Les crapauds, le maire, l’association et le forestier-Exemple de conflit sur un enjeu écologique résolu par la concertation

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Bernard FAURE


Résumé

En lisière d’une forêt publique très proche de Paris (forêt domaniale de Meudon, France) l’hécatombe de crapauds écrasés par les voitures sur une route forestière émeut les riverains, qui, groupés en association, essaient de trouver une solution.

Avec l’Office National des Forêts (ONF) et des scientifiques, l’Association «Ursine Nature» étudie tout d’abord les éléments constitutifs de cette migration entre la forêt et l’étang d’Ursine.

Après une période de conflit entre ces intervenants, la Ville et les pêcheurs, une solution est trouvée dans la fermeture temporaire de la route concernée.

Chacun devient alors participant actif de l’opération de sauvetage, qui est renouvelée chaque année depuis 8 ans.

En 2001, soit 7 ans après les premières mesures de protection, un inventaire est réalisé dont les résultats sont surprenants: plus de 28 000 amphibiens sont en effet recensés pendant les 15 jours de la migration et sur un périmètre forestier de seulement 300m.

Aujourd’hui est apparu un problème de métamorphose incomplète des têtards dans l’étang qui pourrait être dû à une surpopulation. Des analyses et expérimentations sont en cours pour en découvrir la cause (pollution, algue parasite,.. ?)

Au-delà de la protection de ces amphibiens, cette opération a conduit à une prise de conscience de la «source de vie» cachée que recèle la forêt, même en zone péri-urbaine. Il s’en est suivi d’autres actions coordonnées entre les différents acteurs, une meilleure concertation et une forte activité pédagogique, en particulier vers les enfants des écoles.

Lieu: FRANCE A 15 km de Paris. Forêt domaniale de MEUDON, très fréquentée par le public (10 millions de visiteurs/an)

Etang d’URSINE.

Gestion par l’Office national des Forêts (ONF), établissement public gestionnaire des forêts publiques en France (7000 cadres, 6000 ouvriers forestiers)

Acteurs: Bufo bufo en migration, élus de la ville de Vélizy-Villacoublay, l’association URSINE NATURE, les forestiers de l’O.N.F, des pêcheurs.

Objet du conflit: la prise en compte de la migration des crapauds dans le plan de circulation urbaine et la négociation avec les autres utilisateurs du site.

Les forestiers devaient concilier les intérêts des uns et des autres.


L’Histoire

En 1994, L’Association URSINE NATURE s’émeut de l’hécatombe de crapauds sur une route forestière ouverte à la circulation automobile. Elle demande la fermeture de la route.

L’O.N.F. y est favorable mais la ville de VELIZY s’y oppose en raison des difficultés de circulation que cela entraînerait.

Quelque temps auparavant, d’autre routes forestières ont en effet déjà été fermées par l’O.N.F. dans le but de «renaturaliser» la forêt et la rendre aux piétons et vélos. Cette mesure, appréciée par les promeneurs, avait bien sûr perturbé les automobilistes utilisant la voirie forestière comme route de transit pour leur déplacement urbain; la ville avait eu à gérer ces mécontentements.

Les pêcheurs sont concernés également par des aménagements de quais de pêche non compatibles avec le passage des crapauds sur les berges.

Rien de bien nouveau dans ce genre de conflit. La nouveauté, ici, c’est l’écoute progressive des acteurs entre eux (surtout les crapauds !!!)

...et la prise de conscience par tous, y compris les forestiers, d’un milieu naturel vivant, imbriqué dans la ville..

La réflexion

Dans un premier temps, des contacts sont pris avec le Muséum National d’Histoire Naturelle et d’autres associations pour mieux connaître ces amphibiens et leurs exigences.

L’instinct très fort de ces animaux les pousse chaque année à venir se reproduire et pondre dans la mare ou l’étang qui les a vu naître. Dans le milieu urbain les obstacles sont nombreux entre la forêt, où ils vivent la majorité de l’année, et cette pièce d’eau tant convoitée; ainsi, non loin du lieu de migration étudié ici, une autre mare n’est accessible aujourd’hui qu’en passant dans le hall d’un immeuble: c’est le chemin qu’emprunte nos batraciens... !

Les femelles se déplacent en portant le ou les mâles sur leur dos (jusqu’à 3 mâles en même temps): la traversée de la route est donc très lente et le moindre obstacle (bordure de trottoir par exemple) devient insurmontable. Sur les 200m de route on dénombrait ainsi plus de 600 crapauds écrasés.

La période de migration est également mieux cernée: environ 15 jours en Mars et uniquement pendant la nuit.

L’action

Sur la base des connaissances et expériences ainsi recueillies, un accord est trouvé pour une fermeture momentanée de la route forestière durant les deux semaines de migration et de 20h à 6 h.

L’Association Ursine-Nature se charge de déplacer les batraciens qui ne peuvent franchir une bordure de trottoir trop haute: c’est toute la population du quartier qui est mobilisée.

La ville fournit le matériel nécessaire à la fermeture temporaire et assure la mise en place des déviations intra-urbaines.

Les pêcheurs acceptent de re-naturaliser une partie de la berge.

L’O.N.F. prend en charge des affichettes d’information, la modification des accotements et étudie la réalisation de crapauducs. En accord avec les pêcheurs, une zone de protection de berge en pente douce, avec roselière, est aménagée dans une partie de l’étang.

Le système ainsi mis en place fonctionne depuis 8 ans.

En mars 2001 les forestiers et l’Association se mobilisent, avec l’appui de scientifiques pour un inventaire complet de la population en migration.

Une barrière en plastique est installée sur 300m le long de la forêt et 21 trous de capture sont creusés (1 tous les 10 à 15m): un comptage est effectué dans le sens aller (forêt vers étang), un autre dans le sens du retour.. L’opération dure 1 mois et ½; 160 fiches d’identification sont remplies.

Les résultats sont aussi inattendus qu’impressionnants: d’après l’Association «Biodiversita» chargée de l’analyse des données «nous avons affaire à l’une des plus grosses populations de crapauds communs connus en Ile de France, et ce, sur une faible surface et dans un milieu fortement anthropisé...»

Dans le sens aller sont dénombrés:

Dans le sens du retour:

La seule nuit du 9 mars, il est compté 6 734 crapauds allant vers l’étang.

Cette très forte population est probablement le fruit de la protection mise en place depuis 8 ans et des aménagements réalisés.

Suite et conclusion

Un problème important reste les pollutions périodiques de l’étang d’Ursine dont l’alimentation, outre les sources naturelles, provient des eaux de ruissellement urbains voire de déversements polluants dans les bouches d’égouts.

Un nouveau problème plus grave est à l’étude aujourd’hui: depuis 2 ans les têtards présents dans l’étang n’arrivent pas à terminer leur métamorphose qui reste bloquée avant l’apparition de la deuxième paire de pattes entraînant la mortalité de l’ensemble des têtards.

Des analyses sont en cours mais il semblerait que le phénomène soit lié à une carence du milieu liée à une surpopulation: serait ce un effet secondaire de la protection réalisée ?

Au delà de cette opération, URSINE NATURE en est venu à réfléchir avec l’O.N.F. aux autres aspects de la forêt: propreté (plusieurs opérations de nettoyages sont organisées avec les écoles dont une regroupait 1 200 enfants),visites guidées de la forêt, discussion sur les coupes de bois et le document d’aménagement forestier, l’aménagement d’autres étangs, la protection des arbres remarquables,...

De nombreuses classes d’enfants, de Paris et des environs, ont été accueillies lors des opérations de sauvetage.

La plus grande réussite de cette action est certainement le formidable outil de prise de conscience et de communication qu’elle a constitué et qu’elle constitue encore aujourd’hui.

Prise de conscience des habitants riverains mais aussi des forestiers qui ne soupçonnaient pas une telle ampleur de vie amphibienne dans la forêt: la forêt, source de vie, c’est bien le thème de notre Congrès, mais cette vie est souvent modeste et cachée: il faut de l’attention pour la découvrir.

En fin de compte, pour les forestiers, un autre regard sur «leurs» forêts et le plaisir d’en partager les initiatives.