0970-B1

Le réseau d'étude et de surveillance des écosystèmes forestiers québécois

Catherine Périé 1 et Rock Ouimet 2


1 Résumé

La forêt québécoise représente 2 % de l'ensemble des forêts mondiales. Plus de la moitié de la forêt québécoise se situe en forêt boréale et représente près de 10 % de la forêt boréale mondiale. Suivre l'état de santé de cette forêt est donc d'une très grande importance de par sa représentativité, mais également parce que la forêt boréale est très vulnérable aux changements environnementaux. À la fin des années 80, le gouvernement québécois s'inquiétait du dépérissement des érablières et décidait de mettre en place un réseau d'étude et de surveillance de la forêt québécoise commerciale, le RESEF. Ce réseau est actuellement composé de 30 stations dispersées dans les principaux écosystèmes de la forêt québécoise. Installées de façon permanente sur l'ensemble du territoire forestier commercial et réparties dans diverses régions écologiques, ces stations sont situées dans des zones protégées; aucune intervention humaine autre que la récolte d'échantillons à des fins de recherche n'y est autorisée. Un ensemble de variables caractéristiques des différents compartiments de l'écosystème forestier sont périodiquement mesurées. On peut par exemple citer des inventaires phytoécologiques ou de régénération, des mesures dendrométriques, des analyses foliaires ou encore des mesures de fertilité des sols. Cette cueillette régulière de données permet de documenter les caractéristiques intrinsèques de chaque écosystème et d'étudier leur dynamique naturelle. Elle permet également d'évaluer l'impact des changements environnementaux, comme les changements climatiques ou la chimie des dépôts atmosphériques, sur l'évolution de ces écosystèmes naturels. Les chercheurs associés au réseau ont montré que plus de la moitié des stations du RESEF reçoivent des dépôts atmosphériques acides qui dépassent la capacité des sols à les tamponner. Les résultats sont discutés en regard de la fertilité naturelle des stations et des charges d'acidité.


2 Introduction

«Renforcer le bien-être des populations en pratiquant une gestion durable des arbres et des forêts du monde», telle est la mission que s'est donnée l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture3. Pour répondre à un tel objectif, la connaissance des caractéristiques intrinsèques des écosystèmes forestiers mondiaux est primordiale, de même que la connaissance des impacts de l'activité humaine sur ces écosystèmes.

La forêt québécoise représente 2 % de l'ensemble des forêts mondiales. Plus de la moitié de la forêt québécoise se situe en forêt boréale et représente près de 10 % de la forêt boréale mondiale. Suivre l'état de santé de cette forêt est donc d'une très grande importance de par sa représentativité, mais également parce que la forêt boréale est vulnérable aux changements environnementaux, notamment aux changements climatiques et à la pollution atmosphérique. À la fin des années 80, en raison des préoccupations et des engagements du gouvernement du Québec et de l'industrie forestière face aux stress environnementaux et à l'aménagement forestier durable, un réseau a été mis en place pour réaliser le suivi de l'état de santé des écosystèmes forestiers (RESEF). Sa principale vocation est de recueillir une information objective et à long terme sur le climat, le statut nutritif des peuplements forestiers ainsi que la qualité de l'air. Par ce suivi, les forestiers veulent être capables de détecter des changements à long terme d'un certain nombre de paramètres clés, de déterminer l'amplitude de ces changements ainsi que les impacts qu'ils pourraient avoir sur l'état de santé de la forêt québécoise. Ce réseau est un réseau de placettes permanentes d'une durée de vie d'au moins 30 ans. Les premières places d'étude ont été installées en 1987, à la suite de l'observation du dépérissement des érablières dans le sud du Québec. Depuis, de nouvelles places d'étude sont régulièrement ajoutées au réseau, qui en compte actuellement 30 en opération, établies partout à travers le Québec forestier commercial. Le Réseau de mesure des polluants atmosphériques en milieux agricole et forestier du Québec (REMPAFAQ) ainsi que le Réseau d'échantillonnage des précipitations du Québec (REPQ), tous deux gérés par le ministère de l'Environnement, sont les instruments essentiels à la collecte des données climatiques ainsi que de celles sur la qualité chimique des précipitations et de l'air ambiant.

Le RESEF vient également satisfaire la volonté d'organismes internationaux qui, depuis plusieurs années, préconisent l'établissement de réseaux permanents de surveillance des grandes forêts mondiales, afin de pouvoir recueillir un ensemble de données de références fondamentales qui pourraient permettre de découvrir les causes, mais surtout de proposer des solutions aux problèmes de santé ou de croissance de certains écosystèmes forestiers mondiaux. Ce réseau se joint à d'autres réseaux internationaux de surveillance des écosystèmes forestiers comme les réseaux européens RENECOFOR (Ulrich 1993), ICP-FOREST (http://www.icp-forest.org), ou en Amérique du nord, le réseau NAMP (Millers and Lachance 1989).

3 Objectifs du RESEF

Les principaux objectifs du RESEF sont de:

4 Description technique

4.1 Présentation générale des places d'étude

Trois rapports décrivent en détail l'ensemble de la méthodologie utilisée dans le RESEF (Gagnon et al. 1994a, Gagnon et al. 1994b, Saint-Laurent et al. 1995). En 2002, le réseau est constitué de 30 stations permanentes, réparties partout à travers le Québec forestier commercial. Trois sous- zones de végétation sont ainsi explorées; du sud au nord du Québec, on trouve successivement la forêt décidue, la forêt tempérée nordique, puis la forêt boréale continue (figure 1). Les stations à dominance résineuse ont une superficie d'un quart d'hectare alors que celles à dominance feuillue ont une superficie d'un demi-hectare (Gagnon et al. 1994b). Ces stations, protégées à titre de «forêts d'expérimentation et de recherche», sont situées dans des zones qui ont des tenures différentes telles les terres publiques, les parcs, les centres éducatifs forestiers, les réserves écologiques et les propriétés corporatives. Elles sont représentatives du peuplement qui domine le paysage de la région où elles se situent. Le peuplement forestier de la station est d'âge moyen et en pleine croissance. Chaque station est entourée d'une zone de protection de 100 m. Aucune intervention sylvicole n'y est autorisée. Les stations sont situées à au moins 50 km de toutes sources de pollution locale. La plupart se situent à moins de 2 km d'une station de mesure des polluants atmosphériques et d'une station météo. Les mesures destructrices, comme les prélèvements de sol ou de feuillage, sont réalisées dans la zone tampon qui entoure chaque station, tandis que les mesures non destructrices, comme les inventaires écologique ou de régénération ou encore les relevés dendrométriques sont réalisées à l'intérieur même des stations. De plus, trois stations du RESEF ont un statut particulier, car elles font partie d'un monitorage intensif à l'échelle du bassin versant.

4.2 Les principales mesures effectuées et la fréquence à laquelle elles sont effectuées

Le RESEF a été conçu de manière à ce que tous les paramètres fondamentaux de l'écosystème forestier soient mesurés et observés selon une méthode standardisée afin de pouvoir en faire un suivi à long terme et ainsi de pouvoir interpréter plus facilement les phénomènes observés. Il s'agit donc du niveau de base de suivi des paramètres observés. Cependant, trois stations font l'objet d'un suivi plus intensif, car elles font partie d'un projet de monitorage de bassin versant.

Le tableau I récapitule l'ensemble des mesures effectuées pour chaque niveau d'intensité de suivi ainsi que la périodicité des mesurages.

4.2.1 Inventaire phytoécologique

Lors de l'établissement de la station, un inventaire phytoécologique est réalisé systématiquement à l'intérieur de la placette. Une description de la végétation arbustive, herbacée, muscinale et lichénique est effectuée.

4.2.2 Inventaire dendrométrique

Dans la placette, toutes les tiges de plus de 1,1 cm de diamètre sont identifiées, numérotées et géoréférencées. Les mesures dendrométriques classiques sont prises sur ces mêmes tiges. De plus, cinq arbres localisés dans la zone tampon sont carottés pour déterminer l'âge approximatif du peuplement.

4.2.3 Étude dendrochronologique

Lors de l'établissement de la station, dans la zone tampon de chaque station, 10 arbres de l'espèce dominante et cinq de chaque espèce compagne sont carottés pour réaliser des études de dendrochronologie. Ces données pourront également servir à réaliser des études de dendroclimatologie ou de dendrogéochimie.

4.2.4 Caractéristiques de l'habitat et du statut nutritif

La description des principales caractéristiques de l'habitat renseigne sur les formations géologiques, géomorphologiques et pédologiques de chaque station. Plusieurs pédons sont creusés dans chaque station (quatre dans les stations à dominance résineuse et six dans les stations à dominance feuillue). Chaque horizon du profil de sol est soigneusement décrit et échantillonné. La chimie des horizons ainsi que leur texture sont déterminées au laboratoire. Toutes les autres caractéristiques sont documentées à partir d'observations de terrain (structure, couleur, limites, etc.).

Des échantillons foliaires sont également prélevés afin de connaître l'état nutritif des différents peuplements et de déterminer ses variations en fonction de la fertilité des sols et de son évolution. Ces analyses pourront servir de base lors de la détermination de seuils de carence dans les écosystèmes perturbés. Vingt individus de l'essence dominante et cinq de chaque essence compagne sont prélevés pour effectuer ce suivi. Le prélèvement du feuillage se fait lorsque les arbres sont à leur plein développement et surtout avant les premiers signes automnaux, soit généralement entre le 15 juillet et le 15 août.

4.3 Sous-réseaux REMPAFAQ et REPQ

L'apport d'éléments, aussi bien nutritifs qu'acidifiants ou fertilisants, par les précipitations ou les poussières est reconnu comme étant l'un des facteurs qui pourrait modifier le fonctionnement des écosystèmes. Les stations sont jumelées, pour la plupart, à des stations de mesure de polluants atmosphériques (REMPAFAQ) et de données climatiques (REPQ). Ces deux réseaux sont gérés par le ministère de l'Environnement du Québec. Cependant, dans les trois bassins versants étudiés dans le RESEF, ces mêmes données sont recueillies par nos propres installations (tableau 1). Jusqu'à maintenant, seules les dépositions humides sont prises en compte.

5 Validation des données

Il est primordial dans la gestion d'un réseau qui réunit autant de disciplines et de mesures d'effectuer une gestion efficace des données. Toutes les données sont informatisées et stockées dans des bases de données. Ces données doivent être validées et documentées. Il est également important de bien documenter la méthodologie de prise de mesures ainsi que celle de validation.

6 Résultats récents

Près de 60% des stations du réseau reçoivent des précipitations acides qui dépassent la capacité des sols à les tamponner. Une faible fertilité des sols, combinée à des apports atmosphériques en oxydes de souffre et d'azote importants, peuvent être à l'origine de cette surcharge d'acidité. Les auteurs remarquent que cette dernière est négativement corrélée à la productivité des forêts (Ouimet et al. 2002). Duchesne et al. (2001) montrent, dans une étude effectuée dans les quatorze érablières du réseau, que plus les sols sont acides, plus la croissance des arbres est faible. Cette acidification des sols est en partie causée par les pluies acides.

Certains des résultats obtenus au Québec se comparent à ceux observés en Europe, par le réseau ICP-Forest (Lorenz et al. 2002). En effet, les auteurs montrent qu'il existe une relation significative entre la défoliation observée chez le pin sylvestre et le hêtre et le souffre apporté par les dépôts atmosphériques.

7 Conclusion

Il y a 10 ans, les participant à la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement (CNUED), qui s'est tenue à Rio de Janeiro, au Brésil, ont pris l'engagement d'œuvrer en vue d'assurer la gestion durable, la conservation et le développement de tous les types de forêts. Le RESEF qui est une initiative québécoise de suivi de l'écosystème forestier naturel, s'inscrit en droite ligne dans cette nouvelle approche de gestion de la forêt. En permettant une meilleure connaissance des caractéristiques intrinsèques des écosystèmes forestiers, mais également en permettant d'essayer de mieux comprendre les impacts des activités humaines sur ces écosystèmes, les réseaux de monitorage tel le RESEF, trouvent leur pertinence.

8 Ouvrages cités

Duchesnes, L. R. Ouimet, D. Houle. 2001. Basal area growth of sugar maple in relation to acid deposition, stand health, and soil nutrients. J. Environ. Qual. 31: 1676-1683.

Gagnon, G., C. Gravel, R. Ouimet, N. Dignard, R. Paquin, et G. Roy. 1994a. Le réseau de surveillance des écosystèmes forestiers (RESEF). I - Définitions et méthodes. Mémoire de recherche forestière n°115, Gouvernement du Québec. Ministère des Ressources naturelles du Québec. Direction de la recherche forestière, Québec.

Gagnon, G., C. Gravel, R. Ouimet, N. Dignard, R. Paquin, et J. Jacques. 1994b. Le réseau de surveillance des écosystèmes forestiers (RESEF). II - Description des places d'étude et de données de base. Mémoire de recherche forestière n°116, Gouvernement du Québec. Ministère des Ressources naturelles du Québec, Québec.

Lorenz, M., V. Mues, G. Becher, W. Seidling, R. Fisher, D. Langouche, D. Durrant, U. Bartels. 2002. Forest Condition in Europe. Results of the 2001 Large-Scale Survey. 2002 Technical Report, UNECE and EC, Geneva and Brussels. 158 p.

Millers, I., et D. Lachance. 1989. North American sugar maple decline project - Cooperative field manuel. U.S. Department of Agriculture, Forest Service and Forestry Canada.

Ouimet, R., L. Duchesnes, D. Houle, P.A. Harp. 2001. Critical loads and exceedances of acid deposition and forest growth in the northern hardwood and boreal coniferous forests in Québec, Canada. WASP: 119-134.

Saint-Laurent, S., C. Camire, et R. Ouimet. 1995. Méthodologie d'échantillonnage des sols du Réseau de surveillance des écosystèmes forestiers (RESEF) et préparation des échantillons pour fins d'analyses. Rapport interne n°398, Gouvernement du Québec. Ministère des Ressources naturelles du Québec, Québec.

Ulrich, E. 1993. Réseau national de suivi à long terme des écosystèmes forestiers - Brève description. Office national des forêts, Nancy.

Figure 1: Localisation des stations du Réseau d'étude et de surveillance des écosystèmes forestiers. Le RESEF est un réseau de monitoring de la forêt québécoise commerciale.

Tableau I: Aperçu des mesures effectuées au sein du Réseau d'étude et de surveillance des écosystèmes forestiers et périodicité à laquelle ces mesures sont réalisées.

Mesures effectuées

Fréquence de mesurage

Pour l'ensemble du RESEF (niveau 1 d'intensité d'échantillonnage)

Description géographique des places d'étude

Tous les 10 ans

Identification, numérotation et positionnement de toutes les tiges de plus de 1,1 cm de diamètre

Tous les 5 ans

Diamètre, hauteur, hauteur du fût, hauteur et diamètre de la cime

Tous les 5 ans

Relevé des défauts de la tige

Tous les 5 ans

Inventaire phytoécologique

1 fois, lors de l'établissement

Inventaire de la régénération

Tous les 5 ans

Dendrochronologie

1 fois, lors de l'établissement

Analyses foliaires (macro et micro- éléments)

Tous les 5 ans

Description pédologique

1 fois, lors de l'établissement

pH, Macro et micro-éléments totaux et échangeables

Tous les 5 ans

Structure des horizons de sol

Tous les 5 ans

Texture des horizons de sol

1 fois, lors de l'établissement

Dans les trois bassins versants (niveau 2 d'intensité d'échantillonnage)

Données météorologiques standards

Toutes les heures

Analyses des précipitations (dépôts humides: pH, K, Ca, Mg, Mn, SO4, Na, Cl, NH4, NOx)

Tous les jours

Chimie de l'eau dans l'ensemble du bassin versant

Toutes les semaines

Récolte et analyses chimiques de la litière

Tous les ans


1 Biologiste
2 Ing.f., Ph.D
Ministère des Ressources naturelles du Québec
Direction de le recherche forestière
2 700, rue Einstein
Sainte-Foy (Québec)
G1P 3W8 Canada
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[email protected]

3 http://www.fao.org/forestry/index.jsp