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LES CONFLITS LIES A LA GESTION DECENTRALISEE DES RESSOURCES FORESTIERES AU CAMEROUN: ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

Edouard MADINGOU


RESUME

Au Cameroun, depuis 1990, on assiste à une intensification et diversification des conflits liés à la gestion des forêts. Entre 1990 et 1996, il y a eu une prédominance des conflits verticaux. et entre 1996 et 2000 des conflits horizontaux.

En effet, la forêt camerounaise est l'objet d'une compétition ardue entre les différents utilisateurs: conflits de valeur, de pouvoir, de répartition des revenus, etc. Ces conflits sont l'expression d'une confrontation de logiques: logique de rentabilité financière contre rentabilité sociale, écologie (conservation) contre économie (besoin de survie quotidienne), intérêt de l'humanité contre intérêt national, centralisation contre décentralisation de la gestion des bénéfices financiers tirés de l'exploitation des forêts, problème d'intégration des pratiques locales et coutumières dans la législation nationale, etc.

Les modes classiques de gestion des conflits, à la fois traditionnels et modernes, fondés essentiellement sur l'arbitrage (sanction et parfois répression), ne sont plus suffisamment efficaces pour faire face aux conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières. Il s'avère nécessaire de promouvoir des approches alternatives basées sur la communication, le dialogue et la négociation entre les parties prenantes. C'est ainsi que l'approche Gestion Alternative des Conflits (GAC), constituée d'une variété des méthodes participatives, est utilisée pour construire des solutions mutuellement acceptables par les parties en conflit.


INTRODUCTION

Les conflits sont un processus normal dans toute société. Mais lorsque celle-ci ne parvient pas à en trouver des solutions et que les conflits éclatent en violence, l'on a le droit d'être préoccupé. Ces conflits freinent ou empêchent souvent la mise en œuvre d'action de gestion durable des ressources naturelles en général et forestières en particulier. De là découlent l'intérêt et l'importance de l'étude sur les conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières.

Aujourd'hui, l'option de décentraliser la gestion des ressources forestières prise par le Gouvernement en 1994 constitue un des facteurs qui conduisent à des tensions parfois aiguës et complexes. En effet, au sens de la loi de 1994, la gestion décentralisée des ressources forestières au Cameroun se présente sous deux formes: la décentralisation politique et la décentralisation fiscale.

La décentralisation politique est caractérisée par une responsabilisation des communautés locales dans la gestion fiscale à travers un partage des redevances forestières entre l'Etat au niveau central et les communautés locales. Il s'agit principalement de la gestion des forêts communautaires. Le décret de 1995 considère la forêt communautaire comme une partie du domaine forestier non permanent. Sa gestion doit être régie par une convention de gestion entre une personne morale représentant les communautés locales et l'administration en charge des forêts. Une procédure administrative et technique à suivre par chaque communauté a rigoureusement été définie dans le manuel des procédures d'attribution et des normes de gestion des forêts communautaires. Elle prévoit des étapes suivantes:

Si le Ministère qui a six mois pour répondre donne son accord, la suite prévoit:

Si le plan est accepté et la convention signée la communauté peut commencer les activités de gestion.

La décentralisation fiscale concerne le partage des redevances forestières entre l'Etat au niveau central et les communautés locales. Traditionnellement, les taxes forestières étaient exclusivement gérées par l'Etat, au niveau central. Avec la loi de 1994 qui marque le début de l'ère de la décentralisation de la gestion des ressources forestières, il a été décidé et légalisé qu'une partie de la redevance forestière sera dorénavant gérée par les collectivités locales décentralisées; les communes et les populations riveraines.

En matières de taxes forestières, il y en a deux principales qui sont destinées directement aux populations riveraines. Il s'agit de la Redevance Forestière Annuelle (RFA) et la taxe de 1 000FCFA retenue par mètre cube de bois exploité. Pour la RFA, 50% revient à l'Etat lorsque 50% sont reversées aux communes dont 10% pour les communautés riveraines. Ces fonds doivent être gérés par un comité dont le président est le Maire de la Commune ou son Représentant ayant la qualité de conseiller municipal, le représentant local du Ministère chargé de forêts comme rapporteur et 6 membres représentant les populations riveraines concernées.

La gestion des conflits a été identifiée par le CERAD comme étant une priorité d'action en faveur d'une gestion durable des ressources forestières. Les actions entreprises dans ce sens ont abouti à la mise en place d'une plate-forme de négociation entre les différents acteurs du conflit lié à la gestion de la forêt communautaire de Bimboué dans l'arrondissement d'Abong-Mbang à l'Est-Cameroun. Pour ce qui est de la province du Sud-Cameroun, l'étude en cours nous a permis d'identifier des conflits liés soit à la gestion de la redevance forestière annuelle, soit à l'acquisition et à la gestion des forêts communautaires.

La pertinence de cet exposé réside dans la manière par laquelle les conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières pourraient être gérés ou réglés au Cameroun. Il s'articule autour de quatre points, à savoir:

1 Analyse de deux cas de conflits identifiés

1er cas: Exploitation et gestion de la forêt communautaire de Bimboué

La forêt communautaire de Bimboué: Deux villages concernés: Ankouamb et Nkouolou, 4 familles ou lignages. Convention de gestion du 14 Juillet 1997 avec l'Etat. Superficie: 3920 ha

Parties impliquées:

Objet du litige:

Détournement des fonds issus de l'exploitation de la forêt communautaire et destinés aux réalisations communautaires.

Procédure:

2e cas: conflit lié à la gestion des Redevances Forestières Annuelles (RFA)

Parties impliquées:

Objet du litige:

Il avait été alloués aux populations riveraines des villages Assandjik et Akom-Bikak, dans l'Arrondissement d'Ambam, des revenus émanant d'une exploitation forestière basée dans ces villages. Après avoir ordonnées des dépenses approuvées et arrêtées par le comité de gestion, le Maire refusait de produire un compte administratif retraçant toutes les recettes et dépenses effectuées.

Procédure:

Règlement judiciaire.
Les conflits ne sont pas identiques, mais des efforts peuvent être faits pour les catégoriser selon leurs enjeux et leurs acteurs, même si parfois «acteurs» et «enjeux» ne sont pas clairement distincts les uns des autres et ne s'excluent pas.

2 Problématique des conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières.

Le conflit peut être défini comme une rencontre d'éléments ou de sentiments contraires qui s'opposent. L'opposition peut être violente ou non, patente ou latente. L'intérêt ne se situe pas dans son expression, mais dans sa réalité. Dans cette optique, le conflit doit être perçu dans une acception large. Ce qui offre plus de possibilités dans le dénombrement des conflits

L'Etat comme acteur des conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières est un acteur à plusieurs visages. D'un côté il se présente comme autorités centrales. De l'autre, on le connaît comme autorités administratives locales qui peuvent agir de leur propre intérêt.

Les populations ne sont pas non plus des acteurs homogènes et leur position dans les conflits dépend pour une large part des intérêts économiques, politiques ou du prestige personnel qu'ils tirent de l'exploitation des ressources forestières, ou du soutien que leur procure la solidarité avec les préoccupations des populations en termes de bénéfice politique ou social. On peut ainsi mieux comprendre les ”élites locales“, bien qu'elles fassent partie de la “population locale”. Elles ont assez souvent des intérêts divergents de ceux de l'ensemble du groupe. Elles sont promptes à conclure des alliances subjectives avec les exploitants forestiers, ou à se compromettre avec l'Etat, quand elles ne sont pas elles-même l'Etat.

De même les intérêts des Bantu ne sont pas ceux des Pygmées ( surtout ceux qui sont sédentarisés ou en voie de l'être). Cela apparaît aussi comme source de conflits.

Les conflits expriment assez souvent les changements importants qui interviennent à différents niveaux et induits par des dynamiques tant internes qu'externes. Les conflits sont:

3 Les enjeux des conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières

Au Cameroun comme un peu partout en Afrique Tropicale, la forêt fait l'objet d'une compétition ardue entre ses multiples utilisateurs. Ressource vitale pour certains, source de revenus financiers ou encore réserve biologique pour d'autres, elle est devenue un rée enjeu politique, économique, social et culturel.

3.1 Les enjeux politiques

Dans le contexte de la gestion décentralisée des ressources forestières, l'enjeu politique réside sur la recherche du contrôle de la gestion soit d'une forêt communautaire, soit la gestion des redevances forestières et aux diverses convoitises des parties prenantes autour des ressources forestières. A cela s'ajoutent les enjeux socioéconomiques et culturels.

3.2. Enjeux socio-économiques et culturels

L'économie des zones forestières est essentiellement basée sur l'agriculture vivrière et l'agriculture de rente. Les produits de rente ayant subi les conséquences néfastes de la détérioration des termes de l'échange ont découragé les paysans. Cette situation les a amené à développer d'autres alternatives susceptibles d'accroître leurs revenus.

Les usages auxquels sont soumises les ressources forestières et les bénéfices qu'elles procurent en font chaque jour des ressources fortement convoitées par diverses catégories d'acteurs sociaux. A tous les niveaux, les acteurs se battent pour en tirer le maximum de bénéfices de l'exploitation des ressources forestières. En ce qui concerne la gestion décentralisée des ressources forestières, les divergences d'intérêts résultent d'une part de l'utilisation des revenus tirés de l'exploitation des forêts communautaires et d'autre de la gestion des redevances forestières. Ces revenus doivent normalement servir au financement des projets d'intérêt communautaire comme l'indique l'arrêté conjoint d'avril 1998

Pour les populations des zones forestières, la forêt est perçue comme source de vie incontournable car elles y font la chasse et celle-ci constitue une importante source de protéines animales représentant un apport économique prépondérant. C'est dans la forêt qu'elles trouvent des produits appropriés à leur alimentation, des produits de cueillette et de ramassage, les produits de la pharmacopée traditionnelle et autres.

3.3 Enjeux écologiques

Au Cameroun, la volonté d'aboutir à des approches d'exploitation écologiquement durable des forêts communautaires se traduit par l'exigence des inventaires et d'un plan de gestion approuvé par l'administration des forêts. Ainsi, l'intervention dans la forêt communautaire pour mener des activités doit être programmée. Normalement, un plan simple de gestion présente les activités prévues dans la forêt communautaire, leur organisation, leur localisation dans la forêt, la période de réalisation et les personnes impliquées. Les populations dans leur grande majorité semblent tout ignorer sur les autres activités entrant dans la gestion d'une forêt communautaire. Elles continuent à croire qu'après l'exploitation forestière, elles peuvent passer à l'exploitation agricole. Pour elles, le comportement vis-à-vis de cette forêt n'a subit aucune modification. Tout cela constitue un problème fondamental concernant la gestion durable et bénéfique des forêts communautaires

4 La Gestion Alternative de Conflits (GAC) comme approche de gestion des conflits liés à la gestion décentralisée des ressources forestières

4.1 Définition de la Gestion alternative des conflits

La Gestion Alternative de Conflits se définit comme une démarche de recherche et d'action qui amène des parties prenantes à prendre ensemble les meilleures décisions sur des sujets difficiles et de dispute.1 Elle prend en considération toutes les façons de traiter un conflit sur les ressources naturelles. La GAC n'exclut pas les voies officielles, mais elle ne les utilise pas de façon prioritaire ou exclusive.

Le but de la GAC est de parvenir à une résolution mutuellement acceptable des problèmes liés aux conflits par le biais d'un processus volontaire conçu comme une alternative aux stratégies conflictuelles ou non- consensuelles. Elle repose sur quatre préalables fondamentaux. Premièrement, le problème ne réside pas dans le conflit lui-même, mais plutôt dans la manière de le gérer. Deuxièmement, une gestion alternative efficace et réussie des conflits exige la participation de toutes les parties prenantes et de toutes les parties légitimes impliquées dans le différend. Troisièmement, une partie ne s'impliquera généralement pas dans la gestion alternative des conflits à moins que ce ne soit dans son plus grand intérêt. Quatrièmement, chaque partie en position de faiblesse doit savoir qu'elle n'est jamais en face d'une partie monolithique plus forte ou totalement adverse.

Elle est un continuum qui met l'accent sur:

Les outils utilisés dans le cadre de la gestion du conflit sont:

La conciliation: Tentative par une tierce personne neutre de communiquer avec les parties en conflit pour baisser la tension et accepter de trouver une solution.

La négociation: Processus volontaire dans lequel les parties en conflit se rencontrent, mettent leurs arguments sur la table pour tenter d'atteindre des solutions acceptables pour tous (Alliances, Lobbying ...)

La médiation: Implique l'assistance d'une tierce personne (neutre) dans le processus de négociation. Permet de rapprocher les positions, d'aider à aboutir à un accord plutôt que de résoudre directement le conflit.

4.2 Résultats de l'application de l'approche GAC à la gestion des conflits autour de la forêt communautaire de Bimboué

CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES

Les conflits constituent une contrainte majeure de la gestion durable des forêts et de développement local. Le problème n'est pas de faire disparaître les conflits, mais de les gérer au mieux et si possible de les prévenir. Pour intégrer la lutte contre la pauvreté à la conservation de la biodiversité et à la gestion durable des forêts, nous devons prendre en compte la nécessité de gérer autrement les conflits.


1 Bilan national GAC du Mali, p. 8