Le système alimentaire mondial est-il à l'aube d'un changement majeur ?

©William G. Moseley

06/04/2022

Par William G. Moseley

 

Le système alimentaire mondial est en crise. L'augmentation des coûts de transport, les perturbations des chaînes d'approvisionnement liées à la covid-19 et les déficits d'exportation de céréales liés à la guerre ont ébranlé, au cours des deux dernières années, notre paradigme de sécurité alimentaire fondé sur le commerce. Les crises, en particulier celles qui se prolongent, peuvent être des moments de changement. Alors que les entreprises et les institutions établies feront tout ce qui est en leur pouvoir pour maintenir le statu quo, le système alimentaire mondial pourrait être à l'aube d'un changement majeur – et ce changement pourrait être positif si nous l’organisons intelligemment.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie a ébranlé une fois de plus le système alimentaire mondial. Collectivement, ces deux pays représentent 29% des échanges internationaux de blé et 19% des échanges internationaux de maïs, abstraction faite des échanges internes au marché commun de l’Union européenne. La Russie et le Belarus sont également de grands exportateurs d'engrais inorganiques. La crise actuelle pose un problème aigu aux pays grands importateurs de céréales de la région de la mer Noire. Cette crise alimentaire liée à la guerre s'inscrit également dans le prolongement de celle engendrée par la pandémie de covid-19 qui sévit depuis deux ans et qui a entraîné à plusieurs reprises des perturbations des chaînes d'approvisionnement et de l’insécurité alimentaire.

Le monde a connu un certain nombre de crises alimentaires par le passé et, à chaque fois, les principaux acteurs ont redoublé d'efforts pour rendre le système plus efficace. Citons, par exemple, les méthodes de production alimentaire industrielle introduites dans les pays du Sud lors de la première révolution verte des années 1960 et 1970, l'accent mis sur la spécialisation et le commerce dans le cadre de la réforme économique néolibérale des années 1980 et 1990 et l'intégration des petits exploitants dans les chaînes d'approvisionnement dominées par les entreprises, au cœur de la nouvelle révolution verte pour l'Afrique. Malheureusement, à chaque fois, les décideurs politiques et les acteurs du monde de l'entreprise ont créé un système alimentaire plus vulnérable aux perturbations en raison de son intensité énergétique et de sa dépendance aux échanges internationaux, quelle que soit la distance.

La mondialisation, y compris celle du système alimentaire, repose sur des méthodes de production à forte intensité énergétique et sur des transports et un commerce bon marché et efficaces. En raison de la hausse des coûts de l'énergie et des problèmes persistants dans les chaînes d'approvisionnement, on voit certains écrire à présent au sujet de la fin de la mondialisation ; je suggère que cette prédiction s'étende au système alimentaire mondial. Bien que les commentateurs favorables au monde des affaires considèrent la fin de la mondialisation comme problématique, un rééquilibrage du système alimentaire mondial reposant sur un paradigme de sécurité alimentaire différent pourrait, au contraire, présenter de nombreux avantages, notamment en termes de durabilité, de résilience aux crises et d’attention portée aux besoins des gens.

Pour être clair, la résistance au changement sera forte, car le système actuel est fortement concentré entre les mains de quelques entreprises et dépend de quelques pays producteurs fortement excédentaires. Ces acteurs et ces zones géographiques ne renonceront pas facilement à leurs positions privilégiées. Je comprends également que les intérêts nationaux (y compris ceux de mon propre pays, les États-Unis d’Amérique), le consensus de longue date dans certains segments de la communauté scientifique autour des approches productivistes pour lutter contre l'insécurité alimentaire et la dépendance à l'égard de la voie suivie (ou les investissements dans l'approche existante) sont des obstacles majeurs au changement. Mais la transformation pourra se faire plus facilement si nous investissons intelligemment dans l'avenir.

Si la communauté internationale doit répondre aux conséquences immédiates de la crise en veillant à ce qu'une nourriture adéquate parvienne sans délai à ceux qui souffrent de la faim, elle doit également réaliser des investissements qui ouvriront la voie à l'avènement d'un système alimentaire plus durable et moins vulnérable. Nous devrions commencer par favoriser un système alimentaire moins gourmand en combustibles fossiles, afin qu'il soit moins exposé aux fluctuations des prix de ces derniers et aux perturbations de leur approvisionnement.

Nous savons comment produire des aliments plus sains en utilisant moins d'énergie fossile. La science de l'agroécologie tire parti des interactions écologiques entre les cultures, les cultures et les insectes, et les cultures et le sol, pour contenir les parasites, entretenir la fertilité du sol et produire davantage de nourriture. Son intérêt dans le contexte actuel est qu'elle ne repose pas sur des intrants produits à partir de combustibles fossiles (engrais et pesticides), dont l'approvisionnement peut être interrompu ou les coûts exploser. Bien que le domaine de l'agroécologie existe depuis des décennies et qu'il ait récemment été reconnu par les organisations du système des Nations unies et par certains gouvernements, des investissements substantiels sont nécessaires pour que ses principes et ses pratiques puissent s’étendre, tant sur le terrain qu'au sein de la communauté scientifique. Un bon point de départ pourrait être la création d'un nouveau centre de recherche du CGIAR consacré à l'agroécologie.

Nous avons également besoin d'un système alimentaire mondial plus décentralisé, qui ne soit pas aussi dépendant de quelques grands pays et entreprises exportateurs. Un certain niveau de redondance est nécessaire pour que les systèmes alimentaires soient plus résilients face aux perturbations. Par exemple, s'il peut être plus efficace pour le Botswana, en période de prospérité, d'exporter des diamants et d'importer 90% de sa nourriture, cela rend également le pays très vulnérable aux perturbations. Ainsi, selon de nombreux analystes, le Botswana devrait envisager de rééquilibrer son portefeuille alimentaire et de produire davantage de denrées alimentaires dans le pays afin de mieux appréhender les risques (et, également, de réduire les coûts de transport).

La transformation du système alimentaire mondial ne se fera pas facilement, mais les crises actuelles superposées – une guerre dans l'un des principaux greniers à blé du monde en plus de deux années de perturbations des chaînes d'approvisionnement liées à la pandémie de covid-19 – suggèrent que nous sommes à un moment charnière. Imaginer un avenir différent et investir dans un nouveau paradigme de sécurité alimentaire pourrait nous permettre d'opérer une transition vers un système alimentaire plus résilient et durable, un résultat qui serait meilleur pour l’humanité comme pour la planète.

 

William G. Moseley est professeur de géographie et directeur du programme pour l'alimentation, l'agriculture et la société au Macalester College à Saint Paul, dans le Minnesota (États-Unis d’Amérique). Il est membre du Comité directeur du Groupe d'experts de haut niveau des Nations unies sur la sécurité alimentaire et la nutrition (HLPE). Vous pouvez le trouver sur Twitter @WilliamGMoseley.


Description de l'image: Un marchand de céréales au Caire, en Égypte, en mars 2022, où la flambée des prix du blé est un problème majeur pour ce pays dépendant des importations. Photo par William G. Moseley.


Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement celles du CSA ni du HLPE.