FAO au Burundi

Lutte contre la chenille légionnaire d’automne: l’action de la FAO grâce à un financement de DFID

Piège à phéromones sexuelles pour signaler l’arrivée des papillons mâles dans les champs de maïs
20/03/2018

Dans le cadre du « Projet de renforcement de la résilience des ménages en insécurité alimentaire aiguë et chronique dans les provinces de Ruyigi, Cankuzo et Bubanza » financé par la coopération britannique (DFID) et mis en œuvre par la FAO au Burundi, des actions sont en cours pour lutter contre la chenille légionnaire d’automne, Spodoptera frugiperda.M. Pascal NDAYIRAGIJE, entomologiste et expert de la FAO en charge de la lutte contre cette chenille s’exprime sur cette question.

Question 1: Depuis un certain temps, les populations rurales burundaises font face à une chenille qui est en train de faire des ravages dans leurs plantations de maïs. Quelle est la caractéristique de cette chenille ? Pourriez-vous nous la présenter?

Réponse: Jusqu’au début de l’année 2016, les principaux ravageurs du maïs étaient notamment, les chenilles foreuses (Busseola fusca, Sesamia calamistis et Eldana saccharina) et la chenille légionnaire africaine (Spodoptera exempta). Ces ravageurs sont relativement contrôlés par les agriculteurs.

 Depuis le mois de février 2016, un nouveau ravageur redoutable à la culture du maïs a été observé pour la première fois au Burundi dans la partie Nord-Ouest du pays en province de Cibitoke. Il s’agit d’un insecte très nuisible et envahissant, appelé chenille légionnaire d'automne ou Spodoptera frugiperda originaire des régions tropicales et subtropicales des Amériques. C’est un insecte  polyphage dont le stade adulte est un papillon. Il  a une préférence pour la culture de maïs mais peut se nourrir de plus de 80 espèces de plantes, notamment le riz, le sorgho, le blé, la canne à sucre, le coton et les cultures maraîchères.

 La femelle pond pendant la nuit et les œufs sont disposés en forme de grappes serrées de 150 à 300.  L’éclosion des œufs dure de 2 à 3 jours. La durée du développement larvaire jusqu’au stade adulte est de 23 à 34 jours en fonction des conditions environnementales. Les adultes ont une longévité de 12 à 14 jours.

 Question 2: Vous dites que cette chenille attaque principalement le maïs. Quelle est la place du maïs dans la production agricole au Burundi ?

Réponse: Au Burundi, le maïs est surtout cultivé en saison A. Le rapport de la saison 2017 A montre que cette culture a occupé une superficie de 127 166 ha soit 85,3 % de la superficie totale occupée par les céréales. Au cours de la même saison culturale, la production du maïs représente  96,5 % de celle des autres céréales.

 Question 3: Quelle est la capacité de nuisance de la chenille légionnaire d’automne ?

Réponse: Les dégâts de cette chenille sont causés exclusivement par les larves (chenilles) et de fortes infestations peuvent entraîner des pertes de rendement importantes pouvant aller jusqu’à 100% si aucun contrôle n’est fait. Une incidence de 70 à 100 % est déjà observée dans les jeunes plantations de certaines régions du pays comme Cibitoke, Bubanza, Kayanza, Rumonge, Makamba et Ngozi.

 Les jeunes chenilles restent groupées au cours des deux premiers stades larvaires et s’alimentent sur la face inférieure des feuilles laissant des plaques semi transparentes appelées fenêtres. Les chenilles âgées (dès le troisième stade larvaire) causent des dégâts spectaculaires caractérisés  par des trous foliaires irréguliers assez larges et parfois la destruction du bourgeon végétatif, réduisant ainsi la masse foliaire avec une diminution de l’activité photosynthétique responsable de la production des grains des épis du maïs.  Les épis peuvent également être attaqués lors de fortes infestations, créant des portes d’entrée pour les champignons responsables des toxines comme l’aflatoxine, un métabolite très toxique pour l’’homme. La chenille se métamorphose ensuite, au terme de son développement, en un papillon actif pendant la nuit qui possède une grande capacité de dispersion. En effet, il peut parcourir une distance de plus de 100 km par nuit avant d’atterrir dans une nouvelle localité pour la ponte. Ce ravageur est très prolifique car une seule femelle peut donner naissance à plus de 2000 larves (chenille) tout au long de sa vie qui ne dépasse pas un mois.

 Question 4: Quelles sont les méthodes de lutte contre cette chenille en cours sur le terrain? Réponse:

Dans le cadre de la lutte contre ce ravageur, les agriculteurs burundais font recours presque exclusivement à l’utilisation d’insecticides, mais sans succès. Les insecticides utilisés sont le Dursban 4 EC,  le Decis 2,5 EC, le Diméthoate 40 EC, le Cypermethrine 5 EC, le Roket 44EC, le Dudu -Acelamectine (Abamectine (0.3%) et Acelamipride (1.8%)) et le Lava 100 EC.

Cette pratique de faire appel en premier lieu à la lutte chimique est problématique. Ces produits antiparasitaires peuvent avoir des effets néfastes sur la santé humaine et sur la préservation de la qualité de l’environnement.

 Il est prouvé que les insecticides peuvent provoquer des maladies graves à l’homme telles que l’infertilité, la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer  et  les différentes formes de cancer lorsque le taux de concentration dans les aliments est très élevé. L’utilisation abusive d’insecticides représente un risque énorme pour la santé  humaine et animale ainsi qu’à la préservation et la qualité de l’environnement. De plus, les ravageurs développent rapidement des résistances à ces produits antiparasitaires, ce qui est le cas de la chenille légionnaire d’automne, Spodoptera frugiperda, dans son milieu d’origine.

 Question 5: Quelle est la méthode de lutte contre cette chenille préconisée par la FAO?

Réponse: En premier lieu, nous préconisons la lutte mécanique, soit le ramassage des œufs et des chenilles pour les écraser. Cette option reste, au Burundi, la plus viable économiquement et écologiquement pour lutter contre la chenille légionnaire d’automne, compte tenu de l’abondance de la main-d’œuvre et de la taille moyenne relativement petite des champs de maïs. Cette pratique doit se faire avant que les chenilles  n’arrivent dans le bourgeon végétatif de la  plante. La réussite de cette technique est subordonnée à la mise en place d’un système de surveillance des champs pour un dépistage des œufs et des jeunes chenilles au moment opportun ainsi qu’un système d’alerte précoce pour organiser la lutte. Chaque agriculteur doit visiter régulièrement son champ car les attaques peuvent survenir à différents moments dans une même localité, rendant ainsi difficile une campagne collective.

Dans cette optique, les pièges à phéromones sexuelles constituent un outil efficace qui permet de signaler l’arrivée des papillons dans les champs de maïs pour un diagnostic et une réponse rapides avant que les chenilles n’endommagent les plants.  Les phéromones sexuelles sont un mélange de substances odorantes et volatiles excrétées par les papillons femelles et  qui attirent les papillons mâles pour l’accouplement. Ces substances ont été caractérisées et synthétisées par des institutions de recherche et sont actuellement utilisées dans le cadre de la lutte intégrée contre les ravageurs.

Les pièges à phéromones sexuelles sont installés dans les champs de maïs ou en bordure, pour  attirer les papillons mâles de Spodoptera frugiperda qui sont alors capturés dans ces dispositifs munis d’insecticide. Les papillons mâles se déplacent en groupe avec les femelles qui viennent pondre sur les feuilles de maïs après l’accouplement et donnent naissance aux chenilles qui dévorent les feuilles.

Le piégeage sexuel des papillons mâles de Spodoptera frugiperda n’est pas en soi une méthode de lutte directe; il donne seulement des informations permettant de mieux suivre le degré d’infestation via la surveillance des champs, pour un diagnostic rapide et contribuer ainsi à l’établissement d’une alerte précoce dans le cadre des avertissements agricoles. Ce n’est pas le papillon piégé qui est nuisible aux cultures, mais plutôt les chenilles issues des pontes des papillons femelles.

Les visites hebdomadaires des pièges constituent des sources d’information pour les agronomes et les agriculteurs qui s’organisent conséquemment dans le but d’éliminer les œufs et les jeunes chenilles. Les phéromones sexuelles de Spodoptera frugiperda restent un outil précieux comme moyen pour signaler la présence ou non du ravageur avant qu’il ne cause des dégâts à la culture.  

A terme, c’est la lutte intégrée qui est préconisée pour lutter efficacement contre le ravageur. Il s’agit notamment d’une action synergique par des mesures urgentes suivantes: la surveillance des champs facilitée par le recours aux phéromones sexuelles, l’utilisation de la semence de qualité, la fertilisation équilibrée des champs, les semis groupés dans le temps au début des pluies, le ramassage des jeunes chenilles et des œufs en les écrasant, l’utilisation de variétés de semences plus résistantes, la lutte biologique et en dernier recours la lutte chimique en utilisant les pesticides les moins toxiques et moins nuisibles à l’environnement, et dans le meilleur des cas des biopesticides, les formations en cascade sur la lutte intégrée des différents intervenants, surtout des communautés agricoles à la base afin de juguler ce fléau. Il importe donc de mettre en place un véritable système de surveillance à base communautaire pour assurer une alerte précoce des invasions de la chenille légionnaire, Spodoptera frugiperda, qui permettra une réponse rapide, adaptée, efficace et coordonnée.