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Les éléments de politiques d'aménagement durable des forêts du Bassin du Congo

Jean Prosper Koyo 1


Résumé:

Avant les temps modernes, les populations d'Afrique centrale vivaient quasiment en équilibre avec leur milieu. L'introduction massive sur les marchés nationaux et internationaux de nombreux produits forestiers de cueillette (grumes, viande de chasse et divers produits forestiers non ligneux) a créé des déséquilibres qui inquiètent et préoccupent aujourd'hui la communauté internationale.

La cause principale de ces déséquilibres réside, à notre point de vue, dans l'incohérence des politiques de développement socio-économique du monde rural et la pauvreté des populations qui en est la conséquence directe.

Tant que les ressources forestières brutes resteront, sans alternatives, la principale source de vie des économies des pays riverains du Bassin du Congo et des populations locales, les forêts continueront à en faire les frais.

Le rétablissement progressif des équilibres naturels dépendra non seulement de la conception et la mise en œuvre des politiques cohérentes de développement forestier intégrées à celles de développement rural, mais aussi dans l'implication de la communauté internationale et régionale, notamment l'apport du Processus de Yaoundé dont le poids politique et stratégique devient désormais déterminant dans la sous-région.

C'est l'objet de la présente contribution volontaire au XII Congrès Forestier Mondial. Nous sommes fort convaincus que le cas du Bassin du Congo peut être extrapolé aux autres forêts tropicales denses et humides du monde, à savoir le Bassin d'Amazonie et le Bassin Indo-malais.


Introduction:

Les forêts du Bassin du Congo constituent avec celles d'Amazonie et d'Asie du Sud-Est, les trois principaux ensembles boisés, denses et humides de la planète.

De tout temps et en tout lieu, ces forêts ont toujours constitué, pour les populations riveraines, un réservoir de ressources, de services et de matières premières très variées: terres agricoles, bois d'œuvre, bois énergie, viande de chasse, poisson et divers autres produits ligneux et non ligneux comestibles et médicinales.

D'après la FAO (2000), les forêts du Bassin du Congo sont déboisées à un taux annuel de l'ordre de 0,48 %. Cette déforestation et la dégradation des ressources forestières qui l'accompagne, sont le résultat d'un ensemble de déséquilibres croissants entre, d'une part l'exploitation effrénée de ces ressources, avec des techniques traditionnelles, pour satisfaire des besoins, tant des populations riveraines du Bassin du Congo que du marché international en matières premières, et d'autre part l'inconséquence des efforts déployés, pour assurer la régénération et la conservation de ces ressources, le tout dans un contexte de mauvaise gouvernance et de pauvreté des populations de plus en plus aiguë.

Face à une telle situation, les pays riverains du Bassin du Congo et la communauté internationale multiplient des initiatives, depuis une vingtaine d'années en vue d'inverser les tendances et d'assurer une gestion durable de ces forêts. Une des dernières initiatives en date est le Sommet des Chefs d'Etat de Mars 1999 qui a donné naissance au Processus de Yaoundé.

Force est de constater que, malgré tous ces efforts, les résultats obtenus à ce jour sont de loin en deçà de ceux attendus pour juguler les fléaux de la déforestation, la dégradation des ressources forestières.

Dans la présente contribution volontaire au XII Congrès Forestier Mondial, nous tentons de montrer que le vrai mal de la déforestation et de la dégradation des ressources forestières vient de l'incohérence des politiques de développement en vigueur dans la sous région. Lesquelles politiques maintiennent les économies des pays et les populations du Bassin du Congo fort dépendantes des ressources forestières comme source principale de leur vie, sans autres véritables alternatives.

La volonté politique qui anime à présent les pays de la sous région à travers les initiatives telles que le Processus de Yaoundé et la CEFDHAC constituent les principales leçons positives à tirer des insuffisances du passé. A ces initiatives on pourrait ajouter l'important Programme de Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, en cours de montage, parrainé par les U.S.A., la France, l'Union Européenne etc.

En plus de l'introduction, le papier s'articule autour de 4 chapitres: i) aperçu du contexte actuel du Bassin du Congo; ii) causes de la déforestation et de la dégradation des ressources forestières dans le Bassin du Congo: iii) éléments des nouvelles politiques d'aménagement durable des forêts du Bassin du Congo; iv) conclusion.

1. Aperçu du contexte actuel du Bassin du Congo

1.1 Contexte écologique

Traversées par l'équateur, les forêts denses humides du Bassin du Congo couvrent environ 240,7 millions d'ha (FAO 2000). Elles sont, en superficie, le deuxième massif dense humide d'un seul tenant du monde après celui d'Amazonie.

Très hétérogènes et très riches en espèces animales et végétales endémiques, notamment certains types de primates, de pachydermes, d'amphibiens etc., ces forêts couvrentà des degrés variables les pays suivants: Cameroun (23,8 millions d'ha), Centrafrique (22,9 millions d'ha), Congo (22,0 millions d'ha), RDC (226,7 millions d'ha), Gabon (25,7 millions d'ha), Guinée Equatoriale (2,8 millions d'ha), les contreforts du Burundi (2,5 millions d'ha) et du Rwanda (2,4 millions d'ha).

Les plantations forestières sont insignifiantes et ne représentent qu'environ 648.000 ha, soit 0,2 % de la superficie totale (FAO 2000). Elles sont essentiellement à base d'espèces exotiques à croissance rapide/ Eucalyptus sp. et Pins tropicaux. Quelques milliers d'hectares de deux ou trois essences autochtones (Terminalia superba, Aucoumea klaineana Triplochiton scleroxylon etc.) ont été aussi plantés au Cameroun, au Gabon et dans les deux Congo.

Entre 1990 et 2000 le couvert forestier est passé de 250,1 à 240,7 million d'ha soit un déboisement de 9.400.000 ha en 10 ans (FAO 2000). Compte tenu de la faible densité de populations dans la quasi majorité des pays de l'Afrique centrale, à l'exception du Burundi et du Rwanda, ce déboisement touche plus particulièrement les zones à fortes concentrations humaines, c'est-à-dire les alentours des agglomérations urbaines, le long des voies de communication etc.

Le réseau d'aires protégées couvre environ 24 millions d'ha, soit 10 % de la superficie forestière totale du Bassin du Congo. Il s'agit des parcs nationaux, de réserves forestières, de réserves de chasse et de réserves de la biosphère.

1.2. Contexte politique:

Les politiques forestières dans la presque totalité des pays du Bassin du Congo sont dérivées de celles des administrations coloniales dans lesquelles le domaine forestier était défini comme propriété exclusive de l'Etat. Ces politiques sont par ailleurs sous-tendues par les fondements suivants:

Il est évident que dans un contexte politique aussi mal articulé, ajouter à cela les effets de la mauvaise gouvernance et le poids de la dette, on comprend pourquoi la pauvreté s'est aggravée dans les campagnes, avec pour conséquence directe la déforestation et la dégradation de l'environnement naturel.

1.3 Les initiatives régionales et internationales:

Plusieurs initiatives régionales et internationales de planification ou de gestion des ressources forestières ont été engagées au cours des dernières décennies. Parmi celles-ci, on peut citer:

Le Processus de Yaoundé qui a donné naissance à la Conférence des Ministres chargés des Forêts COMIFAC en 1999 constitue aujourd'hui la nouvelle épine dorsale de la coopération sous régionale dans le secteur forestier et environnemental.

Dans ce cadre, des pays comme le Congo, le Cameroun, la Centrafrique et le Gabon se sont récemment engagés dans de vastes programmes transfrontaliers d'aménagement et de conservation des ressources.

L'adhésion totale des pays d'Afrique centrale à toutes ces initiatives ainsi que la révision récente des lois forestières et l'institutionnalisation des Ministères de l'Environnement montrent à ne point douter la volonté politique des Gouvernements de la sous-région à gérer durablement les ressources forestières du Bassin du Congo. Cette volonté n'est malheureusement pas accompagnée d'une articulation appropriée des politiques forestières aux politiques de développement rural, d'une gouvernance conséquente, et enfin d'un essor économique et social.

1.4 Contexte socio-économique

Avec une population totale d'environ 100,5 millions d'habitants, soit une densité de 18 habitants/km2 (FAO 2000), les pays riverains du Bassin du Congo sont au nombre de dix: Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo (Brazzaville), Congo (Kinshasa), Gabon, Guinée Equatoriale, Rwanda, Sao Tome et Principe, et le Tchad.

Dans l'ensemble, il s'agit de pays dont les économies reposent presque exclusivement sur le secteur primaire, c'est-à-dire, l'extraction et l'exportation de matières premières brutes: produits agricoles, forestiers et miniers. Le revenu moyen annuel par habitant de 677 $.US (FAO 2000). En moyenne l'agriculture et la forêt représentant 23% du PNB et emploient plus de 58% de la population active

Les infrastructures de communication sont très faibles en Afrique Centrale.

Sur 220.000 km de route au total, 8.700 km seulement sont asphaltés. Il s'agit là d'un véritable facteur limitant pour le développement de la sous région.

Tous les pays d'Afrique Centrale, ou presque, sont très endettés et donc soumis au programme d'ajustement structurel contraignant.

L'agriculture traditionnelle, appelée aussi agriculture itinérante sur brûlis, reste de loin la plus dévastatrice des espaces forestiers.

L'exploitation sélective de grumes destinées à l'exportation, souvent avec des investissements extérieurs, reste encore parmi les activités économiques essentielles dans la sous région. Les productions annuelles de grumes et de bois énergie ont été estimées en 2000 respectivement à 12,7 millions de m3 et 96.934.000 m3 (FAO 2000).

Comme on peut le constater à travers ces quelques données, le bois énergie représente plus de 88 % de la production ligneuse totale. Il y a également lieu de signaler que près de 40% en volume de bois d'oeuvre coupé est abandonné en forêt; le taux de transformation ne dépasse pas 30% avec des rendements matières de l'ordre de 25%.

Outre les terres agricoles et les productions ligneuses, les forêts denses humides du Bassin du Congo offrent aussi plusieurs autres ressources qui alimentent les marchés locaux et internationaux. Il s'agit en particulier, des produits de chasse, plus de un million de tonnes par an et tous les produits forestiers non ligneux comestibles et médicinales.

2. Causes de la déforestation et de la dégradation des ressources forestières dans le Bassin du Congo:

Tout, ou presque, a déjà été dit et / ou écrit sur les causes de la déforestation et de la dégradation des forêts tropicales en général, et d'Afrique Centrale en particulier. Pour les uns, c'est l'agriculture itinérante sur brûlis et l'exploitation forestière qui en sont les causes, pour d'autres c'est plutôt la pauvreté et les fortes pressions démographiques etc.

Pour notre part, la cause principale de la déforestation et de la dégradation des forêts d'Afrique Centrale réside essentiellement dans l'incohérence des politiques de développement rural mises en œuvre jusqu'ici dans les pays concernés.

En effet, la vraie cause de la déforestation vient de l'incohérence des politiques de développement socio-économique du monde rural et la pauvreté qui en est la conséquence directe.

Les autres phénomènes cités haut, à savoir l'agriculture itinérante, l'exploitation forestière, la pression démographique sont dans la plupart des cas, soit des causes secondaires ou apparentes, soit des conséquences d'un mal plus profond souvent mal cerné, soit enfin des circonstances aggravantes.

En effet, une agriculture itinérante ou une exploitation forestière pratiquées dans un contexte de bonne gouvernance et de développement rural maîtrisé ne causerait pas autant de dégâts à l'environnement. Mais à contrario, un développement rural mal articulé, livrant les populations et les autres acteurs à leur triste sort ne peut que conduire à l'aggravation des dégâts sur l'environnement.

3. Eléments des nouvelles politiques d'aménagement durable des forêts du Bassin du Congo:

Les forêts étant, à la fois, le support naturel de toutes les activités de développement en zones rurales, la source de vie des populations et le réservoir de divers produits et matières premières, et compte tenu de sa complexité et de sa fragilité, les politiques forestières devront être suffisamment souples et ouvertes aux problèmes des autres secteurs, tout en visant le développement durable, c'est-à-dire un équilibre positif entre la satisfaction des besoins humains actuels et futurs et la pérennité des écosystèmes. Elles devront s'articuler autour des principes de base suivants:

4. Conclusion

Le Bassin du Congo est un patrimoine forestier et une réserve d'eau douce parmi les plus précieux au monde. La mise en valeur soutenue et durable des ressources que recèle ce patrimoine passe, d'une part, par l'élaboration et la mise en oeuvre de politiques intégrées et cohérentes au niveau des pays riverains et, d'autre part, par une coopération sous régionale et internationale coordonnée et sans faille.

La volonté politique qui anime à présent les pays de la sous région à travers les initiatives telles que le Processus de Yaoundé et la CEFDHAC constituent les principales leçons positives à tirer des échecs du passé. On pourrait y ajouter aussi l'important Programme de Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, en cours de montage, parrainé par les U.S.A., la France, l'Union Européenne etc.

Outre les entreprises forestières, ces initiatives devraient désormais permettre aux pays riverains du Bassin du Congo de placer la forêt au centre des préoccupations du développement rural intégré durable au sens large.

En guise de recommandations, les pays du Bassin du Congo devraient désormais:

L'appui multiforme de la communauté internationale au plan technique, financier et matériel est impérieux pour accompagner les pays de la sous région d'avancer vers le développement socio économique plus diversifié, seul gage du développement durable des ressources forestières.

Bibliographie

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KOYO, J.P., 1991: Les éléments d'une nouvelle stratégie d'aménagement et de gestion des forêts tropicales d'Afrique subsaharienne contribution au 10ème Congrès Forestier Mondial (Paris).

NDINGA, Assitou., 1996: Congo, et si les sociétés forestières neparticipaient pas au développement durable?


1 Département des Forêt
FAO, Rome