Au Niger

Une étude phytoécologique a permis d'identifier sur le terrain, en procédant par excavation, les modes de PVN de deux espèces (G. senegalensis et C. micranthum) et les facteurs du milieu les influençant en fonction de l'écologie et de la géomorphologie. Le site de Laoudou (Niamey, 50kmSO) est constitué par la toposéquence caractéristique des paysages de l'ouest nigérien (plateaux cuirassés, jupe sableuse ou glacis, et bas-fond). Le climat est de type sahélo-soudanien. La pluviométrie annuelle moyenne (juin à mi-octobre) à Torodi, station météorologique proche, est de 590 ± 64 mm (années 1975-1999). Ce terroir est formé par trois unités géomorphologiques (Courault et al. 1990):

Les deux espèces les plus représentées dans cette toposéquence sont:

Un échantillonnage stratifié a été réalisé sur les trois unités géomorphologiques. Quatre placettes rectangulaires de 2500 m² chacune furent délimitées (une sur le plateau, le talus, la jupe sableuse et le bas-fond). Dix excavations du système racinaire de cinq pieds (choisis au hasard) des deux espèces ont permis de vérifier le mode de PVN.

2.2. Au Burkina Faso

Les travaux se sont déroulés dans la forêt du Nazinon (climat soudanien, pluviométrie>900 mm/an) autour des villages Sambin et Sobaka (70km de Ouagadougou) sur sols gravillonnaires ou sableux, peu épais. Quatre placettes carrées de 2500m², trois dans les champs de village et une dans un champ de brousse, ont été suivies. Dix pieds de G. senegalensis ont été déterrés (Bationo 1994).

3. Résultats

3.1. Mode de régénération

Les semis d'un an sont très rares. C'est le marcottage naturel (MN)[6] qui est le principal mode de régénération. Quatre types de MN se dégagent pour les deux espèces.

Au Burkina, Bationo (1994) a testé l'aptitude des différentes parties des tiges du G. senegalensis. Il conclut que la rhizogenèse est plus intense au niveau apical, moyenne dans la partie médiane et faible dans la partie basale de la tige. Des marcottes enterrées en août ont fructifié dès novembre.

3.2. Evaluation du marcottage suivant la toposéquence

3.2.1. C. micranthum

Le tableau 1 révèle qu'il marcotte plus en amont (plateau et talus) qu'en aval de la toposéquence. L'absence de marcotte dans le bas-fond se justifie probablement par l'activité anthropique.

Tableau 1: marcottage de C. micranthum

Position topographique

Densité à l'hectare

Nombre de pieds/ha ayant marcotté

Taux de marcottage (%)

Nombre potentiel de marcottes */ha

Plateau

656

164

25

328

Talus

448

136

30,4

272

Jupe

140

8

5,7

24

Bas-fond

4

0

0

0

* les pieds sont multicaules et plusieurs tiges peuvent marcotter pour un même pied.

3.2.2. G. senegalensis

Les résultats (tableau 2) montrent qu'il marcotte dans toute la toposéquence. Il est plus abondant dans le bas-fond, où il subit le plus de coupes.

Tableau 2: marcottage de G. senegalensis

Position topographique

Densité à l'hectare

Nombre de pieds/ha ayant marcotté

Taux de marcottage (%)

Nombre potentiel de marcottes */ha

Plateau

412

40

9, 8

80

Talus

1024

32

3, 1

128

Jupe

2104

136

6, 5

136

Bas-fond

432

188

43, 5

188

3.3. Au Burkina Faso

Les semis de G. senegalensis sont peu abondants et se limitent à quelques microsites particuliers. Le MN est largement supérieur à 710 marcottes dans la placette 1 (20 à 25 marcottes enracinées par arbre-mère); il est moindre dans la placette 2, tandis qu'il est faible ou nul dans les placettes 3 et 4, envahies par une strate herbacée dense; en l'absence de recépage ou de couchage de rameaux par le bétail, le MN est réduit (Bationo 1994).

Cet auteur insiste sur la capacité de G. senegalensis à édifier des microbuttes de plus de 15 cm de haut sur un mètre de large. Ces îlots de fertilité permettent de fixer le sol. Les racines latérales de plusieurs individus s'entremêlent à tel point qu'il est difficile d'attribuer une racine à un individu. Elles se développent principalement sur sols tassés, alors que sur sols meubles, la suprématie du pivot est manifeste.

4. Facteurs influençant le MN

Le modèle architectural des arbustes et la génétique n'ont pas encore été étudiés. Il est probable que certains clones aient une aptitude plus importante que d'autres pour le MN. Mais les conditions du milieu affectent le marcottage.

5. Reproduction sexuée

Au Niger, le nombre moyen par hectare de plantules âgées d'un an montre que la reproduction par graines reste très faible par rapport à l'importante germination constatée sur le terrain pendant la saison pluvieuse. Selon la toposéquence, les inventaires de plants issus de graines ou de MN montrent que:

* sur le plateau, on obtient respectivement chez C. micranthum et G. senegalensis des nombres potentiels de 328 et 80 nouveaux individus par hectare par marcottage contre 18 et 53 par semis;

* sur le talus, on compte respectivement chez C. micranthum et G. senegalensis 272 et 128 marcottes contre 0 et 281 semis;

* au niveau de la jupe, respectivement chez C. micranthum et G. senegalensis, 24 et 136 marcottes contre 4 et 287 semis;

* dans le bas-fond, 188 marcottes contre 0 individu par semis pour G. senegalensis.

Selon Bationo (1994), le nombre de graines par arbre avoisine 10 000 (moyenne de 4 arbres hauts de 1,4 à 1,8 m). Elles sont transportées par le vent, mais surtout par le bétail et l'eau de ruissellement vers les dépressions topographiques, où la germination est cryptogée. Cette dernière se caractérise par un enfouissement du collet (1 cm) dans le sol. Cette auto-protection des bourgeons est encore plus efficace avec l'édification de la micro-butte.

6. Enquête relative à la PVN auprès des riverains

L'enquête montre que les populations locales ont une certaine connaissance de la PVN, même si le marcottage et le drageonnage ne sont pas utlisés dans la revégétalisation du terroir. Les 2/3 de la population interrogée pensent que la régénération des ligneux se fait uniquement par semis, tandis que 24,3 % évoquent les régénérations sexuée et asexuée et 9,1 % uniquement la PVN. Parmi celle-ci, le marcottage est le mieux connu. Le drageonnage est peu cité. Selon les populations, le principal facteur influençant la PVN est la réactivation biologique (le paillage) permettant de maintenir une humidité autour des organes végétatifs en contact du sol.

7. Conséquences pour la gestion sylvopastorale

Le MN des deux espèces était connu, mais sa fréquence apparaît mieux suite à ces études. On note une variabilité du taux de marcottage en fonction de la topographie pour ces deux espèces. Les conditions du milieu et les facteurs intrinsèques (physiologiques et génétiques) des espèces semblent être importants, ainsi que la pression exercée par les activités anthropiques.

Le but d'une gestion des ressources naturelles est d'assurer leur pérennité dans l'écosystème, au moindre coût, tout en sécurisant les besoins des populations riveraines, actuelles et futures. La stratégie de MN adoptée par les deux espèces constitue une opportunité pour la gestion sylvo-pastorale pour:

8. Conclusion

C. micranthum et G. senegalensis se multiplient abondamment par MN à l'ouest du Niger et au sud du Burkina Faso. Cependant le taux de marcottage varie suivant l'espèce et la topographie: C. micranthum marcotte plus sur les plateaux et G. senegalensis marcotte mieux dans les bas-fonds. La production par semis naturels est souvent compromise par les aléas climatiques.

Le marcottage des deux espèces se réalise suivant des mécanismes variés (entre autres le traumatisme: extrémités de branches brisées, arcures). Il serait intéressant d'expérimenter l'induction du marcottage chez ces deux espèces (et d'autres) avec les moyens rustiques utilisés et connus par les populations riveraines dans le but d'augmenter la densité et la production ligneuse des formations forestières et des jachères, tout en luttant contre la dégradation de l'environnement.

9. Bibliographie

Bationo B.A., 1994. Etude des potentialités agroforestières de la multiplication et des usages de Guiera senegalensis J.F.Gmel. Mémoire Ing. Univ. Ouagadougou, 74 p. + ann.

Bellefontaine R., 1997. Synthèse des espèces des domaines sahélien et soudanien qui se multiplient naturellement par voie végétative, pp. 95-104. In: Actes de l’Atelier “ Fonctionnement et gestion des écosystèmes forestiers contractés sahéliens ”, Niamey, nov. 1995 (d’Herbès, Ambouta, Peltier Eds.). Ed. John Libbey Eurotext, Paris, 274 p.

Bellefontaine R. et Monteuuis O., 2002. Le drageonnage des arbres hors forêt: un moyen pour revégétaliser partiellement les zones arides et semi-arides sahéliennes ? In: Multiplication végétative des ligneux forestiers, fruitiers et ornementaux, 22-24 novembre 2000 (Coordinateurs M. Verger, H. LeBouler). CD-Rom CIRAD-INRA.

Catinot R., 1994. Aménager les savanes boisées africaines - un tel objectif semble désormais à notre portée. Bois et Forêts des Tropiques, 241, 53-69.

Courault D, d'Herbès J.M., Valentin C., 1990. Le bassin versant de Samadey, premières observations pédologiques et phytoécologiques. Programme HAPEX-SAHEL, 31p.

Ichaou A. 2000. Dynamique et productivité des structures forestières contractées des plateaux de l’Ouest nigérien. Thèse Ecologie Végétale Tropicale, Université Sabatier, Toulouse, 230 p.

Karim S., 2001. Contribution à l’étude de la régénération par multiplication végétative naturelle de deux combretacées dans l’ouest du Niger (Combretum micranthum G. Don et Guiera senegalensis J.F. Gmel): conséquences pour une gestion sylvopastorale. DEA, Univ. Ouagadougou, 58 p.

Thiombiano A., Kéré U., 1999. Distribution et utilisation des Combretaceae au Burkina Faso. Rapport final Projet TOB/GTZ, 98 p.

Thies E., 1995. Principaux ligneux (agro-)forestiers de la Guinée. Zone de transition. GTZ, n° 253, 544 p. von Maydell H.J., 1983. Arbres et arbustes du Sahel. Leurs caractéristiques et leurs utilisations. GTZ, 531 p.


[1] Fac. Sciences, BP 10662 UAM, Niamey (Niger); [email protected]
[2] INERA, Dép. Prod.For., CRREE, BP 10 Koudougou (Burkina Faso); [email protected]
[3] CIRAD-forêt, TA10/D, Campus Intl Baillarguet, 34398 Montpellier (France); [email protected]
[4] Ministère de l'Environnement, BP 11 416 Niamey (Niger); [email protected]
[5] PVN = Propagation Végétative Naturelle
[6] MN = marcottage "naturel" dû au vent, aux animaux, au modèle architectural, etc (pour le distinguer du marcottage artificiel ou induit volontairement par l'homme).