0992-B4
Christian PINAUDEAU
La gestion durable des forêts est devenue un sujet aussi consensuel quincontournable. A ce propos et à ladresse des forestiers, je serais tenté de leur dire: attention, ne vous laissez pas emporter par votre goût pour la technique, au contraire considérez le concept de Gestion Durable avant tout comme un sujet politique.
Cest pourquoi, afin de clarifier cet avertissement, je vais vous parler des risques de la «gestion durable des forêts». Non pas des risques de la gestion forestière, car nous les connaissons tous et depuis longtemps, mais des risques du concept lui-même, cest-à-dire ceux liés à sa fabrication, à son interprétation, à son application. En effet, nous ne trouvons pas de concept dans la nature (les concepts ne sont pas naturels), il nous semble quil sagit plutôt dimposer une procédure, de privilégier une méthodologie en oubliant lobjet quelle est censée valoriser.
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La gestion durable des forêts est devenue un sujet aussi consensuel quincontournable. A ce propos et à ladresse des forestiers, je serais tenté de leur dire: attention, ne vous laissez pas emporter par votre goût pour la technique, au contraire considérez le concept de Gestion Durable avant tout comme un sujet politique.
Cest pourquoi, afin de clarifier cet avertissement, je vais vous parler des risques de la «gestion durable des forêts». Non pas des risques de la gestion forestière, car nous les connaissons tous et depuis longtemps, mais des risques du concept lui-même, cest-à-dire ceux liés à sa fabrication, à son interprétation, à son application. En effet, nous ne trouvons pas de concept dans la nature, (les concepts ne sont pas naturels) et il nous semble quil sagit plutôt dimposer une procédure, de privilégier une méthodologie en oubliant lobjet quelle est censée valoriser.
Quels sont les dérives, les mensonges qui entourent la conceptualisation de la gestion durable des forêts?
En guise dillustration, nous relèverons quelques indicateurs en ce sens:
1 - Les amalgames
2 - Le piège normatif
3 - La pénalisation du bois
Par précaution, je tiens à préciser que mon propos sinterdit toute attaque contre des personnes ou des institutions, je souhaite simplement vous inviter à prendre un peu de recul et porter un regard critique sur ce qui sest passé autour de nous en moins de 10 ans, à propos dun sujet devenu sacré.
Il convient de rappeler que lorigine de ce concept nous vient de la volonté exprimée par différentes ONGE, de protéger les forêts primaires des régions équatoriales et tropicales, sans oublier, dans certaines zones, le cas des forêts boréales: «ces forêts étaient et sont menacées: il faut donc les protéger»! Doù lémergence du concept de gestion durable des forêts qui participe bien sûr du principe du Développement Durable.
Observons que les pays concernés par ces forêts menacées sont pratiquement tous des pays en voie de développement dans lesquels le régime de la propriété nest pas défini précisément. Ainsi, les forêts en question sont des forêts publiques qui appartiennent à tout le monde, cest-à-dire à personne et dont la «gestion» apparemment ne semble pas être exemplaire, mais pour des raisons que nous connaissons tous: la pauvreté. Et le concept de la Gestion Durable des Forêts ny changera rien, encore moins la certification.
Cest pourquoi lapplication de ce concept a dérivé pour finalement concerner les pays développés dont les forêts sont toutes conduites suivant des plans ou des règles de gestion et où les forêts privées sont majoritaires, notamment en Europe.
Si les forestiers privés ont été écartés de toute discussion, de toute concertation, aujourdhui ils sont directement confrontés à ce mouvement. Mais les interlocuteurs officiels, cest-à-dire les Etats et les autres parties intéressées, nont pas les mêmes responsabilités sur les plans juridique et économique, en particulier les ONGE qui se trouvent dans la situation singulière dêtre associées à des décisions dont elles restent totalement irresponsables juridiquement et économiquement.
A aucun moment, il nest donc possible de comparer, ou dassimiler des engagements signés par des Etats pour leurs forêts aux forêts privées: la responsabilité des propriétaires privés est totale et directe, jamais un Etat ne peut se retrouver dans cette même situation. Aussi, entretenir, vis-à-vis des médias ou du grand public, lamalgame entre forêt publique et forêt privée ou bien encore entre la forêt dAmazonie et celle de Fontainebleau près de Paris, constitue un mensonge et relève de la désinformation.
Par ailleurs, dautres questions méritent dêtre posées:
Qui dédommagera le propriétaire forestier dans 50 ans si les standards de gestion durable proposés aujourdhui se révèlent désastreux?!
Qui peut ou sait apprécier aujourdhui la gestion durable; à quel moment peut-on juger que la gestion est durable? Léquation qui est ainsi posée à léchelle des cycles forestiers nest-elle pas impossible?
Trois remarques pour nous permettre déclairer ces interrogations:
a) Quel est le sens de la durabilité, sagit-il dune mesure du temps et dans ce cas, quand commence-t-il et quand finit-il?
b) Ou bien, implicitement, la combinaison des mots «gestion durable» implique-t-elle un jugement de valeur, ne veut-elle pas signifier plutôt une bonne gestion?
c) Dans ce cas, faut-il en conclure que la mauvaise gestion est une gestion non durable?
On prend la mesure de labsurdité de cette proposition appliquée au temps des forêts!
Dailleurs, nest-il pas surprenant de voir en quelques mois surgir des experts en gestion durable capables de vendre, à la demande, des certificats de (bonne) gestion durable?
Or, ou bien le concept de gestion durable des forêts se justifie aujourdhui et ces certificats ne peuvent sappliquer quaux forêts futures, gérées suivant les nouveaux standards, ou bien les forêts actuelles sont reconnues gérées durablement et alors à quoi sert-il (ou à qui)? Quelle est sa validité? Fallait-il attendre le Sommet de Rio pour que les forestiers découvrent la gestion durable?
Philippe VI de Valois (Ordonnance de Brunoy, article IV, mai 1346)
Les Maîtres des Forêts enquerront et visiteront toutes les Forêts et Bois qui y sont et feront les ventes qui y sont à faire, eu regard à ce que lesdites Forêts et Bois se puissent perpétuellement soutenir en bon état.
Ces questions posées brutalement nous obligent à penser quen définitive, le dispositif de ce concept ne concerne peut-être pas la gestion de la forêt en tant que telle, objectivement, mais plutôt lémergence dun nouvel instrument de pouvoir.
Les forêts sont devenues un nouveau domaine dont les ONGE multinationales se sont soudainement emparées. Que cache cet intérêt nouveau?[1]
Une première lecture pourrait nous amener à conclure quil sagit dune nouvelle forme dappropriation collective de la gestion forestière et des forêts... Alors cependant, que lon re-privatise les forêts à lEst! Sans doute, cela rejoint-il les intentions de quelques militants nostalgiques recyclés dans les ONGE.
Mais, une seconde lecture doit nous conduire encore plus loin: il sagit, pour elles, dun fonds de commerce politique destiné à faire pression sur les Etats Nations via (ou malgré) les Institutions internationales. Elles se présentent comme les nouveaux censeurs, constituant une sorte dautorité morale supranationale sérigeant en gendarme universel garant du Bien et du Bonheur de la Nature et des Peuples. Ce qui ne les empêchent pas, en même temps, de se déclarer contre la mondialisation!
En effet, quobservons-nous: la volonté dappropriation par quelques grandes ONGE de la nature, de lespace, de locéan, de la forêt. Mais une telle démarche doit être visible et lisible, appréhendable, mesurable politiquement et par le «commun des mortels».
Il fallait donc donner une existence concrète à cette appropriation, une forme identifiable doù ladoption des critères et indicateurs qui constituent apparemment autant de repères suivant une méthode, en apparence, technico-scientifique. Cest ainsi que se dessine le contour, les conditions de la gestion durable des forêts et cest ainsi que nous avons vu aussi, non sans surprise, tous les gouvernements, réunis dans des sommets internationaux, tombés dans le piège technique sous la pression de «lopinion» (qui ne sest en réalité jamais exprimée)[2]. Et chacun daccepter, discuter, et finalement signer des accords: Helsinki, Tarapoto, Montréal, etc., mais entre qui et qui? Accords qui impliquent qui: les ONGE et les Etats, les Etats entre eux?
Remarquons quà aucun moment, les propriétaires forestiers nont été associés ni aux négociations, ni aux accords. Or la plupart des mesures adoptées par ces accords vont avoir des effets directs sur la propriété privée. Ainsi, dans une société qui prétend être transparente, ouverte à la discussion, élever la concertation en principe, les intéressés les plus concernés nont pas été sollicités.
Cest pourquoi, nous pourrions en déduire que ces accords ne devraient concerner que les forêts publiques.
En acceptant de recourir à des normes techniques, les gouvernements ont cru pouvoir sauvegarder leur indépendance, leur spécificité, alors quils ont mis le doigt dans un système de surenchère que les ONGE vont alimenter régulièrement. Dautant plus que paradoxalement, le processus ainsi initié aux travers des critères et indicateurs de gestion durable des forêts et la méthodologie suivie conduisent à une uniformisation de la gestion et donc à plus long terme, à une forme de normalisation de la biodiversité[3] Cest-à-dire le contraire de la biodiversité. Mais personne ne peut ou nose se croire engagé dans un tel engrenage.
Evidemment, chacun cherchera et trouvera dans cette jungle de critères et indicateurs, les astuces nécessaires pour sauvegarder sa liberté, la spécificité de son écosystème forestier. Sans doute, mais il nempêche quil sera pris dabord insensiblement, puis de plus en plus dans un système normatif qui progressivement finira par simposer[4].
Déjà des «docteurs» en gestion durable des forêts ont surgi dans le paysage. Ceux-là sont capables de vous délivrer en quelques mois un certificat attestant que vous gérez durablement vos forêts depuis trois générations: Cest magique!
Mais, finalement, tout ce système arrive en forêt privée et se traduit par un engagement unilatéral du propriétaire forestier. En face, il ny a aucun engagement des Etats, aucune contrepartie. Quant aux ONGE, elles encaissent les royalties sur les certificats et nont aucune autre responsabilité en terme de gestion des forêts, puisquelles ne sont pas propriétaires.
Alors pourquoi faire? Pour rassurer les consommateurs, nous dit-on, lorsquils achètent du bois.
Si nous poursuivons le raisonnement jusquau bout dans ses effets les plus absurdes, ce processus conduira à la disqualification du bois en tant que matériau. En effet, nous savons que le bois est à la fois le plus ancien et le plus moderne des matériaux parce quil a cette qualité unique dêtre naturellement renouvelable. Or, ce matériau exemplaire se voit pénalisé par des coûts et des contraintes de production telles quil ne sera plus compétitif, sachant que le consommateur ne paiera pas plus cher le bois parce quil est certifié. Il sera disqualifié en terme de concurrence par rapport à dautres matériaux qui sont infiniment plus polluants:
- le pétrole,
- le plastique,
- le béton,
- les métaux, etc.
pour lesquels, et il convient de le souligner, il ny a pas de docteur en gestion durable, pas de certification pour la gestion durable du pétrole?! Nest-ce pas stupéfiant!
De surcroît, comment ne pas sétonner de cette «alliance contre nature» entre des organisations dites écologistes et les grandes multinationales de la Distribution pour obliger lindustrie à fournir des produits en bois qui seront certifiés par ces mêmes organisations écologistes? Ny-a-t-il pas là une grosse entorse aux règles dune concurrence loyale? Le résultat de ce processus en provoquant une pression sur les marchés des bois, se traduira par une baisse des prix des bois à la production. Ainsi, des organisations écologistes préfèrent sallier «au grand capital» pour toucher des royalties sur des certificats dont le coût ne sera pas payé par le consommateur mais par les forestiers, cest-à-dire au préjudice de la forêt. Or, le bois rémunère, paie la gestion de la forêt et si ce prix nest plus capable de financer la gestion, alors celle-ci ne se fera plus et la forêt régressera. A terme, cest-à-dire dans quelques dizaines dannées, elle ne sera plus ni belle ni accueillante. Puis finalement, la chaîne qui unit lhomme à larbre sera cassée suivant un processus qui conduira à la rupture entre lhomme et la forêt.
En ce sens, la forêt peut être victime du concept de gestion durable des forêts. Ainsi, le processus de gestion durable des forêts pourrait avoir cet effet pervers daboutir à la non-gestion des forêts; et celle-ci peut être aussi durable! Dailleurs, nest ce pas lobjectif affiché de certaines ONGE extrémistes qui réclament le retour à la nature, à la forêt vierge. Ainsi la boucle sera bouclée: le concept de gestion durable des forêts peut signifier tout autre chose que la culture et laménagement des forêts.
Quelques mots pour conclure, adressés essentiellement aux propriétaires forestiers qui nont été invités ni à sexprimer, ni consultés avant tous ces accords. Ils nont même pas servi dalibi comme certaines tribus dindiens au fin fond des forêts tropicales: ils nexistent pas politiquement. Aujourdhui, ce processus a été mis en marche sans eux alors quils vont être les seuls à payer directement les effets: il est donc urgent de réagir.
Cest ce quils ont commencé à faire, sous la pression, en créant le PEFC. Il traduit un engagement des producteurs de bois et il est à ce titre le système le plus sérieux, le plus légitime et qui offre une garantie réelle. Mais il conviendra de rester vigilant, de résister à la pression des marchands de certificat autant quà celle des ONGE, éviter le piège normatif et bureaucratique. Il y a des zélateurs même chez les forestiers.
Attention, ce processus ne sarrêtera pas là, il continuera, sans doute, sous des formes que nous nimaginons même pas encore. Cest pourquoi, il est peut-être temps que les propriétaires forestiers sortent de leur bois, ressaisissent la parole et manifestent un peu plus bruyamment leur existence sur les plans politique et juridique.
[1] Cf. «La racine des
Maux» (éléments critiques pour une analyse du
développement durable) - Professeur J.L. Martres - Forêt de
Gascogne Novembre 1998 [2] Lopinion a été confisquée et fabriquée par les ONGE qui se sont exprimées en son nom [3] Quelles forêts pour demain? dHervé Brédit et Pierre Boudinot - Ed. LHarmattan - décembre 2000. [4] cf. les actes de la 1ère Conférence Internationale de la Forêt Privée 15-16 Juin 1996 à Bordeaux (France). Gestion Durable et Eco-Certification. |