1020-B1
OURO - DJERI Essowè
Au Togo, le charbon de bois et le bois de chauffage constituent les principales sources dénergie utilisées en cuisine en ce que:
- 98% de la population totale y recourt;
- 800 000 tonnes équivalent pétrole (Tep) sur 1,5 million (soit 54 %) de consommation énergétique finale nationale sont constitués par ces combustibles ligneux;
- ils composent, sur le plan volumétrique, 80 % des sources dénergie utilisées (contre 16 % pour les produits pétroliers et 4 % pour lélectricité).
La satisfaction en ces combustibles ligneux aussi quantitatifs, notamment en charbon de bois dont le taux de rendement - 15% - est bas, entraîne lexploitation de ressources forestières importantes malheureusement issues de formations végétales ouvertes ci-après:
(a) un fourré à Elaies guineensis et Adansonia digitata de 610.000 ha (soit 10,70 % du pays) sur la côte entre 6°15 et 7°00 Nord;
(b) une savane boisée à Butryrospermum parkii et Anogeissus leiocarpus couvrant 2.500.000 ha (soit 44,16 % du pays) entre 7°00 et 10°50 Nord du côté Est;
(c) une savane arborée à Terminalia laxiflora et Butyrospermum parkii entre 7°00 - 8°00 Nord, dune superficie de 480.000 ha;
(d) une savane arbustive présahélienne à Acacia sp et Butyrospermum parkii de 941.000 ha entre 10°50 et 11°10 Nord à la frontière avec le Burkina Faso et
(e) une forêt mésophile à Khaya grandifoliola et Milicia excelsa à lOuest de la zone située entre 7° et 9° Nord.
Cest dans ce dernier faciès végétal situé sur les Monts Togo, comprenant à la fois le Plateau Danyi et le Plateau Akposso, que se trouve Djalouma, objet de la présente étude menée en juin 2002.
Petit village de 224 habitants provenant des 44 ethnies togolaises, Djalouma est situé entre 0°75 et 1°00 Est et 7°30 et 7°75 Nord sur le Plateau Akposso et sur le tronçon routier Atakpamé - Badou, pratiquement à 55 km de cette dernière localité (carte 2).
Les caractéristiques biophysiques sont celles du Plateau Akposso marquées:
- au plan du relief et de la géomorphologie par un plateau altimontain de 914 m de haut ponctué de vallées profondes aux abords parfois décapés dus à laction conjuguée des actions tectoniques et climatiques sur le milieu;
- au plan pédologique par une prédominance de sols ferralitiques alternant avec des sols ferrugineux tropicaux plus atomisés;
- au plan hydrographique par deux grands cours deau (Wawa et Amoutchou) qui sont nourris par des chutes deau (dAkloa) et des rivières dont les crues surviennent entre juillet et septembre;
- au plan climatique par deux saisons: sèche et pluvieuse; la pluviométrie est de 1300 mm par an et la température annuelle de 20° C; les brouillards et brumes caractéristiques des zones orographiques sont légion notoirement à la fin de saison pluvieuse;
- au plan de la diversité biologique, il est noté au niveau du cheptel faunique sauvage des mammifères (tels Syncerus cafer, Thryonomys swinderianus...etc), des reptiles et des oiseaux (tels Ardea purpurea...etc). Quant aux formations végétales, elles sont caractéristiques des forêts tropicales sempervirentes (ERN, 1984) et comprennent Albizzia sp, Aubrevillea kerstingii, Daniellia thurifera, Distemonanthus benthamianus, Khaya grandifoliola, Milicia excelsa, Erythrophleum guineense, Terminalia glaucescens...etc. Somme toute la zone regorge la plus grande diversité biologique que le TOGO puisse disposer. Malheureusement, elle fait lobjet ces dernières années dune exploitation vertigineuse notamment des ressources forestières à travers une carbonisation intensive autrefois inconnue mais introduite par les populations allochtones au cours des années de trouble socio-politique (1990 - 1993) comme moyen de compléter les revenus agricoles durement ébranlés (photo n° 1).
Lévolution fulgurante de lactivité de carbonisation dans ce sanctuaire forestier - cette activité là même qui a appauvri les quatre (4) autres faciès forestiers du pays - suscite au sein des chercheurs une inquiétude ayant conduit à la présente étude à Djalouma en vue de mettre sur pied les méthodes de conservation de ce sanctuaire forestier encore unique au Togo.
Djalouma constitue du point de vue écologique le microcosme du Plateau Akposso caractérisé par une verdure luxuriante. Il lest aussi, au plan national, du point de vue de la diversité des ethnies y vivant. Doù tous les types de carbonisation traditionnelle (à base du bois vert ou sec, à base de four, meule et fosse) y sont utilisés. Le charbon qui y est produit est très apprécié pour son pouvoir calorifique élevé, attirant ainsi les commerçants de ce combustible ligneux photo n° 2). Enfin les autochtones voyant les allochtones fabricant du charbon "senrichir" se sont lancés dans cette activité comme cest le cas sur tout le Plateau Akposso dont les revenus issus du café, cacao ont connu ces dernières années une chute drastique. Somme toute, Djalouma a été choisi comme zone détude à cause de sa représentativité et comme tel, lextrapolation des résultats qui en découlent ne saurait être sujette à caution.
De façon générale, létude a visé à caractériser la dégradation de lenvironnement forestier inhérente au développement de la carbonisation.
De façon spécifique, létude a visé à:
(i) déterminer lévolution de 1990 à ce jour du nombre de fabricants de charbon et le niveau de leur enrichissement du point de vue financier;
(ii) déterminer le nombre despèces utilisées dans la carbonisation et en déduire les espèces en disparition;
(iii) circonscrire lévolution spatiale de la forêt;
Après une revue documentaire ayant permis notamment de disposer de statistiques (démographiques et autres) sur le milieu, la phase de collecte de données primaires a été conduite par:
(i) administration de questionnaire approprié sur un échantillon de 10 % des fabricants de charbon des deux sexes, dautochtones que dallochtones (tableau n° 1) pour dune part connaître leur nombre, leur revenu financier et dautre part les essences forestières cibles;
Tableau n° 1: Typologie et échantillonnage des fabricants de charbon
|
AUTOCHTONES |
ALLOCHTONES |
TOTAL |
||
HOMMES |
FEMMES |
HOMMES |
FEMMES |
||
Effectif |
90 |
30 |
60 |
10 |
180 |
|
66,67 % |
33,33 % |
|
||
Nombre dunités échantillonnage (valeur absolue) |
9 |
3 |
5 |
1 |
18 |
Nombre dunités déchantillonnage (valeur relative) |
66,67 % |
33,33 % |
|
Source: Données de terrain, juin 2002
(ii) sondage aux quatre points cardinaux du village de lévolution spatiale de la forêt liée à la carbonisation. A chaque point cardinal, deux placeaux (de 25 × 25 m), situés le premier à 2 km et le second à 100 m plus loin, ont été installés suivis de recensement de toutes les espèces arborées présentes et de celles coupées (et citées lors de lenquête au village comme utilisées dans la carbonisation).
Lévolution du nombre des fabricants de charbon de 1990 à ce jour, leur revenu financier (comparé au revenu agricole) ainsi que lévolution temporelle des essences forestières, objet de la carbonisation, se retrouvent dans les tableaux 2, 3 et 4.
Tableau n° 2: Evolution du nombre des fabricants de charbon de 1990 à ce jour.
ANNEE |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
TOTAL |
Nbre de fabricants |
7 |
13 |
17 |
32 |
79 |
87 |
108 |
135 |
143 |
156 |
163 |
172 |
180 |
1292 |
Source: Données de terrain, juin 2002.
Somme toute, le nombre de fabricants sest décuplé entre 1990 et 2002 de 3000 % environ. Quant à la production de charbon par mois par personne, elle est dune tonne vendue à 45 CFA le kg (contre 120 CFA à la capitale Lomé).
Ainsi ce revenu financier comparé à celui agricole se retrouve dans le tableau n° 3.
Tableau n° 3: Revenu financier annuel des carbonisateurs comparé à celui agricole (en CFA).
TYPE DE PRODUCTION |
QUANTITE PRODUITE PAR AN (KG) |
VALEUR AU PRIX DU MARCHE (CFA) |
Charbon |
12000 |
540960 (de 1993 à ce jour) |
Production agricole |
4500 kg (avant 1993) |
719000 CFA |
(café, maïs, haricot, manioc) |
1500 kg (de 1993 à ce jour) |
257250 CFA |
Source: Données de terrain, juin 2002
Il ressort de ce tableau que le paysan de Djalouma sest appauvri, voyant ses revenus passer annuellement de 719000 CFA à 540960 CFA; encore faut-il préciser que ce dernier revenu repose sur des ressources forestières susceptibles de disparaître.
Quant aux essences forestières, objet de carbonisation et par ricochet en disparition, lévolution temporelle de leur nombre est récapitulée dans le tableau n° 4.
Tableau n° 4: Evolution du nombre dessences utilisées en carbonisation
ANNEES |
NOMBRE |
NOM SCIENTIFIQUE DE LESSENCE |
DENSITE/HA |
Avant 1993 |
1 |
- Erythrophleum guineense |
1000 |
2 |
- Lophira lanceolata |
750 |
|
De 1993 à ce jour |
1 |
- Erythrophleum guineense |
552 |
2 |
- Lophira lanceolata |
442 |
|
3 |
- Parinari glabra |
500 |
|
4 |
- Pentadesma butyracea |
250 |
|
5 |
- Vitex doniana |
500 |
|
6 |
- Ericoelum kerstingii |
250 |
|
7 |
- Terminalia glaucescens |
500 |
Source: Données de terrain, juin 2002.
Le tableau ci-dessus donne une idée parcellaire de lévolution spatiale de la forêt. Mais elle est beaucoup lisible dans le tableau n° 5.
Tableau n° 5: Taux général de déforestation et taux de déforestation dû à la carbonisation.
Point cardinal |
Ordre du placeau |
Nombre darbres coupés |
Nombre darbres coupés pour la carbonisation |
Nombre darbres sur pied |
Nombre total darbres |
Taux de déforestation générale |
Taux de déforestation dû à la carbonisation |
Nord |
1er |
13 |
10 |
2 |
15 |
86,7 % |
66,66 % |
Nord |
2ème |
5 |
2 |
7 |
12 |
41,66 % |
16,66 % |
|
Moyenne |
9 |
6 |
5 |
13 |
69,23 % |
46,15 % |
Est |
1er |
11 |
7 |
4 |
15 |
73,33 % |
46,66 % |
Est |
2ème |
9 |
7 |
10 |
19 |
47,36 % |
36,84 % |
|
Moyenne |
10 |
7 |
7 |
17 |
58,82 % |
41,17 % |
Ouest |
1er |
10 |
8 |
2 |
12 |
83,33 % |
44,44 % |
Ouest |
2ème |
5 |
4 |
11 |
16 |
31,25 % |
25 % |
|
Moyenne |
8 |
6 |
6 |
14 |
57,14 % |
42,85 % |
Sud |
1er |
10 |
9 |
9 |
19 |
52,63 % |
47,36 % |
Sud |
2ème |
9 |
7 |
12 |
17 |
52,94 % |
41,17 % |
|
Moyenne |
9 |
8 |
11 |
18 |
50 % |
44,44 % |
Moyenne Générale |
9 |
6,75 |
7,125 |
15,62 |
57,62 % |
43,21 % |
Source: Résultats de terrain (Juin 2002).
Il ressort de lexamen de ce tableau et des informations complémentaires obtenues, ce qui suit:
- Le taux de déforestation générale dépasse 50 %; en clair, la zone détude a perdu plus de la moitié de son couvert végétal arboré initial au cours des dix dernières années;
- Ce taux diminue quand lon passe du premier placeau plus proche du village au second plus éloigné du village. Par déduction, la forêt augmente au fur et à mesure que lon séloigne du village;
- En comparant les moyennes des deux taux (déforestation générale et celui dû à la carbonisation), il apparaît clairement que la carbonisation contribue à 75 % du recul de la forêt et à dégrader lenvironnement forestier du Plateau Akposso.
Le décuplement du nombre des carbonisateurs à Djalouma est infernal: 300 % en dix ans. Ceci est dû évidemment à la pauvreté grandissante mais aussi à la non professionnalisation de la carrière de charbonnier issue dun vide juridique au Togo.
Compte tenu du caractère très physique du travail (notamment les coupes darbres), la "profession" est masculine mais avec des revenus bouffis car non pérennes. Par ailleurs, il constitue le premier facteur de la déforestation du milieu.
En guise de recommandations, lon peut retenir que la conservation de la forêt togolaise, voire de la localité étudiée passe par les pistes ci-après:
· Au niveau de Djalouma:
- la nécessité de créer des activités génératrices de revenu comme solution de rechange à la chute des revenus agricoles;
- la formation des charbonniers en techniques daménagement durable de la forêt mais aussi du planting dans les soles privées.
· Au niveau des villes demandeuses du charbon de bois:
- le besoin dune substitution du charbon de bois et ce, par une recherche scientifique aux fins de concevoir des foyers ou plaques à moindre coût pouvant utiliser les énergies solaires et éoliennes qui constituent de véritables "mines inépuisables" dans notre pays;
- la valorisation des déchets agricoles et industriels par fabrication de briques.
1. AKPAGANA (K.) 1989 - Les forêts denses humides du Togo (thèse de doctorat) - Bordeaux III
2. OURO - DJERI (E.) 2001 - Monographie des écosystèmes forestiers naturels et artificiels du Togo - Direction des Productions Forestières (54 pages)
3. OURO - DJERI (E.) 1994 - Approvisionnement et consommation des combustibles ligneux à Sokodé - Université de Dschang (Cameroun) - (96 pages)