Table des matières

0952-B1

La gestion durable des forêts congolaises; enjeu et défi nationaux

François NTSIBA


Résumé

Avec une superficie estimée à 20 millions d’ha, soit environ 60% du territoire national, les forêts denses humides du Congo constituent, au plan économique, la deuxième ressource nationale après le pétrole en termes de valeur des exportations.

En 1974, le Congo a défini une politique de gestion rationnelle des forêts, garantissant une production soutenue sur la base de leur aménagement et de leur exploitation par assiettes de coupes annuelles et rotations de 25 à 30 ans.

En 1983, une stratégie de conservation et d’utilisation rationnelle de la faune sauvage a également été définie. Après le Sommet de la Terre de 1992, la législation forestière a été actualisée pour viser la gestion durable des ressources forestières. Un nouveau code forestier qui met un accent particulier sur la gestion forestière durable (GDF) a été adopté et la législation sur la conservation et la gestion de la faune sauvage est en cours d’actualisation.

En matière d’aménagement forestier, les superficies inventoriées ne couvrent que 32% environ de la superficie forestière totale.

Afin d’assurer la conservation de la biodiversité, et notamment de la faune sauvage, un réseau d’aires protégées couvrant environ 3.600.000 ha, soit 11% du territoire national, a été créé. Une décongestion de l’administration forestière a été amorcée dans toutes les régions du pays, pour remédier à la faiblesse des capacités opérationnelles de l’administration forestière. Un renforcement du cadre institutionnel est également envisagé avec la création, par le nouveau code forestier, d’un service public chargé des inventaires et des aménagements forestiers et fauniques et d’un autre, dont l’action portera sur le contrôle des produits forestiers à l’exportation.

En outre, la loi forestière a créé un fonds forestier devant permettre et/ou contribuer au financement du développement forestier.

En matière d’industrialisation de la filière bois d’oeuvre, la loi forestière congolaise exige la transformation locale de toute la production grumière. Mais le tissu industriel reste embryonnaire, les principales activités étant axées autour de la première transformation.

Le Congo forestier dispose d’atouts considérables, notamment la forte volonté politique de son gouvernement de promouvoir une politique de gestion durable de ses écosystèmes forestiers, et surtout la disponibilité d’une ressource très diversifiée. Cependant de nombreuses contraintes s’opposent à l’essor de l’économie forestière congolaise.

Afin de relever le défi de son développement forestier, le Congo a identifié et met en œuvre une série d’actions stratégiques prioritaires susceptibles d’impulser l’essor du secteur forestier et contribuer de manière significative au développement durable de l’économie nationale.

MOTS CLES


Introduction

Située au cœur du bassin du Congo, la République du Congo dispose d’un potentiel forestier important estimé à 20 millions d’ha, soit 60% de sa superficie totale.

Compte tenu de l’importance stratégique de cette ressource, le pays a entrepris de jouer un rôle de premier plan en matière de gestion forestière durable en Afrique tropicale.

En effet, dès les années 1970 et 1980, le Congo a mis en place une législation forestière résolument orientée vers la gestion rationnelle de son patrimoine forestier. Cette option stratégique a été renforcée en l’an 2000 par l’élaboration (avec l’appui de la FAO) et l’adoption d’un nouveau code forestier basé sur l’aménagement durable des ressources forestières.

De même, une actualisation de la législation sur la conservation et la gestion de la faune sauvage est en cours avec l’assistance technique de la FAO.

Par ailleurs, le Congo participe activement à de nombreuses initiatives régionales et internationales en matière de gestion durable des forêts.

Nonobstant de nombreuses contraintes endogènes et exogènes, la forêt congolaise dispose d’atouts réels pour contribuer de façon significative à l’essor socio-économique de la nation.

1. Les grandes lignes de la politique forestière congolaise

1.1. Eléments du cadre législatif et réglementaire

Afin de promouvoir le développement de son économie forestière, la République du Congo a élaboré et mis en œuvre une politique dont les fondements visent:

- l’institution d’un cadre juridique approprié pour assurer la gestion durable des forêts et des terres forestières sur la base d’un aménagement rationnel des ressources;

- la définition d’un domaine forestier national et la détermination des critères et des normes d’organisation et de gestion concertée et participative des ressources forestières;

- la conciliation de la récolte des produits forestiers avec les exigences de la conservation du patrimoine forestier et de la diversité biologique, en vue d’un développement durable.

Conformément aux dispositions de la loi 16/2000 du 20 novembre 2000, portant code forestier, l’exploitation à des fins commerciales de tous les produits forestiers du domaine de l’Etat est menée soit en régie, soit par les titulaires des titres d’exploitation délivrés par l’administration forestière. Les titres d’exploitation comprennent:

- les conventions de transformation industrielle;
- les conventions d’aménagement et de transformation;
- les permis de coupe des bois de plantation;
- les permis spéciaux.

Ces titres ne peuvent être attribués qu’à des personnes morales de droit congolais ou à des personnes physiques de nationalité congolaise.

Dans les forêts protégées, l’administration des eaux et forêts intervient en concertation avec les services de l’agriculture et de l’élevage, de l’environnement, d’autres services publics concernés, les projets, les associations, les organisations non gouvernementales, pour favoriser le maintien des productions ligneuses utiles, de la productivité des terres, ainsi que la conservation des écosystèmes, des sols et des eaux.

A l’exception des droits d’usage dont l’exercice est gratuit, l’exploitation des produits forestiers et le déboisement des parcelles de forêts sont assujettis au paiement de taxes forestières.

Les taxes forestières comprennent:

- la taxe de superficie;
- la taxe d’abattage;
- la taxe sur les produits forestiers accessoires;
- la taxe de déboisement.

Les forêts sont classées en zones tarifaires en fonction des coûts de transport que supportent les produits.

Afin de faciliter l’exécution de la politique forestière nationale, le code forestier a consacré ou institué au sein de l’administration forestière les trois services publics ci-après:

- le service national de reboisement (SNR), chargé de reconstituer le patrimoine forestier national. Toutefois, la loi stipule que les travaux de boisement et de reboisement peuvent être exécutés par le secteur privé.

- le Centre National d’Inventaire et d’Aménagement des Ressources Forestières et Fauniques (CNIAF). Ce service est chargé de réaliser les travaux d’inventaires et d’élaborer les plans d’aménagement forestiers sur toute l’étendue du territoire national. Le code forestier précise toutefois que ces travaux peuvent aussi être réalisés par des institutions privées dans des conditions définies par voie réglementaire.

- le service de Contrôle des Produits Forestiers à l’Exportation (SCPFE), chargé d’assurer le contrôle des produits forestiers à l’exportation et de suivre la situation du marché.

Par ailleurs, la loi forestière a institué un corps des agents des eaux et forêts, à caractère para-militaire, constitué par les ingénieurs, les économistes forestiers, les agents techniques, les aides et les préposés forestiers. Ces agents assermentés ont compétence pour rechercher les infractions à la législation et à la réglementation forestières.

En vue de permettre au secteur forestier d’apporter une meilleure contribution à la mise en valeur des ressources forestières nationales et au développement de l’économie nationale, la loi forestière a institué un fonds forestier. Les avoirs de ce fonds sont déposés dans un compte de dépôt hors budget, ouvert au Trésor Public.

En outre, le code forestier dispose que les produits des forêts naturelles ou plantées doivent être transformés localement de manière à privilégier l’exportation des produits à valeur ajoutée.

Nonobstant l’importance accordée par les pouvoirs publics au développement de l’industrialisation de la filière bois d’œuvre, le tissu industriel congolais reste embryonnaire et n’a pas significativement évolué depuis une quarantaine d’années. Les activités principales sont axées autour de la première transformation (sciage, déroulage, tranchage, imprégnation de poteaux de ligne électriques et téléphoniques, fabrication de contreplaqués).

Bien que la capacité installée des usines nationales se situe au dessus de 700.000 m3 de matière ligneuse brute, le taux de transformation moyen n’a jamais dépassé 40%, alors que le code forestier impose la transformation de la totalité des bois récoltés dans le pays.

1.2. Aperçu sur le domaine forestier congolais

La forêt couvre une superficie de 20 millions d’ha environ, soit 60% du territoire national. Les plus importants massifs forestiers se localisent au nord et sont peu exploités ou en cours de mise en valeur; tandis qu’au sud, l’étendue des forêts est faible (environs 5 millions d’ha), mais leur état de dégradation est bien avancé, à la suite d’une exploitation irrationnelle.

Le domaine forestier est divisé en 34 unités forestières d’aménagement (U.F.A.) de grandes dimensions dont la superficie varie de 200.000 à 1.000.000 ha. l’exploitation forestière est faite sur la base d’assiettes de coupes annuelles et de rotations de 25 à 30 ans.

Les superficies inventoriées ne couvrent que 32% de la superficie forestière totale.

En matière d’exploitation forestière, la production annuelle de bois n’a jamais dépassé 900.000 m3, alors que la possibilité annuelle de la forêt est estimée à 2.000.000 m3 de grumes.

La production des forêts artificielles, constituée essentiellement de rondins d’Eucalyptus, est estimée à 300.000 m3.

2. Importance du secteur forestier dans l’économie congolaise

La forêt avec son principal produit le bois, constitue un secteur important de l’économie congolaise. Le bois a été, en effet, jusqu’en 1972 la première ressource du pays et représentait plus de la moitié des exportations. Il a été relégué au second rang par le pétrole à partir de l’année 1973.

Au début des années 1980, époque de la montée euphorique des prix du pétrole, la part du bois n’était plus que de 4 à 6% des recettes d’exportation. Cependant, depuis 1986, cette contribution s’est relativement améliorée et a oscillé entre 11,5 et 13,5%. En valeur FOB, les exportations des produits forestiers en 1999 ont été évaluées à plus de 57 milliards de francs CFA.

La participation du secteur forestier formel au PIB reste relativement modeste (2% ces dernières années). Mais cette contribution est probablement plus importante, si l’on prend en ligne de compte le secteur informel de la filière bois-énergie et l’artisanat.

Le secteur forestier, grâce à son rôle structurant et intégrateur a un impact réel sur les autres secteurs économiques à travers les emplois créés, la masse salariale distribuée et les transferts de revenus aux activités de transport, d’énergie, d’aconage et de manutention. Les activités forestières étant généralement localisées dans l’arrière-pays, créent de véritables pôles de développement en zone rurale.

Environ 10.000 emplois dépendent directement de ce secteur, ce qui représente 10% des emplois du secteur formel.

3. Principaux atouts et contraintes au développement durable du secteur forestier

3.1. Atouts

- Forte volonté politique de promouvoir une politique nationale de gestion durable des écosystèmes forestiers;

- cadre législatif et réglementaire propice à la promotion de la gestion durable de la forêt;

- faible densité démographique dans les principales zones forestières (1 habitant au km² en moyenne);

- disponibilité et grande diversité des ressources forestières et fauniques;

- existence des unités forestières d’aménagement (UFA) de grandes dimensions 200.000 à 1.000.000 d’ha et d’un vaste réseau national d’aires protégées couvrant 11% du territoire national;

- existence d’institutions publiques pour la mise en œuvre de la politique forestière;

- émergence du mouvement associatif et des ONG environnementales;

- maîtrise des techniques pointues d’amélioration génétique, de multiplication par clonage et de sylviculture d’essences forestières à croissance rapide (Eucalyptus, Pins tropicaux);

- expérience remarquable en matière de reboisement, notamment en savane;

- disponibilité des terres propices au développement des plantations forestières;

- amélioration de l’environnement socio-politique grâce à la consolidation de la paix et de la démocratie.

3.2.Contraintes

- Méconnaissance de la ressource;

- caractère sélectif de l’exploitation forestière généralement limitée à l’extraction des essences dites nobles;

- insuffisance des effectifs du personnel, vieillissement sous-équipement et faiblesse de l’administration forestière dans l’application des législation et réglementation forestières;

- état généralement vétuste et obsolète des outils de transformation industrielle des produits forestiers;

- manque ou insuffisance de qualification des cadres et agents dans les métiers de la forêt et de l’industrie du bois;

- absence d’institutions bancaires adaptées au financement du secteur forestier;

- enclavement et éloignement des principales zones d’activité forestière des lieux de consommation et d’exportation (le principal massif forestier, celui du Nord Congo se situe à plus de 1500 km de la côte maritime);

- étroitesse du marché local.

4. Principales options stratégiques pour le développement durable du secteur forestier congolais

Pour relever le défi du développement de son économie forestière, le Congo a défini et met en œuvre depuis les années 70 une politique volontariste de conservation et de gestion rationnelle de ses écosystèmes forestiers. Celle-ci est axée autour des options stratégiques ci-après:

- l’amélioration de la connaissance et l’aménagement des écosystèmes forestiers;

- la conservation des écosystèmes forestiers et notamment de la diversité biologique, à travers le développement des aires protégées et la lutte efficace contre le braconnage. Actuellement le réseau national des aires protégées couvre une superficie de 3,6 millions d’ha, soit 11% du territoire national. Environ 80% de cette superficie est recouverte par de forêts très riches en essences nobles.

- remembrement des petites superficies forestières en concessions de grande taille;

- l’utilisation durable des ressources forestières, y compris les produits forestiers non ligneux;

- le développement et la diversification de la transformation locale des bois;

- le renforcement des capacités opérationnelles de l’administration forestière; il s’agit d’un ensemble d’actions prioritaires qui intègrent globalement le Plan de Convergence pour une gestion concertée et harmonieuse des forêts d’Afrique centrale adopté en décembre 2000 à Yaoundé (Cameroun), par la Conférence des Ministres en charge des forêts d’Afrique centrale (COMIFAC), à savoir:

- la poursuite des inventaires forestiers;

- l’élaboration d’un plan national d’aménagement forestier (en cours avec l’appui de l’OIBT);

- la conduite des tests sur les principes, critères et indicateurs de gestion forestière durable (sous l’égide de l’OAB et de l’OIBT);

- l’appui à la formation des personnels d’encadrement et de maîtrise sur les techniques pointues (SIG, gestion informatique) d’aménagement et d’exploitation forestière à impact réduit;

- l’appui à la recherche forestière et à la formation des chercheurs sur la sylviculture des essences de forêts dense, en vue de la reconstitution des zones surexploitées et dégradées et de la conduite de peuplements;

- l’intensification des activités de boisement et de reboisement en savane et en forêt dense: en effet, le Congo a développé une riche expérience de sylviculture en forêt naturelle notamment sur le Limba (terminalia superba), et de plantations clonales à grande échelle d’essences à croissance rapide (pins et eucalyptus); 70.000 ha environ de forêts ont été plantées en savane;

- la promotion des essences forestières peu ou pas connues;

- la promotion des produits forestiers non ligneux;

- la promotion de la foresterie communautaire et de l’agroforesterie en milieu rural comme activités de rente pour la production de bois-énergie, de bois de service et de bois d’œuvre, afin de réduire la pression exercée par la population sur les forêts naturelles autour des grands centres urbains notamment;

- la poursuite de l’aménagement des aires protégées et le développement des activités alternatives en faveur des populations riveraines;

- la formation aux métiers de la forêt et du bois à différents niveaux (conception, maîtrise, exécution) dans les principales zones de production;

- l’assistance à la mise en place, à la formation du personnel et au lancement du service chargé du contrôle des produits forestiers à l’exportation (SCPFE), et du centre national d’inventaire et d’aménagement des ressources forestières et fauniques (CNIAF);

- le renforcement des capacités de gestion et d’intervention des ONG œuvrant dans les domaines de la conservation de la biodiversité et du reboisement;

- l’amélioration de la gestion des aires protégées et des concessions forestières par le déploiement d’un corps d’écogardes formés et équipés pour la lutte contre le braconnage;

- la publication (en cours) des décrets d’application du nouveau code forestier;

- l’actualisation de la législation et de la réglementation sur la gestion de la faune et des aires protégées, (en cours avec l’appui de la FAO) et la publication des textes d’application du nouveau code forestier;

- la promotion d’une culture de gestion durable de la forêt auprès de tous les acteurs et parties prenantes;

- l’aménagement de la forêt naturelle de la patte-d’oie, située en plein cœur de Brazzaville, en un jardin botanique et zoologique.

Conclusion

La République du Congo qui a pris conscience de l’importance de sa forêt, située au cœur du Bassin du Congo, œuvre pour sa mise en valeur sur des bases durables, afin qu’elle contribue, non seulement à son essor sous-économique, mais aussi à la régulation du climat de la planète terre.

En dépit de nombreuses contraintes au développement de son secteur forestier, le pays dispose d’atouts réels pour atteindre les objectifs visés, grâce notamment à la mobilisation des ressources internes, l’implication des différents acteurs et parties prenantes et l’appui multiforme des bailleurs de fonds et de la communauté internationale.

Références bibliographiques

Conseil National de Transition, 2000: loi 16/2000 du 20 novembre 2000 portant code forestier, Brazzaville, 32 p

DJOMBO H. 2001: Les principaux axes de la politique congolaise en matière de gestion durable des écosystèmes forestiers. Comité des Forêts. FAO. Rome, 6 p.

Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage, des Eaux et Forêts et de la Pêche, 1995: Programme d’action forestier national. Rapport synthèse. Brazzaville, 145 p.

Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage, des Eaux et Forêts et de la Pêche, 1996: Schéma directeur du développement rural. Vol. 1. Politiques et stratégies, annexes, Matrices stratégiques.

Ministère de l’Economie, des Finances et du Budget, 2000: Programme Intérimaire post-conflit du Congo (PIPC) 2000 - 2002. Brazzaville, 269 p.

Ministère de l’Economie Forestière chargé de la Pêche et des Ressources Halieutiques, 1999: cahier des statistiques forestières. Brazzaville, 43 p.