0801-C1

L'organisation communautaire pour une gestion participative du territoire

Georges Bherer 1, Ing.f


*Ce mémoire est étroitement lié à celui présenté par «La stratégie de développement durable de l'Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador» Nous présentons une mise en application du concept avancé dans le mémoire intitulé:
« Une démarche pour la survie de la diversité culturelle et de l'accès au développement de leur territoire et de leurs ressources»


Résumé

L'industrie forestière, lors de la confection des plans généraux et des plans quinquennaux, a l'obligation de consulter les Premières Nations. Le problème rencontré est que l'industrie décide où et comment elle va exploiter la forêt, puis indique aux autres utilisateurs ce qu'elle a planifié en demandant s'il devrait y avoir des ajustements. Pour la Nation Atikamekw, cette façon de consulter n'est pas acceptable et cela crée des problèmes de communication. À Wemotaci, nous avons mis sur pied l'équipe des mesures d'harmonisation qui vise à combler ce manque de communication et travailler en amont sur la planification forestière à partir des besoins exprimés par la population de Wemotaci.

Nehirowisiw est l'être faisant partie intégrante de son environnement. Cet être a besoin d'un milieu de vie adéquat pour conserver son équilibre.


Introduction

Wemotaci est une des trois communautés de la Nation Atikamekw, occupant la région de la Mauricie. Cette communauté au cours des siècles passés, a pu s'adapter aux grandes catastrophes naturelles ainsi qu'à l'utilisation du territoire par les allochtones. Qu'il s'agisse de grands incendies forestiers, d'inondation des terres par la construction de barrages ou d'ouverture du territoire par la construction du chemin de fer, il continuèrent à occuper le territoire même s'ils étaient obligés de se déplacer. Ils vivaient sur le territoire et leur gestion faisait en sorte que la terre mère leur fournisse tout ce qui était nécessaire pour leur survie et celle des générations futures.

Depuis quelques décennies, cette Nation éprouve de grandes difficultés à s'adapter parce que ce territoire subit l'ouverture par les opérations forestières et l'envahissement des villégiateurs, ZEC et pourvoiries. La grande difficulté qu'elle rencontre est la transformation du paysage après les coupes. La forêt devient un grand territoire dévasté où s'entrecroisent des séparateurs ici et là. L'industrie coupe tout ce qui est commercial sur leur passage comme si cet environnement ne comptait que des arbres. Cette forêt qui est essentielle, à la culture Atikamekw et au maintien des habitats pour la faune, doit conserver une biodiversité dans les espèces, les densités et les âges. Le problème n'est pas que l'industrie récolte de la matière ligneuse, mais plutôt la façon dont cette récolte se fait et la façon dont la régénération déjà en place est considérée.

Même s'ils demeurent en communauté sur une terre de réserve fédérale, ils ont conservé une étroite relation avec le territoire pour transmettre leur culture de génération en génération. Cette culture est transmissible seulement s'ils sont dans un environnement forestier relativement intact. Ils étaient nomades sur ce territoire et la présente réserve était autrefois lieu de rassemblement. Le territoire est subdivisé en territoires familiaux où les familles vont s'établir des campements et pratiquer leurs activités culturelles. Mais que peuvent-ils faire si la forêt est dévastée par l'exploitation forestière? Devront-ils attendre 30 ans avant de retourner sur leur territoire et laisser une ou deux générations sacrifiées pour risquer l'extinction de cette culture qui, depuis des siècles, a transmis ses connaissances malgré la modernisation et l'envahissement des sociétés occidentales.

La communauté connaît ses besoins et a pris les moyens de faire reconnaître son occupation du territoire; elle veut y vivre mais celui-ci est en train de perdre sa forêt. Nehirowisiw veut chasser pour la subsistance mais les animaux n'y sont plus. Ils ont un droit exclusif de piégeage mais pour piéger quoi et où?

Connaissance du territoire

Au début des années 1990, la Nation Atikamekw a donné naissance à l'association Mamo Atoskewin Atikamekw qui visait à défendre les intérêts de Nehirowisiw dans son territoire d'occupation en identifiant sur carte (papier) tous les signes de présence et d'occupation illustrés par les toponymes, les campements, portages, sites de rencontre, sépulture.... Les trappeurs des territoires familiaux ont identifié divers habitats fauniques où ils allaient pratiquer la pêche, la chasse ou le piégeage. Ils ont aussi identifié certains sites de cueillette fréquentés.

La forêt change et les animaux se déplacent, ce qui était bon il y a 30 ans ne l'est pas nécessairement aujourd'hui! Effectivement, la forêt est dynamique et tout ce qui est vivant est dynamique. Les connaissances également évoluent mais ce qui est constant ce sont les besoins vitaux des êtres vivants et si dans un secteur donné ces besoins sont absents ou en carence, tout l'écosystème s'appauvrit. Nehirowisiw a compris depuis longtemps que l'être humain, pour être en harmonie avec son environnement, doit pratiquer une gestion de ce territoire qui réponde aux notions de conservation de la biodiversité et de pérennité des ressources.

Nehirowisiw en harmonie avec le territoire a appris par l'observation ce qui se passe dans cet environnement. De façon régulière, le paysage est modifié par un feu, une épidémie ou un chablis(renversé par le vent) d'envergure variable. De nos jours, ces perturbations sont plus catastrophiques parce que l'environnement a perdu selon les anciens certaines composantes qui permettaient de régulariser leur intensité et leur fréquence. Les anciens demandent où sont rendus les grands pins blancs qui captaient l'énergie et agissaient comme para-tonnerre. Ces grands arbres qui recevaient la foudre redistribuaient au moyen de leurs racines cette surcharge électrique dans le sol. Souvent, le feu était ainsi évité. De nos jours, on ne retrouve plus ces grands arbres, alors il n'en reste que des petits qui grillent sous l'impact et produisent des incendies à foyers multiples qui ne sont plus contrôlables en raison de l'intensité du feu qui prend trop d'ampleur. On retrouve le même phénomène avec les épidémies. De plus en plus l'aménagement forestier cible des espèces commerciales à valoriser et tente d'éliminer ce qui est non économique pour l'industrie. Ces espèces considérées nuisibles par l'industrie n'ont-elles pas un rôle à jouer dans l'équilibre de cet environnement? Lorsqu'on modifie les composantes d'un écosystème, la nature cherche à se rééquilibrer par elle-même et prend les moyens dont elle dispose. Pour les anciens, ce qui se passe aujourd'hui sur le territoire est une source d'inquiétude considérable.

Rencontre des cultures occidentales et Atikamekw

De nos jours, l'économie prend beaucoup d'importance et souvent au détriment des valeurs sociales. L'autonomie d'une Nation ou d'une communauté passe d'abord par une autonomie financière. Mais à quoi bon cet idéal si pour l'atteindre, Nehirowisiw doit sacrifier son identité culturelle. La communauté de Wemotaci désire fermement se développer économiquement mais le défi qu'elle doit relever est: Comment exploiter ce territoire tout en préservant un milieu de vie convenable pour poursuivre la pratique des activités traditionnelles ainsi que de conserver son identité culturelle? Le besoin de se retrouver en forêt n'est pas une question de caprice, cela fait parti intégrante de Nehirowisiw.

À Wemotaci, le projet d'une scierie prend naissance et la communauté exprime ses inquiétudes face au territoire où l'usine devra s'approvisionner et qui est en même temps le milieu de vie de certaines familles Atikamekw de Wemotaci. Au printemps 2000, au cours d'une assemblée spéciale sur la présentation du projet de scierie, les participants ont donné leur approbation au conseil des Atikamekw de Wemotaci pour mettre sur pied un organisme destiné à concilier l'exploitation du territoire avec la pratique des activités culturelles. C'est ainsi que le service des mesures d'harmonisation (équipe technique) a pris naissance. Pour bien représenter les besoins de la communauté, l'équipe technique a mis sur pied, tel que spécifié lors de l'assemblée spéciale, la Table d'Harmonisation de Wemotaci composée de 6 membres volontaires qui représentent suivant sa composition l'intérêt de tous les membres de la communauté (travailleurs forestiers, trappeurs, jeunes, femmes, aînés et hommes) . A aussi été mis sur pied un Comité Directeur composé de représentants des partenaires de la scierie, de la Société de la Faune et des Parcs, du Ministère des Ressources Naturelles, de l'Université Laval, du Service Forestier Atikamekw Aski et de l'Équipe des Mesures d'Harmonisation à Wemotaci. Au cours de l'année 2002, se sont ajoutés le mandataire de gestion de l'aire commune 42-01 territoire d'étude, de l'Institut de Développement Durable des Premières Nations ainsi que le Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canada. Ce comité a été formé pour aider à mettre en place les mesures d'harmonisation sur le territoire, valider la pertinence et accélérer les processus d'application. Cette zone sert également d'étude sur les influences économiques, culturelles et fauniques provoquées par la mise en place de mesures d'harmonisation. Se greffent à l'équipe technique d'harmonisation et à cette zone d'étude des chercheurs et des projets de recherche commandés par le Comité Directeur afin de bien cerner tout l'impact que procure l'application de mesures d'harmonisation.

La gestion participative

Lorsqu'une intervention est prévue sur le territoire Atikamekw, l'organisme responsable ou le gestionnaire du projet a l'obligation de consulter entre autres les communautés autochtones occupant le territoire. La consultation est un processus à l'intérieur duquel les partis en cause doivent échanger sur les besoins, les préoccupations et les connaissances mutuels pour arriver à un produit qui considère les préoccupations de chacun des intervenants. Par la suite, le produit doit être présenté à l'ensemble des participants pour faire consensus avant d'être mis en application.

En réalité, ce qui se produit est plutôt une session d'information sur un plan défini qui est difficilement modifiable. Par exemple, si la famille a un campement, la modification du plan fera en sorte que ce campement sera protégé mais que le milieu de vie environnant n'aura aucune considération. Un autre problème rencontré est l'absence de moyen financier ou technologique mis à la disposition du tiers pour participer à la consultation. De plus, il y a l'intérêt à participer et la crainte de divulguer de l'information. Même si les tendances ont changé, la méfiance est bien ancrée dans l'attitude des gens de la communauté. Par les années passées, les membres de la communauté ont été à maintes fois consultés sur leur pratique des activités culturelles et ils se sont confiés dans l'espoir de voir leur milieu de vie protégé. Résultat, aucun changement ne s'est produit, aucune réalisation ne pouvait témoigner de la considération de l'occupation de l'autochtone sur le territoire. Donc la perception de Nehirowisiw envers la consultation est que l'information recueillie se résume à divulguer les bons lacs de pêche en indiquant la qualité de frayère et les bons sites de chasse en indiquant les habitats à haut potentiel.

Les membres de la communauté en ont eu assez d'être informés de ce qui va se faire sur le territoire sans pouvoir intervenir. Ceci a donné comme résultat la frustration et la réticence à tolérer des interventions sur le territoire malgré le fait qu'ils savent très bien que les secteurs les plus riches en faune ne sont pas les vielles forêts, mais plutôt celles qui ont de trente à cinquante ans. Ils occupent le territoire et ne sont pas intéressés à le délaisser pour une vingtaine d'années, période pendant laquelle la forêt cherche à se rétablir et parvienne à offrir un abri pour la faune. Nous ne sommes plus à l'époque de tout donner et ne rien obtenir en retour. Les Atikamekw occupent le territoire et les interventions qui s'y pratiquent doivent assurer la conservation d'un milieu de vie convenable qui respecte les notions de biodiversité et de pérennité des ressources.

Actions et fonctionnement de la structure mise en place

Le gouvernement provincial et l'industrie désirent avoir la participation des communautés autochtones. Grâce au volet 1 autochtone du ministère des ressources naturelle et le programme du Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien(MAINC), la communauté de Wemotaci a mis en place une structure pour participer activement à la gestion du territoire. Les familles de la communauté ont été consultées pour aider l'équipe d'harmonisation à bien cerner l'occupation et les besoins qui y sont rattachés. Mais comme il a été mentionné précédemment, la participation fut plutôt timide. Diverses formules ont été essayées mais sans donner les résultats espérés. L'équipe a tout de même persévéré mais c'est toujours une faible participation. L'équipe a donc décidé avec l'information reçue de montrer aux membres de la communauté que c'est sérieux et qu'ils ont tout à gagner en participant. Avec les mandataires de gestion de l'aire commune 42-01 et les services forestiers Aski, nous avons convenu de mettre en place les premières mesures d'harmonisation. Ensuite, l'équipe a développé les relations avec l'industrie forestière en leur faisant comprendre que nous serions tous gagnants en entretenant de saines relations. Nous avons rencontré les entreprises mandataires de gestion(responsables de la planification forestière) puis nous nous sommes entendus pour apporter des modifications aux plans proposés pour considérer Nehirowisiw sur son territoire. La première année, c'est-à-dire la saison d'opération 2001-02, nous avons récolté beaucoup plus de belles paroles que de belles réalisations. Les compagnies ont tout de même presque toutes apporté des modifications soit dans la façon de faire la récolte (avec plus de considération pour la régénération établie ) ou dans la distribution des assiettes de coupe. La roue commence alors à tourner. Cela ne va pas vite mais nous progressons. Pour la saison d'exploitation 2002-03, les compagnies ont été rencontrées dans le bon temps et la planification et les modifications apportées démontrent une bonne volonté de la part de l'ensemble des entreprises mandataires de gestion sur le territoire Atikamekw de la communauté de Wemotaci. En ce qui concerne la saison 2003-04, déjà à l'automne 2002 les rencontres ont débuté entre l'équipe technique et les entreprises. Des rencontres sur le territoire sont organisées avec les familles qui occupent le territoire où auront lieu les activités forestières.

En mars 2002, un colloque sur l'harmonisation du territoire a été organisé à Wemotaci. La première journée visait à établir un contact entre les compagnies mandataires de gestion et la communauté de Wemotaci. La deuxième journée, rassemblait les participants des trois communautés afin de se donner des moyens pour améliorer la situation et échanger sur ce qui apporte de la satisfaction et ce qui au contraire provoque de la révolte. Ce colloque fut un déclencheur et c'est cette relation que les compagnies cherchent à entretenir.

À Wemotaci, le processus est enclenché et l'harmonisation prend du vent dans les voiles tandis que les membres de la communauté reprennent confiance en la possibilité d'apporter des changements dans la façon d'exploiter un territoire. Lorsque la compagnie envoie son plan de coupe au bureau des mesures d'harmonisation, l'équipe technique vérifie et apporte des ajustements pour répondre aux besoins exprimés lors des consultations sinon nous nous référons au guide normatif. Par la suite, la Table d'harmonisation appuie ou apporte des correctifs avant que l'équipe technique rencontre à nouveau l'entreprise. Le plan est final lorsque la Table accepte la dernière proposition.

Jusqu'à maintenant, l'équipe a travaillé principalement sur les activités de récolte mais le champ d'action vise la plantation, les éclaircies pré-commerciales, la récupération des résidus de coupe en bordure du chemin, la récolte de l'écorce de bouleau juste avant la coupe.

Réalisations

Jusqu'à ce jour nous avons apporté que quelques modifications aux plans déjà déposés. Pour les saisons 2003-04 et 2004-05, nous interviendrons lors de la confection de la révision de la fin du présent quinquennal, ce qui laisse beaucoup plus de marge de manœuvre.

Ce que nous recherchons ce sont des relations durables avec l'industrie et le ministère de l'énergie et des ressources pour concilier l'occupation du territoire avec de saines pratiques forestières qui considéreront la forêt comme un milieu de vie . Un modèle de conservation du paysage a été proposé et expérimenté puis nous sommes à l'étape de le valider en étudiant les capacités de support ainsi que les réactions fauniques en rapport au modèle d'exploitation dite harmonisée. L'interaction avec l'industrie et le ministère des Ressources Naturelles développée avec la communauté de Wemotaci nous place en premier plan lorsqu'il est question de participation à la gestion. Présentement cette participation est encore timide mais en travaillant en amont sur la confection des prochains plans généraux et quinquennaux, les Atikamekw de Wemotaci pourront ressentir qu'ils sont considérés pour leur occupation du territoire. Il reste beaucoup de travail à faire pour adapter les traitements sylvicoles à la culture Atikamekw mais l'expérience comme elle est vécue nous permet de croire que ce sera bientôt d'autres réalisations dont l'ensemble du Québec pourrait bénéficier lors de l'établissement de sa stratégie de développement durable.


1 Mesures d'harmonisation, CAW.
Simon CooCoo et Georges Bherer
Équipe des mesures d'harmonisation
Conseil Atikamekw de Wemotaci
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TELEPHONE: 1 819 666-2455 POSTE 43
FAX: 1 819 666-2512