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Les risques du concept de gestion durable des forêts

Christian PINAUDEAU


Résumé

La gestion durable des forêts est devenue un sujet aussi consensuel qu’incontournable. A ce propos et à l’adresse des forestiers, je serais tenté de leur dire: attention, ne vous laissez pas emporter par votre goût pour la technique, au contraire considérez le concept de Gestion Durable avant tout comme un sujet politique.

C’est pourquoi, afin de clarifier cet avertissement, je vais vous parler des risques de la «gestion durable des forêts». Non pas des risques de la gestion forestière, car nous les connaissons tous et depuis longtemps, mais des risques du concept lui-même, c’est-à-dire ceux liés à sa fabrication, à son interprétation, à son application. En effet, nous ne trouvons pas de concept dans la nature (les concepts ne sont pas naturels), il nous semble qu’il s’agit plutôt d’imposer une procédure, de privilégier une méthodologie en oubliant l’objet qu’elle est censée valoriser.

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La gestion durable des forêts est devenue un sujet aussi consensuel qu’incontournable. A ce propos et à l’adresse des forestiers, je serais tenté de leur dire: attention, ne vous laissez pas emporter par votre goût pour la technique, au contraire considérez le concept de Gestion Durable avant tout comme un sujet politique.

C’est pourquoi, afin de clarifier cet avertissement, je vais vous parler des risques de la «gestion durable des forêts». Non pas des risques de la gestion forestière, car nous les connaissons tous et depuis longtemps, mais des risques du concept lui-même, c’est-à-dire ceux liés à sa fabrication, à son interprétation, à son application. En effet, nous ne trouvons pas de concept dans la nature, (les concepts ne sont pas naturels) et il nous semble qu’il s’agit plutôt d’imposer une procédure, de privilégier une méthodologie en oubliant l’objet qu’elle est censée valoriser.

Quels sont les dérives, les mensonges qui entourent la conceptualisation de la gestion durable des forêts?

En guise d’illustration, nous relèverons quelques indicateurs en ce sens:

1 - Les amalgames
2 - Le piège normatif
3 - La pénalisation du bois

Par précaution, je tiens à préciser que mon propos s’interdit toute attaque contre des personnes ou des institutions, je souhaite simplement vous inviter à prendre un peu de recul et porter un regard critique sur ce qui s’est passé autour de nous en moins de 10 ans, à propos d’un sujet devenu sacré.


I - Les Amalgames

Il convient de rappeler que l’origine de ce concept nous vient de la volonté exprimée par différentes ONGE, de protéger les forêts primaires des régions équatoriales et tropicales, sans oublier, dans certaines zones, le cas des forêts boréales: «ces forêts étaient et sont menacées: il faut donc les protéger»! D’où l’émergence du concept de gestion durable des forêts qui participe bien sûr du principe du Développement Durable.

Observons que les pays concernés par ces forêts menacées sont pratiquement tous des pays en voie de développement dans lesquels le régime de la propriété n’est pas défini précisément. Ainsi, les forêts en question sont des forêts publiques qui appartiennent à tout le monde, c’est-à-dire à personne et dont la «gestion» apparemment ne semble pas être exemplaire, mais pour des raisons que nous connaissons tous: la pauvreté. Et le concept de la Gestion Durable des Forêts n’y changera rien, encore moins la certification.

C’est pourquoi l’application de ce concept a dérivé pour finalement concerner les pays développés dont les forêts sont toutes conduites suivant des plans ou des règles de gestion et où les forêts privées sont majoritaires, notamment en Europe.

Si les forestiers privés ont été écartés de toute discussion, de toute concertation, aujourd’hui ils sont directement confrontés à ce mouvement. Mais les interlocuteurs officiels, c’est-à-dire les Etats et les autres parties intéressées, n’ont pas les mêmes responsabilités sur les plans juridique et économique, en particulier les ONGE qui se trouvent dans la situation singulière d’être associées à des décisions dont elles restent totalement irresponsables juridiquement et économiquement.

A aucun moment, il n’est donc possible de comparer, ou d’assimiler des engagements signés par des Etats pour leurs forêts aux forêts privées: la responsabilité des propriétaires privés est totale et directe, jamais un Etat ne peut se retrouver dans cette même situation. Aussi, entretenir, vis-à-vis des médias ou du grand public, l’amalgame entre forêt publique et forêt privée ou bien encore entre la forêt d’Amazonie et celle de Fontainebleau près de Paris, constitue un mensonge et relève de la désinformation.

Par ailleurs, d’autres questions méritent d’être posées:

Qui dédommagera le propriétaire forestier dans 50 ans si les standards de gestion durable proposés aujourd’hui se révèlent désastreux?!

Qui peut ou sait apprécier aujourd’hui la gestion durable; à quel moment peut-on juger que la gestion est durable? L’équation qui est ainsi posée à l’échelle des cycles forestiers n’est-elle pas impossible?

Trois remarques pour nous permettre d’éclairer ces interrogations:

a) Quel est le sens de la durabilité, s’agit-il d’une mesure du temps et dans ce cas, quand commence-t-il et quand finit-il?

b) Ou bien, implicitement, la combinaison des mots «gestion durable» implique-t-elle un jugement de valeur, ne veut-elle pas signifier plutôt une bonne gestion?

c) Dans ce cas, faut-il en conclure que la mauvaise gestion est une gestion non durable?

On prend la mesure de l’absurdité de cette proposition appliquée au temps des forêts!

D’ailleurs, n’est-il pas surprenant de voir en quelques mois surgir des experts en gestion durable capables de vendre, à la demande, des certificats de (bonne) gestion durable?

Or, ou bien le concept de gestion durable des forêts se justifie aujourd’hui et ces certificats ne peuvent s’appliquer qu’aux forêts futures, gérées suivant les nouveaux standards, ou bien les forêts actuelles sont reconnues gérées durablement et alors à quoi sert-il (ou à qui)? Quelle est sa validité? Fallait-il attendre le Sommet de Rio pour que les forestiers découvrent la gestion durable?

Philippe VI de Valois (Ordonnance de Brunoy, article IV, mai 1346)

“Les Maîtres des Forêts enquerront et visiteront toutes les Forêts et Bois qui y sont et feront les ventes qui y sont à faire, eu regard à ce que lesdites Forêts et Bois se puissent perpétuellement soutenir en bon état.”

Ces questions posées brutalement nous obligent à penser qu’en définitive, le dispositif de ce concept ne concerne peut-être pas la gestion de la forêt en tant que telle, objectivement, mais plutôt l’émergence d’un nouvel instrument de pouvoir.

Les forêts sont devenues un nouveau domaine dont les ONGE multinationales se sont soudainement emparées. Que cache cet intérêt nouveau?[1]

Une première lecture pourrait nous amener à conclure qu’il s’agit d’une nouvelle forme d’appropriation collective de la gestion forestière et des forêts... Alors cependant, que l’on re-privatise les forêts à l’Est! Sans doute, cela rejoint-il les intentions de quelques militants nostalgiques recyclés dans les ONGE.

Mais, une seconde lecture doit nous conduire encore plus loin: il s’agit, pour elles, d’un fonds de commerce politique destiné à faire pression sur les Etats Nations via (ou malgré) les Institutions internationales. Elles se présentent comme les nouveaux censeurs, constituant une sorte d’autorité morale supranationale s’érigeant en gendarme universel garant du Bien et du Bonheur de la Nature et des Peuples. Ce qui ne les empêchent pas, en même temps, de se déclarer contre la mondialisation!

II - Le Piège Normatif

En effet, qu’observons-nous: la volonté d’appropriation par quelques grandes ONGE de la nature, de l’espace, de l’océan, de la forêt. Mais une telle démarche doit être visible et lisible, appréhendable, mesurable politiquement et par le «commun des mortels».

Il fallait donc donner une existence concrète à cette appropriation, une forme identifiable d’où l’adoption des critères et indicateurs qui constituent apparemment autant de repères suivant une méthode, en apparence, technico-scientifique. C’est ainsi que se dessine le contour, les conditions de la gestion durable des forêts et c’est ainsi que nous avons vu aussi, non sans surprise, tous les gouvernements, réunis dans des sommets internationaux, tombés dans le piège technique sous la pression de «l’opinion» (qui ne s’est en réalité jamais exprimée)[2]. Et chacun d’accepter, discuter, et finalement signer des accords: Helsinki, Tarapoto, Montréal, etc., mais entre qui et qui? Accords qui impliquent qui: les ONGE et les Etats, les Etats entre eux?

Remarquons qu’à aucun moment, les propriétaires forestiers n’ont été associés ni aux négociations, ni aux accords. Or la plupart des mesures adoptées par ces accords vont avoir des effets directs sur la propriété privée. Ainsi, dans une société qui prétend être transparente, ouverte à la discussion, élever la concertation en principe, les intéressés les plus concernés n’ont pas été sollicités.

C’est pourquoi, nous pourrions en déduire que ces accords ne devraient concerner que les forêts publiques.

En acceptant de recourir à des normes techniques, les gouvernements ont cru pouvoir sauvegarder leur indépendance, leur spécificité, alors qu’ils ont mis le doigt dans un système de surenchère que les ONGE vont alimenter régulièrement. D’autant plus que paradoxalement, le processus ainsi initié aux travers des critères et indicateurs de gestion durable des forêts et la méthodologie suivie conduisent à une uniformisation de la gestion et donc à plus long terme, à une forme de normalisation de la biodiversité[3] C’est-à-dire le contraire de la biodiversité. Mais personne ne peut ou n’ose se croire engagé dans un tel engrenage.

Evidemment, chacun cherchera et trouvera dans cette jungle de critères et indicateurs, les astuces nécessaires pour sauvegarder sa liberté, la spécificité de son écosystème forestier. Sans doute, mais il n’empêche qu’il sera pris d’abord insensiblement, puis de plus en plus dans un système normatif qui progressivement finira par s’imposer[4].

Déjà des «docteurs» en gestion durable des forêts ont surgi dans le paysage. Ceux-là sont capables de vous délivrer en quelques mois un certificat attestant que vous gérez durablement vos forêts depuis trois générations: C’est magique!

Mais, finalement, tout ce système arrive en forêt privée et se traduit par un engagement unilatéral du propriétaire forestier. En face, il n’y a aucun engagement des Etats, aucune contrepartie. Quant aux ONGE, elles encaissent les royalties sur les certificats et n’ont aucune autre responsabilité en terme de gestion des forêts, puisqu’elles ne sont pas propriétaires.

Alors pourquoi faire? Pour rassurer les consommateurs, nous dit-on, lorsqu’ils achètent du bois.

III - La pénalisation du bois

Si nous poursuivons le raisonnement jusqu’au bout dans ses effets les plus absurdes, ce processus conduira à la disqualification du bois en tant que matériau. En effet, nous savons que le bois est à la fois le plus ancien et le plus moderne des matériaux parce qu’il a cette qualité unique d’être naturellement renouvelable. Or, ce matériau exemplaire se voit pénalisé par des coûts et des contraintes de production telles qu’il ne sera plus compétitif, sachant que le consommateur ne paiera pas plus cher le bois parce qu’il est certifié. Il sera disqualifié en terme de concurrence par rapport à d’autres matériaux qui sont infiniment plus polluants:

- le pétrole,
- le plastique,
- le béton,
- les métaux, etc.

pour lesquels, et il convient de le souligner, il n’y a pas de docteur en gestion durable, pas de certification pour la gestion durable du pétrole?! N’est-ce pas stupéfiant!

De surcroît, comment ne pas s’étonner de cette «alliance contre nature» entre des organisations dites écologistes et les grandes multinationales de la Distribution pour obliger l’industrie à fournir des produits en bois qui seront certifiés par ces mêmes organisations écologistes? N’y-a-t-il pas là une grosse entorse aux règles d’une concurrence loyale? Le résultat de ce processus en provoquant une pression sur les marchés des bois, se traduira par une baisse des prix des bois à la production. Ainsi, des organisations écologistes préfèrent s’allier «au grand capital» pour toucher des royalties sur des certificats dont le coût ne sera pas payé par le consommateur mais par les forestiers, c’est-à-dire au préjudice de la forêt. Or, le bois rémunère, paie la gestion de la forêt et si ce prix n’est plus capable de financer la gestion, alors celle-ci ne se fera plus et la forêt régressera. A terme, c’est-à-dire dans quelques dizaines d’années, elle ne sera plus ni belle ni accueillante. Puis finalement, la chaîne qui unit l’homme à l’arbre sera cassée suivant un processus qui conduira à la rupture entre l’homme et la forêt.

En ce sens, la forêt peut être victime du concept de gestion durable des forêts. Ainsi, le processus de gestion durable des forêts pourrait avoir cet effet pervers d’aboutir à la non-gestion des forêts; et celle-ci peut être aussi durable! D’ailleurs, n’est ce pas l’objectif affiché de certaines ONGE extrémistes qui réclament le retour à la nature, à la forêt vierge. Ainsi la boucle sera bouclée: le concept de gestion durable des forêts peut signifier tout autre chose que la culture et l’aménagement des forêts.

Conclusion:

Quelques mots pour conclure, adressés essentiellement aux propriétaires forestiers qui n’ont été invités ni à s’exprimer, ni consultés avant tous ces accords. Ils n’ont même pas servi d’alibi comme certaines tribus d’indiens au fin fond des forêts tropicales: ils n’existent pas politiquement. Aujourd’hui, ce processus a été mis en marche sans eux alors qu’ils vont être les seuls à payer directement les effets: il est donc urgent de réagir.

C’est ce qu’ils ont commencé à faire, sous la pression, en créant le PEFC. Il traduit un engagement des producteurs de bois et il est à ce titre le système le plus sérieux, le plus légitime et qui offre une garantie réelle. Mais il conviendra de rester vigilant, de résister à la pression des marchands de certificat autant qu’à celle des ONGE, éviter le piège normatif et bureaucratique. Il y a des zélateurs même chez les forestiers.

Attention, ce processus ne s’arrêtera pas là, il continuera, sans doute, sous des formes que nous n’imaginons même pas encore. C’est pourquoi, il est peut-être temps que les propriétaires forestiers sortent de leur bois, ressaisissent la parole et manifestent un peu plus bruyamment leur existence sur les plans politique et juridique.


[1] Cf. «La racine des Maux» (éléments critiques pour une analyse du développement durable) - Professeur J.L. Martres - Forêt de Gascogne Novembre 1998
[2] L’opinion a été confisquée et fabriquée par les ONGE qui se sont exprimées en son nom
[3] “Quelles forêts pour demain?” d’Hervé Brédit et Pierre Boudinot - Ed. L’Harmattan - décembre 2000.
[4] cf. les actes de la 1ère Conférence Internationale de la Forêt Privée 15-16 Juin 1996 à Bordeaux (France). Gestion Durable et Eco-Certification.